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Chambre civile
Section 1
ARRET N°
du 21 JUIN 2023
N° RG 22/00143
N° Portalis DBVE-V-B7G-CDLV FD – C
Décision déférée à la Cour :
Jugement Au fond, origine TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d’AJACCIO, décision attaquée en date du 20 Janvier 2022, enregistrée sous le n° 21/01021
S.A.R.L. J.DECO
C/
S.C. SCI DES LACS
Copies exécutoires délivrées aux avocats le
COUR D’APPEL DE BASTIA
CHAMBRE CIVILE
ARRET DU
VINGT ET UN JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS
APPELANTE :
S.A.R.L. J.DECO
prise en la personne de son gérant en exercice Madame [V] [Y], domiciliée ès qualités audit siège social.
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Alexandra MOUSSET-CAMPANA, avocate au barreau de BASTIA, Me Jean-Paul ARMAND, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE :
S.C. SCI DES LACS RCS AJACCIO
prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié ès qualités audit siège
[Adresse 5]
[Adresse 5]
Représentée par Me Fanny GANAYE VALLETTE, avocate au barreau d’AJACCIO
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 11 avril 2023, devant François DELEGOVE, Vice-président placé, chargé du rapport, les avocats ne s’y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Thierry JOUVE, Président de chambre
Marie-Ange BETTELANI, Conseillère
François DELEGOVE, Vice-président placé
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Vykhanda CHENG.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 21 juin 2023
ARRET :
Contradictoire,
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par François DELEGOVE, Vice-président placé, pour le Président de chambre empêché et par Vykhanda CHENG, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
[M] [B] et [J] [G], associés au sein de la SCI DES LACS, ont passé commande le 24 février 2018 d’un ensemble de menuiseries en aluminium auprès de la SARL J DECO pour un montant de 12.291, 59 € pose comprise afin de fermer la terrasse d’un appartement à [Localité 1].
En raison d’un litige de copropriété, les travaux de pose ont été interrompus et les matériaux démontés le 26 novembre 2018 puis stockés dans un local appartenant à la SARL J DECO.
La SCI DES LACS, après que ses difficultés aient été résolues, a mandaté la société SOTRALU afin de récupérer les menuiseries et baies vitrées le 26 juin 2020 dans le but de procéder ultérieurement à leur pose. A l’issue de son déplacement sur le lieu de stockage, cette dernière a considéré que les matériaux étaient désormais hors d’usage.
Au terme d’un procès-verbal dressé le jour même à la requête de la SCI DES LACS, un constat d’huissier était réalisé par la SCP [P] [K] au [Adresse 4], adresse du dépôt de la SARL J DECO au cours duquel des photographies des matériaux litigieux étaient réalisées.
La SCI DES LACS a par suite assigné la SARL J DECO devant le tribunal judiciaire d’Ajaccio le 20 novembre 2021 pour obtenir, sur le fondement de l’article 1915 du code civil, le paiement de la somme de 10.541 € correspondant à la valeur des matériaux qu’elle avait achetés et qui était devenus inexploitables.
Par décision du 20 janvier 2022, la juridiction a fait droit à cette demande.
Par déclaration du 7 mars 2022, la SARL J DECO a interjeté appel de cette décision.
Par dernières écritures signifiées le 20 décembre 2022, la SARL J DECO sollicite de la cour de :
IN LIMINE LITIS, ACCUEILLIR la fin de non-recevoir soulevée par la SARL J.DECO pour le défaut d’intérêt à agir de la SCI DES LACS ;
CONSTATER que le constat d’huissier réalisé le 26 juin 2020 par Maître [P] [K], huissier de justice, viole les dispositions de l’ordonnance n°45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers, qu’il fait suite à une violation de domicile et qu’il a été réalisé de manière déloyale ;
En conséquence,
INFIRMER intégralement le jugement rendu par le Tribunal judiciaire d’Ajaccio du 20 janvier 2022 (RG n°21/01021) ;
DÉCLARER IRRECEVABLE l’ensemble des demandes de la SCI DES LACS ; PRONONCER la nullité du constat d’huissier réalisé le 26 juin 2020 par Maître [P] [K], huissier de justice ;
SUR LE FOND,
INFIRMER intégralement le jugement rendu par le Tribunal judiciaire d’Ajaccio du 20 janvier 2022 (RG n°21/01021) ;
Y faisant droit et statuant à nouveau,
DÉBOUTER la SCI DES LACS de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
ORDONNER à la SCI DES LACS, prise en la personne de ses gérants en exercice, de venir récupérer les menuiseries (barres d’aluminium et baies vitrées) dans les entrepôts de la SARL J.DECO à l’adresse sise [Adresse 3] et ce sous une astreinte d’un montant de cinq cent euros (500,00€) par jour de retard passé le délai de 24h00 à compter du présent arrêt exécutoire sur minute ;
En tout état de cause,
CONDAMNER la SCI DES LACS à verser à la SARL J.DECO la somme de sept mille euros (7.000,00€) au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNER la SCI DES LACS aux entiers dépens de l’instance.
Par dernières écritures signifiées le 16 février 2023, la SCI DES LACS sollicite de la cour de :
CONFIRMER le jugement en ce qu’il a :
– CONDAMNE la SARL J.DECO à payer avec intérêts au taux légal à compter du 02 novembre 2021 à la SCI DES LACS la somme de 10.541 euros de dommages et intérêts ;
– CONDAMNE la SARL J.DECO à payer 2.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du CPC ;
Y ajoutant, et en toutes hypothèses,
REJETER la fin de non-recevoir soulevée par la SARL J.DECO concernant le prétendu défaut d’intérêt à agir de la SCI DES LACS ;
REJETER la demande de nullité du constat d’Huissier dressé par Maître [K] en date du 26 juin 2020 ;
DEBOUTER la SARL J.DECO de toutes ses demandes plus amples ou contraires,
CONDAMNER la SARL J.DECO à verser à la SCI DES LACS la somme de 5.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile outre les dépens d’appel.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 1er mars 2023 et l’affaire a été renvoyée à l’audience du 11 avril suivant.
SUR CE,
Sur le défaut d’intérêt à agir soulevé in limine litis
L’article 122 du code de procédure civile dispose que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
– Sur la recevabilité
La SCI DES LACS soutient que de la fin de non-recevoir soulevée par l’appelante est irrecevable en ce qu’elle aurait dû être soumise au conseiller de la mise en état.
La cour rappelle cependant que les fins de non-recevoir ne sont pas de la compétence exclusive du conseiller de la mise en état et déclare cette demande recevable.
– Sur le fond
La SARL J DECO allègue que le contrat qu’elle qualifie d’achat/livraison/pose/ dépose et stockage à titre gratuit des menuiseries a été conclu avec [G] [J] et [M]
[B] et non pas avec la SCI DES LACS qui devra donc être déclarée irrecevable en ses demandes pour défaut d’intérêt à agir.
La cour relève de manière liminaire que c’est davantage la qualité à agir de l’intimée que son intérêt qui apparaît en l’espèce questionnée dans la mesure où il ressort du dossier qu’elle est la propriétaire de l’immeuble où étaient envisagés les travaux. En tout état de cause, cette demande ne pourra qu’être rejetée au regard de la pièce numéro 3 produite par l’appelante, en l’espèce une facture établie par la SARL J DECO à la SCI DES LACS en date du 26 novembre 2018 pour la vente et l’installation des menuiseries.
Sur la validité du constat d’huissier en date du 26 juin 2020
Selon l’article 1er de l’ordonnance n°45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers de justice, des derniers peuvent effectuer des constatations matérielles, sur commission d’un juge ou à la requête de particuliers. Dans cette dernière hypothèse, le constat d’huissier peut être réalisé dans un lieu privé occupé par un tiers à condition d’obtenir l’autorisation de l’occupant.
En l’espèce, il est constant que la SCI DES LACS a mandaté un huissier de justice pour se transporter sur le lieu de stockage des matériaux litigieux et procéder à toutes constatations utiles. Au terme d’un procès-verbal en date du 26 juin 2020, l’officier ministériel a indiqué qu’il s’était rendu au dépôt de la SARL J DECO à 15 heures en mentionnant que la société SOTRALU devait y récupérer les matériaux à la même heure et que ces derniers lui ont affirmé qu’il leur était impossible de reprendre les baies vitrées qui étaient pourries et qu’ils ne pourraient pas poser. L’huissier de justice a alors relaté qu’il s’était approché avec Madame [B] du dépôt où se trouvait un employé dénommé [X] [F] auprès de qui il avait décliné sa qualité ainsi qu’exposé le motif de sa présence et l’objet de sa mission, et qu’il avait réalisé des constatations sur les baies vitrées qui étaient sales puis sur les menuiseries en aluminium qui étaient tordues et rouillées. Il avait joint à son procès-verbal une série de photographies de ces matériaux.
La SARL J DECO sollicite l’annulation de ce procès-verbal de constat au motif qu’il a été réalisé dans un lieu privé et sans l’autorisation de son occupant légitime.
La SCI DES LACS réplique que le constat a été valablement diligenté en affirmant que l’huissier de justice n’avait pas pénétré à l’intérieur du hangar, s’étant contenté de s’en approcher, et que le lieu d’où il a procédé à ses constatations n’était pas privé mais ouvert au public. Elle relève à ce titre que la présence d’un portail non verrouillée n’était pas suffisante pour établir le caractère privé des lieux d’autant que des hangars commerciaux adjacents relevant d’autres enseignes étaient implantés aux abords des lieux sur la même parcelle.
La cour constate cependant que certaines des photographies jointes au procès-verbal de constat ont été prises à l’entrée du hangar et même dans son enceinte comme le démontre en particulier un cliché (non-numéroté) permettant de voir l’intérieur de la toiture en contre-plongée. Il est en outre constant que les lieux visités par l’huissier constituent un
lieu de stockage utilisé par la SARL J DECO et non pas un commerce ouvert au public. Le fait que l’entrepôt soit implanté à proximité de plusieurs commerces ne confère pas pour autant à ses abords immédiats les caractère d’un lieu accessible à tous comme le confirme la présence d’une barrière le séparant de la voir publique.
Le caractère privé de ce lieu est enfin confirmé par la formulation retenue par l’huissier de justice lorsqu’il a indiqué qu’il constatait que l’employé présent était très mécontent et les mettaient littéralement dehors, sans toutefois émettre de réserve sur la légitimité de cette réaction. Cette terminologie employée par l’officier ministériel établi non seulement qu’il menait ses opérations dans un lieu privé mais également qu’il en avait conscience.
Il est par ailleurs incontestable que les constatations de Maître [K]
[K] se sont déroulées sans autorisation de l’occupant légitime des lieux dans la mesure où aucun dirigeant de la SARL J DECO n’y était présent. Les échanges de SMS entre [R] [Y], désigné comme l’un de ses représentants, et les intimés au cours desquels l’intéressé leur indiquaient qu’il ne serait pas présent à 15 heures quand la société Zotralu (sic) viendrait récupérer les baies vitrées, et qu’il les renvoyait vers un prénommé [X] ne démontre en rien qu’il était informé de la venue d’un huissier de justice dans ses locaux. Il ressort d’ailleurs du procès-verbal qu’aucun assentiment n’a été sollicité auprès de [X] [F] et que ce dernier s’est même opposé à la présence de l’officier ministériel et des appelants en leur faisant injonction de quitter les lieux.
Il s’infère de ces éléments que l’huissier de justice est intervenu à la demande d’un particulier dans un lieu privé, en l’occurrence un local de stockage utilisé par la SARL J DECO, sans avoir obtenu, ni même sollicité l’assentiment de ses représentants et en dehors de toute autorisation judiciaire. La cour ne peut d’ailleurs que relever la concomitance de la présence de la société SOTRALU, dont les appelants avaient été informé par SMS, avec celle de l’huissier de justice dont ils ne l’étaient manifestement pas, et de constater le caractère déloyal de ce procédé. Il s’en infère que le procès-verbal établi dans ces circonstances est irrégulier et doit être annulé.
Sur la demande principale de la SCI DES LACS
L’article 1915 du code civil défini le dépôt comme un acte par lequel on reçoit la chose d’autrui, à la charge de la garder et de la restituer en nature.
L’article 9 du code de procédure civile dispose qu’il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
La SCI DES LACS soutient qu’elle était liée à la SARL J DECO par un contrat de dépôt portant sur un ensemble de menuiseries et que cette dernière a manqué à son obligation de garde et de conservation de la chose du fait de diverses dégradations subies par ces matériaux les rendant impropres à leur destination. Elle invoque à ce titre la faute de la SARL J DECO et sollicite qu’elle l’indemnise de la valeur des matériaux désormais défectueux.
La cour constate que la SCI DES LACS ne rapporte aucun élément de preuve établissant la réalité des dégradations qu’elle allègue à l’exception du constat d’huissier qui a été annulé et écarter des débats. Elle sera par conséquent débouté de l’ensemble de ses demandes.
Sur la demande reconventionnelle de la SARL J DECO
Il est constant et non contesté que les matériaux stockés par la SARL J DECO sont la propriété de la SCI DES LACS qui en a intégralement acquitté le prix conformément aux factures versées au dossier. Il est également convenu que le contrat de dépôt conclu entre les parties impliquait que la SARL J DECO entrepose dans ses locaux le matériel démonté dans l’attente d’un accord des copropriétaires en assemblée générale permettant à la SCI DES LACS de poursuivre ses travaux.
L’évolution de la situation en ce que cette autorisation a finalement été actée mais également en ce que les matériaux stockés n’ont plus vocation à être utilisés et à être posés par la SARL J DECO libère cette dernière de ses obligations et l’autorise à les restituer en dehors de toute initiative du déposant. Ce dernier ayant manifesté son refus de reprendre ses matériaux et aucune disposition contractuelle ou légale n’imposant au dépositaire de les conserver désormais, la cour ordonne à la SCI DES LACS de venir les récupérer sous astreinte selon les modalités prévues au dispositif du présent arrêt.
Sur les autres demandes
La SCI DES LACS ayant succombé en ses demandes, elle sera condamnée au paiement des dépens.
L’équité justifie la condamnation de la SCI DES LACS à verser à la SARL J DECO la somme de 5.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.