Your cart is currently empty!
3ème Chambre Commerciale
ARRÊT N°262
N° RG 20/02176, 20/02191 et 20/02218
N° Portalis DBVL-V-B7E-QS72
S.A.S. GETZNER FRANCE
C/
S.A.S. RESSORTS MASSELIN
S.A. GERB
S.A.S. GESTAL
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me BOMMELAER
Me CHAUDET
Me BOURGES
Me RENAUDIN
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 07 JUILLET 2020
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre, rapporteur,
Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère,
Assesseur : Monsieur Dominique GARET, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Isabelle GESLIN OMNES, lors des débats et Madame [C] [B] lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 23 Juin 2020
ARRÊT :
contradictoire, prononcé publiquement le 07 Juillet 2020 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANTE :
S.A.S. GETZNER FRANCE immatriculée au RCS de [Localité 6] sous le n° 812 134 518, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège :
[Adresse 5]
[Localité 6]
Représentée par Me Marion DAVID substituant Me Benoît BOMMELAER de la SELARL C.V.S, postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me François VACCARO de la SELARL VACCARO-BRAULT-JAMIN, plaidant, avocat au barreau de TOURS
intimée dans la procédure 20/2218
INTIMÉES :
S.A. GERB, immatriculée au RCS deSaint-Nazaire sous le n°317 600 054, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège :
[Adresse 10]
[Localité 8]
Représentée par Me Jean-David CHAUDET de la SCP JEAN-DAVID CHAUDET, postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Bruno WEIL de l’ASSOCIATION WEIL & ASSOCIES, plaidant, avocat au barreau de PARIS
S.A.S. GESTAL, immatriculée au RCS de ST NAZAIRE sous le n° 335 339 131, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 9]
[Localité 2]
Représentée par Me Luc BOURGES de la SELARL LUC BOURGES, postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Vanessa KRESPINE de la SELARL L&KA AVOCATS – KAB, plaidant, avocat au barreau de PARIS
appelante dans la procédure 20/2218
INTERVENANT :
S.A.S. RESSORTS MASSELIN, intervenant volontaire par constitution du 17 06 20
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Jean-Paul RENAUDIN de la SCP GUILLOU-RENAUDIN, postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Agnès HAVELETTE, plaidant, avocat au barreau de ROUEN
FAITS ET PROCEDURE :
Par requête du 24 février 2020, estimant être victime d’actes de concurrence déloyale, la société Gerb a saisi le président du tribunal de commerce de Saint-Nazaire d’une demande aux fins d’être autorisée à faire pratiquer des mesures d’instruction.
Par ordonnance en date du 26 février 2020, le président du tribunal de commerce de Saint-Nazaire, a :
– Désigné Mme [L] de la société [M] [O] [K] [E] et [L], huissiers de justice, ou en cas d’empêchement tout autre huissier de ladite société, avec mission de :
– Se rendre au siège social de la société Gestal sis à [Localité 7] ainsi qu’en tout autre lieu dans le ressort du tribunal de commerce de Saint Nazaire où l’accomplissement de sa mission révélerait la présence de documents au format papier ou informatique objets de la mission qui lui est attribuée, aux fins de :
– Accéder aux postes de travail et informatique mis à disposition de M. [J] par la société Gestal, en se faisant le cas échéant assister par un homme de l’art, et de dresser inventaire, constater la présence et prendre copie :
– De tous documents, programmes et fichiers informatiques se rapportant au recrutement de M. [J] par la société Gestal, et notamment de son contrat de travail,
– De tous documents, programmes et fichiers informatiques se rapportant à la fabrication et la commercialisation par la société Gestal de boites à ressort, et notamment :
‘ les composants et machines nécessaires à leur production,
‘ les plans et moules nécessaires,
‘ les coûts et délais de fabrication
‘ la phase d’essais et de validation,
‘ les prix de vente pratiqués pour ces produits,
‘ les clients,
‘ le taux de marge réalisée.
– De tous documents contractuels, devis, bons de commande, factures, correspondances, sur support papier et/ou informatique, se rapportant aux relations commerciales entre les sociétés Gestal et Getzner France, et à la commercialisation par la société Gestal de boites à ressort à la société Getzner France,
– De tous documents contractuels, devis, bons de commande, factures, correspondances, sur support papier et/ou informatique, se rapportant aux commandes de ressorts par la société Gestal à la société Ressorts Masselin,
– De tous documents contractuels, devis, bons de commande, factures, et de toute correspondance échangée par la société Gestal avec le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment au sujet d’essais sur des échantillons de boites à ressort fabriquées par la société Gestal,
– Etablir un procès-verbal de ses opérations, auquel sera joint un rapport et un inventaire des données éventuellement saisies, ainsi qu’une reproduction desdites données,
– Autorisé l’huissier de justice ainsi désigné à se faire assister, en tant que de besoin, d’un serrurier, d’un commissaire de police et/ou de la force publique, ainsi que de toutes autres personnes telles que sachant, ou expert nécessaires à l’accomplissement de leur mission,
– Dit que l’huissier pourra accéder à tout fichier informatique en rapport avec la mission, ou prendre copie et se faire assister à cette fin pour tout expert informatique de leur choix,
– Autorisé l’huissier instrumentaire à consigner toute parole ou déclaration qui seront prononcées au cours des opérations de constat en s’abstenant de toute interpellation autres que celles nécessaires à l’accomplissement de sa mission,
– Dit que l’huissier instrumentaire devra séquestrer en son étude l’ensemble des éléments recueillis lors de ses opérations pendant un délai de quinze jours à compter de l’accomplissement de sa mission,
– Autorisé l’huissier instrumentaire à communiquer son procès-verbal et tout annexe et pièce-jointe de celui-ci à la société requérante, une fois le délais de quinze jours susvisé expiré,
– Dit que l’huissier remettra aux requérantes les copies réalisées dans le cadre de l’exécution de sa mission, quel qu’en soit le support,
– Dit que l’ordonnance rendue sera exécutée dans les deux mois de sa date, qu’elle sera exécutoire sur minute et qu’il vous en sera référé en cas de difficultés.
Les opérations ont été conduites le 3 mars 2020 par Mme [L], de la société [M], [O], [K], [E] [L], dans les locaux de la société Gestal sis à [Localité 7].
La société Gestal a assigné la société Gerb devant le juge des référés en rétractation de l’ordonnance du 26 février 2020, annulation des procès-verbaux dressés en application de cette ordonnance et destruction des documents saisis.
La société Getzner a assigné en référé d’heure à heure la société Gestal et la socité Gerb en rétractation de l’ordonnance du 26 février 2020.
Par ordonnance de référé du 28 avril 2020, le président du tribunal de commerce de Saint Nazaire a :
– Prononcé la jonction des instances enrôlées sous les numéros RG 2020001267 et 2020001355,
– Déclaré irrecevables les conclusions et demandes formulées par la société Gestal le 17 avril 2020,
– Rejeté l’ensemble des demandes présentées par les sociétés Gestal et Getzner comme étant mal fondées,
– Condamné les sociétés Gestal et Getzner à payer à la société Gerb la somme de 3.500 euros chacune au titre de l’article 700 du code de procédure civile et débouté la société Gerb du surplus de sa demande,
– Condamné les sociétés Gestal et Getzner aux entiers dépens de l’instance à hauteur de 50% chacune.
La société Getzner a interjeté appel le 5 mai 2020 (procédure n°20/02176) et le 6 mai 2020 (procédure n°20/02191).
La société Gestal a interjeté appel le 11 mai 2020 (procédure n°20/02218).
Dans la procédure n°20/02218, la société Gestal a présenté le 12 mai 2020 une requête aux fins d’être autorisée à assigner à jour fixe.Il a été fait droit à cette requête par ordonnance du 14 mai 2020, l’audience étant fixée du 23 juin 2020 à 14h00.
Dans les dossiers n°20/02191 et n°20/02176, par ordonnances du 19 mai 2020 l’appelant a été invité à conclure et régulariser la procédure pour le 3 juin 2020, l’intimé étant invité à conclure avant le 17 juin 2020 et la clôture devant intervenir le jour de l’audience le 23 juin 2020 à 14h00.
Les trois dossiers visent un appel de la même décision. Il y a lieu d’en ordonner la jonction.
Les dernières conclusions de la société Getzner France sont en date du 23 juin 2020. Les dernières conclusions de la société Gerb sont en date du 22 juin 2020. Les dernières conclusions de la société Gestal sont en date du 22 juin 2020. Les dernières conclusions de la société Ressorts Masselin sont en date du 19 juin 2020.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 23 juin 2020.
PRETENTIONS ET MOYENS :
La société Getzner France demande à la cour de :
– Rejeter toute pièce de la société Gerb n’ayant pas fait l’objet d’une traduction complète en français,
– Rejeter les pièces 4-C, 4-D, 7-A, 7-B et plus généralement toutes pièces liées au constat réalisé chez Gestal par la société Gerb et aux pièces figurant sur la clé-USB attachées à ce constat et non communiquées dans leur exhaustivité,
– Infirmer l’ordonnance du 28 avril 2020 dont appel,
Statuant à nouveau :
– Rétracter l’ordonnance du 26 février 2020 rendue par le président du tribunal de commerce de Saint Nazaire au bénéfice de la société Gerb,
– Déclarer en conséquence nulles et de nul effet les opérations effectuées en exécution de cette ordonnance et ordonner la destruction du constat et de tous les documents copiés par l’huissier sans aucun délai au vu de la décision à intervenir qui sera déclarée exécutoire sur minute,
– Interdire à la société Gerb sous astreinte de 400.000 euros par infraction constatée l’utilisation de la requête, de l’ordonnance et du constat litigieux, et des documents appréhendés par l’huissier notamment dans la clé-USB visés dans son courrier du 20 mai 2020,
– Donner acte à la société Getzner de la réserve de ses droits à poursuivre l’indemnisation de ses préjudices,
– Condamner la société Gerb à verser à la société Getzner la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– La condamner en tous les dépens.
La société Gerb demande à la cour de :
– Débouter les sociétés Getzner France, Gestal et Ressorts Masselin de l’ensemble des demandes présentées comme étant mal fondées et irrecevables, ce faisant :
– Confirmer l’ordonnance dont appel dans toutes ses dispositions,
– Condamner les sociétés Getzner France, Gestal et Ressorts Masselin chacune au paiement de la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamner solidairement les sociétés Getzner France et Gestal au paiement des entiers dépens, ceux-ci comprenant les frais d’huissier, conformément à l’article 699 du code de procédure civile,
La société Gestal demande à la cour de :
– Dire et juger que la société Gestal est recevable et bien fondée en son appel et en l’ensemble de ses moyens, prétentions et conclusions,
Y faire droit,
Infirmer l’ordonnance en ce qu’elle a :
– Déclaré irrecevables les conclusions et demandes formulées par la société Gestal le 17 avril 2020,
– Rejeté l’ensemble des demandes présentées par les sociétés Gestal et Getzner comme étant mal fondées,
– Condamné les sociétés Gestal et Getzner à payer à la société Gerb la somme de 3.500 euros chacune au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamné les sociétés Gestal et Getzner aux entiers dépens de l’instance à hauteur de 50% chacune,
– Liquidé les frais de greffe,
– Confirmer l’ordonnance en ce qu’elle a :
– Prononcé la jonction des instances enrôlées sous les numéros RG 2020001267 et 2020001355,
– Débouté la société Gerb du surplus de sa demande,
Statuant à nouveau :
In limine litis :
– Déclarer que la société [M], [O] [K]-[E]-[L] a violé sa mission de séquestre au préjudice de la société Gestal,
– Déclarer frauduleuse la communication de pièces de la société Gerb en date du 21 avril 2020,
– Déclarer la nullité des opérations de constat effectuées le 3 mars 2020 par la société [M], [O] [K]-[E]-[L] ainsi que la nullité du procès-verbal y afférent,
– Infirmer l’ordonnance du 28 avril 2020 en toutes ses dispositions en ce qu’elle se fonde sur des pièces obtenues frauduleusement par la société Gerb,
En conséquence :
– Rejeter des débats de la procédure d’appel toutes les pièces issues des opérations de constat du 3 mars 2020, et notamment les pièces communiquées en appel par la société Gerb sous les numéros 4-D ; 7-A ; 7-B ; 7-C ; 7-D,
– Ordonner la destruction du procès-verbal de constat et de l’intégralité des documents saisis quelle que soit leur nature et notamment des programmes, fichiers informatiques, documents contractuels, devis, bons de commande, factures, correspondances, par la société [M], [O] [K]-[E]-[L], et ce :
– Dans un délai de 24 heures à compter de la signification de la décision à intervenir,
– Sous la surveillance de tel huissier de justice désigné par la société Gestal aux frais de la société Gerb,
– Le tout sous astreinte de 50.000 euros par jour de retard,
– Ordonner la destruction du procès-verbal de constat et de l’intégralité des documents saisis quelle que soit leur nature et notamment des programmes, fichiers informatiques, documents contractuels, devis, bons de commande, factures, correspondances, détenus par, et pour, la société Gerb, et ce :
– Dans un délai de 24 heures à compter de la signification de la décision à intervenir,
– Sous la surveillance de tel huissier de justice désigné par la société Gestal aux frais de la société Gerb,
– Le tout sous astreinte de 50.000 euros par jour de retard,
– Interdire à la société Gerb de détenir, copier, utiliser, diffuser, produire en justice, communiquer à qui que ce soit le procès-verbal de constat du 3 mars 2020 ainsi que les documents issus dudit procès-verbal de la société [M], [O] [K]-[E]-[L] et l’ordonnance du 28 avril 2020 rendu par le président du tribunal de commerce de Saint-Nazaire, et ce :
– A compter du jour de la signification de la décision à intervenir,
– Sous astreinte de 400.000 euros par infraction constatée,
– Interdire à la société Gerb de révéler l’existence et le contenu du procès-verbal de constat du 3 mars 2020 et des documents issus dudit procès-verbal de la Société [M], [O] [K]-[E]-[L] et de l’ordonnance du 28 avril 2020 rendu par le président du tribunal de commerce de Saint-Nazaire, et ce :
– A compter du jour de la signification de la décision à intervenir,
– Sous astreinte de 400.000 euros par infraction constatée,
Sur la demande de rétractation de l’ordonnance du 26 février 2020 :
– Rétracter l’ordonnance rendue le 26 février 2020 par le président du tribunal de commerce de Saint-Nazaire à la requête de la société Gerb,
– Annuler tout procès-verbal de saisie dressé en application de l’ordonnance du 26 février 2020 rendue par le président du tribunal de commerce de Saint-Nazaire et notamment du procès-verbal de saisie dressé par Mme [L] [L] de la société [M] [O] [K] [E] et [L], [Adresse 1],
– Ordonner la destruction du procès-verbal de constat du 3 mars 2020 et de l’intégralité des documents saisis quelle que soit leur nature et notamment des programmes, fichiers informatiques, documents contractuels, devis, bons de commande, factures, correspondances, par société [M], [O] [K]-[E]-[L], et ce :
– Dans un délai de 24 heures à compter de la signification de la décision à intervenir,
– Sous la surveillance de tel huissier de justice désigné par la société Gestal aux frais de la société Gerb,
– Le tout sous astreinte de 50.000 euros par jour de retard,
– Interdire à la société Gerb de détenir, copier, utiliser, diffuser, produire en justice, communiquer à qui que ce soit le procès-verbal de constat du 3 mars 2020 ainsi que les documents issus dudit procès-verbal de la société [M], [O] [K]-[E]-[L] et l’ordonnance du 28 avril 2020 rendu par le président du tribunal de commerce de Saint-Nazaire, et ce :
– A compter du jour de la signification de la décision à intervenir,
– Sous astreinte de 400.000 euros par infraction constatée,
– Interdire à la société Gerb de révéler l’existence et le contenu du procès-verbal de constat du
3 mars 2020 et des documents issus dudit procès-verbal de la société [M], [O] [K]-[E]-[L] et de l’ordonnance du 28 avril 2020 rendu par le président du tribunal de commerce de Saint-Nazaire, et ce :
– A compter du jour de la signification de la décision à intervenir,
– Sous astreinte de 400.000 euros par infraction constatée,
En conséquence :
– Débouter la société Gerb de l’ensemble de ses moyens, prétentions, demandes et conclusions,
– Condamner la société Gerb au paiement de la somme de 50.000 euros à la société Gestal, à titre de provision sur dommages et intérêts
– Dire et jugerqu’il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Gestal les frais irrépétibles qu’elle a été contrainte d’exposer en justice aux fins de défendre ses intérêts,
– Condamner la société Gerb au paiement de la somme de 30.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamner la société Gerb aux entiers dépens.
La société Ressorts Masselin demande à la cour de :
– Déclarer recevable et bien fondée l’intervention volontaire de la société Ressorts Masselin dans l’instance initiée par la société Getzner par une déclaration d’appel enrôlée sous le n° 20/02176 et dans l’instance initiée par la société Gestal par une déclaration d’appel enrôlée sous le n° RG 20/02218, à l’encontre d’une ordonnance du président du tribunal de commerce de Saint Nazaire du 28 avril 2020 (RG N°20/01267),
– Infirmer l’ordonnance du président du tribunal de commerce de Saint Nazaire du 28 avril 2020,
– Statuant à nouveau,
– Retracter l’ordonnance sur requête rendue le 26 février 2020 par le président du tribunal de commerce de Saint Nazaire,
– Débouter la société Gerb de sa demande tendant à la désignation d’un huissier de justice aux fins de constatations,
– Prononcer la nullité du constat dressé par la société [M], [O] [K]-[E] [L], huissiers de justice à [Localité 8] le 3 mars 2020,
– Rejeter des débats de la procédure d’appel toutes les pièces issues des opérations de constat du 3 mars 2020,
– Ordonner la destruction du procès-verbal de constat et de l’intégralité des documents saisis quelle que soit leur nature et notamment des programmes, fichiers informatiques, documents contractuels, devis, bons de commande, factures, correspondances, par la société [M], [O] [K]-Cardingeairn et ce dans un délai de 24 heures à compter de la signification de la décision à intervenir, sous astreinte de 50.000 euros par jour de retard,
– Ordonner la destruction du procès-verbal de constat et de l’intégralité des documents saisis quelle que soit leur nature et notamment des programmes, fichiers informatiques, documents contractuels, devis, bons de commande, factures, correspondances, détenus par, et pour, la société Gerb, et ce dans un délai de 24 heures à compter de la signification de la décision à intervenir, sous astreinte de 50.000 euros par jour de retard,
– Interdire à la société Gerb de faire état, détenir, copier, utiliser, diffuser, produire en justice, communiquer à qui que ce soit l’ordonnance du 26 février 2020, celle du 28 avril 2020, le procès-verbal de constat du 3 mars 2020 ainsi que les documents issus dudit procès-verbal de la société [M], [O] [K]-[E] [L] à compter de la décision à intervenir,
– Condamner la société Gerb au paiement de la somme de 400.000 euros par infraction constatée en violation de l’interdiction de faire état, détenir, copier, utiliser, diffuser, produire en justice, communiquer à qui que ce soit l’ordonnance du 26 février 2020, celle du 28 avril 2020, le procès-verbal de constat du 3 mars 2020 ainsi que les documents issus dudit procès-verbal de la société [M], [O] [K]-[E] [L] à compter de la décision à intervenir,
– En tout état de cause, modifier l’ordonnance du 26 février 2020 et supprimer l’ensemble des dispositions relative à la société Ressorts Masselin,
– Condamner la société Gerb à payer à la société Ressorts Masselin la somme de 10.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamner la société Gerb aux dépens de première instance et d’appel.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.
DISCUSSION :
Les demandes de donner acte ne sont pas des demandes en justice. Il n’y sera pas répondu.
La recevabilité de l’intervention de la société Ressorts Masselin n’est pas contestée.
La demande de rejet des conclusions présentées en première instance par la société Gestal est devenue sans objet du fait de l’effet dévolutif de l’appel.
Sur les productions de pièces devant la cour d’appel :
Les pièces en langue étrangère non traduites seront écartées des débats, le juge français ne pouvant connaître que de la langue française.
La société Gerb produit devant la cour d’appel certaines pièces issues de la mesure d’instruction autorisée par ordonnance du 26 février 2020. Dans la mesure où cette ordonnance a autorisé l’huissier de justice instrumentaire à communiquer son procès-verbal et toute annexe et pièce-jointe de celui-ci à la société requérante, une fois un délai de quinze jours expiré, la société Gerb est, tant qu’il n’a pas été statué sur le bien fondé de la demande de rétractation, légitimement en possession des pièces provenant de ces opérations et l’huissier de justice n’a pas contrevenu à sa mission. Il y a lieu de rejeter la demande tendant à faire écarter ces pièces des débats et les demandes subséquentes.
La demande de rétractation d’une ordonnance sur requête rendue sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ne tendant qu’au rétablissement du principe de la contradiction, le juge de la rétractation qui connaît d’une telle demande doit apprécier l’existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête initiale, à la lumière des éléments de preuve produits à l’appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui. Il ne peut cependant pas tenir compte des pièces issues de la mesure d’instruction.
Sur le motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige :
C’est en principe aux parties qu’incombe la charge de prouver les faits propres à fonder leurs prétentions :
Article 9 du code de procédure civile :
Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
Une partie peut cependant obtenir l’organisation d’une mesure d’instruction judiciaire avant même l’engagement d’un procès :
Article 145 du code de procédure civile :
S’il existe un motif légitime conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
La demande de mesure d’instruction ne peut être accueillie que s’il est justifié d’un motif légitime.
La société Gerb fait valoir qu’elle est la filiale française d’une société Gerb dont le siège social est en Allemagne. Sur son site de [Localité 8], se trouvent ses services administratifs et des équipes de production de pièces isolantes de type boites à ressorts.
La société Gestal est un sous traitant de la société Gerb auquel elle avait, par le passé, adressé des commandes de fabrication de boites à ressorts selon des plans qu’elle lui avait communiqué à cette fin. Ces commandes sont attestées devant le juge par la production des bons de commande faisant référence à la communication de plans de mise en oeuvre.
La société Gerb invoque des indices qu’elle qualifie de lourds et concordants alertant sur la mise en place concertée d’actions parallèles ciblées visant à la désorganiser et à terme à l’évincer du marché français par des moyens et procédés déloyaux, au niveau de la production des boites à ressort, du fait du départ de M. [J] au sein de la société Gestal qui aurait visiblement débauché ce dernier dans le but de mettre à profit ses grandes connaissances et compétences dans le domaine précis pour mettre en place sa propre ligne de production. La société Gerb invoque également au niveau de la vente, le départ cocomitant de deux responsables principaux de la commercialisation des produits Gerb, dont celui de M. [H] pour la société Getzner.
La société Gerb produit un courriel de M. [Z] en date du 28 janvier 2020, ancien dirigeant de la société Gerb et ancien président du tribunal de commerce de Saint Nazaire. Ce courriel ne fait que relater des propos indirects et des impressions et avis de M. [Z], sans apporter d’élément concret permettant de penser que les agissements dénoncés pourraient être avérés.
M. [J] avait été recruté en 2011 par la société Gerb en qualité d’ingénieur commercial. Il a été nommé administrateur en juin 2014, puis directeur général en mars 2015. Il était notamment responsable de la ligne de production de boites à ressorts. Son contrat de travail ne comportait pas de clause de non concurrence. Il a démissionné de ses fonctions de directeur général par lettre du 8 août 2019. Il a quitté son poste le 15 novembre 2019 et a reçu son solde de tout compte le 19 novembre 2019.
La société Gerb fait valoir que M. [J] aurait été recruté par la société Gestal pour mettre en place une ligne de production de boite à ressort sur la base des plans de la société Gerb. Ces boites à ressort auraient été identiques à celles fabriquées par la société Gerb dans son usine de [Localité 8]. La société Gestal se serait rapprochée de la société Ressorts Masselin pour commander les ressorts qui sont ensuite soudés dans les boites à ressort.
Le fait d’engager un salarié non lié par une clause de non concurrence pour profiter de ses grandes connaissances et compétences dans un domaine précis ne peut pas constituer un acte de concurrence déloyale ou de parasitisme. Cet argument de la société Gerb ne peut pas constituer le fondement d’une demande d’instruction sur le fondement des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile.
La société Gerb indique également que M. [Y], dessinateur projeteur, a donné sa démission le 19 novembre 2019.
M. [U], ingénieur commercial en charge de la commercialisation des produits Gerb auprès des clients du secteur industriel, avec plus de 30 ans d’ancienneté, donnait sa démission le 24 janvier 2020. La société Gerb n’indique pas en quoi M. [J] ou les sociétés Gestal, Getzner ou Ressorts Mosselin auraient pu être concernées par cette démission.
M. [H], en charge de la promotion des produits et solutions de la société Gerb auprès des clients du bâtiment, soit 55% du chiffre d’affaires de la société Gerb, comptant 25 ans d’ancienneté, a donné sa démission le 8 janvier 2020. Il a rejoint une autre société concurrente la société Getzner Autriche, disposant d’une filiale à [Localité 6], distincte de la société Getzner.
La société Gerb fait valoir que M. [H] aurait saboté son travail alors qu’il se trouvait encore en préavis, faisant craindre qu’il n’ait commencé à oeuvrer pour le compte de son nouvel employeur, la société Getzner.
Il était justifié devant le juge de la requête que la société Hervé avait relancé la société Gerb le 31 janvier 2020 au titre d’une demande d’offre du 17 janvier 2020. La société Gerb a contacté de nouveau ce client par courriel du 18 février 2020 pour lui indiquer que le refus d’établissement de devis résultait d’un malentendu et que les prestations de la société Gerb ne se limitaient pas exclusivement à la fourniture de boites à ressort.
Ces éléments pouvaient laisser penser que M. [H] n’avait pas apporté tout le soin utile au traitement d’une demande de l’un des clients de la société Gerb.
Le simple fait qu’une société concurrente, la société Getzner, ait pu engager un responsable commercial de la société Gerb, non lié par une clause de non concurrence, ne permettait pas de laisser penser que des actes de concurrences déloyale ou de parasitisme aient pu être commis. Seul le fait d’avoir engagé M. [H] était invoqué à l’encontre de la société Getzner. A les supposés établis grace aux mesures d’instruction, les faits allégués contre la société Getzner n’auraient, en tout état de cause, par permis d’établir les actes de concurrence déloyale et parasitisme dont se prévalait la société Gerb.
La société Gerb faisait également valoir que M. [J] avait eu accès à des informations commerciales de premier plan, confidentielles, et sensibles sur la fabrication des boites à ressort.
La société Gerb n’invoquait cependant aucun fait dont il aurait pu résulter que M. [J] aurait transmis, ou même eu le projet de transmettre, ces informations à la société Gestal. D’ailleurs, dans sa requête, la société Gerb ne se prévalait d’aucun fait précis sur ce point. Le simple fait qu’un ancien salarié et dirigeant, ayant connu des secrets industriels, parte à la concurrence ne saurait justifier qu’il soit décidé de recourir à des mesures d’instruction non contradictoires dans les conditions de l’article 145 du code de procédure civile.
Le fait que le profil Linkedin de M. [J] n’ait pas été mis à jour après son récent départ de la société Gerb ne permettait pas de laisser penser qu’il aurait voulu entretenir le trouble sur sa situation personnelle.
Le fait que la société Gerb ait proposé à ses salariés un avenant prévoyant un bonus de fidélisation ne permettait pas de laisser supposer que ses salariés avaient été approchés par des concurrents aux fins de les débaucher.
Il apparaît ainsi que la société Gerb ne justifie pas, à la date à laquelle le juge à statué sur la requête, d’un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige. Sa requête n’était pas légitime.
A supposer que cette requête ait légitimé qu’il soit recherché si M. [J] avait communiqué à la société Gestal des plans lui appartenant et si la société Getzner avait recruté M. [H] dans le but de la déstabiliser, il convient de rechercher si les mesures ordonnées justifiaient qu’il ne soit pas recouru à une procédure contradictoire et si ces mesures n’étaient pas disproportionnées.
La requête visait pour l’essentiel, des données informatiques, numériques ou électroniques par essence furtives et susceptibles d’être aisément détruites ou altérées, ce qui justifiait, dans cette limite, que la mesure ne soit pas prise contradictoirement eu égard au risque de destruction des documents si les intéressés étaient avertis de la mesure ordonnée.
L’ordonnance du 26 février 2020 a donné mission à l’huissier de se rendre au siège social de la société Gestal sis à [Localité 7] ainsi qu’en tout autre lieu dans le ressort du tribunal de commerce de Saint Nazaire où l’accomplissement de sa mission révèlerait la présence de documents au format papier ou informatique objets de la mission qui lui est attribuée. Par la généralité des lieux dans lesquels elle autorisait l’accomplissement de la mission, et les risques d’atteinte aux libertés qui en résultaient, l’ordonnance était disproportionnée au but poursuivi.
L’ordonnance a permis à l’huissier de dresser inventaire, constater la présence et prendre copie de tous documents, programmes et fichiers informatiques se rapportant au recrutement de M. [J] par la société Gestal, et notamment de son contrat de travail.
Le contrat de travail de M. [J] pouvait difficilement disparaître ou être effacé. Le recours à une procédure non contradictoire était disproportionné au but poursuivi concernant la recherche de cette pièce.
L’ordonnance a donné mission à l’huissier de dresser inventaire, constater la présence et prendre copie de tous documents, programmes et fichiers informatiques se rapportant à la fabrication et la commercialisation par la société Gestal de boites à ressort, et notamment les composants et machines nécessaires à leur production, les plans et moules nécessaires, les coûts et délais de fabrication, la phase d’essais et de validation, les prix de vente pratiqués pour ces produits, les clients, le taux de marge réalisée.
Par sa généralité, y compris quant à sa portée et à la période visée, l’ordonnance autorisait un véritable pillage de toutes les données industrielles de la société Gestal, et des autres sociétés qui avaient pu lui confier la conception ou la fabrication de boites à ressorts. Elle était disproportionnée au but poursuivi.
L’ordonnance a donné mission à l’huissier de dresser inventaire, constater la présence et prendre copie de tous documents contractuels, devis, bons de commande, factures, correspondances, sur support papier et/ou informatique, se rapportant aux relations commerciales entre les sociétés Gestal et Getzner France, et à la commercialisation par la société Gestal de boites à ressort à la société Getzner France, de tous documents contractuels, devis, bons de commande, factures, correspondances, sur support papier et/ou informatique, se rapportant aux commandes de ressorts par la société Gestal à la société Ressorts Masselin, de tous documents contractuels, devis, bons de commande, factures, et de toute correspondance échangée par la société Gestal avec le centre scientifique et technique du bâtiment au sujet d’essais sur des échantillons de boites à ressort fabriquées par la société Gestal.
Par sa généralité, y compris quant à sa portée et à la période visée, l’ordonnance permettait là encore le pillage des données commerciales existantes entre les sociétés Gestal, Getzner et Ressorts Masselin. Elle était disproportionnée au but poursuivi.
L’ordonnance a dit que l’huissier instrumentaire devrait séquestrer en son étude l’ensemble des éléments recueillis lors de ses opérations pendant un délai de quinze jours à compter de l’accomplissement de sa mission et a autorisé l’huissier instrumentaire à communiquer son procès-verbal et tout annexe et pièce-jointe de celui-ci à la société requérante, une fois le délai de quinze jours susvisé expiré.
En tout état de cause, en ne prévoyant pas de modalités ni de délais suffisants, propres à assurer la conservation du secret des affaires à travers un débat contradictoire préalable à la transmission des données receuillies au cours de la mesure d’instruction, l’ordonnance a porté une atteinte disproportionnée à ces principes et garanties.
Il apparaît ainsi que pour de multiples motifs, qui se cumulent, il y a lieu de retracter l’ordonnance du 26 février 2020.
Sur l’annulation des mesures ordonnées et les interdiction de s’en prévaloir :
La rétractation de l’ordonnance du 26 février 2020 étant prononcée, il y a lieu de constater la perte de fondement juridique des mesures ainsi que leur nullité. Le procés-verbal de l’huissier désigné en date du 3 mars 2020 sera annulé. Il n’est pas nécessaire de préciser que nul ne pourra se prévaloir d’un acte annulé.
Il y a lieu en conséquence, aux frais de la société Gerb, d’ordonner à l’huissier qui a procédé à la mesure d’instruction, sous le contrôle d’un huissier choisi par la société Gestal, de remettre à la société Gestal l’ensemble des documents afférents à la mesure d’instruction encore en sa possession et de lui remettre une liste exhaustive et détaillée des documents et pièces qui ont pu être appréhendés ou copiés à cette occasion. Il y a également lieu d’ordonner à la société Gerb, à ses frais et sous contrôle d’un huissier choisi par la société Gestal, et dans les 8 jours de la signification de la présente décision, de détruire les pièces et documents saisis qui lui ont été remis à la suite de la mesure d’instruction, y compris le procès-verbal de l’huissier et ses éventuelles copies.
Pour le cas où la société Gerb manquerait à l’interdiction de se prévaloir, y compris par extraits, de ce procès-verbal et des pièces et documents qui lui ont été remis à la suite de cette mesure, il y a lieu d’assortir l’interdiction qui pèse sur elle de les détenir, transmettre sous quelque forme que ce soit ou d’en faire état, y compris en justice, d’une astreinte de 50.000 euros par infraction constatée. Il n’y a pas lieu pour la cour de se réserver la liquidation de cette astreinte.
L’ordonnance du 28 avril 2020, et certaines des écritures des parties devant la cour d’appel, comportent de nombreuses références au procès verbal et aux pièces issues de la mesure d’instruction. L’interdiction de se prévaloir des résultats de la mesures d’instruction litigieux couvre l’interdiction de se prévaloir d’une version de l’ordonnance du 28 avril 2020, ou même des écritures échangées devant la cour d’appel au cours de la présente instance, non cancellée et reprenant des extraits du procès verbal ou des pièces issues de cette mesure.
Il y a donc lieu de dire n’y avoir lieu à prononcer d’autres interdiction sous astreinte.
Sur la demande de provision sur dommages-intérêts présentée par la société Gestal :
L’instance en rétractation ayant pour seul objet de soumettre à l’examen d’un débat contradictoire les mesures initialement ordonnées à l’initiative d’une partie en l’absence de son adversaire, la saisine du juge de la rétractation se trouve limitée à cet objet. La demande de provision pour dommages-intérêts présentée par la société Gestal est donc irrecevable.
Sur les frais et dépens :
Il y a lieu de condamner la société Gerb aux dépens de première instance et d’appel ainsi qu’à payer, au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, les sommes de 15.000 euros à la société Getzner France, 30.000 euros à la société Gestal et 10.000 euros à la société Ressorts Masselin.