Nullité d’Assignation : 23 juin 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/19737

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Nullité d’Assignation : 23 juin 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 22/19737
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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 8

ARRÊT DU 23 JUIN 2023

(n° , 16 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/19737 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGXRH

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 14 Novembre 2022 -Tribunal de Commerce de PARIS – RG n° 2022012528

APPELANTES

S.A. CARAX prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 10]

[Localité 14]

S.A. TRADITION SECURITIES AND FUTURES prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 15] – nom commercial : MEDIATION SA

[Localité 12]

S.A. TSAF OTC prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 15]

[Localité 12]

Représentées par Me Audrey SCHWAB de la SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056 et assisté par Me François-Pierre LANI, avocat au barreau de PARIS, toque : P426

INTIMEE

SAS AUREL BGC prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 11]

[Localité 13]

Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480, assistés par me Frédéric WIZMANE, avocat au barreau de PARIS, toque : E223

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 25 mai 2023, en audience publique, Rachel LE COTTY, Conseiller, ayant été entendue en son rapport, devant la cour composée de :

Florence LAGEMI, Président,

Rachel LE COTTY, Conseiller,

Patrick BIROLLEAU, Magistrat honoraire,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Jeanne BELCOUR

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Florence LAGEMI, Président et par Saveria MAUREL, Greffier.

****

Les sociétés Tradition Securities And Futures (ci-après TSAF) et TSAF OTC exercent des activités d’intermédiation sur les marchés financiers. La société Carax exerce une activité de fourniture de services d’investissement et de services connexes, notamment la réception et la transmission d’ordres pour le compte de tiers portant sur tous instruments financiers.

Ces trois sociétés sont des filiales de la société suisse Compagnie Financière Tradition, holding du groupe Tradition, l’un des leaders mondiaux de l’intermédiation financière pour des clients institutionnels.

La société Aurel BGC exerce également une activité de courtage et d’intermédiation sur les marchés financiers.

Elle est une filiale du groupe BGC Partners, principal concurrent de la société Compagnie Financière Tradition et de ses filiales.

Elle vient aux droits de la société GFI Securities Limited à la suite d’apports partiels d’actifs intervenus en juillet et août 2020.

Les deux groupes Aurel BGC et Compagnie Financière Tradition disposent de filiales à [Localité 16] : Aurel BGC [Localité 16] et Carax [Localité 16], dont les activités sont directement concurrentes.

La société Carax [Localité 16] a fait l’objet d’une mesure de constat sur requête sollicitée par la société Aurel BGC le 7 février 2022, refusée en première instance et ordonnée partiellement le 5 mai 2022 par la cour d’appel de Monaco.

Entre 2019 et 2020, cinq salariés de la société GFI Securities Limited ont démissionné avant de rejoindre la société TSAF : MM. [E] et [I] [K], [F], [L] et [G].

Entre août 2019 et novembre 2020, quatre salariés de la société GFI Securities Limited ont démissionné avant de rejoindre la société Carax [Localité 16] : MM. [O], [H], [D] et [C].

Par requête du 8 décembre 2021, la société Aurel BGC a sollicité du président du tribunal de commerce de Paris une mesure d’instruction in futurum au visa de l’article 145 du code de procédure civile, à l’encontre des sociétés TSAF, TSAF OTC et Carax afin d’établir et conserver la preuve d’agissements de concurrence déloyale.

Par ordonnance du 15 décembre 2021, le président du tribunal de commerce a accueilli la demande et désigné la SELARL [X] et [S], commissaires de justice, pour exécuter la mesure.

Maîtres [X] et [S] ont réalisé leurs opérations le 10 février 2022 au siège de la société Carax, d’une part, des sociétés TSAF et TSAF OTC, d’autre part, et ont dressé deux procès-verbaux de constat les 10 et 18 février 2022.

Par acte du 9 mars 2022, les sociétés TSAF, TSAF OTC et Carax ont assigné la société Aurel BGC devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins de rétractation de l’ordonnance sur requête du 15 décembre 2021.

Par ordonnance du 14 novembre 2022, le juge des référés a :

dit recevable la société Aurel BGC dans le cadre de sa requête du 8 décembre 2021 ;

dit recevables mais mal fondées les sociétés Carax, TSAF et TSAF OTC en leur demande de rétractation de l’ordonnance du 15 décembre 2021 ;

en conséquence,

débouté les sociétés Carax, TSAF et TSAF OTC de leur demande de nullité de la requête du 8 décembre 2021 ;

débouté la société Aurel BGC de sa demande de nullité de l’assignation du 9 mars 2022 ;

débouté les sociétés Carax, TSAF et TSAF OTC de leur demande de rétractation de l’ordonnance du 15 décembre 2021 ;

débouté la société Aurel BGC de ses demandes de production de pièces et d’extension de mission de l’huissier instrumentaire comme irrecevables ;

dit l’ordonnance du 15 décembre 2021 conforme aux dispositions de l’article 145 du code de procédure civile ;

dit que la procédure de levée du séquestre doit être engagée selon la procédure ci-après, même s’il est fait appel de la présente décision, tout en préservant les intérêts des sociétés Carax, TSAF et TSAF OTC jusqu’à décision définitive ;

dit que les pièces qui pourraient être retenues comme communicables lors de l’éventuelle levée de séquestre à intervenir seront maintenues sous séquestre entre les mains des huissiers instrumentaires et séquestrées jusqu’à décision définitive ;

dit que la levée de séquestre éventuelle à intervenir de pièces saisies lors des opérations de constat des huissiers instrumentaires doit se faire conformément aux dispositions des articles R. 153-3 à R. 153-8 du code de commerce ;

organisé la procédure de levée de séquestre et fixé le calendrier des opérations de tri ;

dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires ;

condamné les sociétés Carax, TSAF et TSAF OTC aux entiers dépens de l’instance.

Par déclaration du 23 novembre 2022, les sociétés Carax, TSAF et TSAF OTC ont interjeté appel de cette décision.

Dans leurs dernières conclusions remises et notifiées le 17 mai 2023, elles demandent à la cour de :

à titre liminaire,

rejeter le contenu du paragraphe 1.7 des conclusions d’intimée n° 2 ;

à titre principal,

infirmer en son intégralité l’ordonnance entreprise ;

statuant à nouveau,

ordonner la rétractation totale de l’ordonnance du 15 décembre 2021 ;

ordonner l’annulation des actes subséquents et notamment la restitution par l’huissier instrumentaire de l’intégralité des éléments saisis et des actes subséquents (dont les procès-verbaux de constat) et la destruction de toute copie qui aurait été faite de tels éléments ;

à titre subsidiaire,

infirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a :

dit recevable la société Aurel BGC ;

dit mal fondée la demande de rétractation ;

rejeté leur demande de nullité de la requête du 8 décembre 2021 ;

débouté la société Aurel BGC de sa demande de nullité de l’assignation du 9 mars 2022 ;

rejeté leur demande de rétractation de l’ordonnance du 15 décembre 2021 ;

débouté la société Aurel BGC de ses demandes de production de pièces et d’extension de mission de l’huissier instrumentaire comme irrecevables ;

dit l’ordonnance du 15 décembre 2021 conforme aux dispositions de l’article 145 du code de procédure civile ;

organisé la procédure de levée du séquestre ;

dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

mis les dépens à leur charge ;

statuant à nouveau,

modifier les mesures d’instruction en écartant les mesures non légalement admissibles et, en particulier, les mesures manifestement étrangères au litige, ainsi qu’en aménageant la levée du séquestre dans le cadre d’une audience contradictoire non soumis à la seule protection du secret des affaires, dans les conditions proposées par elles dans leurs écritures – dans les développements au point 5.2 ;

ordonner l’annulation ou, selon le cas, la modification des actes subséquents relativement aux mesures d’instruction supprimées et notamment la restitution par l’huissier instrumentaire des éléments saisis en exécution des mesures d’instruction supprimées et, le cas échéant, des actes subséquents annulés (dont les procès-verbaux de constat) et la destruction de toute copie qui aurait été faite de tels éléments ;

en tout état de cause,

rejeter l’intégralité des demandes de la société Aurel BGC ;

infirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle n’a pas fait droit à leur demande de condamnation de la société Aurel BGC à la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure relativement à la première instance ;

statuant à nouveau,

condamner la société Aurel BGC à leur payer la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile relativement à la première instance ;

condamner la société Aurel BGC à leur payer la somme de 50.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile relativement à la procédure d’appel ;

condamner la société Aurel BGC aux entiers dépens, avec faculté de recouvrement, pour ceux la concernant, au profit de la SELARL 2H Avocats, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 9 mai 2023, la société Aurel BGC demande à la cour de :

confirmer l’ordonnance entreprise sauf en ce qu’elle a rejeté ses demandes de production de pièces et d’extension de mission de l’huissier comme irrecevables et ainsi que sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

sur l’appel des sociétés Carax, TSAF et TSAF OTC,

les débouter de l’intégralité de leurs demandes ;

sur son appel incident,

la juger recevable et bien fondée en son appel incident ;

infirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle l’a déboutée de ses demandes de production de pièces et d’extension de mission de l’huissier instrumentaire comme irrecevables ;

statuant à nouveau,

ordonner à la société TSAF de produire, sous astreinte provisoire de 1.500 euros par jour de retard, passé le délai de 8 jours suivant la signification de « l’ordonnance » à intervenir et ce, pendant une durée de 30 jours à l’issue de laquelle il sera le cas échéant de nouveau statué, la copie du contrat de MM. [L], [F], [E] et [I] [K] et [G] et de tout document contractuel ou élément relatif à leur relation contractuelle de travail et à leur rémunération (lettre d’embauche ou de pré-embauche, contrat de travail, lettres séparées « side letters », contrat de prêt), et les bulletins de paie de ces salariés depuis leur entrée en fonction jusqu’au 30 juin 2021 ;

enjoindre aux sociétés Carax, TSAF et TSAF OTC, sous astreinte provisoire de 1.500 euros par jour de retard, passé le délai de 8 jours suivant la signification de « l’ordonnance » à intervenir et ce, pendant une durée de 30 jours à l’issue de laquelle il sera le cas échéant de nouveau statué, de permettre à la SELARL [X]-[S], huissiers de justice, assistée de tout technicien de son choix, notamment en matière informatique, de rechercher et prendre copie au siège social des sociétés Carax, TSAF et TSAF OTC, [Adresse 15] à [Localité 18], des éléments suivants :

1. Tout échange électronique sans exclure tout autre support papier ou autre, postal ou non, émis, reçus ou rédigés des anciens salariés de la société Aurel BGC avec les mandataires sociaux et/ou employés des requises sur les périodes suivantes :

– pour M. [C] et M. [D] entre le 1er juin 2019 et 9 août 2019 ;

– pour M. [F] entre le 1er novembre 2019 et le 21 janvier 2020 ;

– pour M. [E] [K] et M. [I] [K] entre le 1er avril et le 31 juillet 2020 ;

– pour MM. [O], [H] et [G], entre le 1er septembre 2020 et le 10 novembre 2020 ;

et les SMS échangés par Mme [B] ([XXXXXXXX01]) et les salariés ci-dessus sur les mêmes périodes en rapport avec leur embauche à l’exclusion de ceux portant la mention « personnel/ privé » soit M. [C] [XXXXXXXX07], M. [D] [XXXXXXXX08] ; M. [F] [XXXXXXXX03] ; M. [L] [XXXXXXXX02] ; M. [H] [XXXXXXXX09] ; M. [E] [K] [XXXXXXXX06] ; M. [I] [K] [XXXXXXXX05] ; M. [O] [XXXXXXXX04] ;

2. Tous documents et/ou fichiers (notamment booking trade system et main courante électronique) établissant les ordres traités ou conclus :

– par M. [C], jusqu’au 31 décembre 2020, avec les sociétés suivantes : H2O AM (asset management) et Vontobel Asset Management et tous emails/correspondances/messages Bloomberg adressés par ce salarié à ces sociétés sur cette même période ;

– par M. [O], jusqu’au 15 juillet 2021, avec les sociétés suivantes : Société Générale, Natixis, City Group Global Markets, Deutsche Bank AG, BNP Paribas, Mitsubishi Financial Group, Bank of Nova Scotia, HSBC Holdings, Morgan Stanley et tous emails/correspondances/messages Bloomberg adressés par ce salarié à ces sociétés sur cette même période ;

– par M. [H], jusqu’au 15 juillet 2021, avec les sociétés suivantes : Crédit Agricole SA, Barclays Bank Plc, J.P. Morgan Chase & co., Symmetry Investments UK LLP, Société Générale et tous emails/correspondances/ messages Bloomberg adressés par ce salarié à ces sociétés sur cette même période ;

– par M. [D], entre le 8 novembre 2019 et le 8 mai 2020 avec des sociétés sises dans les pays mentionnés dans sa clause de non-concurrence à savoir : France, Londres, Milan, NY, Espagne, Suisse, Dubaï, Israël et tous emails/correspondances/messages Bloomberg adressés par ce salarié à ces sociétés sur cette même période ;

3. les ordres transmis par Carax [Localité 16] pour exécution par la société TSAF ou TSAF OTC pour les clients visés et les périodes définies dans l’ordonnance du 15 décembre 2021 à savoir :

– H2O AM (asset management) et Vontobel Asset Management du 8/10/2019 au 31/12/2020 ,

– Société Générale, Natixis, City Group Global Markets, Deutsche Bank AG, BNP Paribas, Mitsubishi Financial Group, Bank of Nova Scotia, HSBC Holdings, Morgan Stanley du 29/01/2021 au 15/07/2021 ;

– Crédit Agricole SA, Barclays Bank Plc, J.P. Morgan Chase & co., Symmetry Investments UK LLP, Société Générale du 4/02/2021 au 15/072021 ;

– Crédit industriel et commercial du 21/02/2020 au 31/1/2020 ;

et la piste d’audit correspondant à ces ordres depuis la prise d’ordre chez la société Carax [Localité 16] jusqu’à l’exécution par les sociétés TSAF ou TSAF OTC afin d’identifier le courtier qui a reçu et transmis l’ordre ;

autoriser l’huissier et le technicien choisi à avoir accès à l’ensemble des serveurs et postes informatiques des sociétés TSAF et TSAF OTC, aux serveurs et à tous autres supports (externes et internes y compris virtuels) de données informatiques aux fins d’y rechercher les éléments prévus dans la mission ;

faire injonction aux sociétés TSAF et TSAF OTC de ne pas faire obstruction aux opérations de constat et de permettre l’accès aux ordinateurs, serveurs, connexions diverses en communiquant à l’huissier instrumentaire sur sa demande les codes d’accès et mots de passe nécessaires y compris les codes d’accès au téléphone et au cloud/drive rattachés aux personnes visées par la mission ;

autoriser l’huissier instrumentaire à prendre des photos et/ou des copies sur supports papier et/ou informatique des éléments trouvés ainsi que sur tout matériel jugé nécessaire par lui, à défaut, utiliser ses propres moyens de copies, au besoin en les emportant temporairement à son étude ;

autoriser l’huissier instrumentaire à procéder à toute recherche sur tout support d’archivage informatique, qu’il s’agisse notamment de disquettes, disques optiques, numériques, disques magnéto-optiques, sauvegarde sur bandes magnétiques ou tout support numérique et/ou à se connecter à tous serveurs accessibles à distance par voie électronique à partir des équipements informatiques présents sur les lieux de l’opération y compris auprès d’hébergeurs cloud aux fins d’exécution de la mission ;

dire que les recherches incluront tout message effacé qui pourrait être récupéré par l’expert informatique au moyen d’un logiciel approprié ;

dire qu’il sera recherché si les sociétés TSAF et/ou TSAF OTC ont utilisé un logiciel de nettoyage ;

autoriser le(s) huissier(s) instrumentaire(s) si nécessaire à procéder à l’extraction des disques durs des unités centrales des ordinateurs concernés, à leur examen à l’aide des outils d’investigation de son choix puis à la remise en place de ces disques dans leur unité centrale ou ordinateur respectifs après en avoir pris copie ;

dire que seront exclus du champ de la recherche de l’huissier instrumentaire tout document ou dossier intitulé « personnel », « perso » ou « privé » et toute correspondance en provenance ou à destination du ou des avocats des requis dont les noms devront lui être communiqués par le requis ;

dire qu’en cas de présence d’un tel document ou dossier, l’huissier de justice aura la possibilité de s’assurer du caractère réellement privé des informations qu’il contient ;

autoriser l’huissier à consigner toutes déclarations faites au cours des opérations en relation avec la mission mais en s’abstenant de toutes interpellations autres que celles nécessaires à l’accomplissement de la mission ;

dans l’hypothèse où la bonne fin de la mission pourrait être compromise du fait d’une obstruction, d’un obstacle technique tenant à la volumétrie des informations ou de l’impossibilité d’utiliser sur place les outils techniques :

autoriser le(s) huissier(s) instrumentaire(s) en cas de difficultés dans la sélection et le tri des éléments recherchés, en raison de leur volume, ou en cas de difficultés rencontrées dans l’accès aux supports informatiques des sociétés requises, à effectuer une copie complète en deux exemplaires de fichiers sur tout support de son choix, si nécessaire des copies complètes de disques durs et autres supports de données associés afin d’effectuer toutes opérations de tri et d’analyse de manière différée des éléments recherchés ;

dire que le(s) huissier(s) instrumentaire(s) dressera l’inventaire des pièces obtenues dans son procès-verbal et remettra les éléments copiés à la requérante en veillant à biffer toute information à caractère privé sans rapport avec les faits litigieux dans un délai d’un mois à compter du constat en l’absence de tout recours exercé par les parties requises ayant subi la recherche ;

dire que dans le cas de l’analyse différée, l’expert informatique devra établir une note technique établissant la traçabilité de ses opérations et détruire les fichiers de travail après réalisation de sa mission et que l’huissier instrumentaire remettra à la partie auprès de laquelle il les aura obtenues une copie des pièces telles qu’elles résultent du tri auquel il aura procédé avec le technicien ;

dire qu’à l’issue des opérations, l’huissier instrumentaire devra établir un document permettant l’identification des éléments appréhendés et le remettre à la partie auprès de laquelle il les aura obtenues ; du tout dresser constat qui lui sera communiqué ;

dire que l’huissier instrumentaire tiendra à la disposition des sociétés TSAF et TSAF OTC sur un support informatique adapté une copie des pièces séquestrées ;

dire que l’ensemble des éléments recueillis par l’huissier seront conservés par lui sous séquestre provisoire sans qu’il puisse en lui donner connaissance ;

dire que l’ensemble des éléments recueillis par le mandataire de justice constatant sera conservé par lui, en séquestre provisoire, sans qu’il puisse lui en donner connaissance conformément aux modalités prévues dans l’ordonnance du 15 décembre 2021 et selon les modalités fixées dans ladite ordonnance ;

sur l’article 700 du code de procédure civile,

infirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle l’a déboutée de sa demande ;

statuant à nouveau,

condamner in solidum les sociétés Carax, TSAF et TSAF OTC à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la première instance ainsi qu’aux dépens relatifs à la mesure d’instruction ;

en tout état de cause,

débouter les sociétés Carax, TSAF et TSAF OTC de l’intégralité de leurs demandes ;

condamner in solidum les sociétés Carax, TSAF et TSAF OTC à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour l’instance d’appel ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance d’appel.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 24 mai 2023.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé des moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.

SUR CE, LA COUR,

Sur la demande de rejet du contenu du paragraphe 1.7 des conclusions d’intimée n°2

Les appelantes critiquent le paragraphe 1.7 des conclusions de l’intimée relatif à la procédure de levée de séquestre devant le tribunal de commerce, aux termes duquel l’intimée expose que : « dans ce cadre, les sociétés TSAF et Carax ont proposé des versions tellement biffées au prétexte de la nécessité de préserver le secret des affaires que les pièces biffées seraient dénuées de toute utilité. Le président du tribunal leur a demandé de revoir leur version des pièces et il en a été débattu le 14 avril 2023 ».

Les appelantes font valoir qu’aux termes d’un accord de confidentialité conclu entre les parties le 9 janvier 2023 à l’occasion de la procédure de levée de séquestre, l’ensemble des pièces et plus généralement toute information qui ne ferait pas l’objet d’une mainlevée de séquestre de la part du président du tribunal de commerce de Paris ne peuvent faire l’objet de divulgation, sauf aux tiers précisément énumérés par l’accord, à savoir le tribunal de commerce de Paris, les auxiliaires de justice intéressés par le contentieux en cours et les sociétés TSAF, TSAF OTC et Carax.

Elles estiment qu’en mentionnant les choix qu’elles ont opérés dans l’exercice du caviardage que leur permettent les dispositions de l’article R. 153-3 du code de commerce, le conseil de la société Aurel BGC a violé les dispositions de cet accord.

Bien que cette mention soit sans incidence sur le présent litige, qui ne concerne pas le tri des pièces, la demande des appelantes sera accueillie, l’existence de l’accord de confidentialité n’étant pas contestée et étant confirmée par l’ordonnance du président du tribunal de commerce de Paris du 12 janvier 2023 versée aux débats.

Sur la demande de rétractation de l’ordonnance sur requête du 15 décembre 2021

Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.

L’article 493 du même code dispose que l’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.

Les mesures d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ne peuvent donc être ordonnées sur requête qu’à la condition, pour le requérant de justifier, d’une part, d’un motif légitime, d’autre part, de la nécessité de déroger au principe de la contradiction.

En outre, les mesures doivent être nécessaires à l’exercice du droit à la preuve du requérant et ne pas revêtir un caractère disproportionné.

Sur la recevabilité de la requête introduite par la société Aurel BGC

Les appelantes soutiennent que la société Aurel BGC n’a pas justifié de son intérêt à agir au moment de la requête, s’étant bornée à se présenter comme « venant aux droits de la société GFI Securities Limited », sans produire aucune des publications légales informant les tiers de sa qualité de bénéficiaire d’apports partiels d’actifs intervenus entre les sociétés GFI Securities Limited et BGC France Holding puis entre les sociétés BGC France Holding et Aurel BGC.

Mais les pièces produites par les appelantes elles-mêmes confirment l’intérêt à agir de la société Aurel BGC à la date de la requête, celle-ci venant aux droits de la société GFI Securities Limited à la suite d’apports d’actifs intervenus en juillet et août 2020 entre les sociétés GFI Securities Limited et BGC France Holding puis entre les sociétés BGC France Holding et Aurel BGC.

Les actes relatifs à ces opérations ont été publiés au BODACC et sont donc opposables aux appelantes, comme ils l’étaient au jour de la requête.

La circonstance que la société Aurel BGC n’ait pas produit, au jour de la requête, les pièces attestant de ce qu’elle venait effectivement aux droits de la société GFI Securities Limited est sans incidence dès lors que cette affirmation était exacte et est confirmée par les pièces produites lors du débat contradictoire.

La fin de non-recevoir soulevée par les appelantes doit donc être rejetée.

Sur le motif légitime

Pour ordonner une mesure d’instruction in futurum en application de l’article 145 du code de procédure civile précité, le juge doit constater l’existence d’un procès « en germe », possible et non manifestement voué à l’échec, dont la solution peut dépendre de la mesure d’instruction sollicitée, sans qu’il lui appartienne de statuer sur le bien-fondé de l’action au fond susceptible d’être ultérieurement engagée.

Le recours à une mesure d’instruction sur le fondement de ce texte ne requiert pas de commencement de preuve, la mesure ayant précisément pour objet de rechercher et établir les preuves en vue d’un procès futur.

La société Aurel BGC soutient que le motif légitime résulte des indices concordants établissant des agissements fautifs de concurrence déloyale et illicite par les sociétés TSAF, TSAF OTC et Carax, à savoir un débauchage déloyal ayant entraîné une désorganisation et une concurrence illicite du fait de la complicité dans la violation des engagements post-contractuels de ses salariés.

Les appelantes estiment que la mesure d’instruction ne repose sur aucun motif légitime dès lors que les salariés sont très spécialisés dans le secteur de l’intermédiation sur les marchés financiers, lequel est notoirement connu pour son turn-over important des brokers seniors, ce dont il résulte que les salariés ne peuvent qu’être recrutés chez des concurrents et que les soupçons que le requérant doit mettre en lumière pour établir l’existence d’actes de concurrence déloyale résultant de la violation de clauses de non-concurrence ou de non-sollicitation requièrent un niveau de démonstration renforcé.

Elles exposent qu’en l’espèce, au stade de la requête, la société Aurel BGC ne fournissait pas d’éléments probants permettant de suspecter une complicité de leur part à l’incitation au départ de collaborateurs, à un démarchage actif de clientèle ou à la collaboration des anciens salariés de GFI Securities Limited avec une entreprise concurrente sur l’un des territoires couverts par leurs clauses de non-concurrence.

Elles relèvent également que la société Aurel BGC n’a pas introduit d’action judiciaire à l’encontre des salariés prétendument débauchés et que la mesure d’instruction est inutile quant à la recherche de preuve « d’agissement de concert de Tradition et Carax [Localité 16] », cette information étant connue de tous les acteurs du monde de l’intermédiation, et notamment de l’intimée, la société Aurel BGC [Localité 16] ayant le même mode de fonctionnement que la société Carax [Localité 16].

Mais il résulte des pièces produites par la société Aurel BGC à l’appui de sa requête que neuf de ses courtiers ont démissionné entre août 2019 et novembre 2020, dans des circonstances laissant présumer une concertation.

En effet, MM. [C] et [D] ont démissionné le même jour, 9 août 2019, MM. [L] et [F] ont démissionné en l’espace d’un mois, les 23 décembre 2019 et 20 janvier 2020, MM. [E] et [I] [K] ont démissionné en l’espace de deux mois et demi, les 18 mai et 30 juillet 2020, M. [O] et [H] ont démissionné le même jour, 2 novembre 2020, et M. [G] a démissionné deux semaines plus tard, le 16 novembre 2020.

Entre avril 2020 et octobre 2021, cinq de ces salariés ont rejoint la société TSAF : MM. [E] et [I] [K], [F], [L] et [G]. Entre novembre 2019 et avril 2021, quatre ont rejoint la société Carax [Localité 16] : MM. [O], [H], [D] et [C].

A la suite de ces départs, la société Aurel BGC a subi une baisse très importante du chiffre d’affaires net du « desk », passé de 10.152.107 euros en 2018 à 5.718.322 en 2019 et 1.898.928 euros en 2020, soit une variation globale de – 8.253.179 euros, ce qui atteste de la profonde désorganisation liée au départ de ses courtiers et justifiait une mesure d’instruction destinée à rechercher la preuve d’une éventuelle captation de clientèle par les sociétés concurrentes.

En outre, les contrats de travail des salariés contenaient tous une clause de non-débauchage d’une durée d’un an et, pour sept d’entre eux, une clause de non-sollicitation et de non-concurrence d’une durée de six mois.

La société Aurel BGC justifie avoir versé, au titre des clauses de non-concurrence, la somme totale de 139.650 euros bruts aux salariés. Ayant constaté, au jour de la requête, l’embauche par les sociétés Carax [Localité 16] et TSAF, de plusieurs de ses anciens salariés soumis à une obligation de non-sollicitation et de non-concurrence, elle pouvait légitimement chercher à connaître la preuve de la date de ces embauches afin de vérifier l’absence de violation de leurs obligations par les salariés et l’absence de complicité des appelantes dans cette éventuelle violation.

La production, par la société Carax [Localité 16], des « autorisations d’embauchage » de MM. [C], [D], [L], [O] et [H] (pièce H) a au demeurant permis de confirmer l’embauche par elle de ces courtiers pendant la période de non-concurrence et de non sollicitation.

Les appelantes font valoir que les clauses de non-concurrence ne visaient pas le territoire de la principauté de Monaco et que les ordres émis par les salariés depuis [Localité 16] à travers la société Carax [Localité 16] sont réalisés depuis un territoire non couvert par la clause de non-concurrence.

Il est constant que la principauté de Monaco n’est pas couverte par les clauses de non-concurrence.

Mais, ainsi que le soutient l’intimée, au regard des liens capitalistiques existant entre les appelantes et la société Carax [Localité 16], la localisation des courtiers à [Localité 16] via la société Carax [Localité 16] pourrait n’être qu’une « façade » destinée à contourner les clauses de non-concurrence et de non-sollicitation, justifiant la recherche de plus amples éléments de preuve.

De plus, il résulte des pièces produites par l’intimée que l’exécution des opérations de la société Carax [Localité 16] s’effectue via le siège parisien, son site internet précisant qu’ « aux investisseurs institutionnels, Carax [Localité 16] SAM propose ainsi des services de conseil et d’exécution d’opérations par le biais du siège parisien ».

L’intimée fait également valoir, sans être contredite sur ce point, que la liste officielle des sociétés disposant d’un agrément à [Localité 16] détaille les activités de la société Carax [Localité 16] ayant reçu un agrément, en application de l’article 1er de la loi 1.338 du 7 septembre 2007 sur les activités financières, et que cette liste ne comprend pas l’exécution d’ordres pour le compte de tiers. Il en résulte que les courtiers embauchés par cette société font nécessairement exécuter les ordres qu’ils reçoivent par les autres sociétés du groupe, à savoir les sociétés TSAF et TSAF OTC.

Enfin, les clauses de non-concurrence figurant dans les contrats de travail des salariés visaient les « clients » et les « interlocuteurs du Desk », interdisant donc de solliciter les anciens clients situés à [Localité 17] notamment (territoire couvert par les clauses), quelle que soit la localisation de la société les ayant embauchés.

En tout état de cause, il appartiendra au juge du fond éventuellement saisi d’apprécier l’éventuelle violation de la clause de non-concurrence par les sociétés appelantes, le juge de la rétractation n’ayant pas le pouvoir de trancher le fond du litige entre les parties.

Il convient encore de relever que la cour d’appel de Monaco, dans un arrêt du 5 mai 2022, a accueilli la demande de mesure d’instruction formée par la société Aurel BGC à l’encontre de la société Carax [Localité 16], au regard des « éléments objectifs évocateurs d’actes de concurrence déloyale » et a ordonné à la société Carax [Localité 16] de produire la copie des contrats de travail de MM. [C], [D], [L], [F], [O] et [H] ainsi que tout document contractuel relatif à leur relation de travail avec cette société.

Les moyens soulevés par les appelantes pour s’opposer à la mesure ne sont pas pertinents dès lors que la spécialisation et le turn over des salariés dans le secteur de l’intermédiation financière n’empêchent pas les actes de concurrence déloyale ou de débauchage, que la société Aurel BGC produisait suffisamment d’éléments probants au stade de la requête, sans avoir à rapporter la preuve des faits de complicité d’incitation au départ de collaborateurs et de démarchage de clientèle reprochés, et qu’enfin, l’absence d’action en justice contre les salariés eux-mêmes est sans incidence.

Quant au fonctionnement du Groupe Tradition et de la société Carax [Localité 16], qui serait connu de tous les acteurs du monde de l’intermédiation, et notamment de l’intimée, il ne rend pas inutile la recherche de preuves des faits incriminés.

En l’état des pièces produites, une action en concurrence déloyale résultant de faits de débauchage ayant entraîné la désorganisation de la société intimée et de faits de complicité de violation des engagements post-contractuels des salariés est possible et non manifestement vouée à l’échec.

Sur la nécessité de déroger au principe de la contradiction

Les appelantes soutiennent que la société Aurel BGC n’a pas caractérisé les circonstances susceptibles de justifier une dérogation au principe de la contradiction, la seule nature informatique d’éléments à rechercher n’étant pas suffisante. Elles prétendent que rien ne permet en l’espèce d’accréditer la thèse d’un risque de déperdition de preuves, en l’absence d’éléments objectifs et de démonstration d’un comportement de leur part qui pourrait le laisser supposer. Elles ajoutent que le juge de première instance s’est majoritairement fondé sur des éléments inopérants et postérieurs à la requête pour légitimer a posteriori la nécessité de déroger au contradictoire.

Elles font encore valoir que les obligations légales de conservation de données qui pèsent sur les prestataires de service de paiement, en application des articles L. 533-8 et L. 533-10, II- 6° et III paragraphe 2, du code monétaire et financier, ainsi que des articles 312-39 à 312-41 du règlement de l’AMF rendent la mesure inutile dès lors que les éléments sont insusceptibles d’être dissimulés.

Il est constant que le juge, saisi d’une demande en rétractation d’une ordonnance sur requête ayant autorisé des mesures d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, ne peut se fonder sur des circonstances postérieures à la requête ou à l’ordonnance pour justifier la dérogation au principe de la contradiction. Il ne peut ainsi, notamment, tenir compte des résultats ou des conditions d’exécution de la mesure ordonnée pour la justifier.

Au cas présent, le premier juge, tout en s’en défendant, a fait état à tort de préoccupations quant à la préservation d’éléments probants justifiées « a posteriori » eu égard aux conditions de déroulement des opérations de saisie.

Néanmoins, ainsi que l’exposait la société Aurel BGC dans sa requête, le risque de disparition d’éléments de preuve était réel en présence des faits de concurrence déloyale reprochés aux appelantes.

En effet, si les pratiques illicites reprochées étaient avérées, les appelantes, une fois informées de la procédure engagée à leur encontre, pouvaient tenter de modifier ou supprimer certains éléments de preuve, notamment les courriels, SMS et fichiers informatiques, qui peuvent être aisément supprimés.

A cet égard, toutes les données et tous les courriels échangés concernant l’embauche des courtiers en cause ou les échanges de ceux-ci avec les clients ne font pas l’objet d’une obligation de conservation légale ou réglementaire, de sorte que la mesure demeurait pertinente en dépit des obligations légales pesant sur les prestataires de services d’investissement.

L’effet de surprise était par conséquent une condition de l’efficacité des mesures, justifiant une dérogation au principe de la contradiction.

Sur la légalité de la mesure

Il résulte de l’article 145 du code de procédure civile que constituent des mesures légalement admissibles des mesures d’instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l’objectif poursuivi. Il incombe, dès lors, au juge de vérifier si la mesure ordonnée était nécessaire à l’exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence (2e Civ., 25 mars 2021, pourvoi n°20-14.309, publié).

Les appelantes soutiennent que la mesure n’est pas légalement admissible car, outre qu’elle donne au commissaire de justice pour mission de porter une appréciation au fond sur les pièces saisies, elle n’est pas suffisamment limitée dans son objet ni dans le temps et elle porte gravement atteinte au secret professionnel et au secret des affaires.

L’ordonnance sur requête du 15 décembre 2021 donne notamment pour mission au commissaire de justice de se faire remettre ou de rechercher sur tout support les « éléments de preuve » permettant de déterminer :

– la « bonne application » par les anciens salariés de la société Aurel BGC de leur clause de non-concurrence ;

– une « concomittance entre le chiffre d’affaires net de l’équipe de salariés courtiers réalisé auprès de clients affectés chez Aurel BGC et perdu à la suite de leur départ respectif, et celui constaté éventuellement avec les mêmes clients après leur arrivée chez l’une ou l’autre des requises » ;

– la « forte suspicion de contournement des clauses de non-concurrence et de non-sollicitation liant les anciens 9 salariés du requérant Aurel BGC, notamment par l’intervention de la société Carax » ;

– la « suspicion d’agissements de concert entre les sociétés TSAF, TSAF OTC et Carax » ;

– un « comportement déloyal et sans vergogne des sociétés TSAF et TSAF OTC » ;

– la « connaissance par les requises des fautes contractuelles éventuelles, ainsi que de leur ampleur, commises par les 9 anciens salariés du requérant Aurel BGC, notamment par M. [M] [R], Mme [A] [B] et/ou le directeur des ressources humaines ou, à défaut le secrétaire général des sociétés requises TSAF, TASF OTC et Carax ».

Ce faisant, cette ordonnance invite le commissaire de justice à se faire juge des éléments utiles à la manifestation de la vérité et, par suite, à procéder lui-même à une analyse des documents, à les qualifier juridiquement et à émettre un avis sur le fond, ce qui excède les pouvoirs des constatants prévus à l’article 249, alinéa 2, du code de procédure civile ainsi que ceux des commissaires de justice.

Il convient en conséquence de supprimer de la mission l’ensemble de ces dispositions, soit le paragraphe commençant par « Afin, pour chacune des périodes, temporellement très précisément circonscrite pour chacun des 8 ou 9 salariés cités ci-après » (en page 1) et s’achevant par « le secrétaire général des sociétés requises TSAF, TSAF OTC et Carax susmentionnées et réciproquement » (en page 2).

En revanche, après ce paragraphe général, l’ordonnance prévoit de façon détaillée et circonstanciée les déclarations à recueillir et documents à rechercher, dans une partie commençant par les termes « pour ce faire ».

Les dispositions qui suivent sont circonscrites dans leur objet puisqu’elles visent nommément chacun des neuf anciens salariés de la société Aurel BGC démissionnaires.

Elles sont circonscrites dans le temps puisqu’elles fixent, pour chacun des salariés, une période de trois à quatre mois, à proximité de la démission, s’agissant de la recherche des éléments relatifs aux échanges avec les mandataires sociaux et/ou employés des sociétés appelantes et qu’elles fixent une période de quatre à quatorze mois pour la recherche des « ordres traités ou conclus » avec d’anciens clients, lesquels sont nommément désignés pour chaque salarié.

Ainsi, si l’ordonnance ne fait pas état expressément de « mots-clés », ce que dénoncent les appelantes, les termes de la mission renvoient expressément à l’utilisation de tels mots-clés, qui correspondent aux noms des salariés démissionnaires et aux noms des clients de la société Aurel BGC.

Il s’avère que la mission est au contraire très précise en ce qu’elle ne vise pas une recherche générale par mots-clés multiples, mais attache à chaque salarié une période donnée et des clients donnés.

Au demeurant, les opérations n’ont permis de saisir que les seuls éléments relatifs à M. [L], les autres recherches s’étant avérées inopérantes. 

Il est usuel et nécessaire que les mesures d’instruction concernent « les serveurs et postes informatiques […] des personnes directement concernées par le litige, de ceux de leurs collaborateurs et secrétaires directs », tous les postes et serveurs informatiques étant généralement visés afin de permettre l’exécution technique de la mesure.

Enfin, il ne saurait être reproché à l’ordonnance sur requête de demander au commissaire de justice d’exclure du champ de la recherche tout document ou dossier intitulé « Personnel », « Perso », ou « Privé » et toutes correspondances en provenance ou à destination des avocats, ces dispositions ayant pour objet de protéger la vie privée des intéressés et le secret des correspondances avec les avocats, le commissaire de justice pouvant « s’assurer du caractère réellement privé des informations » contenues sur les documents saisis, sans pour autant porter une appréciation sur le fond du litige comme le soutiennent les appelantes.

Au regard de ces éléments, la mesure ordonnée était nécessaire à l’exercice du droit à la preuve de la requérante et ne revêtait aucun caractère disproportionné.

Sur l’atteinte au secret professionnel et au secret des affaires

Les appelantes font encore valoir que la mesure porte gravement atteinte au secret professionnel et au secret des affaires.

Mais, en premier lieu, le secret des affaires et le secret professionnel ne constituent pas en eux-mêmes un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile, la seule réserve à l’appréhension et à la communication de documents sur le fondement de ces dispositions tenant au respect du secret des correspondances entre avocats ou entre un avocat et son client, tel qu’édicté par l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (1re Civ., 3 novembre 2016, pourvoi n° 15-20.495, Bull. 2016, I, n° 203).

En second lieu, le secret bancaire institué par l’article L. 511-33 du code monétaire et financier ne constitue pas un empêchement légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile lorsque la demande de communication de documents est dirigée contre l’établissement de crédit non en sa qualité de tiers confident, mais en celle de partie au procès intenté contre lui en vue de rechercher son éventuelle responsabilité dans la réalisation de l’opération contestée (Com., 29 novembre 2017, pourvoi n° 16-22.060, Bull. 2017, IV, n° 155). Or en l’espèce, les appelantes ne sont pas visées par la mesure en qualité de tiers confident mais en leur qualité de partie au procès futur éventuel ayant pour objet de rechercher leur responsabilité extra-contractuelle sur le fondement de l’article 1240 du code civil.

En troisième lieu, tous les éléments recueillis ont été placés sous séquestre afin de préserver le secret des affaires, en application des articles L. 153-1 et R. 153-1 et suivants du code de commerce et la procédure de levée de séquestre est en cours devant le tribunal de commerce afin d’aménager les conditions de communication des pièces saisies dans le respect du secret professionnel et du secret des affaires.

Pour l’ensemble de ces raisons, l’ordonnance entreprise sera confirmée en toutes ses dispositions, sauf en ce qui concerne le paragraphe de l’ordonnance sur requête commençant par « afin, pour chacune des périodes » (en page 1) et s’achevant par « susmentionnées et réciproquement » (en page 2), qui doit être supprimé pour les raisons précédemment exposées.

Sur la demande subsidiaire des appelantes de modification des mesures

Les appelantes demandent, à titre subsidiaire, de modifier les mesures d’instruction ordonnées pour ne conserver que les mesures qui sont strictement nécessaires, à savoir, s’agissant des personnes morales, la seule société TSAF, qui emploie cinq anciens salariés de la société Aurel BGC et, s’agissant des personnes physiques, ces seuls salariés, à savoir MM. [K], [F], [L] et [G]. Elles demandent également que les seuls mots clés correspondant aux noms de ces salariés soient retenus, leurs seules adresses électroniques détenues par la société TSAF et les seuls documents sur les supports dont TSAF est propriétaire.

Mais, ainsi qu’il a été précédemment constaté, les mesures sont légalement admissibles et procèdent d’une recherche proportionnée et nécessaire des éléments de preuve utiles à un procès futur éventuel entre les parties.

La modification sollicitée n’est donc pas justifiée et porterait, à l’inverse, une atteinte excessive au droit à la preuve de l’intimée.

Sur la demande de production de pièces, d’exécution des chefs de mission inexécutés et de chef de mission complémentaire formée par la société Aurel BGC

La société Aurel BGC demande à la cour d’ordonner à la société TSAF la production des documents contractuels des courtiers qu’elle déclare avoir embauchés.

Elle demande également à la cour de compléter la mission du commissaire de justice en application des articles 148 et 149 du code de procédure civile en ajoutant la recherche des ordres transmis par la société Carax [Localité 16] pour exécution par TSAF ou TSAF OTC pour les clients visés et les périodes définies dans l’ordonnance du 15 décembre 2021.

Elle fait encore valoir que plusieurs chefs de mission n’ont pas été exécutés en raison de l’obstruction des appelantes, qui ont limité l’exécution de l’ordonnance à M. [L].

Elle demande en conséquence qu’il soit fait injonction aux sociétés TSAF, TSAF OTC et Carax de permettre à la Selarl [X]-[S] de rechercher les pièces relatives aux chefs de mission inexécutés.

Mais, d’une part, l’instance en rétractation d’une ordonnance sur requête ayant ordonné une mesure d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, ayant pour seul objet de soumettre à l’examen d’un débat contradictoire les mesures initialement ordonnées à l’initiative d’une partie en l’absence de son adversaire, la saisine du juge de la rétractation se trouve limitée à cet objet. Est dès lors irrecevable la demande incidente du requérant tendant à la production de nouvelles pièces, qui, n’ayant pas été présentée au juge des requêtes, est soumise pour la première fois au juge de la rétractation (2e Civ., 9 septembre 2010, pourvoi n° 09-69.936, Bull. 2010, II, n° 151).

D’autre part, le contentieux de l’exécution de la mesure d’instruction ordonnée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, qui n’affecte pas la décision ayant ordonné cette mesure, ne relève pas des pouvoirs du juge de la rétractation (2e Civ., 17 mars 2016, pourvoi n° 15-12.456, Bull. 2016, II, n° 79).

En l’espèce, les mesures ont été exécutées et les demandes de l’intimée tendent à remédier aux difficultés rencontrées lors de l’exécution ou à obtenir la production ou la saisie de nouvelles pièces, qui n’avaient pas été demandées au juge des requêtes.

Ses demandes seront donc rejetées comme étant irrecevables ou ne relevant pas du juge de la rétractation et l’ordonnance entreprise sera confirmée de ce chef.

Sur les frais et dépens

La partie défenderesse à une mesure ordonnée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ne peut être considérée comme une partie perdante au sens de l’article 696 du code de procédure civile (2e Civ., 10 février 2011, pourvoi n° 10-11.774, Bull. 2011, II, n° 34). En effet, les mesures d’instruction sollicitées avant tout procès le sont au seul bénéfice de celui qui les sollicite, en vue d’un éventuel procès au fond, et sont donc en principe à la charge de ce dernier.

En revanche, il est possible de laisser à chacune des parties la charge de ses propres dépens et, dès lors, de faire application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de l’une d’elles (2e Civ., 27 juin 2013, pourvoi n° 12-19.286, Bull. 2013, II, n° 148).

Au regard de l’issue du litige en appel, chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens de première instance et d’appel et les appelantes seront tenues d’indemniser l’intimée des frais qu’elle a été contrainte d’engager, à hauteur de la somme de 5.000 euros, sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Rejette le contenu du paragraphe 1.7 des conclusions d’intimée n° 2 ;

Infirme l’ordonnance entreprise en ce qu’elle rejette la demande de rétractation de l’ordonnance sur requête du 15 décembre 2021 s’agissant du paragraphe commençant par « Afin, pour chacune des périodes, temporellement très précisément circonscrite pour chacun des 8 ou 9 salariés cités ci-après » et s’achevant par « le secrétaire général des sociétés requises TSAF, TSAF OTC et Carax  susmentionnées et réciproquement » et en ce qu’elle condamne les sociétés Carax, TSAF et TSAF OTC aux entiers dépens de l’instance ;

Statuant à nouveau de ces chefs,

Rétracte partiellement l’ordonnance sur requête du 15 décembre 2021 mais seulement par la suppression du paragraphe commençant par « Afin, pour chacune des périodes, temporellement très précisément circonscrite pour chacun des 8 ou 9 salariés cités ci-après » (en page 1) et s’achevant par « le secrétaire général des sociétés requises TSAF, TSAF OTC et Carax susmentionnées et réciproquement » (en page 2) ;

Laisse à chacune des parties la charge de ses dépens de première instance ;

Confirme pour le surplus l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Rejette la demande subsidiaire de modification de la mission formée par les appelantes ;

Laisse à chacune des parties la charge de ses dépens d’appel ;

Condamne in solidum les sociétés Carax, TSAF et TSAF OTC à payer à la société Aurel BGC la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 


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