RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 22/02633 – N��Portalis DBVH-V-B7G-IQX6
MPF – NR
JUGE DE LA MISE EN ETAT D’AVIGNON
11 juillet 2022 RG:20/03046
S.A.R.L. EURO SAUMANE
C/
[O]
[K]
[B]
Grosse délivrée
le 16/03/2023
à Me Emmanuelle VAJOU
à Me Magali MAUBOURGUET
à Me Jean-michel DIVISIA
COUR D’APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
1ère chambre
ARRÊT DU 16 MARS 2023
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du Juge de la mise en état d’Avignon en date du 11 Juillet 2022, N°20/03046
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre, a entendu les plaidoiries, en application de l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre
Mme Elisabeth TOULOUSE, Conseillère
Mme Séverine LEGER, Conseillère
GREFFIER :
Mme Audrey BACHIMONT, Greffière, lors des débats, et Mme Nadège RODRIGUES, Greffière, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l’audience publique du 26 Janvier 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 16 Mars 2023.
Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.
APPELANTE :
S.A.R.L. EURO SAUMANE
Poursuites et diligences de son Gérant en exercice domicilié en cette qualité en son siège social
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Emmanuelle VAJOU de la SELARL LEXAVOUE NIMES, Postulant, avocat au barreau de NIMES
Représentée par Me Benedicte NOEL de la SELARL RIVAGE AVOCAT, Plaidant, avocat au barreau de DAX
INTIMÉS :
Monsieur [X], [J] [O]
né le 29 Mars 1953 à [Localité 7]
[Adresse 6]
[Localité 7] (BELGIQUE)
Représenté par Me Magali MAUBOURGUET de la SELARL LLURENS-DAVY-MAUBOURGUET-DANIGO, Plaidant/Postulant, avocat au barreau D’AVIGNON
Madame [S], [Z] [K] épouse [O]
née le 21 Juin 1956 à [Localité 5] (BERLGIQUE)
[Adresse 6]
[Localité 7] (BELGIQUE)
Représentée par Me Magali MAUBOURGUET de la SELARL LLURENS-DAVY-MAUBOURGUET-DANIGO, Plaidant/Postulant, avocat au barreau D’AVIGNON
Madame [L] [B]
NOTAIRE [Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Jean-michel DIVISIA de la SCP COULOMB DIVISIA CHIARINI, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre, le 16 Mars 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :
Les époux [Y] ont loué à la Sarl Euro Saumane un appartement correspondant au lot n°108 de l’ensemble immobilier ‘Résidence Provence Country Club’, sis à [Adresse 8].
Par acte authentique reçu par Me [E], notaire à [Localité 4], le 31 octobre 2018, les propriétaires de cet appartement l’ont vendu aux époux [O].
Malgré la dénonciation de l’acte de vente par le notaire rédacteur à la Sarl Euro Saumane, celle-ci refusait de régler aux nouveaux propriétaires le loyer tout en continuant à occuper l’appartement au motif qu’elle n’avait pas pu exercer son droit de préemption car elle n’avait pas été préalablement informée de la vente par le notaire.
Par exploit d’huissier délivré le 18 novembre 2020, les époux [O] ont assigné la SARL Euro Saumane devant le tribunal judiciaire d’Avignon en règlement des loyers et charges impayés et en indemnisation de leur préjudice.
Par conclusions au fond en réponse, Euro Saumane demandait à voir prononcer la nullité de la vente pour avoir été réalisée en fraude de son droit de préemption en qualité de locataire à titre commercial du lot vendu.
Par conclusions d’incident notifiées par RPVA le 31 mars 2022, les époux [O] demandaient au juge de la mise en état, au vu des articles L 146-46-1, 145-60 du code de commerce et 1185 du code civil, de déclarer irrecevable comme prescrite la demande en nullité de l’acte de vente du 31 octobre 2018 et constater l’absence d’intérêt à agir de la SARL Euro Saumane.
Par ordonnance réputée contradictoire du 11 juillet 2022, le juge de la mise en état a :
– déclaré la SARL Euro Saumane irrecevable en sa demande de nullité de l’acte de vente du 31 octobre 2018 ;
– condamné la SARL Euro Saumane à payer aux époux [O] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la SARL Euro Saumane aux dépens de l’incident ;
– renvoyé la cause et les parties à l’audience de mise en état du 6 septembre 2022
Le juge de la mise en état a retenu la prescription de l’action tendant à l’annulation de la vente, retenant que le délai de deux ans prévu par l’article L 145-60 du code de commerce était dépassé et que les dispositions de l’article 1185 du code civil ne trouvaient pas à s’appliquer, la vente ayant été exécutée.
Par déclaration du 22 juillet 2022, la SARL Euro Saumane a interjeté appel de cette ordonnance.
Par un avis de fixation de l’affaire à bref délai du 19 septembre 2022, l’instruction de l’affaire a été déclarée close à la date du 19 janvier 2023 et l’audience fixée au 26 janvier 2023.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET DES MOYENS :
Par conclusions notifiées par voie électronique le 20 septembre 2022, l’ appelante demande à la cour d’infirmer l’ordonnance entreprise et, statuant à nouveau, de :
– déclarer la société Euro Saumane recevable en sa demande tendant à voir prononcer la nullité de la vente intervenue entre les époux [Y] et les époux [O] ,
– débouter les époux [O] de toutes leurs demandes, fins et prétentions plus amples ou contraires et de tout appel incident ,
– condamner les époux [O] à verser à la société Euro Saumane la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et à assumer les entiers dépens de l’incident
L’appelante considère que l’action en nullité de la vente pour non-respect du droit de préemption est soumise au délai de prescription quinquennal de droit commun de l’article 2224 du code civil et que le délai a été interrompu en vertu des dispositions de l’article 2240 du code civil car le droit de la société Euro Saumane a été reconnu par les époux [O] dans un courrier en date du 27 février 2020. L’exception d’inexécution qui revêt un caractère imprescriptible selon les termes de l’article 1185 du code civil trouve selon elle application car elle n’a exécuté que le contrat de bail alors qu’elle a contesté le contrat de vente dès 2019 par courriel.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 5 octobre 2022, Me [E], intimée, demande à la cour de lui donner acte de ce qu’elle s’en remet à la justice sur la demande d’infirmation de l’ordonnance du 11 juillet 2022.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 18 octobre 2022, les époux [O], intimés, demandent à la cour de confirmer l’ordonnance dans son intégralité, de juger que la SARL Euro Saumane n’a pas d’intérêt à agir et de la condamner au paiement de la somme de 3000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Les intimés soutiennent que l’action en nullité de l’acte est prescrite, les actions exercées sur le fondement du statut des baux commerciaux relevant de la prescription biennale de l’article L 145-60 du code de commerce. Ils soulignent que la locataire ne peut se prévaloir des dispositions de l’article 2240 du code civil car son cocontractant n’était pas l’acquéreur mais le propriétaire vendeur de sorte que la correspondance du 27 février 2020 est restée sans effet interruptif de prescription. La SARL Euro Saumane exécutant le bail commercial liant les parties, ils estiment par ailleurs que les dispositions de l’article 1185 du code civil ne peuvent recevoir application. Les intimés considèrent enfin que la SARL Euro Saumane n’a pas d’intérêt à agir car elle ne bénéficie pas d’un droit de substitution.
MOTIFS :
Sur la prescription de l’action en nullité de la vente du local commercial du 31 octobre 2018 :
L’article L 145-46-1 du code des commerce, inséré dans le chapitre intitulé « du bail commercial », dispose: « Lorsque le propriétaire d’un local à usage commercial ou artisanal envisage de vendre celui-ci, il en informe le locataire par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, ou remise en main propre contre récépissé ou émargement. Cette notification doit, à peine de nullité, indiquer le prix et les conditions de la vente envisagée. Elle vaut offre de vente au profit du locataire. Ce dernier dispose d’un délai d’un mois à compter de la réception de cette offre pour se prononcer….Dans le cas où le propriétaire décide de vendre à des conditions ou à un prix plus avantageux pour l’acquéreur, le notaire doit, lorsque le bailleur n’y a pas préalablement procédé, notifier au locataire dans les formes prévues au premier alinéa, à peine de nullité de la vente, ces conditions et ce prix. Cette notification vaut offre de vente au profit du locataire…. ».
L’article L 145-60 du code de commerce, inséré à la fin du chapitre intitulé « du bail commercial », dispose: « Toutes les actions exercées en vertu du présent chapitre se prescrivent par deux ans ».
Contrairement à ce que soutient l’appelante, le délai de prescription est celui de deux ans prévu par l’article L 145-60 du code de commerce et non celui de cinq ans de droit commun, l’action en nullité du contrat de vente étant fondée sur la méconnaissance du droit de préemption du preneur, disposition d’ordre public intégrée dans le statut des baux commerciaux. L’argument selon lequel le droit commun des baux d’immeuble s’appliquerait à la présente action en nullité du contrat de vente pour méconnaissance du droit de préemption du preneur est inopérante, la société Euro Saumane occupant les lieux loués en vertu d’un bail commercial d’une durée de neuf ans.
L’appelante plaide aussi vainement que le délai de prescription a été interrompu, conformément à l’article 2240 du code civil, le 27 février 2020, date à laquelle les époux [O] ont reconnu, aux termes d’une lettre adressée par leur conseil au notaire, que le droit de préemption du preneur avait été méconnu lors de la vente.
En effet, le débiteur du droit de préemption méconnu aux termes de l’article 145-46-1 du code de commerce est le vendeur et non l’acquéreur de sorte que le courrier du 27 février 2020 lequel émanait des époux [O], acquéreurs du lot litigieux, n’a pu interrompre le délai de prescription.
L’action des époux [O] dirigée contre la société Euro Saumane est fondée sur l’inexécution du contrat de bail commercial et plus précisément de l’inexécution par le preneur de son obligation de s’acquitter du loyer.
Comme moyen de défense à cette action fondée sur le bail commercial, la société Euro Saumane oppose la nullité du contrat de vente passé le 31 octobre 2018 entre les époux [Y] et les époux [O].
Pour s’opposer à la prescription, la sarl Euro Saumane invoque la règle selon laquelle l’exception de nullité est perpétuelle et non soumise à prescription si elle est opposée en tant que moyen de défense à une demande d’exécution d’un acte irrégulièrement passé.
Il n’est pas contestable que le débiteur peut, une fois le délai de prescription de l’action en nullité écoulé, invoquer la nullité du contrat comme moyen de défense lorsqu’une action en exécution forcée de ce contrat est intentée par le créancier.
L’exception de nullité, pour être perpétuelle et échapper à toute prescription, suppose donc d’être invoquée pour faire échec à une demande d’exécution de l’acte argué de nullité. En effet, la finalité de la règle de l’exception de nullité perpétuelle est seulement de protéger le débiteur d’une obligation contre la manoeuvre de son créancier qui consisterait à attendre l’expiration du délai de prescription pour réclamer l’exécution d’un contrat entaché de nullité. Elle n’a pas pour finalité de le mettre à l’abri de la prescription de la nullité affectant d’autres contrats.
La société Euro Saumane laquelle soulève la nullité du contrat de vente du 31 octobre 2018 passé au mépris de son droit de préemption ne peut donc se prévaloir du caractère perpétuel de cette exception de nullité qui concerne un contrat autre que celui dont les époux [O] demandent l’exécution, lequel est le contrat de bail commercial.
La vente a été passée par acte authentique du 31 octobre 2018.
Le preneur a eu connaissance de la vente le 4 décembre 2018 ainsi qu’en atteste la lettre qu’il a adressée au notaire pour déplorer la méconnaissance de son droit de préemption en violation des dispositions d’ordre public de l’article L 145-46-1 du code de commerce (pièce n°20 communiquée par les époux [O]).
Le délai de prescription de deux ans ayant expiré le 5 décembre 2020, l’exception de nullité soulevée par conclusions signifiées le 18 octobre 2021 aux parties adverses, l’exception de nullité est prescrite en application de l’article L 145-60 du code de commerce.
L’ordonnance sera donc confirmée.
Sur l’article 700 du code de procédure civile :
Il est équitable de condamner la sarl Euro Saumane à payer à [X] [O] et à [S] [K] épouse [O] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Confirme en toutes ses dispositions l’ordonnance entreprise,
Condamne la sarl Euro Saumane à payer à [X] [O] et à [S] [K] épouse [O] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
La condamne aux dépens.
Arrêt signé par la présidente et par la greffière.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,