COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 53B
16e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 23 FEVRIER 2023
N° RG 21/07325 – N° Portalis DBV3-V-B7F-U4E4
AFFAIRE :
[R] [E]
[S] [I] épouse [K]
S.C.I. SN
C/
S.A. BNP PARIBAS
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 15 Novembre 2021 par le Tribunal de Grande Instance de PONTOISE
N° RG : 19/04962
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 23.02.2023
à :
Me Alain BOLLE de la SELARL AB AVOCAT, avocat au barreau de VAL D’OISE,
Me Bertrand LISSARRAGUE de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de VERSAILLES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT TROIS FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Madame [R] [E]
née le [Date naissance 4] 1983 à [Localité 19]
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Localité 12]
Madame [S] [I] épouse [K]
née le [Date naissance 1] 1979 à [Localité 18] (Inde)
de nationalité Indienne
[Adresse 8]
[Localité 10]
S.C.I. SN
N° Siret : 837 502 335 (RCS [Localité 20])
[Adresse 21]
[Localité 11]
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentant : Me Alain BOLLÉ de la SELARL AB AVOCAT, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de VAL D’OISE, vestiaire : 203 – N° du dossier 7-2020
APPELANTES
****************
S.A. BNP PARIBAS
N° Siret : 662 042 449 (RCS [Localité 9])
[Adresse 3]
[Localité 9]
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentant : Me Bertrand LISSARRAGUE de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 – N° du dossier 2167807 – Représentant : Me Vanessa RUFFA de la SELARL SIMON ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
L’affaire a été débattue à l’audience publique du 25 Janvier 2023, Madame Sylvie NEROT, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Fabienne PAGES, Président,
Madame Caroline DERYCKERE, Conseiller,
Madame Sylvie NEROT, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles.
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Mme Mélanie RIBEIRO
EXPOSÉ DU LITIGE
Après communication à la banque ‘en ligne’ BNP Paribas Hello Bank !, par madame [E], de divers documents relatifs à sa situation professionnelle et financière et suivant offre du 09 mars 2018 acceptée le 27 mars suivant, la société BNP Paribas lui a consenti un prêt au montant de 578.000 euros au taux fixe de 1,9% l’an remboursable en 300 mensualités de 2.652,57 euros qui était destiné à l’acquisition d’un bien immobilier situé [Adresse 2].
Après déblocage des fonds la vente a été régularisée par acte notarié du 26 avril 2018.
A la suite d’impayés, la banque a vainement adressé à madame [E], le 19 octobre 2018, une mise en demeure de payer l’échéance d’octobre sous quinze jours puis lui a notifié la déchéance du terme par pli recommandé du 07 novembre 2018 en la mettant en demeure de lui régler la somme de 603.733,41 euros.
Parallèlement, la banque a appris que ladite vente avait l’objet d’une résolution par acte notarié du 14 mai 2018, que les sommes ont été restituées à l’acquéreur sans qu’elles ne lui aient été remboursées mais que madame [E] a acquis du même vendeur, le 17 mai 2018, par l’intermédiaire d’une SCI SN dont elle est gérante et associée (à hauteur de 90% de ses parts sociales) avec madame [I] (qui en détient 10%), un immeuble à usage de maison d’habitation et de commerce de café-restaurant-hôtel situé à Saint-Brice-sous-Forêt (95) au prix de 1.030.000 euros payé comptant.
Suivant ordonnance rendue le 05 juin 2019 par le juge de l’exécution du tribunal de Pontoise, la banque a été autorisée à inscrire une hypothèque judiciaire provisoire sur ce bien situé à Saint-Brice-sous-Forêt.
La société BNP Paribas expose encore qu’elle a découvert que les documents produits à l’appui de la demande de prêt de madame [E] étaient des faux, qu’il s’agisse de ceux relatifs à son emploi ou à ses comptes bancaires.
Elle précise enfin qu’elle a déposé plainte pour faux, usage de faux, escroquerie et association de malfaiteurs entre les mains du procureur près le tribunal de grande instance de Pontoise, le 18 février 2019, et que l’enquête pénale est toujours en cours.
C’est dans ce contexte et en l’absence d’un quelconque règlement que par acte des 08 et 10 juillet 2019 la société BNP Paribas a assigné madame [R] [E], madame [S] [I] et la SCI SN aux fins, notamment, de voir condamner madame [E] au paiement du solde de sa dette et de voir ordonner la réintégration du bien acquis par la SCI SN dans le patrimoine personnel de madame [E].
Par jugement contradictoire rendu le 15 novembre 2021, le tribunal judiciaire de Pontoise, à la suite du prononcé, le 04 mars 2021, d’une ordonnance du juge de la mise en état rejetant la demande de sursis à statuer des défenderesses motivée par l’existence d’une procédure pénale, a, en ordonnant l’exécution provisoire sur l’ensemble des condamnations :
rejeté la fin de non-recevoir soulevée par les défenderesses,
condamné madame [R] [E] à payer à la BNP Paribas la somme de 609.452,13 euros arrêtée au 16 mai 2019, augmentée des intérêts au taux contractuel de 1,95 % sur la somme de 570.094,30 euros à compter du 17 mai 2019 et des intérêts au taux légal sur la somme de 39.357,83 euros à compter de la même date jusqu’à parfait paiement,
ordonné la capitalisation des intérêts échus pour une année entière,
déclaré simulée la propriété de la SCI SN au capital de 1.000 euros ayant son siège social [Adresse 21], immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Pontoise sous le n° 837 502 335, sur les biens et droits immobiliers sis [Adresse 21], cadastrés section [Cadastre 13], [Cadastre 6] et [Cadastre 7] et section [Cadastre 14] à titre indivis à hauteur de la moitié,
ordonné la réintégration desdits biens dans le patrimoine personnel de madame [R] [E], née le [Date naissance 4] 1983 à [Localité 19],
ordonné la publication du présent jugement au Service de la Publicité Foncière de [Localité 23] 2,
déclaré le présent jugement opposable à madame [I],
débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
condamné madame [R] [E] à payer à la BNP Paribas la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Par uniques et dernières conclusions notifiées le 23 février 2022 et adressées à ‘mesdames ou messieurs les présidents et conseillers composant la 16ème de la cour’, madame [R] [E], la société civile immobilière SN et madame [S] [I] épouse [K], appelantes de ce jugement selon déclaration reçue au greffe le 09 décembre 2021, demandent à »madame ou monsieur le président de la cour d’appel de Versailles’ (sic) :
de réformer le jugement entrepris,
de débouter la BNP Paribas de l’ensemble de ses demandes,
de condamner la banque BNP Paribas à (leur) payer la somme de 2.000 euros pour chacune des ‘Intimées’ (sic),
de condamner la banque BNP [Localité 9] (sic) aux entiers dépens.
Par dernières conclusions notifiées le 20 mai 2022, la société anonyme BNP Paribas prie la cour, au visa des articles 31 du code de procédure civile, 1104 (nouveau), 1227 et suivants (nouveaux), 1137 (nouveau), 1231-6 et suivants (nouveaux), 1343-2 et suivants (nouveaux), 1201 (nouveau), 1302 et suivants (nouveaux) du code civil et L 313-36 et suivants du code de la consommation:
– de confirmer le jugement entrepris (…) dans toutes ses dispositions, à savoir en ce qu’il a rejeté la fin de non-recevoir soulevée en première instance et non reprise en appel par les appelantes et en conséquence de déclarer recevable BNP Paribas en ses demandes fins et prétentions qu’elle a intérêt à formuler en la disant bien fondée,
I – A. s’agissant de [R] [E]
de juger que la défaillance de [R] [E] est caractérisée au sens de l’article ‘définition et conséquences de la défaillance’ de l’offre de prêt transmise par BNP Paribas le 09 mars 2018 // que BNP Paribas était fondée, aux termes de son courrier du 07 novembre 2018, à prononcer l’exigibilité anticipée de l’intégralité des sommes dues au titre du contrat de prêt immobilier // que la créance détenue par BNP Paribas à l’encontre de [R] [E] est certaine, liquide et exigible,
en conséquence,
de condamner [R] [E] au paiement de la somme de 609.452,13 euros suivant décompte arrêté au 16 mai 2019 décomposée comme suit :
* 563.382,19 euros au titre du capital restant dû à la date de la dernière échéance réglée
* 6.712,11 euros au titre des intérêts au taux conventionnel sur le capital restant dû à la date de mise en demeure du 07 novembre 2018
* 39.357,83 euros au titre de la clause pénale
d’assortir la condamnation de la majoration des intérêts de retard au taux conventionnel du crédit depuis la date d’exigibilité du crédit jusqu’à parfait règlement,
d’ordonner la capitalisation des intérêts échus pour une année entière,
de condamner [R] [E] à payer à BNP Paribas la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et à prendre en charge les dépens de première instance,
B. s’agissant de la SCI SN
de déclarer simulée la propriété de la SCI SN, société civile immobilière au capital de 1.000 euros, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Pontoise sous le numéro 837 502 335, dont le siège social est sis [Adresse 21]) sur les biens et droits immobiliers sis [Adresse 21]), sous la désignation cadastrale [Cadastre 15], [Cadastre 16], [Cadastre 17], et, à titre indivis, à hauteur de 50 %, A638,
en conséquence,
d’ordonner la réintégration, sans qu’il y ait lieu à l’application de droits de mutation, desdits biens et droits immobiliers dans le patrimoine personnel de [R] [E],
d’ordonner la publication de la présente décision au Service de la Publicité Foncière de [Localité 23] 2,
y ajoutant, il est demandé à la cour :
de juger que BNP Paribas conservera le bénéfice (i) de l’hypothèque judiciaire provisoire
actuellement inscrite sur le bien de la SCI SN (dans l’attente par le Service de la Publicité Foncière d’une décision définitive sur sa réintégration au patrimoine de [R] [E]) et (ii) du rang que lui confère cette inscription avec toutes les conséquences qui y sont liées,
de déclarer le jugement opposable à Madame [S] [I],
II – A. s’agissant de [R] [E]
à titre subsidiaire
de dire et juger que [R] [E] est responsable de manquements graves à l’exécution des obligations issues du contrat de crédit ne permettant pas la poursuite des relations,
en conséquence,
de condamner [R] [E] au paiement de la somme de 563.382,19 euros en restitution du capital versé et non remboursé au titre du prêt immobilier et de 39.357,83 euros au titre de la clause pénale stipulée dans le contrat de prêt immobilier,
d’assortir la condamnation de la majoration des intérêts au taux légal à compter de la mise en
demeure du 19 octobre 2018 ou, à tout le moins, du jour de la délivrance de l’assignation,
à titre très subsidiaire
de dire et juger que le consentement de BNP Paribas a été surpris par le dol commis à son encontre par [R] [E],
en conséquence
de prononcer la nullité du contrat de prêt immobilier conclu entre BNP Paribas et [R] [E],
de condamner [R] [E] à restituer à BNP Paribas la somme de 563.382,19 euros au titre du capital versé et non remboursé et à payer à BNP Paribas la somme de 39.357,83 euros en réparation du préjudice subi par la Banque correspondant, a minima, au montant de la pénalité stipulée au contrat de prêt,
d’assortir la condamnation de la majoration des intérêts au taux légal à compter du jour de la délivrance de l’assignation.
B. s’agissant de la SCI SN
de dire et juger que la SCI SN s’est enrichie de manière injustifiée au détriment de BNP Paribas,
en conséquence
de condamner la SCI SN à indemniser BNP Paribas à hauteur de 609.452,13 euros à parfaire, correspondant au montant de la créance qu’elle détient à l’encontre de [R] [E] en principal, intérêts et pénalités, suivant décompte arrêté au 16 mai 2019, à majorer des intérêts de retard au taux conventionnel depuis la date d’exigibilité du crédit jusqu’à parfait règlement. Ce montant correspondant également à l’appauvrissement injustifié de la banque,
d’ordonner la publication de la présente décision au Service de la Publicité Foncière de [Localité 23] 2.
III – en tout état de cause
de dire la décision à intervenir opposable à [S] [I],
de débouter [R] [E], la SCI SN et [S] [I] de l’intégralité de leurs prétentions,
de condamner solidairement [R] [E] et la SCI SN à payer à BNP Paribas la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens,
d’ordonner la capitalisation des intérêts.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 06 décembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
En dépit de la demande de réformation du jugement figurant dans le dispositif des conclusions des appelantes, celles-ci ne développement aucun moyen de fait ou de droit à l’encontre du rejet, par les premiers juges, de la fin de non-recevoir qu’elles opposaient en première instance à la société BNP Paribas pour défaut d’intérêt à agir à l’encontre de la SCI SN et de madame [I], de sorte que le jugement ne peut qu’être confirmé sur ce point, comme le demande la banque.
Sur la demande en paiement après déchéance du terme formée à l’encontre de l’emprunteuse
Si, pas plus qu’en première instance, madame [E] ne conteste le défaut de règlement des échéances du prêt à compter de celle du mois d’octobre 2018 et la régularité de la déchéance du terme, acquise selon les stipulations du contrat de prêt qui lui a été personnellement consenti, laquelle lui a été notifiée, après mise en demeure, le 07 novembre 2019, avec exigibilité anticipée de la totalité des sommes dues au titre du prêt (dont elle ne conteste pas davantage le quantum), elle développe divers arguments de nature à justifier, selon elle, le débouté de la banque.
Elle se prévaut d’abord du défaut de vigilance de la banque.
Visant diverses dispositions du code monétaire et financier assujettissant un établissement bancaire à une obligation de vigilance (à savoir les articles L 561-2, L 511-22, L 561-5-1, R 561-12 (et l’arrêté pris pour son application) et L561-6) ou lui permettant d’accéder à des informations bancaires (article L 561-7 II), madame [E] qui a fourni des bulletins de paie et des relevés bancaires du Crédit Agricole lui reproche d’y avoir manqué et de s’être livrée à de tardives vérifications puisqu’elle n’y a procédé que 14 mois après leur entrée en relation.
Elle revient ensuite sur ce qu’elle nomme le contexte de l’affaire en exposant que c’est l’époux de madame [I], monsieur [K], qui est à l’origine du projet d’achat d’un restaurant, qu’il lui a fait rencontrer un individu dénommé [M] qu’elle qualifie de courtier bancaire, que ce dernier s’est chargé de lui fournir les documents falsifiés ayant permis l’octroi du prêt tout en la tenant à l’écart des rouages de l’opération tant auprès des banques que lors des rendez-vous organisés chez le notaire, ceci aussi bien pour l’acquisition du bien financé que pour l’annulation de cette vente puis l’acquisition du fonds de commerce à travers la constitution d’une SCI.
Elle conclut qu’elle a postérieurement découvert que monsieur [M] lui a vendu un bien estimé à 320.000 euros pour le prix de 1.130.000 euros, qu’il a ainsi perçu une somme de plus de 700.000 euros et qu’en outre les deux prêts accordés par les sociétés BNP Paribas et Boursorama (objet d’une autre procédure) concernaient le même studio de la [Adresse 2].
Afin de se prévaloir de son absence de responsabilité, elle invoque le fait qu’elle a cessé ses remboursements lorsqu’elle a pris conscience qu’elle avait été victime des agissements de monsieur [M] – évoquant une procédure pour escroquerie actuellement ouverte auprès d’un juge d’instruction de [Localité 20]. Elle se prévaut de son ignorance, de la circonstance que les falsifications ne sont pas de son fait, ainsi que de la force majeure qui peut être retenue en matière contractuelle, expose-t-elle, lorsque l’événement ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat, lorsqu’il échappe au contrôle du débiteur du fait de son intensité qui le rend irrésistible et l’empêche ainsi d’exécuter son obligation.
Ceci étant rappelé et s’agissant du manquement à son devoir de vigilance reproché à la banque, il convient de considérer qu’elle objecte à juste titre que les dispositions du code monétaire et financier invoquées ont pour finalité de lutter contre le blanchiment de capitaux, que la vigilance requise s’attache aux opérations inhabituelles alors que l’emprunt en cause est une opération relativement banale.
Les éléments de la procédure révèlent que la banque intimée a eu soin de collecter les diverses informations pertinentes lui permettant de consentir à accorder un prêt et elle rappelle à juste titre que le manquement d’une banque à son obligation de vigilance ne saurait être retenu qu’autant qu’ait pu être décelée une anomalie flagrante dans les informations fournies.
Madame [E] s’abstenant, ici, de caractériser une telle anomalie en faisant la démonstration de son existence, ce grief ne peut être retenu.
S’agissant des éléments factuels relatifs au contexte et aux protagonistes de cette opération, développés d’abondance par l’appelante, il peut-être constaté qu’ils ne sont étayés par aucune pièce si bien que les agissements, voire l’existence de ce monsieur [M] ne peuvent être regardés que comme hypothétiques.
C’est par conséquent à juste titre qu’en réponse à ce moyen le tribunal, rappelant que madame [E] a certifié sur l’honneur l’exactitude des renseignements fournis dans un document intitulé ‘synthèse déclarative’ daté du 15 janvier 2018, énonce qu »en tout état de cause, quand bien même madame [E] n’aurait pas falsifié elle-même les documents, il est de principe que la circonstance que l’emprunteur, qui aurait eu recours à des intermédiaires, ne serait pas l’auteur matériel des falsifications est indifférente, dès lors qu’il ne conteste pas que les documents ont été transmis à la banque par lui ou, pour son compte, par un mandataire dont il doit répondre.’
S’agissant, enfin, de l’invocation de la force majeure, la banque fait pertinemment valoir, comme repris par le tribunal, que le premier impayé date d’octobre 2018, que la question des documents falsifiés n’est pas invoquée lors des mises en demeure ou de la déchéance du terme et que la plainte pénale n’a été déposée que le 18 février 2019 si bien que madame [E] ne peut de bonne foi prétendre que la découverte des falsifications l’a empêchée d’honorer les échéances du prêt.
De plus, l’impossibilité d’exécuter procédant d’une force majeure qui libère le débiteur de son obligation d’exécuter le contrat est régie en matière contractuelle depuis 2016 par les dispositions du premier alinéa de l’article 1218 du code civil selon lequel :
‘Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur’.
La situation de l’espèce ne permet manifestement pas de retenir la force majeure telle qu’ainsi définie. L’enchaînement des faits ci-avant évoqués atteste à tout le moins d’une collusion de madame [E] qui a, notamment et sous son propre contrôle, donné foi aux documents falsifiés présentés à la banque. Elle ne pouvait ignorer que sa situation véritable risquait de la placer dans celle dans laquelle elle se trouve et les paiements réclamés auraient permis l’exécution du contrat.
Madame [E] ne peut donc se prévaloir de la force majeure et de son effet extinctif sur son obligation de payer si bien que cet autre moyen ne saurait prospérer.
Il en résulte que le jugement doit être confirmé en ce qu’il énonce que la déchéance du terme était justifiée et en sa condamnation au paiement des sommes telles que ventilées dans le décompte arrêté au 16 mai 2019 produit par la banque, sommes qui, au demeurant, ne font pas l’objet de contestation en leur quantum pas plus que les intérêts alloués et l’anatocisme prononcé par les premiers juges.
Sur l’action en déclaration de simulation et la demande de réintégration du bien acquis par la SCI dans le patrimoine de madame [E]
Contestant le jugement qui, de manière circonstanciée, a retenu la simulation et sans répondre aux nombreux moyens de fait et de droit présentés dans les conclusions de l’intimée, les appelantes soutiennent, sans plus d’éléments, dans leurs conclusions d’appel que ‘la demanderesse (sic) communique en page 26 un certain nombre d’éléments qui en réalité ne caractérisent pas la fictivité de la SCI’.
Elles ajoutent que le seul but de l’action de la banque est de recouvrer sa créance alors qu’il est ‘incontestable’ qu’il s’agit de deux opérations distinctes, à savoir l’acquisition à titre personnel d’un appartement par madame [E] et l’acquisition d’un bien par la SCI, sans que ne soit démontré un lien entre ces deux opérations financières et l’usage des sommes empruntées, destinées à l’achat d’un appartement, afin de permettre à la SCI SN d’acquérir un autre bien immobilier.
Ceci étant exposé, aux termes de l’article 1201 (nouveau) du code civil sur lequel se fonde la société BNP Paribas «Lorsque les parties ont conclu un contrat apparent qui dissimule un contrat occulte, ce dernier, appelé aussi contre-lettre, produit effet entre les parties. Il n’est pas opposable aux tiers, qui peuvent néanmoins s’en prévaloir».
Il ressort notamment de la doctrine de la Cour de cassation que la convention occulte visée par ce texte, qui contredit les termes ou obligations de la convention ostensible, n’a pas besoin d’avoir une existence matérielle (Cass civ 3ème, 05 mars 1997, pourvoi n° 95-14838, publié au bulletin), que, par ailleurs, à l’égard des tiers, la preuve de la simulation peut être rapportée par tous moyens (Cass civ 3ème, 18 mai 2017, pourvoi n° 16-14750) et peut donc résulter d’un faisceau de faits conduisant à constater la confusion des patrimoines (Cass civ 3ème, 03 décembre 2002, pourvoi n° 01-12421) ou encore que la simulation peut résulter d’une interposition de personne, la personne interposée n’étant qu’un prête-nom (Cass civ 1ère, 28 novembre 2000, pourvoi n° 98-14618, publié au bulletin).
En l’espèce, les appelantes ne font que procéder par affirmation en reprochant à la banque un déficit probatoire et sans même évoquer la motivation des premiers juges alors que le tribunal l’a introduite par l’évocation d’un faisceau d’éléments factuels présentés selon une chronologie qu’il a qualifiée d »éclairante'(approuvée et reprise par la banque intimée) à savoir :
* ‘ le 20 novembre 2017 est signé un compromis de vente entre la société Empire et madame [E] portant sur un appartement sis [Adresse 2], vendu au prix de 600.000 euros, sous la condition suspensive de l’obtention d’un ou plusieurs prêts.
* le 15 janvier 2018, madame [E] sollicite de la BNP Paribas un prêt de 578.000 euros.
* le 8 février 2018, elle constitue avec madame [I] une SCI dénommée « SN » (les initiales
de [R] [E]), dont elle possède 90 % des parts, immatriculée le 16 février 2018. Le siège social est fixé au [Adresse 21]. Cette adresse correspond à un immeuble qui était à cette date, et jusqu’au 17 mai 2018, la propriété de la société Empire, également propriétaire du [Adresse 2].
* le 27 mars 2018, madame [E] accepte l’offre de prêt de la BNP Paribas en date du 09 mars précédent (sur la base d’éléments falsifiés), d’un montant de 578.000 euros, ayant pour objet contractuel l’acquisition de l’appartement sis [Adresse 2].
* le 13 avril 2018, le notaire chargé de la rédaction de l’acte authentique réclame le virement des fonds. La vente de l’appartement est signée entre la société Empire et madame [E] le 26 avril suivant.
* le 14 mai 2018 (soit 18 jours après) est signé entre les deux parties un acte authentique de résolution de la vente précédente, pour un motif très évasif. Il est en effet indiqué dans
l’acte :
« Par suite d’une lettre recommandée avec avis de réception en date du 2 mai 2018, l’acquéreur a sollicité la nullité de la vente sur le fondement des articles 1130 et 1141 du code civil » (sans autre précision). L’acte poursuit :
« Le vendeur a accepté cette demande par courriel le 3 mai 2018 et a requis le notaire soussigné de procéder à la constatation de la résolution de ladite vente. » Mais bien qu’il soit fait allusion à un vice du consentement, il est indiqué à la suite : «Les parties déclarent que les dispositions de ce contrat avaient été, en respect des dispositions impératives de l’article 1104 du code civil, négociées de bonne foi, et qu’en application de celles de l’article 1112-1 du même code, toutes les informations connues de l’une des parties dont l’importance était déterminante pour le consentement de l’autre avaient été révélées. Elles affirment que le contrat reflétait l’équilibre voulu par chacune d’elles, et que sa résolution est convenue de bonne foi », ce qui est parfaitement contradictoire avec le paragraphe précédent.
Bien évidemment, la résolution de la vente a donné lieu à la restitution du prix de vente de 570.000 euros à Madame [E], qui s’est bien gardée de le restituer à son tour à la banque, alors que l’objet même du contrat de prêt avait disparu. L’explication de cette situation insolite apparaîtra trois jours après.
* le 17 mai 2018, la société Empire vend non pas à madame [E] mais à la SCI SN possédée à 90 % par madame [E], une maison à usage d’habitation et de commerce de café-restaurant-hôtel sise [Adresse 21], précisément à l’adresse où la SCI SN avait établi son siège social au mois de février précédent sans raison apparente.
La vente a eu lieu au prix de 1.030.000 euros, payé comptant, sans précision de l’origine des fonds.’
S’agissant de leur origine, la banque peut se prévaloir d’une lettre du 12 juillet 2019 que madame [E] a adressée par pli recommandé au conseil de la banque [pièce n° 21 de l’intimée] par laquelle elle expose :
‘Je vous adresse ce courrier suite à l’assignation reçue au sujet d’un problème d’impayés d’échéances survenu suite à un prêt qui m’a été octroyé par Hello Bank BNP Paribas. (…)
Suite à l’annulation de la vente du bien que je devais acquérir au [Adresse 2], les fonds m’ont bien été retournés. J’ai donc informé la banque de mon souhait d’acquérir un autre bien.
Cette acquisition a été faite par le biais d’une SCI dont je suis la gérante et la principale actionnaire.
Afin de vous démontrer ma bonne foi, je ne suis pas opposée à ce que mon bien soit hypothéqué (…)’
Et si l’intimée émet une réserve relative au fait que l’emprunteuse l’aurait avisée de son souhait d’acquérir un autre bien, force est de considérer que cette dernière s’abstient d’y répliquer en rapportant la preuve de la délivrance d’une telle information simplement alléguée dans ce courrier.
La société BNP Paribas verse également aux débats [en pièce n° 2] un extrait Kbis de la SNC SN à jour au 18 mai 2022 tendant à démontrer qu’elle n’a pas connu d’activité ou événement depuis sa création.
Il s’évince de tout ce qui précède que madame [E] détient 90% du capital de la société civile immobilière qui s’élève à la somme de 1.000 euros, que l’acquisition a été faite sans recours à l’emprunt mais au moyen de fonds prêtés à madame [E] par la banque pour une autre affectation que l’acquisition du bien situé à [Adresse 21] et restitués à son insu, que la SCI qui s’est portée acquéreur de ce dernier bien n’a qu’une existence de façade et sa constitution ne se justifie que par la détention de ce bien pour le compte d’autrui, qu’elle a ainsi servi de prête-nom à madame [E] pour détourner son patrimoine personnel de sorte que la société BNP Paribas doit être déclarée fondée en son action en déclaration de simulation ainsi qu’en sa demande de réintégration du bien immobilier situé à [Adresse 21] dans le patrimoine personnel de madame [R] [E].
Il convient de rappeler que le succès de cette action en simulation a simplement pour effet de rétablir la situation réelle du bien (à savoir que madame [R] [E] en est la véritable propriétaire) aux lieu et place de la situation apparemment voulue par la SCI SN et le vendeur du bien.
Le jugement qui en décide ainsi doit, par conséquent, être confirmé sur cet autre point.
Il sera rappelé, comme le demande l’intimée, que le présent arrêt a vocation à produire toutes conséquences de droit sur l’inscription d’hypothèque provisoire sus-évoquée régulièrement renouvelée dans les conditions de l’article R 532-7 du code des procédures civiles d’exécution.
Sur les frais de procédure et les dépens
L’équité commande de condamner les appelantes à verser à la société BNP Paribas la somme complémentaire de 8.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Les appelantes qui succombent seront déboutées de leur demande de ce denier chef et supporteront les dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe ;
CONFIRME le jugement entrepris et, y ajoutant ;
Dit que la réintégration ordonnée ne s’analyse pas en une mutation ;
Rappelle que le présent arrêt a vocation à produire ses effets de droit sur l’inscription d’hypothèque provisoire publiée et enregistrée le 25 juin 2019 au service de la publicité foncière de [Localité 22]-la- Forêt2 (volume 9504P02 2019 V n° 1865) et régulièrement renouvelée le 19 avril 2022 (2022 – V 4016) ;
Condamne madame [R] [E], madame [S] [I] épouse [K] et la société civile immobilière SN à verser à la société anonyme BNP Paribas la somme complémentaire de 8.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens d’appel avec faculté de recouvrement conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Fabienne PAGES, Président et par Madame Mélanie RIBEIRO, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,