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COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 6 JUIN 2023
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 21/04644 – N° Portalis DBVK-V-B7F-PC2V
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 07 JUIN 2021
TRIBUNAL DE COMMERCE DE MONTPELLIER
N° RG 2020013162
APPELANTE :
S.A.S. EXXIA prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 5]
[Localité 2]
Représentée par Me Elodie POULAIN, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMEE :
S.A.R.L. ARCADE prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 7]
[Localité 3]
Représentée par Me Yann LE TARGAT de la SEP ALAIN ARMANDET ET YANN LE TARGAT, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
Représentée par Me Antoine CHIRON, avocat au barreau de PARIS substituant Me Olivier ITEANU, avocat au barreau de PARIS
Ordonnance de clôture du 28 Février 2023
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 21 MARS 2023, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :
M. Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre
Mme Anne-Claire BOURDON, Conseillère
M. Thibault GRAFFIN, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Audrey VALERO
ARRET :
– Contradictoire
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, initialement prévue le 23 mai 2023 et prorogée au 6 juin 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par Mme Anne-Claire BOURDON, Conseillère faisant fonction de président en remplacement du Président de chambre régulièrement empêché, et par Mme Audrey VALERO, Greffière.
FAITS et PROCEDURE – MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES:
La S.A.R.L. Arcade, qui a été fondée en 1993 par M. [W] [F], exerce une activité d’édition de logiciels applicatifs destinés aux professionnels du BTP.
Par ailleurs, la S.A.S. Exxia, qui a été immatriculée au RCS du tribunal de commerce de Montpellier le 6 novembre 2019, a été fondée par quatre anciens salariés de la société Arcade, MM. [J] [I], [D] [V], [R] [G] et [J] [M], et elle exerce également une activité de conception et d’édition de logiciels.
Estimant que la société Exxia lui avait subtilisé une base de données comprenant plus de 6000 fichiers clients qu’elle avait ensuite utilisée, la société Arcade a, par exploit d’huissier en date du 1er décembre 2020, fait assigner la société Exxia devant le tribunal de commerce de Montpellier qui, par jugement en date du 7 juin 2021, a :
– Dit que la société Exxia a commis des actes de concurrence déloyale à l’encontre de la société Arcade,
– Ordonné une mesure d’expertise, et à ce titre désigné comme expert M. [Y] [S], avec mission notamment de :
Se faire communiquer tous documents et pièces permettant au tribunal d’examiner la demande :
De préjudice financier : à ce titre, l’expert se fera remettre notamment les données comptables sur les 4 dernières années de la société requérante (bilans, comptes exploitation’)
De préjudice d’image : à ce titre, l’expert se fera remettre tous documents et/ou attestations de clients et prospect permettant au tribunal d’apprécier, évaluer et quantifier existence d’un préjudice d’image ;
De préjudice moral : à ce titre, l’expert se fera remettre tout élément permettant au tribunal d’apprécier, évaluer et quantifier existence d’un préjudice moral ;
Entendre les parties ainsi que tout sachant et évoquer, à la suite de la première réunion avec les parties le calendrier possible de la suite de ces opérations ;
Donner son avis sur chacun des 3 préjudices distincts évoqués par la société requérante ;
– Fixé à 2 000 euros le montant de la provision sur frais d’expertise à consigner par la société dans un délai de 2 mois à dater de la signification de la présente décision (‘)
– Condamné la société Exxia à détruire, dans les 7 jours suivants la notification de la présente décision, tous les documents et ou fichiers confidentiels en sa possession relatifs à l’activité de la société Arcade et/ou ses clients, ainsi que tout document ou fichier contenant des informations relevant du secret des affaires d’Arcade dont ses fichiers clients ; ce sous astreinte de 5 000 euros par semaine de retard à compter de l’expiration du délai précité,
– Fait interdiction à la société Exxia de la réalisation ou la poursuite des actes d’utilisation ou de la divulgation du fichier clients d’Arcade, lequel est couvert par le secret des affaires, sous astreinte de 15 000 euros par infraction constatée,
– Condamné la société Exxia à consigner la somme de 10 000 euros H.T, entre les mains de Monsieur le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Montpellier dans les 15 jours suivants la signification de la décision à intervenir, afin de procéder à la publication dans les magazines spécialisés au choix de la société Arcade et dans la limite de ce montant de 10 000 euros, du présent jugement,
– Condamné la société Exxia à payer à la société Arcade la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
– Réservé les dépens.
Le 19 juillet 2021, la société Exxia a régulièrement relevé appel de ce jugement.
Par ordonnance de référé du 17 novembre 2021, le premier président de cette cour a :
– Ordonné l’arrêt de l’exécution provisoire du jugement rendu le 7 juin 2021 par le tribunal de commerce de Montpellier,
– Débouté les parties de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens.
La société Exxia demande à la cour, dans ses conclusions déposées via le RPVA le 19 octobre 2021, de :
Vu les articles 654 et 659 du code de procédure civile ;
Vu l’article 114 alinéa 1 du code de procédure civile ;
Vu les articles L151-1 et suivants du code de commerce ;
In limine litis :
Constater que l’huissier n’a pas satisfait aux diligences nécessaires à la validité de l’acte introductif d’instance du 1er décembre 2020,
Déclarer recevable l’exception de nullité de l’acte introductif d’instance,
Dire et juger nulle et de nul effet la signification opérée le 1er juillet 2021, du jugement de tribunal de commerce de Montpellier du 7 juin 2021,
Déclarer recevable l’appel d’Exxia interjeté le 19 juillet 2021,
Dire et juger nulle et de nul effet l’assignation introductive d’instance du 1er décembre 2020,
Annuler le jugement rendu le 7 juin 2021 par le tribunal de commerce de Montpellier,
Constater qu’il a été conclu sur le fond du droit de manière subsidiaire,
Constater en conséquence l’absence d’effet dévolutif de l’appel,
Renvoyer la société Arcade à mieux se pourvoir,
À titre principal :
Dire et juger que M. [I] est détenteur légitime d’information appartenant à la société Arcade,
Dire et juger de l’inexistence de la société Exxia au moment des faits,
Dire et juger qu’il n’y a pas eu violation du secret des affaires par la société Exxia,
Infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,
Dire et juger que la société Arcade a commis des actes de concurrence déloyale ;
Condamner la société Arcade à verser la somme de 350 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de ses agissements déloyaux,
En tout état de cause :
Condamner la société Arcade à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamner la société Arcade aux entiers dépens.
Au soutien de son appel, elle fait valoir pour l’essentiel que :
– L’assignation du 1er décembre 2020 a fait l’objet d’un procès-verbal de recherches infructueuses de la part de l’huissier instrumentaire, alors qu’elle réside bien à l’adresse indiquée au [Adresse 5] à [Localité 2], qui est une adresse comportant la domiciliation de plusieurs entreprises et que l’huissier ne pouvait pas ne pas identifier ;
– Les faits reprochés à la société Exxia, à savoir la transmission et l’utilisation d’un fichier clients, sont reprochés à des personnes physiques qui ne sont pas parties à l’instance ;
– La société Arcade échoue à rapporter la preuve que la société Exxia a été en possession d’un tel fichier clients.
Dans ses dernières conclusions déposées via le RPVA le 22 février 2023, la société Arcade demande à la cour de :
Vu l’article 15 du code de procédure civile,
Vu l’article 803 du code de procédure civile,
Vu les articles 564 et 910-4 du code de procédure civile,
Vu les articles 653 et suivants du code de procédure civile,
Vu l’article 1240 du code civil,
Vu les articles L151-1 et suivants du code de commerce,
Vu les écritures et les pièces versées aux débats,
Sur la demande in limine litis d’Exxia :
Dire et juger que l’huissier de justice ayant procédé à la signification à personne morale de l’assignation du 1er décembre 2020 à la société Exxia a respecté l’ensemble des prescriptions légales à ce titre,
Dire et juger que l’absence de la société Exxia à la procédure en première instance procède d’une négligence coupable de cette dernière,
En conséquence,
Prononcer la validité de l’assignation signifiée par la société Arcade à la société Exxia le 1er décembre 2020, ledit acte n’étant affecté d’aucun vice de forme ou de fond,
Débouter la société Exxia de son exception de nullité,
Sur le fond :
A titre principal :
Confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Montpellier du 7 juin 2021 en ce qu’il a :
Dit que la société Exxia a commis des actes de concurrence déloyale à l’encontre de la société Arcade,
Condamné la société Exxia à détruire, dans les 7 jours suivants la notification de la présente décision, tous les documents et ou fichiers confidentiels en sa possession relatifs à l’activité de la société Arcade et/ou ses clients, ainsi que tout document ou fichier contenant des informations relavant du secret des affaires d’Arcade dont ses fichiers clients ; ce sous astreinte de 5 000 euros par semaine de retard à compter de l’expiration du délai précité,
Fait interdiction à la société Exxia la réalisation ou la poursuite des actes d’utilisation ou de la divulgation du fichier clients d’Arcade, lequel est couvert par le secret des affaires, sous astreinte de 15 000 euros par infraction constatée,
Condamné la société Exxia à consigner la somme de 10 000 euros H.T, entre les mains de monsieur le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Montpellier dans les 15 jours suivants la signification de la décision à intervenir, afin de procéder à la publication dans les magazines spécialisés au choix de la société Arcade et dans la limite de ce montant de 10 000 euros, du présent jugement,
Condamné la société Exxia à payer à la société Arcade la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
A titre d’appel incident :
Infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Montpellier du 7 juin 2021 quant au surplus des chefs de jugement précités et notamment en ce qu’il a ordonné la désignation d’un Expert judiciaire au visa des articles 143 et suivants du code de procédure civile afin d’établir le quantum des préjudices financier, d’image et moral de la société Arcade,
En conséquence, à titre d’appel incident et jugeant à nouveau, il est demandé à la cour d’appel de Montpellier de :
Dire et juger que la société Exxia a porté atteinte au secret des affaires de la société Arcade, notamment en utilisant son fichier clients, et qu’elle engage sa responsabilité à ce titre,
Dire et juger que la société Exxia a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire à l’encontre de la société Arcade, notamment par détournement puis utilisation du fichier clients et des informations confidentielles de la société Arcade, ainsi qu’en dénigrant Arcade et ses produits et services,
Dire et juger que la société Arcade subit en conséquence un préjudice considérable, tant financièrement, que moralement, et en terme d’image,
En conséquence,
Condamner la société Exxia à payer à la société Arcade la somme de 849 896 euros, évaluée à ce jour et sauf à parfaire, à titre des dommages et intérêts, compte tenu des actes de concurrence déloyale et parasitaire ainsi que des actes de violation du secret des affaires commis à son encontre, et correspondant à :
651 896 euros au titre du préjudice financier, sauf à parfaire,
99 000 euros au titre du préjudice d’image, sauf à parfaire,
99 000 euros au titre du préjudice moral, sauf à parfaire,
En tout état de cause :
Dire et juger que la société Arcade est recevable et bien fondée en l’ensemble de ses demandes, fins, moyens et conclusions, et y faire droit,
Débouter la société Exxia de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
Condamner la société Exxia à payer à la société Arcade la somme de 25.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’en tous les dépens, dont distraction sera ordonnée au profit de Maître Iteanu, Avocat, en vertu des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Elle expose en substance que :
– S’agissant de la nullité de l’assignation, l’huissier instrumentaire a parfaitement accompli les diligences requises, et il convient en outre de noter que la copie de l’acte adressée par lettre recommandée et par lettre simple a été retournée avec la mention « destinataire inconnu à cette adresse » ;
– La société Exxia a été créée par quatre de ses anciens salariés, certains étant même encore salariés au moment de sa création ;
– La société CBAO, entreprise concurrente de la sienne, l’a informée que d’anciens salariés de la société Arcade, l’avait approchée courant 2019 pour créer ensemble une nouvelle société en lui proposant son fichier clients (attestation de M. [H]) ;
– Elle a fait réaliser le 27 décembre 2019 un constat d’huissier démontrant le détournement de son fichier clients par la société Exxia ;
– Elle a déposé le 29 janvier 2020 une plainte pénale concernant ces faits.
Il est renvoyé, pour l’exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
C’est en l’état que l’instruction a été clôturée par ordonnance du 28 février 2023.
Puis, la société Arcade et la société Exxia ont fait signifier des conclusions postérieurement à l’ordonnance de clôture, respectivement les 13 et 15 mars 2023.
MOTIFS de la DÉCISION
Sur la demande de révocation de l’ordonnance de clôture
Aux termes de l’article 803 du code de procédure civile, l’ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s’il se révèle une cause grave depuis qu’elle a été rendue.
L’article 15 du même code enjoint aux parties de se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu’elles produisent et les moyens de droit qu’elles invoquent, afin que chacune soit à même d’organiser sa défense.
Après avoir conclu une première fois le 19 octobre 2021, ses conclusions comportant 10 pages dont une page de dispositif, l’appelante a ensuite conclu le 27 février 2023, veille du jour de la clôture de la procédure, ses conclusions comportant désormais 31 pages, dont 3 pages de dispositif, et contenant également de nouveaux moyens, de nouvelles demandes outre 9 pièces nouvelles.
Il en résulte que les conclusions de l’appelante signifiées la veille de la clôture n’ont pas été communiquées en temps utile pour permettre à l’intimée d’y répondre de sorte qu’elles seront écartées des débats.
Les conclusions et les pièces de l’appelante prises en compte seront donc celles qui ont été signifiées le 19 octobre 2021.
Par ailleurs, aucune cause grave n’étant alléguée, les demandes des parties de révocation de l’ordonnance de clôture afin d’admettre aux débats leurs conclusions signifiées les 13 et 15 mars 2023 après la clôture seront rejetées, et ces conclusions seront dès lors écartées des débats.
Les conclusions et les pièces de l’intimée prises en compte seront celles qui ont été signifiées le 22 février 2023.
Sur la nullité invoquée de l’assignation
Selon les dispositions de l’article 114 du code de procédure civile, la nullité d’un acte de procédure pour vice de forme est prononcée dès lors que celui qui l’invoque prouve le grief que lui cause cette irrégularité.
Selon l’article 659 du même code, lorsque la personne à qui l’acte doit être signifié n’a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, l’huissier de justice dresse un procès-verbal où il relate avec précision les diligences qu’il a accomplies pour rechercher le destinataire de l’acte.
En application de ces positions, la vérification de l’adresse ne peut résulter d’une seule diligence de l’huissier de justice mais peut en revanche résulter de la concordance de deux vérifications effectuées par l’huissier.
En l’espèce, le procès-verbal de signification du 1er décembre 2020 mentionne que l’huissier de justice s’est déplacé au dernier domicile connu de la société Exxia, situé [Adresse 5] à [Localité 2], qu’il a constaté que cette adresse était celle d’Espace entreprise VO et que le nom de la société requise n’apparaissait sur aucune des boîtes aux lettres, de même que le nom de son président M. [J] [I]. L’huissier instrumentaire mentionne qu’il a interrogé le secrétariat de l’Espace entreprise VO qui lui a indiqué ne pas connaître la société requise et son président.
L’huissier indique en outre qu’il a effectué la recherche de résidence auprès de son mandant, des services postaux (secret opposé), et des services Société.com et infogreffe, qu’il a identifié une adresse pour M. [I] sur le K bis de la société, au [Adresse 4] à [Localité 6], mais que sur place le nouveau propriétaire résidant à cette adresse lui a indiqué que M. [I] n’y habitait plus et qu’il serait parti en Espagne. L’huissier a également tenté sans succès une recherche à une autre adresse sise [Adresse 1] à [Localité 6].
L’huissier instrumentaire a ainsi effectué plusieurs vérifications relatives aux adresses pouvant être celle de la société Exxia, relatant ainsi les diligences prescrites en conformité avec les dispositions de l’article 659 précité.
La société Arcade justifie également que la lettre recommandée envoyée par huissier à la suite de la tentative de signification infructueuse est revenue mentionnant « destinataire inconnu à cette adresse ».
Par ailleurs, les constatations et recherches faites par l’huissier le 1er décembre 2020 ci-dessus décrites ne peuvent être utilement combattues par la seule circonstance que la société Exxia a reçu, au mois de février 2021, un courrier recommandé à son adresse du [Adresse 5] comme elle en justifie mais sans plus d’explications.
Il en résulte que le procès-verbal de recherches infructueuses de l’huissier n’encourt aucune nullité de sorte que l’exception de nullité doit être rejetée ainsi que les demandes qui en seraient la conséquence.
Sur les actes de concurrence déloyale reprochés à la société Exxia
Selon les dispositions de l’article L. 151-4 du code de commerce, l’obtention d’un secret des affaires est illicite lorsqu’elle est réalisée sans le consentement de son détenteur légitime et qu’elle résulte :
1° D’un accès non autorisé à tout document, objet, matériau, substance ou fichier numérique qui contient le secret ou dont il peut être déduit, ou bien d’une appropriation ou d’une copie non autorisée de ces éléments ;
2° De tout autre comportement considéré, compte tenu des circonstances, comme déloyal et contraire aux usages en matière commerciale.
L’article L. 151-5 du même code précise que l’utilisation ou la divulgation d’un secret des affaires est illicite lorsqu’elle est réalisée sans le consentement de son détenteur légitime par une personne qui a obtenu le secret dans les conditions mentionnées à l’article L. 151-4 ou qui agit en violation d’une obligation de ne pas divulguer le secret ou de limiter son utilisation.
Aux termes de l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.
L’acte de concurrence déloyale ou parasitaire suppose une imitation ou reproduction génératrice de confusion de signes distinctifs ou une immixtion dans le sillage d’un autre professionnel, afin de tirer profit, sans dépenser, de ses investissements, de sa renommée et de son savoir-faire, en réalisant ainsi des économies injustifiées.
Par application de ces dispositions, constitue un acte de concurrence déloyale d’une part le seul fait, pour une société à la création de laquelle a participé l’ancien salarié d’un concurrent, de détenir des informations confidentielles relatives à l’activité de ce dernier et obtenues par ce salarié pendant l’exécution de son contrat de travail, et d’autre part la conservation d’informations confidentielles appartenant à une société tierce par un ancien salarié, ne serait-il pas tenu par une clause de non-concurrence, et leur appropriation par la société qu’il a créée.
Il résulte des pièces versées au dossier et des débats que :
– A sa création au mois de novembre 2019, la société été Exxia était présidée par M. [I], et ses directeurs généraux étaient Messieurs [V] et [M] ;
– M. [I] a été notamment salarié et/ou directeur général de la société Arcade et d’une de ses filiales à partir de 2007, et qu’il en a été licencié le 2 février 2018 ;
– M. [V] a été salarié de la société Arcade du mois de juin 1999 au 28 juin 2019, dont il a démissionné ;
– M. [M] a également été salarié de la société Arcade du 2 mai 1996 au 30 juin 2019, dont il a également démissionné ;
– En outre, M. [G], lui aussi salarié de la société Arcade du 16 janvier 2017 au 17 janvier 2020, a été licencié à cette dernière date pour faute lourde (transmission du fichier clients litigieux).
Il existe par ailleurs une société dénommée CBAO, créée en 1998, dont M. [R] [H] est le gérant, qui intervient dans le même secteur d’activité que les sociétés Arcade et Exxia.
Or, la société Arcade produit aux débats une attestation de M. [H] en date du 19 décembre 2019, dans laquelle celui-ci indique que M. [I] a pris contact avec lui pour lui indiquer qu’il envisageait de créer avec d’anciens salariés de la société Arcade, une société concurrente ; que des réunions ont eu lieu dans les locaux de la société CBAO à compter de la fin de l’année 2018 (avec MM. [I], [V], [G] et [M]) et que M. [I] a proposé de mettre en commun les fichiers des sociétés Arcade et CBAO ; que M. [I] a demandé à M. [V] de lui faire parvenir une exportation du fichier clients de la société Arcade le 15 avril 2019.
M. [H] poursuit en déclarant qu’il a ainsi réceptionné un fichier clients international comprenant plus de 6000 contacts qualifiés et de qualité.
Par ailleurs, le 27 décembre 2019, la société Arcade a fait réaliser un constat d’huissier à partir de l’ordinateur de M. [H] aux termes duquel ont été retracés les messages échangés entre MM. [I] et [H] et contenant le fichier de la société Arcade, ainsi que les échanges de mails entre M. [I] et ses futurs associés d’une part et M. [H] d’autre part au sujet de l’utilisation dudit fichier.
Il en résulte que la seule détention par la société Exxia, en cours de formation, d’informations confidentielles relatives au fichier des clients de la société Arcade, obtenues par d’anciens salariés de cette dernière, pour certains encore en cours d’exécution de leurs contrats de travail, constitue un acte de concurrence déloyale, peu important d’une part que seule la société en cours de formation et non pas ses fondateurs ait été attrait en justice, et qu’il ne soit pas rapporté la preuve d’autre part que la société Exxia ait effectivement utilisé le fichier.
Le jugement sera dès lors confirmé de ce chef.
Il sera par voie de conséquence aussi confirmé en ce qu’il a :
– condamné la société Exxia à détruire, dans les 7 jours suivants la signification du présent arrêt, tous les documents et ou fichiers confidentiels en sa possession relatifs à l’activité de la société Arcade et/ou ses clients, ainsi que tout document ou fichier contenant des informations relavant du secret des affaires d’Arcade dont ses fichiers clients, et ce sous astreinte de 5 000 euros par semaine de retard à compter de l’expiration du délai précité ;
– Fait interdiction à la société Exxia la réalisation ou la poursuite des actes d’utilisation ou de la divulgation du fichier clients d’Arcade, lequel est couvert par le secret des affaires, sous astreinte de 15 000 euros par infraction constatée.
Par ailleurs, le jugement sera infirmé en ce qu’il a condamné la société Exxia à assurer la publication dudit jugement, celle-ci n’apparaissant pas opportune en l’espèce.
Sur le préjudice de la société Arcade
Selon les dispositions de l’article L. 152-6 du code de commerce, pour fixer les dommages et intérêts dus en réparation du préjudice effectivement subi, la juridiction prend en considération distinctement :
1° Les conséquences économiques négatives de l’atteinte au secret des affaires, dont le manque à gagner et la perte subie par la partie lésée, y compris la perte de chance ;
2° Le préjudice moral causé à la partie lésée ;
3° Les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte au secret des affaires, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l’atteinte.
La juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire qui tient notamment compte des droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le secret des affaires en question. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.
Sur le fondement des dispositions 1240 du code civil, la société Arcade sollicite la condamnation de la société Exxia à lui payer diverses sommes correspondant à ses préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux consécutifs aux actes de concurrence déloyale commis à son préjudice.
Elle doit rapporter la preuve d’un préjudice et d’un lien de causalité directe entre les deux imputables à la société Arcade.
En premier lieu, il convient de constater que la société Arcade fonde en partie sa demande d’indemnisation de son préjudice au regard de la désorganisation qu’elle a subi du fait du départ de trois de ses anciens salariés pour rejoindre la société Exxia, alors que ce départ n’est nullement constitutif des faits de concurrence déloyale ci-dessus établis et qu’il n’est par ailleurs nullement soutenu que les contrats de travail des salariés en question auraient comporté une clause de non-concurrence, ce qui n’est au demeurant pas le cas.
En second lieu, la société Arcade sollicite une indemnisation consécutive à une baisse de son chiffre d’affaires dont il n’est nullement justifié qu’elle serait en lien avec la détention de son fichier clients par la société Exxia, mais qui pourrait en réalité provenir de la seule création d’une nouvelle société dans son secteur d’activité.
En effet, elle ne rapporte pas la preuve par les pièces qu’elle produit aux débats que les sociétés Braja-Vesigne et BSM qui étaient ses clientes sont effectivement devenues clientes de la société Exxia (étant constaté qu’elle évalue son préjudice à ce titre à la somme de 73 331,50 euros).
Elle ne rapporte pas non plus la preuve d’un préjudice d’image qu’elle aurait subi du fait d’un comportement dénigrant à son égard de la part de la société Exxia, dont il n’est pas établi qu’il ne serait pas resté au stade de projet dans le cadre de la création d’une société commune avec la société CBAO qui ne s’est en définitive jamais concrétisé du fait de sa divulgation par le dirigeant de cette dernière à M. [F].
Toutefois, étant rappelé la règle selon laquelle il s’infère nécessairement un préjudice, fût-il seulement moral, d’un acte de concurrence déloyale, la cour estime, sans devoir recourir à une expertise qui, au regard des considérations ci-dessus énoncées, n’apparaît nullement utile à la solution du litige, le préjudice moral subi par la société Arcade à la somme de 50 000 euros.
Le jugement sera réformé de ce chef.
Sur les autres demandes
Eu égard à la solution du litige et aux faits de concurrence déloyale imputables à la société Exxia, cette dernière sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts formée à l’encontre de la société Arcade au titre d’un dénigrement qui aurait été injustifié du fait de la présente procédure.
Sur les dépens et l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
La société Exxia qui succombe dans ses demandes en cause d’appel sera condamnée aux dépens, ainsi qu’à payer à la société Arcade la somme de 5000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Rejette les demandes de révocation de l’ordonnance de clôture,
Ecarte des débats les conclusions de la société Exxia signifiées le 27 février 2023,
Dit que les conclusions et les pièces de l’appelante prises en compte sont celles qui ont été signifiées le 19 octobre 2021,
Dit que les conclusions et les pièces de l’intimée prises en compte sont celles qui ont été signifiées le 22 février 2023,
Déboute la société Exxia de son exception de nullité de l’assignation et de ses demandes subséquentes,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions critiquées, sauf en ce qu’il a condamné la société Exxia à consigner la somme de 10000 euros H.T, entre les mains de monsieur le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Montpellier dans les 15 jours suivants la signification du présent arrêt, afin de procéder à la publication dans les magazines spécialisés au choix de la société Arcade et dans la limite de ce montant de 10000 euros, du présent jugement et ordonné une mesure d’expertise préalable à la fixation du préjudice subi par la société Arcade,
Statuant à nouveau de ces chefs,
Déboute la société Arcade de sa demande de publication du présent jugement et de ses demandes subséquentes,
Condamne la société Exxia à payer à la société Arcade la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice moral,
Déboute la société Arcade de sa demande de dommages-intérêts,
Condamne la société Exxia aux dépens d’appel, ainsi qu’à payer à la société Arcade la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
le greffier, la conseillère faisant fonction de président,