ARRÊT N°
FD/FA
COUR D’APPEL DE BESANÇON
– 172 501 116 00013 –
ARRÊT DU 21 MARS 2023
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
Contradictoire
Audience publique du 17 janvier 2023
N° de rôle : N° RG 21/01263 – N° Portalis DBVG-V-B7F-EMXT
S/appel d’une décision du TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE BESANCON en date du 01 juin 2021 [RG N° 11-19-910]
Code affaire : 53B Prêt – Demande en remboursement du prêt
[K] [H] C/ S.A. CA CONSUMER FINANCE
PARTIES EN CAUSE :
Monsieur [K] [H]
né le [Date naissance 1] 1968 à [Localité 4] ([Localité 4]), de nationalité française,
demeurant [Adresse 3]
Représenté par Me Isabelle TOURNIER de la SCP CODA, avocat au barreau de BESANCON
APPELANT
ET :
S.A. CA CONSUMER FINANCE
Sise [Adresse 2]
Inscrite au RCS d’Evry sous le numéro 542 097 522
Représentée par Me Valérie GIACOMONI de la SCP MAYER-BLONDEAU GIACOMONI DICHAMP MARTINVAL, avocat au barreau de BESANCON, avocat postulant
Représentée par Me Renaud ROCHE de la SELARL LEVY ROCHE SARDA, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant
INTIMÉE
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats :
PRÉSIDENT : Monsieur Michel WACHTER, Président de chambre.
ASSESSEURS : Mesdames Bénédicte MANTEAUX et Florence DOMENEGO, conseillers.
GREFFIER : Madame Fabienne ARNOUX, Greffier.
Lors du délibéré :
PRÉSIDENT : Monsieur Michel WACHTER, Président de chambre
ASSESSEURS : Mesdames Bénédicte MANTEAUX, conseiller et Florence DOMENEGO, magistrat rédacteur.
L’affaire, plaidée à l’audience du 17 janvier 2023 a été mise en délibéré au 21 mars 2023. Les parties ont été avisées qu’à cette date l’arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe.
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FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Selon offre préalable en date du 29 novembre 2016, la société Sofinco, l’une des marques de la SA CA Consumer Finance, a consenti à M. [K] [H] un prêt personnel d’un montant de 10 000 euros, d’une durée de 60 mois et assorti d’un taux d’intérêts conventionnels de 5,21 %.
En suite des défaillances de l’emprunteur, la déchéance du terme du prêt a été prononcée et par ordonnance en date du 31 juillet 2019, le juge des contentieux de la protection a enjoint à M. [H] de payer à la SA CA Consumer Finance la somme de 7 767,70 euros avec intérêts au taux légal à compter de la signification de l’ordonnance au titre du solde du prêt.
Le 20 septembre 2019, M. [H] a formé opposition à l’encontre de cette décision qui lui avait été signifiée le 28 août 2019 à l’étude de l’huissier de justice. Il a fait valoir à titre principal que le contrat de prêt était nul comme ayant été signé dans le cadre d’un abus de faiblesse dont il avait été victime de la part de Mme [T], laquelle avait été condamnée pénalement pour ces faits.
Par jugement en date du 1er juin 2021, le tribunal judiciaire de Besançon a :
– déclaré recevable l’opposition de M. [H] ;
– mis à néant l’ordonnance portant injonction de payer ;
– déclaré régulière la signification de l’ordonnance portant injonction de payer par remise à l’étude de l’huissier instrumentaire ;
– validé en conséquence la procédure de paiement diligentée à l’encontre de M. [H] par la SA CA Consumer Finance ;
– débouté M. [H] de sa demande de nullité du contrat de prêt personnel souscrit le 29 novembre 2016 auprès de la SA CA Consumer Finance ;
– prononcé la déchéance du droit aux intérêts du contrat de prêt personnel consenti le 29 novembre 2016 ;
– condamné M. [H] à payer à la SA CA Consumer Finance la somme de 7 767,70 euros au titre du prêt personnel avec les intérêts au taux légal non majoré à compter de la présente décision ;
– débouté M. [H] de sa demande de délais de paiement ;
– dit n’y avoir lieu à faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné M. [H] aux dépens de l’instance, comprenant ceux afférents à la procédure d’injonction de payer ;
– rappelé que la présente décision était assortie de l’exécution provisoire.
Pour se déterminer ainsi, le premier juge a retenu :
– qu’aucune irrégularité n’entachait la signification de l’ordonnance portant injonction de payer et qu’au surplus, aucun grief n’était démontré par M. [H] qui avait pu régulièrement relever opposition ;
– que M. [H] ne rapportait pas la preuve du vice du consentement dont il avait été victime, les faits pour lesquels Mme [T] avait été déclarée coupable d’abus de faiblesse sur sa personne par le tribunal correctionnel n’incluant pas le prêt litigieux ;
– que l’offre de prêt ne comportait cependant pas un formulaire détachable permettant l’exercice du droit de rétractation par l’emprunteur, de telle sorte que la déchéance du droit aux intérêts devait être prononcée ;
– que l’emprunteur avait d’ores et déjà bénéficié de délais de paiement suffisants en l’absence de tout paiement sur les deux dernières années.
Par déclaration en date du 7 juillet 2021, M. [K] [H] a relevé appel de cette décision et aux termes de ses dernières conclusions transmises le 6 octobre 2021, il demande à la cour de :
– infirmer le jugement en ce qu’il :
– a déclaré régulière la signification de l’ordonnance d’injonction de payer en date du 31 juillet 2019 selon remise à l’étude de l’huissier instrumentaire ;
– a validé en conséquence la procédure de paiement diligentée à son encontre par la SA CA Consumer Finance ;
– l’a debouté de sa demande de nullité du contrat de prêt personnel souscrit le 29 novembre 2016 auprès de la SA CA Consumer Finance au motif que son consentement avait été vicié ;
– l’a condamné à verser à la SA CA Consumer Finance la somme de 7767,70 € au titre du prêt personnel précité, outre intérêts au taux légal non majoré à compter de la présente décision ;
– l’a débouté de sa demande afin de délais de paiement ;
– l’a condamné aux entiers dépens, en ce inclus ceux afférents à la procédure d’injonction de payer ;
– confirmer le jugement dont appel en toutes ses autres dispositions ;
– déclarer nulle et de nul effet la signification de l’ordonnance d’injonction de payer délivrée ;
– déclarer en conséquence nulle et de nul effet la procédure en paiement diligentée par la SA CA Consumer Finance à son encontre ;
– débouter, par suite, la SA CA Consumer Finance de l’intégralité de ses demandes ;
– juger subsidiairement qu’il a été victime d’un abus de faiblesse sur personne vulnérable, perpétré par Mme [T], entraînant la souscription du contrat de crédit litigieux ;
– juger qu’il a été victime de dol de la part de Mme [T] ;
– prononcer la nullité du contrat de prêt souscrit auprès de la SA CA Consumer Finance ;
– juger en conséquence que la créance de la SA CA Consumer Finance est dépourvue de fondement ;
– déclarer nulle et de nul effet la procédure en paiement diligentée par la SA CA Consumer Finance à son encontre ;
– débouter, par suite, la SA CA Consumer Finance de l’intégralité de ses demandes ;
– très subsidiairement, débouter la SA CA Consumer Finance de l’intégralité de ses demandes présentées à son encontre dans la mesure où il ne justifie pas à son encontre d’une créance certaine, liquide et exigible ;
– lui accorder de plus larges délais de paiement ;
– confirmer le jugement en ce qu’il a prononcé la déchéance du droit aux intérêts conventionnels depuis l’origine du contrat ;
– condamner la SA CA Consumer Finance à lui régler la somme de 1500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la SA CA Consumer Finance aux entiers dépens.
A l’appui de ses demandes, M. [H] fait principalement valoir que l’huissier instrumentaire n’a pas indiqué avec précision les circonstances qui rendaient impossible la signification à personne ; que l’acte de signification de l’ordonnance portant injonction de payer est en conséquence nul ; que sur le fond, il a été victime des agissements de Mme [T], personne avec laquelle il a entretenu une relation amoureuse ; que cette dernière a, à son insu, conclu de très nombreux prêts à son nom et engagé à son profit une procédure de surendettement ; que l’abus de faiblesse dont il a été ainsi victime a été reconnu par le tribunal correctionnel ; que son consentement a dès lors été vicié et que le contrat de prêt est en conséquence nul.
Dans ses dernières conclusions transmises le 3 janvier 2022, la SA CA Consumer Finance demande à la cour de :
– infirmer en toutes ses dispositions le jugement sauf en ce qu’il a :
– débouté M. [H] de sa demande de nullité du crédit renouvelable utilisable par fractions souscrit le 29 novembre 2016 au motif que son consentement aurait été vicié ;
– validé en conséquence la procédure de paiement diligentée à l’encontre de M. [H] ;
– débouté M. [H] de sa demande en délais de paiement ;
– condamné M. [H] aux dépens de l’instance, en ce inclus ceux afférents à la procédure d’injonction de payer ;
– rappelé que la présente décision est assortie de l’exécution provisoire ;
– constater que sa créance n’est pas contestable ;
– débouter M. [H] de l’ensemble de ses demandes ;
– juger régulier le contrat de crédit souscrit le 29 novembre 2016 ;
– constater en conséquence l’acquisition de la clause résolutoire ;
– subsidiairement, prononcer la résiliation du contrat et la déchéance du terme pour inexécution contractuelle ;
– condamner M. [H] à lui payer les sommes suivantes :
– 9 487,98 euros au titre du contrat de crédit du 29 novembre 2016, outre intérêts au taux contractuels de 5,271 % à compter du 7 juin 2019, date de la mise en demeure ;
– 350 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;
– condamner M. [H] aux entiers dépens de l’appel.
La SA CA Consumer Finance fait principalement valoir que la signification de l’ordonnance a été régulièrement effectuée ; qu’elle n’a au surplus causé aucun grief à M. [H] ; que sur le fond, le crédit aujourd’hui litigieux ne figure pas dans ceux ayant conduit à la condamnation de Mme [T] par le tribunal correctionnel ; que M. [H] ne justifie ni de l’abolition de son discernement ni d’un vice de son consentement ; qu’il ne démontre pas plus ne pas être l’auteur de la signature sur le contrat ; qu’il doit en conséquence être condamné au paiement des sommes restant dues au titre de ce contrat.
Pour l’exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 27 décembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
– Sur la nullité de l’acte de signification :
Aux termes de l’article 649 du code de procédure civile, la nullité des actes d’huissier de justice est régie par les dispositions qui gouvernent les actes de procédure.
L’article 114 du code de procédure civile prévoit ainsi que la nullité des actes pour vice de forme ne peut être prononcée d’une part, que si la nullité est expressément prévue par la loi, sauf en cas d’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public, et d’autre part, qu’à charge pour l’adversaire qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité, même lorsqu’il s’agit d’une formalité substantielle ou d’ordre public.
En l’espèce, l’ordonnance portant injonction de payer a été signifiée le 28 août 2019 en l’étude de la SCP [G], huissiers de justice associés, en raison de l’absence à son domicile du débiteur.
Si M. [H] fait grief au premier juge d’avoir déclaré une telle signification régulière, ce dernier a cependant retenu à raison que l’huissier instrumentaire s’était astreint aux vérifications nécessaires pour s’assurer de la réalité du domicile du débiteur et que ses vérifications s’étaient avérées pleinement satisfaisantes dès lors qu’aucun élément ne venait démontrer que le débiteur ne demeurait pas à cette adresse.
Par ailleurs, contrairement à ce que soutient l’appelant, l’huissier a parfaitement indiqué les circonstances qui rendaient impossible la signification à personne, la mention ‘l’intéressé est absent’ étant suffisamment précise sur le motif de l’impossibilité et ne commandant pas de voir porter d’indications complémentaires.
Enfin, M. [H] ne justifie d’aucun grief, se contentant d’alléguer ce dernier sans le démontrer, alors même qu’il a pu avoir en mains l’ordonnance litigieuse et élever dans les délais impartis un recours.
C’est donc à bon droit que le premier juge a débouté M. [H] de sa demande de nullité de l’acte de signification.
Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé de ce chef.
– Sur la nullité du contrat de prêt :
Aux termes de l’article 1130 du code civil, l’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. Leur caractère déterminant s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné.
En l’espèce, M. [H] soutient que son consentement a été vicié par un dol commis par Mme [T], avec laquelle il entretenait une relation amoureuse et qui a été condamnée pour des faits d’abus de faiblesse commis à son encontre par jugement en date du 18 octobre 2019 du tribunal correctionnel de Besançon.
Si le tableau des prêts inséré dans le jugement pénal, désormais définitif, ne mentionne effectivement pas stricto sensu le prêt souscrit le 29 novembre 2016, la comparaison de ce tableau, avec l’état des créances dressé par la commission de surendettement des particuliers le 9 août 2018 et l’offre préalable de crédit souscrite, permet d’établir que le tableau est affecté d’une erreur matérielle et que le prêt mentionné comme étant souscrit le 10 février 2017 auprès de la SA CA Consumer Finance pour un montant de 10 000 euros est en fait celui souscrit auprès de la société SOFINCO portant le n° 81577662161 et objet du présent litige, comme le soulève à raison l’appelant.
Il s’en déduit que le consentement donné par M. [H], lequel a manifestement signé l’offre préalable de crédit, n’a été obtenu qu’en raison de l’abus de faiblesse dont il a été victime de la part de Mme [T] et aux seules fins personnelles de cette dernière.
Le consentement de M. [H] a en conséquence été vicié, non par un dol à défaut pour la société SOFINCO d’avoir commis de quelconques manoeuvres frauduleuses à son encontre ou d’avoir été de connivence avec Mme [T], en application des articles 1137 et 1138 du code civil, mais en raison de la violence prévue à l’article 1140 du code civil.
En effet, M. [H] s’est manifestement engagé sous la pression d’une contrainte morale exercée par Mme [T], contrainte qui peut être retenue conformément à l’article 12 alinéa 2 du code de procédure civile et qui constitue une cause de nullité quand bien même elle serait le fait d’un tiers, en application de l’article 1142 du code civil.
C’est donc à tort que le premier juge a débouté M. [H] de sa demande de nullité du contrat.
Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé et le contrat de prêt sera déclaré nul, la SA CA Consumer Finance étant en conséquence déboutée de sa demande en paiement.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant contradictoirement, après débats en audience publique et en avoir délibéré conformément à la loi, :
– Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Besançon en date du 1er juin 2021 en ce qu’il a déclaré recevable l’opposition de M. [H], mis à néant l’ordonnance portant injonction de payer, déclaré régulière la signification de l’ordonnance portant injonction de payer et dit n’y avoir lieu à faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Infirme le jugement pour le surplus ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
– Déclare nul le contrat de prêt personnel n° 81577662161 souscrit le 29 novembre 2016 par M.[K] [H] auprès de la SA Sofinco pour un montant de 10 000 euros ;
– Déboute en conséquence la SA CA Consumer Finance de sa demande en paiement au titre de ce prêt ;
– Condamne la SA CA Consumer Finance aux dépens de premières instance et d’appel, lesquels comprendront les dépens afférents à la procédure d’injonction de payer ;
– Et vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la SA CA Consumer Finance à payer à M. [H] la somme de 1 500 euros et la déboute de sa demande présentée sur le même fondement.
Ledit arrêt a été signé par Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré et Fabienne Arnoux, greffier.
Le greffier, Le président,