Nullité de Brevet : décision du 23 mars 2011 Cour d’appel de Paris RG n° 09/12645
Nullité de Brevet : décision du 23 mars 2011 Cour d’appel de Paris RG n° 09/12645
Ce point juridique est utile ?

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 1

ARRÊT DU 23 MARS 2011

(n° 70 , 06 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 09/12645

Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Mai 2009 – Tribunal de Grande Instance de PARIS – RG n° 07/17231

APPELANTE

La société BOEGLI-GRAVURES, SA

société de droit suisse

agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux

ayant son siège [Adresse 2]

[Localité 4] (Suisse)

dont le domicile est élu en la SCP SCP MONIN D AURIAC DE BRONS, avoués à la Cour

assistée de Me Jacques ARMENGAUD, avocat au barreau de Paris, toque : W07

plaidant pour la SEP ARMENGAUD ET GUERLAIN

INTIMÉE

La société DARSAIL LTD

société de droit russe

prise en la personne de ses représentants légaux

ayant son siège [Adresse 3]

[Localité 1] (Russie)

dont le domicile est élu en la SCP FANET SERRA, avoués à la Cour

assistée de Me Serge BINN, avocat au barreau de Paris, toque : P515

plaidant pour la SELARL LAVOIX AVOCATS

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 8 février 2011, en audience publique, devant la cour composée de :

Monsieur Didier PIMOULLE, président

Madame Brigitte CHOKRON, conseillère

Madame Anne-Marie GABER, conseillère

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Madame Christiane BOUDET

ARRÊT : – contradictoire

– rendu par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Monsieur Didier PIMOULLE, président et par Mademoiselle Aurélie GESLIN, greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

***

LA COUR,

Vu l’appel relevé par la société anonyme de droit suisse Boegli-Gravures du jugement du tribunal de grande instance de Paris (3ème chambre, 3ème section, n° de RG : 07/17231), rendu le 20 mai 2009 ;

Vu les dernières conclusions de l’appelante (25 janvier 2011) ;

Vu les dernières conclusions (30 décembre 2010) de la société de droit Russe Darsail, intimée ;

Vu l’ordonnance de clôture prononcée le 1er février 2011  ;

* *

SUR QUOI,

Considérant que la société Boegli-Gravures (ci-après : Boegli), titulaire du brevet européen n° 1 324 877 déposé le 3 octobre 2001 et délivré le 21 juin 2006 concernant un « dispositif pour gaufrer et satiner un matériau plat », ayant constaté, lors de l’exposition Tabexpo au Parc des Expositions de [Localité 5] du 26 au 29 novembre 2007, l’exposition et la mise en vente, par la société Darsail, de matériels qu’elle estimait contrefaisants, a fait procéder à une saisie contrefaçon puis a assigné cette société sur le fondement de la contrefaçon des revendications 1, 2, 5 et 8 du brevet  ;

Que le tribunal, par le jugement dont appel, ayant retenu, pour l’essentiel, que les revendications 1, 2, 5 et 8 du brevet invoqué étaient nulles pour défaut d’activité inventive, a débouté la société Boegli de toutes ses demandes ;

Considérant que la société Boegli conclut à l’infirmation du jugement, défend la validité de son brevet et reprend ses demandes telles que soutenues en première instance fondées sur la contrefaçon ; que la société Darsail demande à la cour de confirmer le jugement et, y ajoutant, d’annuler les revendications 1 à 7 pour extension de leur objet au delà de la demande telle que déposée et les revendications 1 à 8 pour défaut d’activité inventive et de dire, en toute hypothèse, que la contrefaçon alléguée n’est pas établie ;

Sur la recevabilité de la contestation de la validité des revendications 3, 4, 6 et 7 :

Considérant que le tribunal a rejeté, comme irrecevables, les demandes de la société Darsail tendant à voir annuler les revendications 3, 4, 6 et 7 du brevet en cause qui ne lui étaient pas opposées  ; que l’intimée maintient cependant ces demandes qu’elle présente comme des demandes reconventionnelles puisqu’elles tendent à lui faire obtenir un avantage autre que le simple rejet des prétentions de son adversaire ;

Mais considérant que, aux termes de l’article 70 du code de procédure civile, les demandes reconventionelles ne sont recevables que si elles se rattachent par un lien suffisant aux prétentions originaires ;

Considérant, en l’espèce, que la circonstance que la revendication 3 dépende des revendications 1 et 2, que la revendication 4 dépende des revendications 1 à 3, que la revendication 6 dépende des revendications 1 à 5 et que la revendication 7 dépende des revendications 1 à 6, ni le fait que les parties se trouvent en situation de concurrence dans le secteur d’activité où le brevet est exploité n’établissent un lien suffisant pour justifier, dans le cadre du présent litige, l’examen critique de la validité des revendications du brevet qui sont étrangères aux prétentions originaires ; qu’il en résulte que le jugement entrepris sera confirmé de ce chef ;

Sur la validité des revendications 1, 2, 5 et 8 du brevet :

Considérant, aux termes de l’article L.614-12 du code de la propriété intellectuelle, que « la nullité du brevet européen est prononcée en ce qui concerne la France pour l’un quelconque des motifs visés à l’article 138, paragraphe 1, de la convention de Munich » ;

Que l’article 138, paragraphe 1 de la convention de Munich du 5 octobre 1973 sur le brevet européen dispose que le brevet européen ne peut être déclaré nul, avec effet pour un État contractant, que si :

a) l’objet du brevet n’est pas brevetable aux termes des articles 52 à 57 ;

[…] » ;

Que, selon l’article 52, paragraphe 1, de la convention de Munich, « les brevets européens sont délivrés pour toute invention dans tous les domaines technologiques, à condition qu’elle soit nouvelle, qu’elle implique une activité inventive et qu’elle soit susceptible d’application industrielle » ; que l’article 56 précise qu’ « une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d’une manière évidente de l’état de la technique » ;

Considérant que l’homme du métier, au sens des dispositions ci-dessus rappelées, est celui qui possède les connaissance normales de la technique en cause et est capable, à l’aide de ses seules connaissances professionnelles, de concevoir la solution du problème que propose de résoudre l’invention ;

Considérant que la technique en cause en l’espèce consiste à créer des reliefs sur une surface plane en exerçant sur celle-ci une pression au moyen d’un dispositif approprié ; que cette technique relève, en fonction de la proportion des reliefs et de la nature de la surface, de l’emboutissage, de l’estampage, du gaufrage ou du satinage ; que l’appelante critique à juste titre la définition de l’homme du métier telle que retenue par le tribunal, à savoir le concepteur de machine-outil, qui pèche par excès d’extension, tandis que celle proposée par la société Boegli, soit un ingénieur en micro mécanique possédant des connaissances en optique, ajoute une spécificité qui n’est pas requise dès lors qu’il s’agit simplement de mettre en ‘uvre un effet d’ombre, phénomène universellement connu qui consiste à savoir que la taille d’une ombre, donc sa visibilité, dépend de la hauteur du relief qui la crée mais aussi de l’angle d’incidence de la lumière qui le frappe ;

Considérant que l’appréciation de l’existence d’une activité inventive suppose de rechercher si les moyens qui constituent l’invention ont été préalablement divulgués dans un ou plusieurs documents au caractère certain dans leur date, leur contenu et leur accessibilité au public, s’il existait des motifs incitant l’homme du métier à poser le problème technique à la base de l’invention en cause et à combiner, modifier ou compléter les caractéristiques divulguées par ce ou ces documents en vue de résoudre le problème technique posé et si ces opérations le conduisaient de manière évidente à l’invention en cause ;

Considérant, en l’espèce, que l’homme du métier connaît l’existence du brevet FR 2.058.248 publié le 28 mai 1971 dit brevet Nielsen, du nom de l’inventeur, qui concerne « un procédé de fabrication d’une matière en feuille gaufrée des deux côtés qui consiste à insérer 1a matière primitive en feuille dans l’interstice entre deux cylindres dont les surfaces sont munies de saillies de telle sorte qu’une saillie de chacun des cylindres est entourée de tous côtés, à l’interstice des cylindres, par des saillies de l’autre cylindre, chacune des saillies d’un cylindre étant décalée axialement relativement aux saillies périphériquement adjacentes du même cylindre, des saillies de l’un des cylindres formant, avec des saillies correspondantes et alternantes de l’autre cylindre, des lignes droites pratiquement parallèles aux axes des cylindres. » ;

Considérant que la circonstance que le procédé ainsi décrit vise principalement à conférer à la matière en feuille ainsi traitée, par étirage et déformation, des performances accrues en termes de résistance et d’absorption des chocs ne suffit pas à l’exclure du champ des connaissances normales de l’homme du métier, alors surtout que, outre la fonction principale ainsi décrite, le brevet envisage expressément que « la hauteur et la forme des dents pourraient aussi bien varier, par exemple de manière à former un motif particulier. Par exemple, il est possible de donner à certaines des saillies une surface relativement grande, ce qui peut être important quand le produit gaufré doit être collé à une feuille plane. La matière peut être formée de papier, de matière fibreuse, de métal ou de matière thermoplastique. Dans le mode d’exécution représenté, les deux jeux de rainures sont disposés sous le même angle d’inclinaison mais ils peuvent aussi bien avoir des angles d’inclinaison différents. Eventuellement, l’une des séries de rainures peut être dirigée axialement et l’autre obliquement. » ;

Considérant que le brevet Nielsen décrit en outre « une paire de cylindres destinés à la pratique du procédé et les caractéristiques de la paire de cylindres selon 1’invention résident dans le fait que les saillies ont une surface supérieure pratiquement plane et une région de transition bien définie, encore qu’arrondie, de cette surface supérieure à la surface latérale de la saillie. On obtient ainsi une bonne retenue de la matière pendant l’opération de gaufrage, c’est à dire un blocage complet ou partiel de la matière dans sa position sur les saillies coopérantes des deux cylindres de sorte que l’on peut obtenir l’étirage désiré entre les sommets des saillies de l’un des cylindres et les sommets des saillies de l’autre cylindre étant donné qu’on évite un mouvement de la matière pendant le début de la coopération entre les deux cylindres » ;

Considérant que la revendication 1 du brevet litigieux porte sur un « Dispositif pour le satinage et le gaufrage simultanés de feuilles d’emballage à surface métallisée ou constituées de métal, comprenant au moins deux rouleaux de gaufrage reliés à un entraînement et pouvant être entraînés individuellement ou en commun, les rouleaux pouvant être pressés l’un contre l’autre de manière élastique et les dents pyramidales ou coniques des rouleaux présentant une pointe aplatie, caractérisé en ce que des dents (T2) pyramidales ou coniques d’un rouleau au moins présentent une forme géométrique et/ou surface différente de celle des dents (T1) pourvues pour le satinage afin de produire pendant le passage de la feuille d’emballage à ces endroits des signes (L) gaufrés qui modifient la surface métallisée de la feuille d’emballage et dont l’aspect change selon l’angle de vue de l’observateur (D) et/ou le genre et/ou la position de la source de lumière (LS) » ;

Considérant que la mise en regard des textes des deux brevets, éclairée par les illustrations qui les accompagnent, conduit la cour à approuver le tribunal qui a conclu, après avoir procédé à la même opération (page 7, 2ème alinéa du jugement), que l’objet de la revendication 1 était totalement divulgué par l’antériorité Nielsen à l’exception de la caractéristique tenant au pressage élastique des rouleaux, étant observé que le tribunal a encore relevé à juste titre que la caractéristique d’un motif de faible relief qui change d’aspect selon l’angle de vue de l’observateur et/ou le genre et/ou la position de la source de lumière est bien connu et ne peut être considérée comme une découverte témoignant d’une activité inventive,

Considérant d’ailleurs que le brevet Nielsen, s’il ne divulgue pas explicitement l’effet d’ombre, enseigne néanmoins que la variation de la hauteur et de la forme des dents permet d’obtenir des motifs particuliers, d’où il résulte que l’homme du métier sait qu’en réduisant la hauteur des dents ou saillies, il obtiendra un motif d’un relief moins marqué, lequel se dévoilera avec une intensité différente à l’observateur selon l’angle d’incidence de la lumière ;

Considérant que la société Boegli ne conteste pas que son brevet EP 0925911 déposé le 11 décembre 1998 appartient aussi à l’état de la technique et entre dans le champ des connaissances de l’homme du métier et que ce brevet, qui traite du satinage de feuilles métalliques dans lesquelles certaines zones peuvent ne pas être satinées et rester lisses afin de faire apparaître des signes tels que des marques de fabrique ou des indications écrites enseigne également que les deux rouleaux peuvent être pressés élastiquement l’un contre l’autre ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que c’est par des motifs pertinents que la cour fait siens que, ayant annulé la revendication 1 du brevet pour défaut d’activité inventive, le tribunal a annulé sur le même fondement les revendications subséquentes 2, 5 et 8 du brevet ; que, dès lors, les demandes de la société Boegli au titre de la contrefaçon des revendications ainsi annulées ne peuvent être accueillies ;

Considérant, en définitive, que le jugement entrepris doit être confirmé en toutes ses dispositions ;

* *

PAR CES MOTIFS :

CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

CONDAMNE la société anonyme de droit suisse Boegli-Gravures aux dépens d’appel qui pourront être recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile et à payer à la société de droit Russe Darsail 40.000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x