Nullité de contrat : 13 mars 2023 Cour d’appel de Pau RG n° 21/01560

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Nullité de contrat : 13 mars 2023 Cour d’appel de Pau RG n° 21/01560

PhD/ND

Numéro 23/917

COUR D’APPEL DE PAU

2ème CH – Section 1

ARRET DU 13/03/2023

Dossier : N° RG 21/01560 – N° Portalis DBVV-V-B7F-H3UV

Nature affaire :

Autres demandes relatives au fonctionnement du groupement

Affaire :

[G] [I] [T]

C/

[S] [Z]

Grosse délivrée le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A R R E T

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 13 mars 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.

* * * * *

APRES DÉBATS

à l’audience publique tenue le 16 Janvier 2023, devant :

Monsieur Philippe DARRACQ, magistrat chargé du rapport,

assisté de Madame Nathalène DENIS, Greffière présente à l’appel des causes,

Philippe DARRACQ, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d’opposition a tenu l’audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Marc MAGNON et en a rendu compte à la Cour composée de :

Monsieur Philippe DARRACQ, Conseiller faisant fonction de Président

Monsieur Marc MAGNON, Conseiller

Madame Joëlle GUIROY, Conseillère

qui en ont délibéré conformément à la loi.

dans l’affaire opposant :

APPELANTE :

Madame [G] [I] [T]

née le [Date naissance 1] 1951 à [Localité 8] (65)

de nationalité française

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentée par Me Julien SOULIE de la SELARL SOULIE MAUVEZIN, avocat au barreau de TARBES

INTIMEE :

Madame [S] [Z]

née le [Date naissance 4] 1966 à [Localité 7] (89)

de nationalité française

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Réjane CHAUMONT de la SELARL JUDICONSEIL AVOCATS, avocat au barreau de TARBES

sur appel de la décision

en date du 19 AVRIL 2021

rendue par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE TARBES

FAITS – PROCEDURE – PRETENTIONS et MOYENS DES PARTIES

Mme [G] [T] exploite un fonds de commerce de conciergerie pour des propriétaires de chalets donnés en location sur des communes des Hautes-Pyrénées.

Mme [T] et Mme [S] [Z], alors aide-ménagère en voie de reconversion professionnelle, se sont rapprochées pour la cession d’une partie de cette activité commerciale.

Aux termes d’un acte sous seing privé du 5 décembre 2018, intitulé « attestation », Mme [G] [T] a déclaré céder à Mme [Z] la partie du fonds de commerce exploitée à [Localité 9] (65) au prix de 20.000 euros, 10.000 euros payés à la signature et le solde début avril 2019.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 20 février 2019, Mme [Z] a dénoncé « les négociations en cours », exigeant la restitution de la somme de 10.000 euros, en se plaignant du défaut de production des informations comptables et de la consistance de la clientèle cédée.

Aucun accord amiable n’ayant été trouvé, et suivant exploit du 21 octobre 2019, Mme [Z] a fait assigner Mme [T] par devant le tribunal de commerce de Tarbes en annulation de l’acte du 5 décembre 2018 et restitution du prix, pour contrepartie illusoire, au visa de l’article 1169 du code civil, sinon pour dol, au visa des articles 1130 et 1137 du code civil.

Par jugement contradictoire du 19 avril 2021, auquel il convient expressément de se référer pour un plus ample exposé des faits et des prétentions et moyens initiaux des parties, le tribunal a :

– condamné Mme [T] à rembourser à Mme [Z] la somme de 10.000 euros perçue lors de la signature de l’acte du 5 décembre 2018

– dit n’y avoir lieu à prononcer l’exécution provisoire du jugement

– condamné Mme [T] aux dépens et au paiement d’une indemnité de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile

– rejeté les autres demandes des parties.

Par déclaration faite au greffe de la cour le 7 mai 2021, Mme [T] a relevé appel de ce jugement.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 14 décembre 2022.

***

Vu les dernières conclusions notifiées le 9 novembre 2021 par Mme [T] qui a demandé à la cour, au visa des articles 4 du code de procédure civile, 1136, 1583 et 1650 du code civil, d’infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de :

– déclarer valable la convention de cession de clientèle du 5 décembre 2018 sur le fondement de l’article 1128 du code civil

– condamner Mme [Z] à lui verser la somme de :

– 10.000 euros correspondant au solde du prix de cession de clientèle

– 3.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices

– 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile

– débouter Mme [Z] de ses demandes

– déclarer que l’ensemble des sommes allouées portera intérêts au taux légal à compter du 1er mai 2019, avec capitalisation des intérêts au terme d’un délai d’un an renouvelable tous les ans.

*

Vu les dernières conclusions notifiées le 7 octobre 2021 par Mme [Z] qui a demandé à la cour, au visa des articles 1128 et suivants, 1130 et suivants du code civil, 551, 575, 563, 89 et 568 du code de procédure civile, de confirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a rejeté sa demande de dommages et intérêts, et statuant à nouveau :

– condamner Mme [T] à lui payer la somme de 2.000 euros en réparation de son préjudice moral et financier, outre celle de 3.000 euros pour résistance abusive.

Y ajoutant :

– condamner Mme [T] à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

A titre subsidiaire :

– prononcer la nullité de la convention du 5 décembre 2018 en raison du dol commis par Mme [T]

– condamner Mme [T] à lui rembourser la somme de 10.000 euros.

A titre infiniment subsidiaire :

– prononcer la nullité de la convention du 5 décembre 2018 sur le fondement des articles 1131 et suivants du code civil

– condamner Mme [T] à lui rembourser la somme de 10.000 euros.

MOTIFS

Mme [T] fait grief au jugement d’avoir annulé la convention du 5 décembre 2018 au visa de l’article 1128 du code civil, alors que, d’une part, ce moyen a été soulevé d’office sans respecter le principe du contradictoire, et, d’autre part, que les motifs d’annulation pour contrepartie illusoire sont erronés dès lors que :

– elle s’était simplement engagée à mettre en relation Mme [Z] avec sa clientèle, à charge pour le cessionnaire de gagner sa confiance par son professionnalisme, et non pas à garantir un chiffre d’affaires, les clients étant libres de ne pas renouveler les contrats de prestation en cours d’exécution

– la clientèle cédée était réelle, et les clients ont été présentés au cessionnaire

– le contrat liant les parties portait non pas sur des contrats avec accord préalable des clients mais sur une clientèle

– elle demeurait liée avec ses clients jusqu’au terme de leurs contrats respectifs, à la fin de la saison hivernale 2018-2019, jusqu’à ce que Mme [Z] prenne le relais

– Mme [Z] a abandonné l’exploitation de la clientèle dès qu’elle a eu notification du refus de versement de la prime de reconversion escomptée pour régler le solde du prix de cession

– le tableau des recettes liées à son activité révèle un chiffre d’affaires 2018 de 24.320 euros, soit en moyenne 2.000 euros par mois, ces éléments ayant été communiqués à Mme [Z].

– les allégations de dol, invoquées à titre subsidiaire, ne sont en rien caractérisées, Mme [Z] s’étant engagée en toute connaissance de cause.

Mais, en premier lieu, sur le moyen tiré d’une violation du principe du contradictoire, l’appelante n’a pas tiré les conséquences juridiques d’un tel moyen qui, lorsqu’il est fondé, entraîne, non pas l’infirmation, comme le sollicite l’appelante, mais l’annulation du jugement.

En outre ce moyen est inopérant en l’espèce, comme manquant en fait, puisque le tribunal a annulé l’acte de cession pour contrepartie illusoire, non seulement au visa de l’article 1169 du code civil, inséré à la sous-section 3 intitulée « le contenu du contrat » mais aussi de l’article 1128 du code civil, visé par la requérante, disposant que la validité du contrat est subordonnée, entre autres, à un contenu licite et certain, la requérante ayant conclu à la nullité du contrat pour contrepartie illusoire ou dérisoire, ce qui renvoyait implicitement au premier texte précité.

En second lieu, sur le fond, l’article 1169 du code civil dispose qu’un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire.

En l’espèce, l’acte du 5 décembre 2018, intitulé « attestation », signé par les deux parties, se limite à la déclaration laconique suivante « [Mme [T]] déclare vendre une partie de mon entreprise Action Propreté qui se situe à [Localité 9] au prix de 20.000 euros à Mme [Z] qui me verse 10.000 euros à la signature et le complément de 10.000 euros sera versé début avril à compter de la signature de cette attestation ».

Selon Mme [Z], alors aide-ménagère en cours de reconversion, la clientèle cédée était composée de 10 clients liés par des contrats de prestations de services en cours d’exécution générant un chiffre d’affaires mensuel moyen de 2.000 euros, ce dont la cédante devait justifier en produisant les comptes et bilans comptables dans les suites de la cession.

Mme [T], considère avoir exécuté son obligation d’information comptable en produisant un tableau des recettes réalisées entre 2013 et 2018 faisant ressortir, au titre de l’année 2018, des recettes d’un montant de 24.320 euros, soit environ 2000 euros mensuels, ainsi que les attestations de 7 clients.

Mais, en l’état des mentions qu’il renferme, l’acte de cession du 5 décembre 2018 s’analyse en une promesse synallagmatique de cession de fonds de commerce de conciergerie dont la clientèle constitue le seul élément cédé.

Par cet acte, Mme [T] s’est obligée, à titre principal, à délivrer au cessionnaire sa clientèle de conciergerie à [Localité 9], générant, à la date de la cession, un chiffre d’affaires de 24.000 euros, outre, à titre accessoire, l’engagement de présenter les clients à son successeur.

Force est de constater que le sort des contrats de prestations de service en cours à la date de la cession n’a pas été clairement anticipé par Mme [T] puisque, après la cession, elle a poursuivi l’exécution des prestations au profit de certains clients cédés, invoquant ses engagements personnels à l’égard de ceux-ci.

Il est certain que la cession de la clientèle n’emportait pas cession de plein droit des contrats de prestations en cours, s’exécutant jusqu’à la fin de la saison 2018-2019, d’autant que, en raison de leur caractère intuitu personae, leur éventuelle cession aurait été inopposable aux clients cédés.

Ensuite, l’acte de cession du 5 décembre 2018 se caractérise par un formalisme minimaliste qui ne satisfait en rien au formalisme prescrit, à peine de nullité, par l’article L. 141-1 du code de commerce, dans sa rédaction en vigueur à la date de l’acte litigieux, lequel exige, notamment, la mention dans l’acte du chiffre d’affaires réalisé durant les trois derniers exercices comptables précédant celui de la vente, ainsi que les résultats d’exploitation réalisés pendant le même temps.

En l’espèce, l’acte de cession ne comporte aucune mention relative aux chiffres d’affaires et aux résultats d’exploitation, ni aucune annexe.

Cependant, il est constant que Mme [Z] n’a pas demandé, dans l’année de sa conclusion, la nullité de l’acte pour ces motifs.

En outre, l’article L. 141-2 suivant dispose qu’au jour de la cession, le vendeur et l’acquéreur visent un document présentant les chiffres d’affaires mensuels réalisés entre la clôture du dernier exercice comptable et le mois précédant celui de la vente. Pendant une durée de trois ans à compter de l’entrée de l’acquéreur en jouissance du fonds, le vendeur met à sa disposition, à sa demande, tous les livres comptables qu’il a tenus durant les trois exercices comptables précédant celui de la vente.

En l’espèce, Mme [Z] a réclamé à plusieurs reprises, en vain, la comptabilité de Mme [T].

Dans ces conditions, il incombe à Mme [T] d’établir l’exactitude de sa déclaration concernant la réalisation d’un chiffre d’affaires annuel de 24.000 euros.

A cet égard, Mme [T] ne justifie d’aucun statut social ou fiscal qui l’aurait dispensée de tenir une comptabilité, même simplifiée, de son activité, d’autant que celle-ci recouvrait un périmètre plus large que celle cédée.

L’appelante s’est bornée à produire un tableau de recettes réalisées depuis le début de son activité mais qui n’est corroboré par aucun élément justificatif, notamment, au titre de l’année 2018 :

aucun contrats de prestation de services en cours à la date de cession, aucune liste de la clientèle exploitée, aucun justificatif des encaissements réalisés, ni justificatifs des dépenses nécessaires à l’activité de conciergerie.

Ce tableau est donc impropre à établir la réalité du chiffre d’affaires déclaré généré par l’activité cédée.

Et, Mme [T] échoue à démontrer l’existence et la consistance réelle de la clientèle cédée comme du potentiel d’exploitation de celle-ci.

A l’exception de deux clients ayant manifesté leur intention de poursuivre les relations contractuelles avec Mme [Z], les attestations versées aux débats, vagues générales, n’établissent en rien que les témoins étaient des clients de Mme [T] à la date de la cession et ne contiennent aucune information sur le contenu et les tarifs des prestations convenus avec Mme [T] susceptible d’établir une relation avec le chiffre d’affaire déclaré, tandis que d’autres témoins ont confirmé qu’ils entendaient mettre fin aux services de conciergerie à la fin de la saison.

Enfin, contrairement à ce que soutient l’appelante pour discréditer l’action de Mme [Z], celle-ci a bien eu notification, le 18 février 2018, de l’allocation de l’aide à la création d’entreprise d’un montant de 10.651 euros.

Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que Mme [Z] a acquis une clientèle sans consistance économique ni valorisation démontrée en relation avec un chiffre d’affaire annuel de 24.000 euros, la cédante n’étant pas, certes, garante des résultats à venir, mais garante de la sincérité de sa déclaration.

Dès lors, Mme [Z] a acquis une clientèle illusoire, sinon dérisoire, privant de toute contrepartie réelle son engagement d’acquérir une clientèle de conciergerie susceptible de faire l’objet d’une exploitation commerciale à la mesure de son investissement.

C’est donc à bon droit que les premiers juges ont décidé d’annuler la convention du 5 décembre 2018, la cour devant ici compléter le jugement dont le dispositif a omis de reprendre la décision d’annulation.

Par conséquent, complétant le jugement, il conviendra d’annuler la convention du 5 décembre 2018 liant les parties et de confirmer le jugement en ce qu’il a condamné Mme [T] à restituer à Mme [Z] la somme de 10.000 euros correspondant à la fraction du prix réglée.

Mme [Z] ne justifiant pas de son préjudice moral et financier sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts sur laquelle n’a pas statué le tribunal.

Mme [Z] sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive, formée en appel, celle-ci n’étant pas caractérisée.

Mme [T] sera condamnée aux dépens d’appel et à payer une indemnité complémentaire de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

la cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

COMPLETANT le jugement entrepris, prononce la nullité de la convention conclue entre les parties le 5 décembre 2018,

CONFIRME le jugement pour le surplus,

DEBOUTE Mme [Z] de sa demande de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral et financier,

DEBOUTE Mme [Z] de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive,

CONDAMNE Mme [T] aux dépens d’appel,

CONDAMNE Mme [T] à payer à Mme [Z] une indemnité complémentaire de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Philippe DARRACQ, conseiller faisant fonction de Président et par Madame Nathalène DENIS, greffière suivant les dispositions de l’article 456 du Code de Procédure Civile.

La Greffière, Le Président,

 


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