Nullité de Brevet : l’affaire Arcelormittal
Nullité de Brevet : l’affaire Arcelormittal
Ce point juridique est utile ?

La juxtaposition de moyens techniques connus ne permet pas la protection par le droit des brevets, celle-ci n’implique pas d’activité inventive si comme ici, combinés, ces moyens ne produisent aucun effet propre, ou synergique, la juxtaposition de moyens connus étant distinguée de l’ « invention de combinaison » (Cass. Com., 23 juin 2015, pourvoi n° 13-25.082 ; Com. 8 décembre 1975, pourvoi n° 74-13.296).

Brevet sur un matériau isolant

Dans cette affaire Arcelormittal, poursuivie pour contrefaçon a partiellement obtenu gain de cause.

Il est ainsi évident pour la personne du métier que l’effet technique d’isolation thermique de la tôle isolante du document D26 peut également être atteint par d’autres composants isolants fixés à la tôle, constitués par exemple d’abord d’une couche de mousse de polyéthylène, comme selon l’art antérieur décrit par D26 lui-même, éventuellement soudée à chaud à un film de polyester, dont le document D2 divulgue qu’il est couramment utilisé dans les composants isolants, notamment combiné à une mousse de polyéthylène ; la densité de cette mousse peut-être , selon le document D26, de 40 kg / m3 ou plus. Enfin, il est évident de se passer de résine d’amortissement autocollante pour se passer de son effet technique, notamment pour permettre la fixation de la tôle au composant par un adhésif.

La tôle isolante selon la revendication 6 découle donc de manière évidente de l’état de la technique (parmi de nombreuses autres alternatives possibles, tout aussi évidentes).

La priorité d’un dépôt

La priorité vise notamment à éviter qu’un premier dépôt ne détruise la nouveauté d’un second dépôt dont l’enseignement est déjà inclus dans le premier. Si l’invention du deuxième dépôt se trouve tout entière dans le premier, c’est nécessairement qu’elle lui est commune.

Ainsi, si la priorité n’est que partielle car, notamment, le dépôt antérieur divulgue seulement une caractéristique spécifique tandis que le dépôt postérieur revendique une caractéristique plus générale incluant la première (de sorte que le second dépôt ne bénéficie de la priorité que pour la caractéristique spécifique et pas pour le reste de l’ensemble général qu’il revendique), il n’en reste pas moins qu’en vertu de cette priorité partielle, le premier dépôt ne détruit pas la nouveauté du second, puisque, précisément, celui-ci bénéficie de la priorité pour ce qui est contenu dans le premier, et que les caractéristiques alternatives pour lesquelles il ne bénéficie pas de la priorité sont, par hypothèse, non divulguées dans le premier dépôt (et sont donc nouvelles).

Ce raisonnement est le seul à même de conserver au mécanisme de la priorité sa cohérence conformément à son objectif (ce qui est commun ne peut pas être antériorisé).

C’est en ce sens que statue l’office européen des brevets (OEB), qui recherche également la cohérence des différents aspects du droit des brevets, notamment de la priorité avec l’exigence de nouveauté, et retient que le premier dépôt ne constitue une antériorité opposable qu’à l’égard des éléments de la nouvelle demande qui ne peuvent pas bénéficier de la priorité, et qu’en cas d’identité partielle entre la nouvelle revendication et le document de priorité, « la revendication est de fait divisée en deux parties distinctes sur le plan conceptuel, la première étant l’invention divulguée directement et sans ambiguïté dans le document de priorité et la seconde correspondant au reste de la revendication générique ultérieure du type “OU” » (OEB, grande chambre de recours, 29 novembre 2016, G 1/15, points 6.2, 4.3.4, 6.4).

Nullité du brevet européen

En application de l’article L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle, la nullité du brevet européen est prononcée en ce qui concerne la France par décision de justice pour l’un quelconque des motifs visés à l’article 138, paragraphe 1, de la Convention de Munich (la Convention sur le brevet européen, ci-après la Convention de Munich ou la Convention), lequel est ainsi rédigé :

« (1) Sous réserve de l’article 139, le brevet européen ne peut être déclaré nul, avec effet pour un État contractant, que si :

a) l’objet du brevet européen n’est pas brevetable en vertu des articles 52 à 57 ;

b) le brevet européen n’expose pas l’invention de façon suffisamment claire et complète pour qu’un homme du métier puisse l’exécuter ;

(…).

Nullité du brevet français

S’agissant d’un brevet français, l’article L. 613-25 du code de la propriété intellectuelle prévoit que le brevet est déclaré nul par décision de justice, notamment :

a) Si son objet n’est pas brevetable aux termes des articles L. 611-10, L. 611-11 et L. 611-13 à L. 611-19 ;

b) S’il n’expose pas l’invention de façon suffisamment claire et complète pour qu’un homme du métier puisse l’exécuter.

Dans l’un et l’autre cas, si les motifs de nullité n’affectent le brevet qu’en partie, la nullité est prononcée sous la forme d’une limitation correspondante des revendications.

La nouveauté et l’activité inventive

Concernant la nouveauté et l’activité inventive, l’article 52 de la Convention de Munich dispose que pour être brevetable, une invention doit être nouvelle et impliquer une activité inventive.

L’article L. 611-10 du code de la propriété intellectuelle pose la même exigence s’agissant des brevets français.

Est nouvelle, en application de l’article 54 de la Convention, l’invention qui n’est pas comprise dans l’état de la technique, c’est-à-dire tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet européen par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen. La même définition de la nouveauté est donnée par l’article L. 611-11 du code de la propriété intellectuelle pour les brevets français.

Il résulte de ces textes, tels que les interprètent les juridictions françaises, que pour être comprise dans l’état de la technique et être privée de nouveauté, l’invention doit s’y retrouver tout entière, dans une seule antériorité au caractère certain avec les éléments qui la constituent dans la même forme, le même agencement, le même fonctionnement et le même résultat technique (Cass. Com., 17 mai 2023, pourvoi n° 19-25.509).

Est inventive, en application de l’article 56 de la Convention, l’invention qui, pour une personne du métier, ne découle pas d’une manière évidente de l’état de la technique. La même définition de l’activité inventive est donnée par l’article L. 611-14 du code de la propriété intellectuelle.

L’article L. 612-3 du code de la propriété intellectuelle prévoit que lorsque deux demandes de brevet sont successivement déposées par le même inventeur ou son ayant cause dans un délai de douze mois au plus, le demandeur peut requérir que la seconde demande bénéficie de la date de dépôt de la première pour les éléments communs aux deux demandes. Ce mécanisme est aussi appelé « priorité interne ».

Les éléments communs sont ceux qui sont à la fois revendiqués dans la demande postérieure et divulgués par la demande antérieure, c’est-à-dire qu’ils s’en déduisent directement et sans ambigüité pour la personne du métier (Cass. Com., 22 novembre 2016, pourvoi n° 15-16.647, appliquant les dispositions analogues de la Convention de Munich qui poursuivent la même finalité et doivent à ce titre recevoir une interprétation convergente : Cass. Com., 30 aout 2023, pourvoi n° 20-15.480).

Les éléments de l’art antérieur ne sont destructeurs d’activité inventive que si, pris isolément ou associés entre eux selon une combinaison raisonnablement accessible à la personne du métier, ils permettaient à l’évidence à ce dernier d’apporter au problème résolu par l’invention la même solution que celle-ci.

Pour apprécier l’activité inventive, l’office européen des brevets procède habituellement selon l’approche dite problème-solution qui consiste à identifier l’état de la technique le plus proche, définir à partir de celui-ci, par comparaison avec l’invention revendiquée, le problème technique objectif à résoudre, puis déterminer si la solution proposée par l’invention à ce problème aurait été évidente pour la personne du métier. En particulier, l’office définit le problème technique objectif comme « l’objectif et la tâche consistant à modifier ou à adapter l’état de la technique le plus proche en vue d’obtenir les effets techniques qui constituent l’apport de l’invention par rapport à l’état de la technique le plus proche » (directives d’examen OEB, G, VII, 5.2).

L’approche problème-solution ne s’impose pas aux tribunaux ; elle est cependant un guide souvent pertinent pour apprécier de façon précise et objective si la personne du métier serait arrivée à l’invention sans effort inventif.

La personne du métier est celle du domaine technique où se pose le problème que l’invention, objet du brevet, se propose de résoudre (Cass. Com., 20 novembre 2012, n°11-18.440). Il s’agit, ici, du domaine des matériaux isolants de revêtement de bâtiment (page 1, lignes 4-5 du brevet).

Une solution alternative à un problème technique déjà résolu peut certes impliquer une activité inventive et ainsi faire avancer la technique. Toutefois, cette activité inventive ne peut pas être déduite, comme le fait le raisonnement suivi par la société TDI, de ce que rien n’inciterait la personne du métier à choisir spécialement la solution retenue par le brevet litigieux parmi les autres solutions équivalentes possibles, voire par rapport à l’art antérieur dont rien n’inciterait à s’éloigner : cela reviendrait en effet à qualifier d’inventives des solutions évidentes mais dont, en raison de leur effet équivalent, aucune n’est spécialement suggérée par rapport aux autres, ce qui viderait de son sens le critère de l’activité inventive.

En réalité, l’incitation à adopter telle solution alternative d’effet équivalent à l’art antérieur ne peut pas se fonder sur la recherche d’un avantage spécifique à cette solution (puisque par hypothèse on cherche une alternative équivalente et non un avantage spécifique), mais résulte simplement de la connaissance de sa possibilité : il suffit que l’art antérieur révèle la possibilité de cette alternative et le fait qu’elle produira l’effet technique (sous réserve de vérifications de routine) pour qu’elle soit dépourvue d’activité inventive.


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