Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 6
ARRET DU 15 FEVRIER 2023
(n° , 7pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/06643 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDOPL
Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Janvier 2021 -Tribunal de Grande Instance de PARIS – RG n° 17/06339
APPELANTE
Madame [J] [B] épouse [L]
née le [Date naissance 2] 1964 à [Localité 9] (92), de nationalité française,
[Adresse 5]
[Localité 7]
Représentée par Me Renaud GOURVES, avocat au barreau de PARIS, toque : C0029
INTIMEE
S.A. CREDIT FONCIER DE FRANCE
immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Paris sous le numéro B.542.029.848, agissant poursuites et diligences de sesreprésentants légaux domiciliés audit siège
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentée par Me Patrick VIDAL DE VERNEIX, avocat au barreau de PARIS, toque : D1331
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 03 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M.Marc BAILLY, Président de chambre, et M.Vincent BRAUD,Président.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
M.Marc BAILLY, Président de chambre,chargé du rapport
M.Vincent BRAUD,Président,
MME Pascale SAPPEY-GUESDON, Conseillère,
Greffier, lors des débats : Madame Anaïs DECEBAL
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par M.Marc BAILLY, Président de chambre,et par Anaïs DECEBAL,Greffière, présente lors de la mise à disposition.
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FAITS PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 7 avril 2021, Mme [J] [B] épouse [L] a interjeté appel du jugement en date du 5 janvier 2021, que le tribunal judiciaire de Paris a rendu dans l’instance l’opposant, aux côtés de Mme [M] [V] épouse [I], à la société Crédit foncier de France, et qui a déclaré leur action irrecevable.
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À l’issue de la procédure d’appel clôturée le 22 novembre 2022 les moyens et prétentions des parties s’exposent de la manière suivante.
Par dernières conclusions communiquées par voie électronique le 7 juillet 2021 Mme [B], appelant,
demande à la cour de bien vouloir :
‘Vu le jugement entrepris,
DIRE l’appel recevable,
REFORMER le jugement en toutes ses dispositions ;
Vu l’article 1355 du code civil et les conclusions aux fins de désistement de la banque dans l’instance devant le juge de l’exécution,
DIRE l’action recevable,
Vu les articles L. 121-8, L. 132-13, L. 313-1 et suivants, R. 313-1, L. 314-4 ancien et L. 314-5, 8° ancien du code de la consommation et les articles L. 341-1, L. 341-11, L. 341-16 du code monétaire et financier,
PRONONCER la nullité du prêt consenti à madame [C] ;
À titre subsidiaire
ANNULER la clause de stipulation des intérêts contractuels ;
En tout état de cause,
ORDONNER la mainlevée de l’hypothèque aux frais de la banque CREDIT FONCIER DE France ;
DIRE que le préjudice de jouissance résultant de l’impossibilité de louer le bien résultant du contrat de prêt illégal ou irrégulier s’établit à la somme de 39 900 euros sur la base d’une valeur locative de 1 330 euros/mois à compter du 1er novembre 2016 jusqu’à fin mai 2019;
CONDAMNER la banque CREDIT FONCIER DE FRANCE à payer à madame [B] la moitié de ce préjudice de jouissance à parfaire et la somme de 5 000 euros au titre de son préjudice moral ;
CONDAMNER la banque CREDIT FONCIER DE FRANCE à payer à madame [B] chacune la somme de 8 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNER la banque CREDIT FONCIER DE FRANCE aux entiers dépens dont recouvrement sera confié au soin de Maître Renaud GOURVES, avocat au Barreau de Paris, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.’
Par uniques conclusions communiquées par voie électronique le 8 septembre 2021 l’intimé, la société Crédit foncier de France,
en ces termes, demande à la cour de bien vouloir :
‘Vu le jugement rendu le 28 mars 2019 par le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Paris,
Vu l’arrêt rendu le 5 septembre 2019 par le Pôle 4, Chambre 8 de la Cour d’appel de Paris,
Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 5 janvier 2021 par la 9e Chambre, 2e section, du tribunal judiciaire de Paris (RG n°17/06339),
Constater que le jugement du 28 mars 2019 est définitif ;
En conséquence,
Déclarer irrecevable les demandes de madame [B] [L] comme se heurtant à l’autorité de la chose jugée du jugement du 28 mars 2019 quand l’appel a été déclaré irrecevable ;
Subsidiairement, sur le fond,
Voir en application des dispositions de l’article 2224 du code civil, prescrites les actions engagées par madame [J] [B], tant en ce qui concerne la nullité du prêt qu’en ce qui concerne la clause de stipulation des intérêts contractuels comme ayant été engagée le 21 avril 2017, l’acceptation de l’offre de prêt étant du 30 décembre 2007 et l’acte notarié de réitération du 31 mars 2008 ;
En conséquence,
Dire et juger que son action est prescrite depuis le 30 décembre 2012 et à défaut, le 31 mars 2013 ;
En conséquence,
La déclarer irrecevable ;
Subsidiairement,
si par impossible la Cour estimait non prescrite l’action de madame [J] [B],
La voir débouter purement et simplement de toutes ses demandes, fins et conclusions,
La voir débouter de sa demande tendant à se voir allouer des dommages et intérêts pour trouble de jouissance et préjudice moral ;
La condamner à payer au CREDIT FONCIER DE FRANCE une somme de 10 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
La condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Patrick VIDAL de VERNEIX.’
Par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions précitées.
MOTIFS DE LA DECISION
Le 17 décembre 2007, la société Crédit Foncier de France a adressé à Mme [X] [C], née le [Date naissance 4] 1919, alors âgée de 88 ans, une offre de prêt immobilier viager hypothécaire d’un montant de 166 400 euros, le remboursement devant intervenir in fine avec des intérêts capitalisés, garanti par une hypothèque prise sur l’appartement dans lequel elle résidait, [Adresse 8]. Le prêt a été réitéré par acte authentique reçu le 31 mars 2008 par Maître [T], notaire à [Localité 10].
Mme [J] [B] a été nommée tutrice de sa grand-mère, par jugement du 27 mars 2013. Cette dernière est décédée le [Date décès 3] 2016, laissant pour héritière sa fille, Mme [M] [V] (épouse [I]), et pour légataire particulier sa petite fille, Mme [J] [B].
Par acte d’huissier de justice daté du 21 avril 2017, Mme [I] et Mme [B] ont fait assigner la société Crédit Foncier de France aux fins de voir annuler le prêt consenti par elle, subsidiairement voir annuler la clause de stipulation d’intérêts, et en tout état de cause obtenir la mainlevée de l’inscription hypothécaire.
Parallèlement, la société Crédit foncier de France a fait délivrer un commandement valant saisie vente, de l’appartement de Mme [C], le 22 novembre 2017.
La société Crédit Foncier de France a saisi le juge de la mise en état pour qu’il se déclare incompétent au profit du juge de l’exécution. Celui-ci ayant ordonné la vente forcée des droits et biens immobiliers saisis par le Crédit foncier de France, par une décision du 28 mars 2019, la société Crédit Foncier de France s’est désistée de l’incident, le 31 mars 2019.
Mme [I] et Mme [B] ayant réglé les sommes résultant de ce jugement, en juin 2019, la société Crédit Foncier de France s’est désistée de ses demandes devant le juge de l’exécution.
L’appel formé par Mme [I] et Mme [B] à l’encontre du jugement d’orientation a été déclaré irrecevable, par arrêt de la cour d’appel de Paris en date du 5 septembre 2019.
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Sur l’exception d’irrecevabilité tirée de la chose jugée
La société Crédit foncier de France comme en première instance demande à la cour de constater que le jugement du 28 mars 2019 est définitif, et de déclarer, en conséquence, les demandes de Mme [B] irrecevables, en faisant valoir que le jugement du 28 mars 2019 a acquis autorité de chose jugée quant à l’existence et au montant de la créance, et qu’aucune contestation ne peut, à peine d’irrecevabilité, être formée après l’audience d’orientation.
Mme [B] s’oppose à l’exception de chose jugée invoquée par la société Crédit foncier de France en soutenant que les présentes demandes tendent non à l’exécution mais à la nullité du contrat, qu’elles concernent non pas le titre exécutoire mais l’offre de prêt, et que le juge de l’exécution est dessaisi de l’affaire.
Comme exactement rappelé par le tribunal :
– en vertu de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire, qui définit les attributions du juge de l’exécution, celui-ci connaît des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit ;
– en matière de saisie immobilière, l’article R. 322-15 du code des procédures civiles d’exécution précise qu’à l’audience d’orientation, le juge de l’exécution statue sur les éventuelles contestations et demandes incidentes, et vérifie d’office que les conditions de la saisie sont réunies ; dans ce cadre, le juge de l’exécution, qui doit, par application de l’article R. 322-18 du code des procédures civiles d’exécution, indiquer dans le jugement d’orientation le montant de la créance du poursuivant qu’il retient, n’est pas lié par le montant de la créance tel que mentionné dans le commandement valant saisie immobilière;
– le juge de l’exécution statue comme juge du principal, tel qu’il résulte de l’article R. 121-14 du code des procédures civiles d’exécution ; il se prononce y compris sur des questions relevant du fond du droit, de sorte que ses décisions ont, sauf disposition contraire, autorité de la chose jugée au principal ;
– selon l’article R. 31l-5 du code des procédures civiles d’exécution, à peine d’irrecevabilité prononcée d’office, aucune contestation ni aucune demande incidente ne peut, sauf dispositions contraires, être formée après l’audience d’orientation.
C’est à bon droit que le tribunal a relevé que la question de la validité de l’offre de prêt conduit à remettre en cause l’existence même de la créance dont la saisie immobilière tendait à obtenir le paiement. Mme [B] n’est donc pas fondée à soutenir, pour s’opposer à l’exception de chose jugée invoquée par la société Crédit foncier de France, que ses demandes tendent non à l’exécution mais à la nullité du contrat, qu’elles concernent non pas le titre exécutoire mais l’offre de prêt.
Il est constant que le jugement d’orientation du 28 mars 2019 est devenu définitif.
Comme jugé par le tribunal, le jugement d’orientation, en ce qu’il fixe notamment la créance du poursuivant, a également autorité de la chose jugée au principal, qu’une contestation ait été élevée ou non sur ce montant.
Par suite, la remise en cause du taux effectif global est irrecevable.
Le jugement déféré est confirmé de ce premier chef.
Sur l’exception d’irrecevabilité tirée de la prescription
La société Crédit foncier de France soutient, subsidiairement, que toute action en nullité de l’offre et en contestation des intérêts, sont prescrites.
L’appelante rappelle qu’elle fonde sa demande de nullité du prêt sur le non respect du délai de réflexion de dix jours et sur sa souscription par voie de démarchage financier ainsi que sur un abus de faiblesse, soulignant l’état de santé défaillant de Mme [C] et le fait qu’elle n’avait pas besoin de recourir à cette opération. Subsidiairement, Mme [B] demande la déchéance du droit de la banque aux intérêts conventionnels du prêt, en raison du non respect par cette dernière, des dispositions des articles L. 313-1 et R. 3 13-1 du code de la consommation, résultant d’une étude réalisée par ‘Financière Autrement’ que le taux effetif global effectivement appliqué s’élève à 7,38 % au lieu des 7,28 % annoncés dès lors qu’il ne tenait pas compte des frais de garantie hypothécaire et qu’il a été calculé sur la base d’une année bancaire de 360 jours ; elle ajoute que le taux et la durée de période ne sont pas indiqués et que l’acte notarié ne fait pas mention du taux effectif global ; elle conteste toute prescription de cette demande, au motif que seul un technicien des mathématiques financières était en mesure de déceler les erreurs de calcul du taux effectif global.
C’est à bon droit que le tribunal a jugé que les demandes en dommages et intérêts présentées le sont au regard des fautes qui auraient été commises par le Crédit foncier de France octroyant le prêt hypothécaire, qui a empêché la vente et la location de l’immeuble après le décès de Mme [C]. Ces demandes ne se rattachent pas à la saisie immobilière, de sorte que l’autorité de chose jugée attachée au jugement d’orientation ne fait pas obstacle à leur recevabilité.
Le tribunal a ensuite, exactement relevé que les fautes alléguées concernant un abus de faiblesse – que la société Crédit foncier de France, sur le fond, conteste formellement – ont été commises au plus tard au jour de la signature de l’acte authentique, soit le 31 mars 2008. La prescription s’est trouvée acquise le 19 juin 2013, soit avant la délivrance de l’assignation. Dès lors, la demande en dommages et intérêts se trouve prescrite.
Aussi, Mme [B] se plaint d’un préjudice résultant de la prise d’hypothèque, qu’elle estime fautive. Or, cette hypothèque a pour origine le prêt lui-même. Par conséquent, la demande s’y rapportant est prescrite.
Le jugement déféré est également confirmé de ces chefs.
Surabondamment, il sera fait observer le défaut de qualité à agir de Mme [B], qui n’est pas héritière de sa grand-mère, mais sa légataire à titre particulier.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Mme [B] qui échoue en son appel, supportera la charge des dépens et ne peut prétendre à aucune somme sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. En revanche pour des raisons tenant à l’équité il y a lieu de faire droit à la demande de la société Crédit foncier de France formulée sur ce même fondement, mais uniquement dans la limite de la somme de 2 500 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant dans les limites de l’appel,
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Et y ajoutant
CONDAMNE Mme [J] [B] à payer à la société Crédit foncier de France la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile à raison des frais irrépétibles exposés en cause d’appel ;
DÉBOUTE Mme [J] [B] de sa propre demande formulée sur ce même fondement;
CONDAMNE Mme [J] [B] aux entiers dépens d’appel et admet Maître Patrick Vidal de Verneix, avocat au Barreau de Paris, au bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT