Your cart is currently empty!
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Chambre commerciale internationale
POLE 5 – CHAMBRE 16
ARRET DU 06 JUIN 2023
(n° 55 /2023 , 12 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/13366 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGF2R
Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Juin 2022 -Tribunal de Commerce de PARIS RG n° 2018045962
APPELANTE
Société SIB-EX ASIG CONSULT SRL
ayant son siège social : [Adresse 3] (ROUMANIE)
prise en la personne de ses représentants légaux,
Représentée par Me Guillaume DAUCHEL de la SELARL CABINET SEVELLEC DAUCHEL, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : W09
Assistée par Me François CORNUT, avocat plaidant du barreau de LYON, toque : 203
INTIMEE
SOCIÉTÉ D’EXPERTISE ET DE SERVICES
société par actions simplifiée,
immatriculée au RCS SALON DE PROVENCE sous le numéro 441 568 235,
ayant son siège social : [Adresse 1]
prise en la personne de ses représentants légaux,
Représentée par Me Olivier DILLENSCHNEIDER de la SELARL HUGO AVOCATS, avocat postulant et plaidant du barreau de PARIS, toque : A0866
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 21 Mars 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Daniel BARLOW, Président de chambre
Mme Fabienne SCHALLER, Présidente de chambre
Mme Laure ALDEBERT, Conseillère
qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l’audience par Mme Laure ALDEBERT, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Najma EL FARISSI
ARRET :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Daniel BARLOW, président de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* *
*
I/ FAITS ET PROCEDURE
1- La Société d’expertise et de services (ci-après « SES »), société de droit français ayant son siège à [Localité 4], a pour activité la fourniture de prestations de services auprès des compagnies d’assurances et intermédiaires en assurance.
2- Par contrat en date du 30 mai 2016 expressément soumis au droit français, elle a conclu avec la société de droit roumain SIB-EX ASIG CONSULT SRL (ci-après « SIB-EX »), établie à [Localité 2] en Roumanie, un contrat de prestations de services confiant à cette dernière, dont M. [S] était le directeur, la mise à disposition d’une plateforme d’expertise à distance et d’une assistance expertise pour ses clients compagnies d’assurance.
3- Par courrier en date du 26 mars 2018, la société SES a notifié à la société SIB-EX son intention de mettre fin au contrat, ce que la société SIB-EX a contesté.
4- Par courrier du 16 mai 2018, la société SES a notifié la résiliation du contrat de prestations services sans préavis, pour fautes graves.
5- Le 28 juillet 2018, M. [S] a saisi le conseil des prud’hommes de Martigues, en demandant la requalification de la relation contractuelle en contrat de travail et en sollicitant des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse et au titre du travail clandestin.
6- Par exploit d’huissier du 31 juillet 2018, la société SIB-EX a fait assigner la société SES devant le tribunal de commerce de Paris en inexécution contractuelle et rupture brutale de relations commerciales, sollicitant la somme de 747 700 euros au titre de se son préjudice.
7- Par jugement en date du 23 février 2019, le tribunal de commerce de Paris a sursis à statuer, dans l’attente de la décision du conseil des prud’hommes de Martigues.
8- Par jugement du 20 novembre 2019, le conseil des prud’hommes de Martigues s’est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Paris.
9- Par arrêt du 9 octobre 2020, la cour d’appel d’Aix en Provence a infirmé le jugement sur la compétence et, statuant au fond, a dit que M. [S] avait fait l’objet d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et a condamné SES à l’indemniser du préjudice subi.
10- L’instance devant le tribunal de commerce a été reprise.
11- Le tribunal de commerce de Paris, par jugement du 9 juin 2022, a statué en ces termes :
a) Déboute la SAS SOCIETE D’EXPERTISE ET DE SERVICES de sa demande de nullité de l’assignation ;
b) Déboute la SAS SOCIETE D’EXPERTISE ET DE SERVICES de sa demande d’incompétence au profit de la juridiction prud’hommale et se dit compétent ;
c) Déboute la SAS SOCIETE D’EXPERTISE ET DE SERVICES de sa demande d’irrecevabilité pour autorité de la chose jugée et en vertu du principe non bis in idem ;
d) Condamne la SAS SOCIETE D’EXPERTISE ET DE SERVICES à payer à la société SIB-EX ASIG SRL la somme de 25 900 euros (12.950 X 2) au titre des 2 mois de préavis ;
e) Déboute la société SIB-EX AISG CONSULT SRL de sa demande de la somme de 76 696 euros au titre de l’article L. 442 du code de commerce ;
f) Déboute la société SIB-EX ASIG CONSULT SRL de sa demande de la somme de (78 696 euros x 5) 393 480 euros de la perte de chance pour l’exécution du contrat ;
g) Déboute la société SIB-EX ASIG CONSULT SRL de sa demande de la somme de 20 000 euros au titre de dommages-intérêts pour résistance abusive ;
h) Déboute la SAS SOCIETE D’EXPERTISE ET DE SERVICES de sa demande de la somme de 20 000 euros de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
i) Condamne la SAS SOCIETE D’EXPERTISE ET DE SERVICES à payer à la société SIB-EX ASIG CONSULT SRL la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
j) Condamne la SAS SOCIETE D’EXPERTISE ET DE SERVICES aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 euros dont 12,20 euros de TVA ;
k) Déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;
l) Ordonne l’exécution provisoire.
12- Par déclaration du 12 juillet 2022 la société SIB-EX a interjeté appel de ce jugement.
13- Les parties ont adhéré au protocole de la chambre commerciale internationale de la cour d’appel de Paris.
14- La clôture est intervenue le 14 mars 2023, l’affaire étant appelée à l’audience de plaidoiries prévue le 21 mars.
15- Le jour de la clôture, mais après le prononcé de celle-ci, la société SIB-EX a notifié des conclusions n° 3 identiques aux précédentes, mais comportant le renvoi à une nouvelle pièce n° 12, consistant en un rapport établi par le cabinet Bonnet.
16- Le 17 mars 2023, elle a signifié des conclusions au fond et aux fins de rabat de la clôture afin que ses dernières conclusions récapitulatives signifiées le 14 mars 2023, accompagnées de la pièce n° 12, soient prises en compte.
17- La société SES s’est opposée à la communication de la pièce n°12.
18-A l’audience des plaidoiries le 21 mars 2023, la cour, après avoir entendu les parties dans leurs observations, a joint l’incident au fond.
II/ PRETENTIONS DES PARTIES
19-Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 1er février 2023 puis le 14 mars 2023 avec la pièce n° 12, la société SIB-EX demande à la cour, au visa des anciens articles 1134 et 1147 du code civil, de l’article L. 442 du code de commerce et des articles 112, 113, 114, 115, [784 et 907] du code de procédure civile, de bien vouloir :
– CONSTATER que la demande de nullité est irrecevable,
– CONSTATER que les conclusions comportent tous les éléments,
– CONSTATER que la situation a été régularisée,
– CONSTATER l’absence de grief,
– DIRE ET JUGER bien fondé l’appel formé par la société SIB-EX ASIG CONSULT SRL,
– DIRE ET JUGER dénué de tout fondement le moyen de nullité de l’assignation,
– DIRE ET JUGER que le moyen de l’autorité de la chose jugée est dénué de tout fondement,
– DIRE ET JUGER sur le principe de l’estoppel tend dénué de tout fondement l’argumentation de la Société d’Expertise et de Service,
– CONSTATER qu’il n’y a eu aucune réclamation pour les prétendus plans d’actions,
– CONSTATER qu’il il n’y a eu aucune mise en demeure,
– DIRE ET JUGER que la résiliation du contrat est dénuée de motifs,
En conséquence,
– REFORMER partiellement le jugement rendu le 9 juin 2022 par le Tribunal de Commerce de PARIS,
– CONDAMNER la Société d’Expertise et de Service à payer à la Société SIB-EX ASIG CONSULT SRL la somme de 78 696 euros au titre du préjudice résultant de l’inexécution du contrat,
– CONDAMNER la Société d’Expertise et de Service à payer à la Société SIB-EX ASIG CONSULT SRL la somme de 78 696 euros au titre de l’article L. 442 du code de commerce,
– CONDAMNER la Société d’Expertise et de Service à payer à la Société SIB-EX ASIG CONSULT SRL la somme de (78 696 euros x 5) 393 480 euros de la perte de chance pour l’exécution du contrat,
– CONDAMNER la Société d’Expertise et de Service à payer à la Société SIB-EX ASIG CONSULT SRL la somme 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,
– CONDAMNER la Société d’Expertise et de Service à payer à la Société SIB-EX ASIG CONSULT SRL la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– ORDONNER l’exécution provisoire de la décision à intervenir,
– CONDAMNER la Société d’Expertise et de Service à payer à la Société SIB-EX ASIG CONSULT SRL aux entiers dépens de l’instance.
20-Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 14 février 2023, la société SES demande à la cour, au visa des articles L. 721-3 et L. 642-6 du code de commerce, des articles 117 et 118 du code de procédure civile et des anciens articles 1134, 1147 et 1353 du code civil, de bien vouloir :
– REFORMER le jugement entrepris en ce qu’il a :
” Débouté la SOCIETE D’EXPERTISE ET DE SERVICES de sa demande de nullité de l’assignation
” Débouté la SOCIETE D’EXPERTISE ET DE SERVICES de sa demande d’incompétence au profit de la juridiction prud’homale ;
” Débouté la SOCIETE D’EXPERTISE ET DE SERVICES de sa demande d’irrecevabilité
” Condamné la SOCIETE D’EXPERTISE ET DE SERVICES à payer à la société SIBEX la somme de 25 900 euros au titre de deux mois de préavis ;
” Condamné la SOCIETE D’EXPERTISE ET DE SERVICES à payer à la société SIBEX la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
” Débouté la SOCIETE D’EXPERTISE ET DE SERVICES de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Ce faisant, statuant à nouveau :
– JUGER nulle et de nul effet l’assignation signifiée par la société SIB-EX à la SOCIETE D’EXPERTISE ET DE SERVICES en date du 31 juillet 2018 ;
– JUGER le tribunal de commerce de Paris incompétent matériellement pour connaître du litige ;
– JUGER les demandes de la société SIB-EX irrecevables ;
– A titre subsidiaire, JUGER la société SIB-EX mal fondée en ses demandes ;
– En tout état de cause, DEBOUTER la société SIB-EX de toutes ses demandes et prétentions ;
– CONDAMNER la société SIB-EX à verser à la Société d’Expertise et de Services la somme de 20 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– CONDAMNER la société SIB EX aux entiers dépens.
III/ MOTIFS DE LA DECISION
Sur l’incident de procédure
21- La société SIB-EX sollicite, en application des articles 784 et 907 du code de procédure civile, le rabat de l’ordonnance de clôture prononcée le 14 mars pour voir admettre dans la procédure ses dernières conclusions accompagnées de la pièce n° 12 intitulée ‘ Rapport du cabinet Bonnet , régularisées le jour même de l’audience mais postérieurement à la clôture.
22- Cette pièce nouvelle est un rapport établi par un cabinet d’expertise comptable lyonnais le 13 mars 2023 sur l’évaluation de la société SIB-EX au 31 décembre 2017.
23- La société appelante indique avoir subi un incident informatique qui l’a empêchée de régulariser ses conclusions avant l’audience de mise en état appelée à 13 heures.
24- Elle souligne avoir demandé le 9 mars 2023 le report de la clôture pour éviter ce type de difficulté.
25- La société SES s’y oppose en faisant valoir le caractère tardif de la demande de report et l’absence de cause grave.
SUR CE :
26- L’article 802 du code de procédure civile prévoit qu’après l’ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d’irrecevabilité prononcée d’office.
27- Selon l’article 803 du même code, l’ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s’il se révèle une cause grave depuis qu’elle a été rendue. L’ordonnance de clôture peut être révoquée, d’office ou à la demande des parties, soit par ordonnance motivée du juge de la mise en état, soit, après l’ouverture des débats, par décision du tribunal.
28- Au cas présent la société SIB-EX sollicite la révocation de l’ordonnance de clôture pour régulariser ses écritures et verser aux débats un rapport d’expertise établi le 13 mars 2013 produits tardivement.
29- Toutefois, ses dernières conclusions sont les mêmes que celles régularisées antérieurement.
30- Sa demande tend en réalité à produire une pièce nouvelle n° 12 qui est un rapport d’expertise portant sur l’évaluation de la société au 31 décembre 2017, que l’appelante aurait pu faire établir avant, aucun élément ne justifiant la tardiveté de cette production, l’allégation non circonstanciée d’un dysfonctionnement informatique ne pouvant à cet égard, à la supposer établie, constituer une cause grave.
31- Cette demande est en conséquence rejetée ce qui revient seulement à écarter des débats la pièce n°12 communiquée tardivement.
Sur l’exception de nullité de procédure
32- La société SES fait valoir, au visa des articles 117 et 118 du code de procédure civile, que l’assignation délivrée par M. [R] [S] qui n’était pas le représentant légal de la société SIB-EX est une irrégularité de fond qui entache de nullité l’acte introductif d’instance pour défaut de pouvoir et les actes de procédure subséquents.
33- S’agissant d’une nullité de fond, elle soutient que celle-ci peut être soulevée en tout état de cause sans avoir à justifier d’un grief.
34-En réponse, la société SIB-EX oppose l’irrecevabilité de l’exception de procédure qui selon elle constitue une simple irrégularité de forme qui devait être soulevée avant toute défense au fond, ce qui n’a pas été le cas, la société SES ayant abordé le fond avant de solliciter la nullité de l’assignation devant les premiers juges.
35-En tout état de cause, elle soutient que la régularisation intervenue par ses conclusions, sur lesquelles figure le nom du dirigeant représentant la société SIB-EX (M. [U] [L] [I]), et l’absence de grief font obstacle au succès de la demande.
SUR CE :
36- En application des articles 789 et 905 du code de procédure civile, lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le conseiller de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation, pour statuer sur les exceptions de procédure.
37- La nullité d’un acte de procédure fondée sur l’inexécution d’une règle de fond constitue une exception de procédure au sens de l’article 73 du même code.
38- En l’espèce, la nullité de l’assignation sollicitée par la société SES pour défaut de pouvoir d’une personne figurant au procès comme représentant de l’une partie constitue une exception de procédure, ainsi que le relève à juste titre la société SIB-EX.
39- Elle relève comme telle de la compétence exclusive du conseiller de la mise en état, la cour étant à cet égard dépourvue de pouvoir juridictionnel.
40- La demande formée de ce chef est dès lors irrecevable.
Sur l’exception d’incompétence du tribunal de commerce
41- La société SES soutient que le tribunal de commerce était incompétent matériellement pour statuer sur la rupture du contrat conclu le 30 mai 2016 dans la mesure où la cour d’appel d’Aix en Provence dans son arrêt du 9 octobre 2020 a requalifié la relation contractuelle en contrat de travail entre M. [S] et la société SES.
42- Elle reproche au tribunal de commerce de ne pas avoir tenu compte de cette décision qui a nécessairement retenu le caractère fictif et artificiel de l’interposition de la société SIB-EX dans le contrat de prestations de services.
43- En réplique la société SIB-EX oppose l’irrecevabilité de l’exception soulevée selon le principe de l’estoppel.
44- Elle soutient que la société SES ne peut se prévaloir de l’incompétence du tribunal de commerce alors que devant le tribunal de commerce de Paris, elle a soulevé le sursis à statuer vis-à-vis de la décision du conseil des prud’hommes et que devant le conseil des prud’hommes, elle a soulevé l’incompétence de cette juridiction au profit du tribunal de commerce de Paris.
SUR CE :
45- Le principe de l’estoppel, selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d’autrui, peut être opposé à la partie qui aurait modifié ses prétentions au cours du débat judiciaire.
46-Tel n’est pas le cas en l’espèce où la société SES n’a pas modifié ses prétentions au cours de l’instance en soulevant l’incompétence matérielle du tribunal de commerce de Paris au profit de la juridiction prud’homale.
47- En effet, si la société SES a devant la juridiction prud’homale soutenu le contraire, il s’agit d’une position qu’elle a adoptée dans une procédure distincte l’opposant à M. [S], à laquelle la société SIB-EX n’était pas partie, dans un conflit dans lequel M. [S] concluait à l’existence d’un contrat de travail.
48-La fin de non-recevoir tirée du principe de l’estoppel sera en conséquence rejetée comme mal fondée.
49-Il n’est pas contesté qu’en application des dispositions de l’article L. 721-3 du code de commerce, le tribunal de commerce est compétent pour connaître du litige qui oppose deux sociétés commerciales, ce qui est le cas en l’espèce.
50-La société SES ne peut utilement se prévaloir de la relation de travail reconnue par l’arrêt de la cour d’appel d’Aix en Provence entre M. [S] et la société SES pour écarter la compétence commerciale alors que le litige oppose deux sociétés commerciales, la société SES et la société SIB-EX, personne morale distincte de M. [S].
51-L’exception d’incompétence sera en conséquence rejetée et la décision confirmée sur ce chef.
Sur la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt de la cour d’appel d’Aix en Provence du 9 octobre 2020
52- La société SES soutient qu’en ayant été condamnée au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, le tribunal de commerce de Paris l’a condamnée une deuxième fois pour les mêmes faits, même si les qualifications juridiques de l’indemnisation diffèrent.
53- Elle souligne qu’il y a bien identité de cause (la rupture du contrat) et l’identité d’objet (l’allocation de dommages-intérêts) et qu’en ce qui concerne l’identité des parties, quand bien même SES a été assignée par M. [S] en son nom propre devant le conseil des prud’hommes, il a agi sous couvert de la société SIB-EX devant le tribunal de commerce.
54-La société SIB-EX réplique que les conditions de triple identité relatives à l’autorité de la chose jugée ne sont pas remplies, faute d’identité entre les parties.
55-Elle ajoute que les demandes ne concernent ni la même cause ni la même demande.
SUR CE :
56-Aux termes l’article 1355 du code civil, l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.
57-Tel n’est pas le cas en l’espèce.
58- Si les circonstances de fait sont les mêmes, s’agissant de l’exécution des prestations de services confiées par la société SES à la société SIB-EX dont M. [S] était le directeur en Roumanie, il ne s’agit pas des mêmes parties ni des mêmes demandes.
59- En retenant que M. [S] avait fourni les prestations de services via la société roumaine SIB-EX dans des conditions qui l’ont placé de fait dans un lien de subordination juridique permanente envers la société SES, la cour d’ appel d’Aix en Provence a statué sur l’existence d’un contrat de travail, ce qui n’est pas l’objet de la demande pendante qui a trait à une action en responsabilité et en réparation pour rupture du contrat entre la société SES et la société SIB-EX personne morale distincte de M. [S].
60- En l’absence d’identité des parties et de la chose demandée, la décision rendue par la cour d’appel d’Aix n’a pas autorité de la chose jugée à l’égard de la présente instance.
61- La fin de non-recevoir est en conséquence rejetée et la décision confirmée en ce chef.
Sur l’irrecevabilité en application de la règle du non-cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle
62-La société SES prétend qu’en invoquant concomitamment, les prétendues responsabilités contractuelle et délictuelle de SES, sur le fondement des anciens articles 1134 et 1147 du code civil et au titre de l’article L. 442-6 du code de commerce, l’action engagée par la société SIB-EX est irrecevable en application de la règle du non-cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle.
63-La société SIB-EX réplique qu’elle ne demande pas réparation d’un même préjudice mais, comme précisé dans ses écritures, celui résultant de l’inexécution du contrat, le défaut de respect du préavis, la perte de chance et la résistance abusive.
SUR CE :
64- Le principe de non cumul des responsabilités interdit seulement au créancier d’une obligation contractuelle de se prévaloir, contre le débiteur de cette obligation, des règles de la responsabilité délictuelle et n’interdit pas la présentation d’une demande distincte, fondée sur l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, qui tend à la réparation d’un préjudice résultant non pas d’un manquement contractuel mais de la rupture brutale d’une relation commerciale établie.
65- Au cas présent, la demande de la société SIB-EX en réparation d’un préjudice résultant de la brutalité de la rupture des relations commerciales et de l’inexécution contractuelle caractérise des préjudices distincts, de sorte qu’ il n’y a pas lieu de faire application de la règle du non cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle.
66- Cette exception d’irrecevabilité sera donc rejetée.
Sur la demande en réparation pour non-respect du préavis sur le fondement de la rupture brutale d’une relation commerciale établie
67- La société SIB-EX soutient que le contrat a été résilié sans raison.
68- Elle reproche à la société SES par référence à l’article L. 442-6 5° du code de commerce d’avoir rompu brutalement sans préavis écrit la relation commerciale établie fin mai 2018.
69- Elle estime que la société SES aurait dû respecter, compte tenu des usages habituels dans la profession et de la durée du contrat qui devait se prolonger jusqu’au 30 mai 2019, un an de préavis.
70- Elle soutient en conséquence que le préjudice causé doit s’évaluer à un an de bénéfice (78 696 euros), faisant observer qu’il est difficile de calculer la marge brute dans une entreprise dont les frais sont la marge salariale et dont le chiffre d’affaires dépend du prix accepté par le client.
71- La société SES conteste la demande en faisant valoir la gravité des fautes reprochées à la société SIB-EX dans l’exécution de leur relation contractuelle qui a justifié qu’elle mette fin au contrat le 16 mai 2018 sans préavis.
72-A cette fin, elle souligne que la société SIB-EX a commis des fautes graves et répétées, que ses prestations n’ont notamment jamais atteint le niveau de qualité légitimement escompté ni les niveaux de productivité contractuellement définis.
73-Elle ajoute que la société SIB-EX par l’intermédiaire de M. [S] a expressément reconnu ses défaillances dans leur réalité factuelle et leur gravité, mais n’y a jamais remédié.
74-Elle soutient enfin qu’à supposer un préavis applicable, le délai de deux mois accordé par le tribunal est trop long pour une relation commerciale qui a duré deux ans, il ne saurait être supérieur à un mois.
SUR CE :
75-Selon l’article L.442-6 I 5° dans sa version applicable aux faits de l’espèce, ‘ engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (‘). Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure .
76-Il résulte de ces dispositions que la gravité du comportement d’une partie à une relation commerciale autorise l’autre partie à y mettre fin sans préavis.
77-Au cas présent, la société SES à laquelle il est reproché une rupture brutale de la relation commerciale entretenue avec la société SIB-EX soutient que la gravité des manquements de cette société à l’exécution de ses prestations justifiait qu’elle mette fin au contrat sans préavis par courrier du 16 mai 2018.
78-Toutefois, les reproches allégués à l’encontre de la société SIB-EX dans la lettre du 16 mai 2018 (absence d’atteinte des objectifs de production, manque de compétence, et de performance des équipes , manque d’organisation des équipes, désorganisation grave des prestations attendues entrainant un manque à gagner pour la société SES, absence d’information sur les plans d’action) ne sont pas confortés par les pièces produites.
79- En effet, si certains courriels attestent de problèmes dans un dossier en 2016 et en 2017, il s’agit de faits ayant eu lieu plus de 18 mois avant la résiliation.
80- Les autres courriels sur les éléments échangés au cours des réunions fin 2017 et en 2018 ne font pas état de faute.
81- Ces pièces n’établissent pas davantage le caractère probant des défaillances dans la qualité et la quantité des prestations exécutées par la société SIB-EX caractérisant l’existence d’une situation grave et urgente qui aurait justifié l’impossibilité de poursuivre la relation commerciale dont le caractère établi n’est pas contesté.
82- Il résulte de ce qui précède, en l’absence d’un manquement grave de la société SIB-EX à ses obligations, que le tribunal de commerce a pu statuer comme il l’a fait et retenir que la cessation immédiate de la relation n’était pas fondée.
83- C’est par de justes motifs et une exacte appréciation des faits, que la cour adopte, que les premiers juges ont estimé suffisant un délai de deux mois, en tenant compte de la relation commerciale qui avait duré deux ans, étant observé à cet égard que ce délai n’est contredit par aucun élément lié aux usages dans la profession et qu’il était celui prévu par les parties en cas « de résiliation unilatérale et sans cause du contrat » selon les stipulations de l’article 8 du contrat qui seront rappelées ci-après, au pargraphe 91.
84-En l’absence de tout justificatif sur le montant de la marge brute réalisée par la société SIB-EX, l’indemnisation du préjudice résultant du caractère brutal de la rupture sera estimée, pour les motifs retenus par les premiers juges, à la somme de 25 900 euros.
85-Les dispositions prises sur ce chef seront donc confirmées.
Sur la demande de dommages et intérêts pour inexécution contractuelle
86-La société Sib-Ex reproche à la société SES d’avoir de mauvaise foi résilié le contrat sans raison alors que celui-ci s’était renouvelé d’année en année, qu’il entrait dans sa troisième année et devait se poursuivre jusqu’en mai 2019.
87-Elle réclame en réparation à ce titre le montant d’une année de bénéfices et, la société n’ayant plus de valeur, un préjudice supplémentaire au titre de la perte de chance de ne pas avoir développé son activité avec d’autres clients, qu’elle estime à cinq fois le bénéfice annuel (393 480 euros).
88- La société SES s’y oppose en faisant valoir qu’elle n’a commis aucune faute et que la résiliation du contrat était justifiée.
SUR CE :
89- L’ancien article 1134 du code civil (devenu articles 1103, 1104 et 1193 du code civil) applicable au contrat conclu le 30 mai 2016 énonce que « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi. »
90- Selon ledit contrat, les parties ont prévu en cas de résiliation sous l’article 8 ‘ Résiliation- les dispositions suivantes :
Article 8
« 8.1. Le présent contrat pourra être résilié de plein droit par l’une ou l’autre des parties sans qu’elle puisse encourir de ce fait une responsabilité d’aucune sorte, en cas de non-respect par l’autre partie, de l’une des obligations essentielles lui incombant aux termes du présent contrat, après une mise en demeure adressée à la partie défaillante par lettre recommandée avec accusé de réception faisant part de l’intention de la partie plaignante de résilier le contrat au titre des présentes dispositions. A défaut pour la partie défaillante d’avoir remédié au manquement dans le délai de trente jours à compter de la réception de ladite notification, ou si le manquement n’est pas susceptible d’être entièrement remédié dans un délai de trente jours, d’avoir commencé à remédier audit manquement dans ledit délai, la partie plaignante pourra résilier le présent contrat par lettre recommandée avec accusé de réception avec un préavis de un mois.
8.2. En cas de cessation du contrat pour défaut du Prestataire, les honoraires de la période en cours seront calculés prorata temporis à la date de cessation définitive du contrat.
8.3 Pour tous les autres cas de résiliation que celui visé à l’article 8.1 ci-dessus, et plus spécifiquement en cas de résiliation unilatérale et sans cause par la Société, il est expressément convenu entre les parties que les honoraires seront dus pour une période d’un mois pour la période initiale, et deux mois pour les périodes suivantes, dans les trente jours de la date effective de résiliation adressée par lettre recommandée avec accusé de réception.
91-Il ressort de ces dispositions et notamment de l’article 8.3 du contrat que les parties avaient convenu d’une possibilité de rupture unilatérale et sans cause du contrat de sorte que comme retenu par le tribunal de commerce, la demande fondée sur le caractère dénué de cause de la résiliation et sur la perte de chance de continuer son activité est mal fondée.
92-Ce chef de disposition sera également confirmé.
Sur la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive
93-La société SIB-EX soutient que suite à la résiliation du contrat, elle a subi tout au long de la procédure un préjudice aggravé par la mauvaise foi de la société SES en rappelant les circonstances dans lesquelles elle a demandé à M. [S] de créer la société pour bénéficier à moindre coût de ses compétences et lui a rendu la vie impossible.
94- La société SES n’a fait valoir aucun moyen sur cette demande.
SUR CE :
95- La société SIB-EX, qui ne justifie pas du caractère abusif du comportement procédural de la société SES, poursuit en réalité la réparation du préjudice subi par M. [S] de sorte que sa demande est infondée.
96- Le rejet de cette demande par les premiers juges sera confirmé.
Sur la demande reconventionnelle de la société SES pour procédure abusive
97- La société SES qui succombe en partie dans ses demandes ne démontre pas le caractère abusif de la procédure et sera déboutée de sa demande.
98- La disposition ayant rejeté cette demande sera aussi confirmée.
Sur les frais et dépens
99-Chaque partie succombant partiellement l’équité commande de ne pas faire droit aux demandes formées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
100-Les dépens seront mis à la charge de l’appelante.
IV/ DISPOSITIF :
Par ces motifs, la cour :
1) Rejette la demande de révocation de l’ordonnance de clôture ;
2) Confirme la décision rendue le 9 juin 2022 par le tribunal de commerce de Paris dans toutes ses dispositions soumises à la cour ;
3) Déboute les parties de leurs demandes formées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
4) Laisse les dépens à la charge de la société SIB-EX ASIG CONSULT SRL.
LA GREFFIERE, LE PRESIDENT,