Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 8
ARRET DU 16 MARS 2023
(n° , 7 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/07929 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCWND
Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Octobre 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de PARIS – RG n° F 16/07976
APPELANT
Monsieur [K] [S]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté par Me Simon OVADIA, avocat au barreau de PARIS, toque : C1007
INTIMÉE
SOCIÉTÉ APOLLONIA
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Jean-Luc HAUGER, avocat au barreau de LILLE, toque : 0250
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Nathalie FRENOY, Présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Nathalie FRENOY, présidente
Madame Nicolette GUILLAUME, présidente
Madame Emmanuelle DEMAZIERE, vice-présidente placée
Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Monsieur [K] [S] a été engagé par la société Fereal par contrat à durée indéterminée à compter du 5 octobre 2006 en qualité de négociateur senior, coefficient 163 , niveau 2, échelon 3 de la convention collective de la promotion immobilière.
Son contrat de travail a été transféré à plusieurs sociétés, dont en dernier lieu, la société Apollonia, à compter du 1er janvier 2015; un contrat de travail daté du 31 décembre 2014 a été signé par les parties.
Par courrier du 13 mars 2015, M. [S] a sollicité de son employeur une affectation sur l’ensemble des programmes immobiliers de la société ainsi que la redéfinition des objectifs réalisables, rappelant que son intégration au sein d’Apollonia devait constituer une promotion dans le cadre de son activité de ‘vendeur debout’.
Par courrier du 31 mars 2015, constatant sa très faible activité, il se disait en attente d’une proposition d’avenant pour l’avenir, conforme à son contrat de travail.
M. [S] a refusé de signer le nouvel avenant pour la période du 23 mars au 21 juin 2015 qui l’affectait sur deux programmes, tous deux difficiles à vendre selon lui, et a dit attendre d’être invité à signer un avenant conforme à son contrat de travail.
Par courrier du 29 avril 2015, il a été convoqué à un entretien préalable fixé au 11 mai suivant.
Par courrier du 19 mai 2015, la société Apollonia lui a notifié son licenciement pour faute grave, la lettre de licenciement indiquant ‘Depuis le 27 mars 2015, vous ne vous êtes plus présenté à votre poste, sans nous fournir le moindre justificatif d’absence et ce, malgré plusieurs relances de notre part des 10 et 16 avril 2015, ainsi qu’une mise en demeure en date du 24 avril 2015, envoyées en recommandé avec accusé de réception.[…]
Votre absence d’explication sur les griefs qui vous ont été exposés lors de cet entretien ne nous a pas permis de modifier notre appréciation de la situation. Ainsi, compte tenu des faits qui vous sont reprochés, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour absence injustifiée.
Nous considérons que ce genre de comportement est intolérable. Vous ne respectez pas votre principale obligation contractuelle qui vous imposait de venir travailler.
Cette absence engendre un dysfonctionnement de notre entreprise, car nous sommes dans l’incertitude de votre retour et nous devons organiser notre équipe avec une personne en moins.
Cette situation est devenue intolérable pour notre structure.
Compte tenu de la gravité de cette faute et de ses conséquences, votre maintien dans l’entreprise s’avère impossible […]’
Contestant la rupture de la relation de travail, M. [S] a saisi le 8 juillet 2016 le conseil de prud’hommes de Paris qui, par jugement du 30 octobre 2020, notifié aux parties par lettre du 2 novembre 2020, a :
-débouté le salarié de sa demande en nullité du contrat de travail en date du 31 décembre 2014,
-dit que le licenciement de M. [S] repose sur une faute grave,
-débouté, en conséquence, M. [S] de l’intégralité de ses demandes,
-dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,
-condamné M. [S] aux dépens.
Par déclaration du 23 novembre 2020, M. [S] a interjeté appel de ce jugement.
Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 17 février 2021, l’appelant demande à la cour :
-de le déclarer recevable et bien fondé en son appel,
l’y recevant,
-d’infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Paris le 30 octobre 2020 en toutes ses dispositions,
statuant à nouveau,
à titre principal,
vu les articles 1110 et 1116 anciens du Code civil,
-de déclarer nul pour vices du consentement le « contrat de travail » du 31 décembre 2014 et de ses annexes et avenants,
en conséquence,
-de dire n’y avoir d’absence injustifiée,
-de dire le licenciement prononcé contre M. [K] [S] le 19 mai 2015 par la société Apollonia dépourvu de cause réelle et sérieuse,
à titre subsidiaire,
-constatant la proposition déloyale de modification du contrat de travail adressée par la société Apollonia à M. [S],
-constatant l’absence d’affectation de M. [S],
en conséquence,
-de dire le licenciement prononcé contre M. [K] [S] le 19 mai 2015 par la société Apollonia dépourvu de cause réelle et sérieuse,
-constatant, a fortiori, l’absence de faute grave,
en conséquence,
-de condamner la société Apollonia à payer à M. [S] :
-180 676,05 euros, au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-26 181,29 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de rupture,
-16 487,7 euros titre du préavis,
-1 648,70 euros au titre du congé sur préavis,
-6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile concernant les frais irrépétibles de première instance,
-4 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile concernant les frais irrépétibles d’appel,
-d’ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir, nonobstant appel et sans constitution de garantie,
-de condamner la société Apollonia aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 16 avril 2021, la société Apollonia demande à la cour :
-de confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Paris le 30 octobre 2020,
-y ajoutant,
-de condamner Monsieur [K] [S] à verser à la société Apollonia la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
-de condamner Monsieur [K] [S] aux entiers frais et dépens de l’instance.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 8 novembre 2022 et l’audience de plaidoiries a été fixée au 10 janvier 2023.
Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu’aux conclusions susvisées pour l’exposé des moyens des parties devant la cour.
MOTIFS DE L’ARRET
Sur la nullité du contrat de travail
M. [S] soutient que son contrat de travail et l’avenant sont nuls pour vices du consentement ; il évoque l’erreur et le dol sur son statut et sur sa rémunération, puisqu’il pensait intégrer la société Apollonia en sa qualité de vendeur debout, ayant une activité étendue à plusieurs programmes,
La société Apollonia affirme que le contrat de travail n’est entaché d’aucun vice du consentement, que M. [S] est de mauvaise foi quand il prétend qu’un transfert de son contrat de travail lui a été imposé, l’intéressé ayant au contraire connaissance de l’ensemble des éléments relatifs à la régularisation de son contrat, d’autant qu’il ne démontre pas la moindre erreur ou manoeuvre dolosive de l’employeur. Elle rappelle que le ‘vendeur debout’ exerce son activité en dehors de tout bureau de vente alors que le ‘vendeur assis’ est affecté à un ou plusieurs bureaux de vente visant la commercialisation de programmes spécifiques, que le contrat de travail à ce titre est parfaitement clair, comme d’ailleurs les conséquences à en tirer en termes de rémunération, à la lecture des taux de commissionnement précisément stipulés.
Il incombe au salarié de prouver l’existence d’un vice du consentement.
Le dol se caractérise par des manoeuvres, mensonges ou la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie.
Conformément à l’article 1110 du Code civil dans sa version applicable au litige, l’erreur du cocontractant doit porter sur les qualités essentielles de la prestation due.
Le contrat de travail du 31 décembre 2014 signé par M. [S] stipule des fonctions de conseiller commercial, statut employé, avec reprise d’ancienneté à compter du 5 octobre 2006.
Il précise que le salarié ‘aura pour mission la vente des programmes immobiliers commercialisés par la société, sous la responsabilité directe de Mme [U] [R] ou de toute autre personne qui pourrait lui être substituée. Il assurera notamment la permanence sur les bureaux de vente de la société selon les instructions qui lui seront données par sa direction, mais sera rattaché à nos bureaux sis, à [Adresse 2] […]’
Si cette stipulation renvoie à un statut de vendeur assis, conformément aux déclarations de M.[G], directeur développement commercial, qui a indiqué que M. [S] avait accepté la proposition ‘comme vendeur assis sur un point de vente’, force est de constater que l’intéressé, affecté à un programme unique, au surplus particulièrement difficile à écouler
– comme le montre le courriel de félicitations qui lui a été adressé le 1er février 2015 pour la réalisation d’une vente unique ( alors que son objectif était de deux ventes par mois)-, a connu une chute drastique de ses commissions et donc de sa rémunération variable, laquelle était d’environ 9 000 € en moyenne par mois jusqu’au transfert de son contrat de travail à la société Apollonia, pour s’élever à moins de 3 500 €, certains mois, après ledit transfert.
Alors que le contrat de travail prévoit explicitement que l’appelant ‘est responsable de la tenue et de la présentation du bureau de vente sur lequel il est affecté’ et stipule qu’il est ‘susceptible d’être affecté à la commercialisation de programmes immobiliers différents pendant le cours de son contrat de travail’, M. [S] était, compte tenu de la teneur des échanges au titre de son ‘intégration’ en décembre 2014 (cf son courriel du 12 décembre 2014 ‘c’est avec plaisir que j’intégrerai vos équipes de ventes au 5 janvier 2015’) plutôt en situation de promotion ou à tout le moins de reconnaissance de ses compétences, comme affirmé par le salarié et par M. [G] qui l’avait ‘ vivement recommandé’ , que sous le coup d’un transfert amputant significativement sa rémunération après changement de statut, comme l’a été la réalité de sa situation.
En outre, dans son courriel du 13 mars 2015 exprimant la difficulté de commercialisation du seul programme sur lequel il était affecté, le salarié – qui a signé un contrat n’excluant pas une activité de vendeur debout puisqu’il devait assurer ‘notamment’ la permanence sur les bureaux de vente de la société selon les instructions données par la direction – démontre son étonnement, son mécontentement, et par là-même l’erreur commise par lui touchant notamment sa rémunération, soit un élément déterminant du transfert de contrat de travail accepté et ce, alors qu’il n’est justifié d’aucune alerte de la part de l’employeur quant à la perte de statut et au risque en termes de rémunération.
Par conséquent, si aucune man’uvre dolosive de l’employeur n’est démontrée de nature à avoir vicié le consentement de M. [S], en revanche l’erreur commise par ce dernier quant à son statut de vendeur debout définitivement perdu au sein de la société Apollonia et quant au potentiel de sa rémunération lors de ce transfert est de nature à vicier son consentement à son contrat de travail du 31 décembre 2014.
Il convient donc de constater la nullité dudit contrat de travail et de l’avenant subséquent.
Sur le licenciement
M. [S] estime que le conseil de prud’hommes aurait dû, constatant la modification de son contrat de travail, rechercher la véritable cause du licenciement, en l’occurrence son refus d’accepter cette modification qui lui était imposée et qui n’était de surcroît en aucun cas justifiée. Il fait valoir que, mis au placard, aucun travail ne lui ayant été confié depuis le 27 mars 2015, il ne pouvait entrer en conflit avec son employeur, ce qui l’exposait au risque de perdre son emploi. Il conclut à l’infirmation du jugement entrepris.
La société Apollonia soutient que le motif disciplinaire, à savoir l’absence injustifiée de plusieurs semaines dont la matérialité s’avère même revendiquée par le salarié, est l’exact et l’unique motif du licenciement, alors que l’avenant qui lui a été proposé était parfaitement conforme aux dispositions contractuelles et que les modalités de rémunération qu’il comportait étaient nettement plus favorables que celles du premier avenant. Estimant que face à une proposition légitime et effectuée de bonne foi, le salarié a tenté de lui imposer une modification significative de son poste sans saisir la juridiction prud’homale, la société intimée affirme n’avoir eu aucune autre voie que celle de le licencier, d’autant que son absence à la commercialisation de programmes immobiliers a causé un trouble manifeste dans son organisation.
La faute grave, qui seule peut justifier une mise à pied conservatoire, résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise; il appartient à l’employeur d’en rapporter la preuve.
En l’espèce, la société Apollonia invoque une absence injustifiée à l’encontre de M. [S].
En réalité, en l’état des différents éléments produits, l’absence du salarié ne s’avère pas injustifiée, la société Apollonia ayant été informée des motifs du refus de l’intéressé de se rendre sur son lieu de travail.
Par ailleurs, il est constant que le mode de rémunération constitue un élément du contrat qui ne peut être modifié sans l’accord du salarié.
Le seul refus par le salarié d’une modification de son contrat de travail ne constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement qu’à la condition que la modification soit, elle-même, justifiée par une cause réelle et sérieuse.
En l’espèce, aucun élément n’est produit par la société intimée permettant de vérifier la cause de la modification du contrat de travail et de la rémunération de M. [S], alors que ce dernier disposait d’une expérience professionnelle reconnue au statut cadre et avait été « vivement recommandé » lors de son intégration au sein de l’entreprise.
Dans ces conditions, la légitimité du licenciement n’est pas démontrée.
Il convient donc d’accueillir la demande d’indemnité conventionnelle de licenciement à hauteur du montant réclamé, non strictement contesté, et conforme à l’ ancienneté de l’appelant ainsi qu’à son salaire mensuel moyen (soit 8 243,45 €).
Il en va de même de l’indemnité compensatrice de préavis, par application de l’article 15 de la convention collective de la promotion construction, ainsi que des congés payés y afférents.
Tenant compte de l’âge du salarié (38 ans) au moment de la rupture, de son ancienneté (8 ans et 7 mois), de son salaire moyen mensuel brut, du justificatif de sa situation professionnelle après la rupture (M. [S] ayant retrouvé un emploi de conseiller immobilier dès le 1er juin 2015), il y a lieu de fixer à 65 000 € les dommages-intérêts réparant ce licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur l’exécution provisoire
La demande d’exécution provisoire, inopérante en cause d’appel, doit être rejetée.
Sur le remboursement des indemnités de chômage
Les dispositions de l’article L 1235-4 du code du travail permettent, dans le cas d’espèce, le licenciement de M. [S] étant sans cause réelle et sérieuse, d’ordonner le remboursement par la société Apollonia des indemnités chômage perçues par l’intéressé, dans la limite de trois mois d’indemnités.
Le présent arrêt devra, pour assurer son effectivité, être porté à la connaissance de Pôle Emploi, conformément aux dispositions de l’article R 1235-2 alinéas 2 et 3 du code du travail.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
L’employeur, qui succombe, doit être tenu aux dépens de première instance, par infirmation du jugement entrepris, et d’appel.
L’équité commande d’infirmer le jugement de première instance relativement aux frais irrépétibles, de faire application de l’article 700 du code de procédure civile également en cause d’appel et d’allouer à ce titre la somme globale de 3 500 € à M. [S].
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
INFIRME le jugement déféré,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
CONSTATE la nullité du contrat de travail signé le 31 décembre 2014 et de l’avenant subséquent,
CONDAMNE la société Apollonia à payer à M. [K] [S] les sommes de :
– 16 487,70 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– 1 648,70 € au titre des congés payés y afférents,
– 26 181,29 € à titre d’indemnité de licenciement,
– 65 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 3 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
ORDONNE le remboursement par la société Apollonia aux organismes sociaux concernés des indemnités de chômage éventuellement payées à M. [S] dans la limite de trois mois,
ORDONNE l’envoi par le greffe d’une copie certifiée conforme du présent arrêt, par lettre simple, à la Direction Générale de Pôle Emploi,
REJETTE les autres demandes des parties,
CONDAMNE la société Apollonia aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE