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COUR D’APPEL de CHAMBÉRY
2ème Chambre
Arrêt du Jeudi 27 Avril 2023
N° RG 21/01055 – N° Portalis DBVY-V-B7F-GWP5
Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de [Localité 11] en date du 26 Avril 2021, RG 16/02654
Appelants
M. [N] [M] [A] [P]
né le [Date naissance 2] 1947 à [Localité 11] ([Localité 11]), demeurant [Adresse 5]
S.A. PACIFICA dont le siège social est sis [Adresse 4] prise en la personne de son représentant légal
Représentés par la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et Me Soledad RICOUARD, avocat plaidant au barreau de PARIS
Intimés
M. [Z] [C]
né le [Date naissance 1] 1974 à [Localité 6] ([Localité 6]),
et
Mme [B] [K] épouse [C],
demeurant ensemble [Adresse 9]
Représentés par la SELARL LEVANTI, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS
S.A. GROUPAMA dont le siège social est sis [Adresse 3] prise en la personne de son représentant légal
Représentée par Me Christian FORQUIN, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et la SELARL CABINET MEROTTO, avocat plaidant au barreau de THONON-LES-BAINS
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COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l’audience publique des débats, tenue le 07 février 2023 avec l’assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,
Et lors du délibéré, par :
– Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente
– Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,
– Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,
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EXPOSÉ DU LITIGE
M. et Mme [G], propriétaires d’une vieille ferme située au lieu-dit [Localité 8], à [Localité 10] (Haute-Savoie), qui leur tenait lieu de résidence secondaire, ont assuré celle-ci auprès de la compagnie Groupama Rhône-Alpes Auvergne (Groupama).
Le bien immobilier était composé au rez-de-chaussé de cinq pièces à vivre, d’une étable, et à l’étage, d’un fenil destiné à l’entreposage du foin.
En 2007, les époux [G] ont convenu avec M. [N] [P], exploitant agricole, que celui-ci entreposerait son fourrage dans le fenil, et installerait son bétail dans l’étable, moyennant l’entretien d’un terrain d’1ha 20ca aux alentours.
Un loyer annuel de 800 euros a en outre ultérieurement été fixé entre les parties, sans que le bail ne fasse l’objet d’un écrit.
A partir de l’année 2008, la famille [C] s’est installée dans la partie habitation du chalet, d’abord pour le week-end, puis de manière permanente.
C’est ainsi que les époux [G] ont consenti à louer leur chalet à M. [Z] [C] et Mme [B] [K] son épouse ainsi que leurs cinq enfants, moyennant le versement d’un loyer mensuel de 300 euros, sans bail écrit.
Les époux [C] ont entrepris différents travaux d’aménagement de la partie habitation du bâtiment. Les loyers n’ont pas été régulièrement payés.
Le dimanche 20 novembre 2011, un incendie s’est déclaré dans les lieux loués, lors duquel le bâtiment a été intégralement détruit.
Le 14 décembre 2012, M. et Mme [G] ont accepté l’indemnisation proposée par leur assureur, Groupama Rhône-Alpes Auvergne, à hauteur de 398.677 euros lequel a ainsi versé aux propriétaires la somme de 371.053 euros et celle de 27.440 euros à l’expert des assurés, M. [H] [J].
C’est dans ces conditions que, par actes délivrés le 18 novembre 2016, la société Groupama Rhône-Alpes Auvergne a fait assigner M. [Z] [C], Mme [B] [K] son épouse, M. [N] [P] et son assureur Pacifica devant le tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains pour obtenir le paiement des indemnités versées au titre du sinistre du 20 novembre 2011, en se fondant sur la responsabilité des locataires.
Par jugement contradictoire rendu le 26 avril 2021, le tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains a:
rejeté la demande des époux [C] tendant à déclarer l’action de Groupama irrecevable pour prescription,
constaté que l’action de Groupama n’est pas prescrite,
rejeté la demande de Pacifica et de monsieur [P] tendant à voir déclarer irrecevable l’action de Groupama pour défaut du droit à agir,
déclaré en conséquence recevable l’action de Groupama,
dit que tant les époux [C] que M. [P] sont responsables du sinistre intervenu le 20 novembre 2011,
condamné solidairement les époux [C] à verser à Groupama la somme de 326.764,26 euros,
condamné in solidum M. [P] et son assureur Pacifica à verser à Groupama la somme de 71.728,74 euros,
dit que ces sommes seront assorties des intérêts au taux légal à compter du présent jugement,
débouté M. [P] et son assureur Pacifica de leur demande reconventionnelle,
débouté les parties du surplus de leurs demandes,
condamné in solidum les époux [C], M. [P] et son assureur Pacifica à verser à Groupama la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
condamné in solidum les époux [C], M. [P] et son assureur Pacifica aux dépens dont distraction au profit de Me Merotto,
ordonné l’exécution provisoire du présent jugement.
Par déclaration du 17 mai 2021, M. [P] et son assureur Pacifica ont interjeté appel de ce jugement.
Par conclusions notifiées le 2 août 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé des moyens, M. [P] et la société Pacifica demandent en dernier lieu à la cour de:
rejeter comme irrecevable et mal fondé le moyen tiré de la prescription opposé par M. et Mme [C],
infirmer le jugement dont appel en ce qu’il a :
– rejeté la demande de Pacifica et de monsieur [P] tendant à voir déclarer irrecevable l’action de Groupama pour défaut du droit à agir,
– déclaré en conséquence recevable l’action de Groupama,
– dit que tant les époux [C] que M. [P] sont responsables du sinistre intervenu le 20 novembre 2011,
– condamné M. [P] et son assureur Pacifica à verser à Groupama la somme de 71.728,74 euros, outre intérêts au taux légal à compter de la décision,
– débouté M. [P] et son assureur Pacifica de leur demande reconventionnelle,
– débouté les parties du surplus de leurs demandes,
– condamné in solidum les époux [C], M. [P] et son assureur Pacifica à verser à Groupama la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné in solidum les époux [C], M. [P] et son assureur Pacifica aux dépens dont distraction au profit de maître Merotto,
– ordonné l’exécution provisoire du jugement,
Statuant à nouveau,
déclarer Groupama irrecevable en ses demandes à l’encontre de Pacifica et de M. [P],
dire que M. [P] n’est pas responsable du sinistre survenu le 20 novembre 2011,
dire que Groupama n’établit pas le montant des préjudices qu’elle allègue,
déclarer M. [P] et son assureur Pacifica bien fondés en leur demande reconventionnelle,
en conséquence,
débouter Groupama de toutes ses demandes à l’encontre de Pacifica et de M. [P],
condamner Groupama à payer :
– à Pacifica la somme de 14.202,48 euros,
– à M. [P] la somme de 750 euros,
condamner Groupama à verser à Pacifica et à M. [P] la somme de 8.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
condamner Groupama aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Juliette Cochet Barbuat, avocat en application de l’article 699 du code de procédure civile,
débouter Groupama et les époux [C] de leurs appels incidents,
A titre infiniment subsidiaire,
confirmer le jugement pour le surplus, et notamment en ce qu’il a dit que M. [P] sera tenu pour responsable à hauteur de 18 % et a condamné M. [P] et Pacifica à verser à Groupama la somme de 71.728,74 euros outre intérêts au taux légal à compter du jugement.
Par conclusions notifiées le 4 mai 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé des moyens, la compagnie Groupama Rhône-Alpes Auvergne demande en dernier lieu à la cour de:
Vu les article 1250 et suivants du code civil, dans leur version en vigueur au jour de la signature de la quittance subrogative,
Vu les articles 1134, 1147, 1733 et 1734 du code civil, dans leur version en vigueur au jour de la conclusion des contrats,
A titre principal,
débouter M. et Mme [C], M. [P] et Pacifica de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains le 26 avril 2021, en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a débouté au fond M. [P] et son assureur Pacifica de leur demande reconventionnelle, et statuant à nouveau sur ce point, déclarer irrecevable ladite demande reconventionnelle pour cause d’acquisition de la prescription et de défaut du droit d’agir,
A titre subsidiaire, si la cour considère que l’action engagée à l’encontre de Pacifica est irrecevable pour défaut de respect de la procédure d’escalade,
déclarer M. et Mme [C], M. [P] responsables de l’incendie survenu le 20 novembre 2011 ayant intégralement détruit le chalet et la grange appartenant aux époux [G],
en conséquence,
condamner solidairement M. et Mme [C] à payer à Groupama la somme de 326.764,26 euros, compte tenu de la valeur locative de la partie de l’immeuble occupée, outre intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir et jusqu’à parfait paiement,
condamner M. [P] à payer à Groupama la somme de 71.728,74 euros, compte tenu de la valeur locative de la partie de l’immeuble occupée, outre intérêts au taux légal à compter de l’arrêt à intervenir et jusqu’à parfait paiement,
confirmer le jugement déféré pour le surplus,
A titre infiniment subsidiaire, si la cour considère que M. [P] n’est pas responsable du sinistre intervenu le 20 novembre 2011,
déclarer M. et Mme [C] responsables de l’incendie survenu le 20 novembre 2011 ayant intégralement détruit le chalet et la grange appartenant aux époux [G],
en conséquence,
condamner solidairement M. et Mme [C] à payer à Groupama la somme de 398.493 euros, outre intérêts au taux légal à compter de l’arrêt à intervenir et jusqu’à parfait paiement,
confirmer le jugement déféré pour le surplus,
A titre encore plus subsidiaire,
déclarer M. et Mme [C] responsables de l’incendie survenu le 20 novembre 2011 ayant intégralement détruit le chalet appartenant aux époux [G],
en conséquence,
confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains le 26 avril 2011 en ce qu’il a condamné solidairement M. et Mme [C], à payer à Groupama la somme de 326.764,26 euros, outre intérêts au taux légal à compter du jugement rendu en première instance, et pour le surplus,
En tout état de cause,
débouter M. et Mme [C], M. [P] et Pacifica de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions, notamment pour Pacifica de sa demande reconventionnelle et notamment pour les époux [C] de leur appel incident,
condamner in solidum M. et Mme [C], M. [P] et son assureur Pacifica à payer à Groupama la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel,
– condamner in solidum M. et Mme [C], M. [P] et son assureur Pacifica aux entiers dépens d’appel, dont distraction au profit de Me Christian Forquin par application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions notifiées le 4 février 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé des moyens, M. et Mme [C] demandent en dernier lieu à la cour de:
réformer en toutes ses dispositions le jugement dont appel, et statuant à nouveau,
Vu l’article 2244 du code civil,
Vu l’article 16 du code de procédure civile,
Vu l’article 1382 du code civil,
A titre principal,
déclarer irrecevable comme prescrite l’action de Groupama ou de toute autre à l’encontre des concluants,
A titre subsidiaire,
débouter Groupama ou tout autre partie de leurs demandes faute pour ces dernières de rapporter la preuve de ce dont elle a indemnisé Mme [G] et tout caractère contradictoire des éléments de preuve produits,
A titre infiniment subsidiaire,
condamner Groupama à indemniser les concluants du préjudice en lien avec le fait qu’elle a volontairement omis d’assigner les parties en référé d’expertise pour que soit recherchée l’origine du sinistre dans l’un ou l’autre des locaux donnés à bail,
dire que ce préjudice est comparable au montant d’une éventuelle condamnation des concluants au profit de Groupama,
condamner Groupama à payer aux concluants la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de la procédure,
débouter Groupama de son appel incident.
L’affaire a été clôturée à la date du 9 janvier 2023 et renvoyée à l’audience du 7 février 2023, à laquelle elle a été retenue et mise en délibéré à la date du 6 avril 2023, prorogé à ce jour.
MOTIFS ET DÉCISION
Sur la prescription de l’action invoquée par M. et Mme [C]
M. et Mme [C] soutiennent que l’action engagée contre eux serait irrecevable comme prescrite, l’assignation du 18 novembre 2016, selon laquelle l’huissier n’aurait pas retrouvé leur adresse, étant manifestement irrégulière, les diligences de l’huissier ayant été insuffisantes, leur adresse en Bretagne étant alors connue.
Groupama soutient que les diligences sont suffisantes, l’huissier n’ayant pas à se transformer en enquêteur, et qu’en outre la nullité éventuelle de cet acte du 18 novembre 2016 n’a causé aucun grief aux époux [C] puisqu’ils ont constitué avocat devant le tribunal.
M. [P] et Pacifica soutiennent, pour leur part, que la nullité de l’assignation, incident de procédure, ne peut plus être soulevée dès lors que le juge de la mise en état n’en a pas été saisi en première instance.
En application de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
En l’espèce, c’est par des motifs pertinents, et au demeurant non contestés, que le tribunal a retenu que l’action de Groupama, subrogée dans les droits et actions dont disposent ses assurés, est soumise à la prescription applicable à l’action directe de la victime, dont le point de départ doit être fixé au jour du sinistre, soit le 20 novembre 2011.
Groupama a fait assigner M. et Mme [C] par acte d’huissier transformé en procès-verbal de recherches infructueuses le 18 novembre 2016, soit avant l’expiration du délai de prescription, à l’adresse à laquelle ils étaient domiciliés dans les suites immédiates de l’incendie, à savoir à [Localité 7] (Haute-Savoie).
Les époux [C] soutiennent que cet acte n’a pas pu interrompre la prescription faute de diligences suffisantes de l’huissier.
Toutefois, il est constant qu’ils n’ont pas saisi le juge de la mise en état d’une exception de nullité de l’assignation du 18 novembre 2016, de sorte qu’ils apparaissent irrecevables à l’invoquer aujourd’hui conformément aux dispositions de l’article 771 ancien du code de procédure civile.
En outre, en application de l’article 2241 du code civil, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. Il en est de même lorsqu’elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l’acte de saisine de la juridiction est annulé par l’effet d’un vice de procédure.
Ainsi, l’irrégularité éventuelle de l’assignation du 18 novembre 2016 n’a pas pour effet de lui faire perdre son effet interruptif, de sorte que la prescription invoquée n’est à l’évidence pas acquise.
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a déclaré l’action recevable à l’encontre de M. et Mme [C].
Sur la fin de non-recevoir soulevée par Pacifica
En application des dispositions des articles 122 et 123 du code de procédure civile, la clause d’un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge constitue une fin de non recevoir qui s’impose au juge si les parties l’invoquent et elle peut être proposée en tout état de cause, y compris pour la première fois en cause d’appel.
Pacifica invoque une fin de non-recevoir tirée du non respect par Groupama de la procédure dite d’escalade instituée par la convention de règlement amiable des litiges (CORAL), édition 2016.
La société Groupama soutient qu’il n’est pas prouvé par Pacifica qu’elle serait adhérente à la convention invoquée par Pacifica.
L’article 8 de la convention CORAL, édition 2016 (pièce n° 13 des appelants) stipule que «les sociétés membres de la FFSA et du GEMA qui adhèrent au moins à une convention IRD adhèrent à la présente convention».
Or Pacifica produit en pièce n° 14 la liste des membres de direction des sociétés d’assurances dommages membres de la FFSA, au nombre desquels figure Groupama assurances, en ce compris Groupama Rhône-Alpes Auvergne (pages 3 et 51 à 56), avec mention de la «liste IRD» 5. La preuve de l’adhésion de Groupama à la convention CORAL est donc établie.
Ainsi, Pacifica et Groupama sont, l’une et l’autre, adhérentes à la convention CORAL, dont l’objet et les principes fondamentaux sont définis ainsi à l’article 1 :
« La présente convention a pour but de favoriser le règlement amiable des litiges entre assureurs en évitant les procédures judiciaires.
A cette fin, elle institue et organise une procédure d’escalade, de conciliation et d’arbitrage entre assureurs.
La procédure d’escalade vaut diligences en vue de parvenir à une résolution amiable du litige au sens de l’article 56 du code de procédure civile.
Les litiges entre assureurs auxquels des assurés ou des tiers lésés sont également intéressés doivent être traités selon cette convention.
Ses dispositions s’imposent aux assureurs adhérents mais sont inopposables aux victimes assurées ou tiers. »
S’agissant de son champ d’application l’article 2 précise qu’elle s’applique aux litiges entre sociétés adhérentes relevant des branches définies par l’article R 321-1 du code des assurances dont « incendie et éléments naturels », « responsabilité civile générale », « pertes pécuniaires diverses ».
L’article 4 intitulé « procédure d’escalade » stipule que les sociétés adhérentes sont tenues avant de recourir à la conciliation, à l’arbitrage ou à la saisine d’une juridiction d’Etat, d’épuiser toutes voies de recours dans le cadre de la procédure d’escalade.
Il est précisé que sauf dispositions conventionnelles spécifiques, la procédure d’escalade s’impose aux sociétés pour les litiges relevant du champ d’application de l’article 2 de la convention et qu’elle constitue un préalable obligatoire à la conciliation et à la saisine de l’instance arbitrale qui doit rester exceptionnelle.
Enfin, l’article 9 prévoit que les dispositions de cette convention s’appliquent aux dossiers dans lesquels une procédure d’escalade (échelon «chef de service») est initiée à compter du 1er janvier 2016.
La société Groupama soutient que cette convention ne serait pas applicable en l’espèce, le sinistre ayant eu lieu en 2011.
Toutefois, l’article 9 de la convention CORAL, précité, ne se réfère nullement à la date du sinistre, mais à la seule date à laquelle est initiée la procédure d’escalade, c’est à dire à la date à laquelle le réclamant forme sa première demande.
Or Groupama ne justifie d’aucune démarche auprès de Pacifica avant l’introduction de l’instance par assignation du 18 novembre 2016, alors qu’elle était tenue par la convention CORAL de procéder d’abord par la procédure d’escalade instituée.
En outre, Pacifica produit en pièce n° 15 une convention d’arbitrage version du 16 septembre 2013, applicable antérieurement à la convention CORAL précitée, instituant un mécanisme similaire, laquelle prévoit qu’elle est applicable aux sinistres survenus à compter du 1er janvier 2006.
Ainsi, Groupama, liée par ces conventions, était tenue en tout état de cause de mettre en oeuvre la procédure d’escalade avant d’engager toute procédure judiciaire, ce qu’elle n’a pas fait, de sorte qu’elle est irrecevable en son action à l’encontre de Pacifica.
Cette fin de non-recevoir ne saurait s’étendre à la demande formée à l’encontre de M. [P] qui ne peut se prévaloir de la procédure d’escalade.
Sur la qualité de subrogé de Groupama
Comme en première instance, la qualité de subrogé de Groupama est contestée par les appelants qui soutiennent que le paiement de l’indemnité d’assurance au profit des époux [G] en même temps que la subrogation n’est pas justifiée.
L’article 1250 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable en l’espèce, dispose que la subrogation est conventionnelle (1°) lorsque le créancier recevant son paiement d’une tierce personne la subroge dans ses droits, actions et privilèges ou hypothèques contre le débiteur: cette subrogation doit être expresse et faite en même temps que le paiement.
Il est de jurisprudence constante que la subrogation conventionnelle de l’assureur dans les droits de l’assuré résulte de la volonté expresse de ce dernier, manifestée concomitamment ou antérieurement au paiement reçu de l’assureur.
En l’espèce, la lettre d’acceptation d’indemnité signée par Mme [G] le 14 décembre 2012 (pièce n° 1 de Groupama) mentionne que «l’assuré(e) déclare subroger G.R.A.A. dans tous les droits, recours ou actions qu’il pourrait avoir à exercer contre quelque personne et pour quelque cause que ce soit, en raison dudit sinistre, conformément au contrat d’assurance susvisé». Elle précise également que, à réception des fonds, cette lettre d’acceptation vaudra quittance définitive.
Le versement des indemnités au profit des époux [G] est intervenu les 18 janvier et 11 mars 2013 (pièce n° 2 de Groupama), soit postérieurement à l’acceptation d’indemnité qui contient volonté expresse des assurés de subroger leur assureur.
Par ailleurs, et comme l’a justement retenu le tribunal, l’absence de production du contrat d’assurance ne rend pas la demande irrecevable, dès lors que la quittance dûment signée emporte, à elle seule, subrogation conventionnelle.
Aussi, c’est à juste titre et par des motifs que la cour adopte que le tribunal, après avoir analysé les documents produits qui établissent que le montant versé aux époux [G] par Groupama l’a bien été au titre du sinistre objet du présent litige et correspond à l’état des dommages et du décompte des indemnités, a retenu que Groupama est subrogée dans les droits et actions de M. et Mme [G], dans les conditions de l’article 1250 du code civil précité.
La fin de non-recevoir ne peut donc qu’être rejetée.
Sur la responsabilité
Les époux [C] ne contestent pas l’existence du bail d’habitation les liant à M. et Mme [G], de sorte que c’est à bon droit que le tribunal a retenu que les dispositions de l’article 1733 du code civil leur sont applicables.
Concernant M. [P], il est également établi que celui-ci était au bénéfice d’un bail rural portant notamment sur une partie du bâtiment appartenant à M. et Mme [G].
Les appelants font grief au jugement déféré d’avoir retenu la responsabilité partagée des locataires en appliquant aux deux baux la présomption de responsabilité de l’article 1733 du code civil, alors que l’article L. 415-3 du code rural et de la pêche maritime ne prévoit de responsabilité du preneur qu’en cas de faute grave.
M. et Mme [C] soutiennent pour leur part que la cause de l’incendie n’ayant pas été contradictoirement déterminée, leur responsabilité ne serait pas démontrée, ni l’étendue des dommages.
L’article 1733 du code civil dispose que le locataire répond de l’incendie, à moins qu’il ne prouve:
– que l’incendie est arrivé par cas fortuit ou force majeure, ou par vice de construction.
– ou que le feu a été communiqué par une maison voisine.
L’article 1734 dispose par ailleurs que, s’il y a plusieurs locataires, tous sont responsables de l’incendie, proportionnellement à la valeur locative de la partie de l’immeuble qu’ils occupent; à moins qu’ils ne prouvent que l’incendie a commencé dans l’habitation de l’un d’eux, auquel cas celui-là seul en est tenu; ou que quelques uns ne prouvent que l’incendie n’a pu commencer chez eux, auquel cas ceux-là n’en sont pas tenus.
L’article L. 415-3 du code rural prévoit que le paiement des primes d’assurances contre l’incendie des bâtiments loués, celui des grosses réparations et de l’impôt foncier sont à la charge exclusive du propriétaire. En cas de sinistre, ni le bailleur, ni les compagnies d’assurances ne peuvent invoquer un recours contre le preneur, s’il n’y a faute grave de sa part.
Pour appliquer la présomption de responsabilité de l’article 1733 et la répartition proportionnelle de l’article 1734 aux deux baux, le tribunal s’est fondé sur une jurisprudence de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 31 mai 1989 (87-19.666).
Toutefois, cette jurisprudence n’est pas transposable en l’espèce puisque, dans le cas qui a donné lieu à cet arrêt, il s’agissait d’un seul preneur au bénéfice de deux baux, civil et rural, sur un même bâtiment. Aussi, la responsabilité du preneur pouvait être retenue sur le fondement de l’article 1733 pour le tout.
Dès lors qu’il y a deux preneurs distincts, chacun doit se voir appliquer le régime de responsabilité dont relève son bail, et c’est en vain que Groupama entend obtenir la condamnation de M. [P] sur le fondement du droit commun qui ne s’applique pas au bail rural.
Groupama ne démontre aucune faute grave de M. [P] qui serait à l’origine du sinistre, quand bien même l’expert indique que le feu a pu prendre naissance dans la cuisine ou dans le fenil. En effet, il n’est pas établi de défaut dans les conditions de stockage du foin, ni que la fermentation de celui-ci serait à l’origine de l’incendie, l’affirmation de Groupama sur ce point n’étant étayée par aucun document.
A cet égard, il convient de souligner que l’expert mandaté par Pacifica tend vers un départ de feu dans la cuisine de la partie habitation, en appuyant cette hypothèse sur des constatations précises; ce que l’expert mandaté par Groupama n’a d’ailleurs pas contredit puisqu’il a noté des incohérences dans les déclarations des époux [C] quant aux circonstances de découverte de l’incendie et à l’absence prétendue de fonctionnement du poêle, pourtant seul mode de chauffage de la maison, au mois de novembre, en altitude, et alors que la neige est déjà présente. L’expert de Groupama indique d’ailleurs dans ses conclusions (pièce n° 3 de Groupama), que le sinistre pourrait être la conséquence d’un vice de construction réalisé par l’occupant lui-même (soit les époux [C]) et qu’il existe bien un point de départ de feu dans la cuisine qui pourrait être à l’origine du sinistre.
A contrario, il n’est fait état d’aucune constatation équivalente dans le fenil, l’auto-combustion du foin étant évoquée comme cause purement hypothétique, contrairement aux constatations effectuées dans la partie habitation.
Ainsi, aucune faute grave n’est démontrée à l’encontre de M. [P] qui serait la cause de l’incendie et aucune présomption de responsabilité ne peut s’appliquer à son égard, ni la répartition proportionnelle de l’article 1734 du code civil.
Aussi, et en l’absence de toute faute grave prouvée à l’encontre de M. [P], sa responsabilité au titre de l’incendie ne peut être retenue et Groupama ne peut qu’être déboutée de sa demande à son encontre.
Concernant M. et Mme [C], la présomption de responsabilité de l’article 1733 s’applique à leur égard et c’est en vain qu’ils invoquent l’absence de preuve de l’origine de l’incendie, puisqu’il leur appartient de rapporter la preuve que l’incendie est survenu par cas fortuit, force majeure, ou du fait d’un vice de construction, ce qu’ils ne font pas.
Les deux expertises amiables réalisées, qui sont concordantes pour l’essentiel, ont au demeurant noté que des aménagements réalisés par M. et Mme [C] (reconnus par M. [C] dans son audition par les gendarmes) ont eu pour effet d’obstruer la trappe de ramonage et qu’un parement bois avait été installé par les locataires sur le mur derrière le poêle sans respecter l’écart au feu, ce qui a pu causer le sinistre.
L’enquête pénale et l’expertise amiable n’ont pas permis de déterminer l’origine précise de l’incendie, de sorte que les circonstances en restent indéterminées, et M. et Mme [C] sont tenus pour le tout.
Sur le montant des dommages
M. et Mme [C] contestent le montant qui leur est réclamé en soutenant qu’en l’absence d’expertise judiciaire contradictoire, les évaluations des experts d’assurances ne leur sont pas opposables.
Toutefois, il convient de souligner que M. [C] était présent à la visite des lieux organisée par l’assureur Groupama le 21 février 2012 (pièce n° 4 de Groupama), de sorte que M. et Mme [C] avaient connaissance de cette expertise. S’ils n’ont pu participer aux opérations d’évaluation des dommages c’est en raison du fait qu’ils n’étaient eux-mêmes pas assurés en qualité de locataires. Il ne peut être fait grief à Groupama de n’avoir pas demandé une expertise judiciaire pour chiffrer le montant des dommages, laquelle n’a, au demeurant, pas été sollicitée par M. et Mme [C] eux-mêmes devant le premier juge.
Par ailleurs, l’expertise amiable, même si elle n’est pas contradictoire pour l’évaluation des dommages, a été régulièrement versée aux débats et M. et Mme [C] ont pu en discuter le contenu, ce qu’ils ne font pas puisqu’ils la rejettent en son entier.
Le bâtiment a été entièrement détruit par l’incendie, de sorte que le montant très important des dommages résulte de ce qu’il devait être entièrement reconstruit. L’indemnité réclamée par Groupama correspond à la valeur de reconstruction vétusté déduite (pièce n° 6 de Groupama). L’expert mandaté a procédé à l’évaluation du coût des travaux de démolition/reconstruction (pièce n° 7 de Groupama), corroborée par un état récapitulatif détaillé poste par poste (pièce n° 6) concordant, qui n’est pas utilement discuté, ainsi que par la participation de l’expert de Pacifica, même si le relevé définitif n’a pas été signé par lui.
Ainsi, le préjudice subi par les époux [G], qui est incontestable en ce que le bâtiment a été entièrement détruit par le sinistre, est établi par les pièces produites aux débats et il y a lieu de condamner solidairement M. et Mme [C] à payer à Groupama le montant de l’indemnité d’assurance versée au titre du sinistre, soit 398.493 euros, outre intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Sur la demande reconventionnelle des époux [C]
M. et Mme [C] forment une demande reconventionnelle tendant à la condamnation de Groupama à les indemniser «du préjudice en lien avec le fait qu’elle a volontairement omis d’assigner les parties en référé expertise pour que soit recherchée l’origine du sinistre dans l’un ou l’autre des locaux donnés à bail», ce préjudice étant, selon eux «comparable au montant d’une éventuelle condamnation» au profit de Groupama.
Toutefois, la demande telle qu’elle est formulée dans le dispositif de leurs conclusions, rappelé ci-dessus, n’est pas une prétention au sens de l’article 954 du code de procédure civile, et en outre, la faute alléguée n’est pas établie, le fait de n’avoir pas sollicité d’expertise judiciaire n’étant en rien constitutif d’une faute.
En conséquence M. et Mme [C] ne peuvent prétendre à la moindre condamnation à leur profit.
Sur la demande reconventionnelle de Pacifica et de M. [P]
Pacifica et M. [P] demandent la condamnation de Groupama à leur rembourser les indemnités versées au titre du préjudice subi par M. [P] du fait de l’incendie (14.202,48 euros) et la franchise restée à sa charge (750 euros), en se fondant sur les dispositions de l’article 1719 du code civil.
Groupama soutient que cette demande est irrecevable comme prescrite et invoque à hauteur d’appel les dispositions de l’article 2224 du code civil.
Le tribunal a déclaré la demande recevable, faute pour Groupama d’avoir fondé sa fin de non-recevoir, mais l’a rejetée au fond en l’absence d’éléments de responsabilité du bailleur dans l’origine de l’incendie.
En application de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
Il est de jurisprudence constante qu’en matière de responsabilité contractuelle, la prescription de l’action en responsabilité ne court qu’à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime.
En l’espèce la réalisation du dommage, dont M. [P] a eu connaissance dès le jour du sinistre, est la date à laquelle s’est produit l’incendie, c’est-à-dire le 20 novembre 2011. Il importe peu qu’il n’ait, à cette date, pas eu connaissance du montant exact des dommages.
Or, selon les explications des parties la demande reconventionnelle de Pacifica et de M. [P] a été formée pour la première fois par conclusions notifiées le 26 mai 2017, soit plus de cinq ans après la réalisation du dommage, de sorte qu’elle est irrecevable comme prescrite.
Sur les demandes accessoires
Il serait inéquitable de laisser à la charge de Pacifica et de M. [P] la totalité des frais exposés, et non compris dans les dépens. Il convient en conséquence de condamner Groupama à leur payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La même équité commande de condamner M. et Mme [C] à payer à Groupama la somme de 3.000 euros.
Enfin, M. et Mme [C], qui succombent à titre principal, supporteront les entiers dépens de première instance et d’appel, avec application des dispositions de l’article 699 au profit de Me Christian Forquin et de Me Juliette Cochet-Barbuat.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme partiellement le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains le 26 avril 2021,
Statuant à nouveau sur le tout pour une meilleure compréhension de la décision,
Rejette la fin de non-recevoir soulevée par M. et Mme [C] tirée de la prescription de l’action engagée à leur encontre par la société Groupama,
En conséquence, déclare recevable l’action engagée par la société Groupama à l’encontre de M. et Mme [C],
Déclare irrecevable l’action engagée par la société Groupama à l’encontre de la société Pacifica,
Dit que la société Groupama a qualité pour agir et déclare sa demande recevable en ce qu’elle est dirigée contre M. [P],
Dit que M. et Mme [C] sont seuls responsables de l’incendie survenu le 20 novembre 2011,
Déboute la société Groupama de l’ensemble des demandes formées à l’encontre de M. [P],
Condamne solidairement M. et Mme [C] à payer à la société Groupama la somme de 398.493 euros, outre intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
Déboute M. et Mme [C] de leur demande reconventionnelle formée contre la société Groupama,
Déclare irrecevables comme prescrites les demandes reconventionnelles formées par la société Pacifica et M. [P],
Condamne la société Groupama à payer à la société Pacifica et à M. [P], indivisément, la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile;
Condamne in solidum M. et Mme [C] à payer à la société Groupama la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum M. et Mme [C] aux entiers dépens, de première instance et d’appel, avec application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile au profit de Me Christian Forquin et de Me Juliette Cochet-Barbuat.
Ainsi prononcé publiquement le 27 avril 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.
La Greffière La Présidente