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ARRET
N°
[J]
S.A.R.L. TRANSPORTS SANITAIRES MAURICE (TSM)
C/
S.A.S. HEA CONSULTING
COUR D’APPEL D’AMIENS
CHAMBRE ÉCONOMIQUE
ARRET DU 15 JUIN 2023
N° RG 22/04020 – N° Portalis DBV4-V-B7G-IRKV
Arrêt Au fond, origine Cour de Cassation de [Localité 6], décision attaquée en date du 06 Juillet 2022, enregistrée sous le n° 20-18.470
Arrêt Au fond, origine Cour d’Appel de DOUAI, décision attaquée en date du 04 Juin 2020, enregistrée sous le n° 18/01452
Jugement Au fond, origine Tribunal de Commerce de VALENCIENNES, décision attaquée en date du 13 Février 2018, enregistrée sous le n° 16006594
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTS
Monsieur [G] [J]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représenté par Me Jérôme LE ROY de la SELARL LEXAVOUE AMIENS-DOUAI, avocat au barreau d’AMIENS, vestiaire : 101
S.A.R.L. TRANSPORTS SANITAIRES MAURICE (TSM) prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège.
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me Jérôme LE ROY de la SELARL LEXAVOUE AMIENS-DOUAI, avocat au barreau d’AMIENS, vestiaire : 101
ET :
INTIMEE
S.A.S. HEA CONSULTING prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Margot ROBIT substituant Me Franck DELAHOUSSE de la SELARL DELAHOUSSE ET ASSOCIÉS, avocats au barreau d’AMIENS, vestiaire : 65
DEBATS :
A l’audience publique du 06 Avril 2023 devant :
Mme Odile GREVIN, Présidente de chambre,
Mme Françoise LEROY-RICHARD, Conseillère,
et Monsieur Sébastien LIM, Conseiller,
qui en ont délibéré conformément à la loi, la Présidente a avisé les parties à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 15 Juin 2023.
Un rapport a été présenté à l’audience dans les conditions de l’article 785 du Code de procédure civile.
GREFFIER LORS DES DEBATS : Mme Sophie TRENCART, adjointe administrative faisant fonction.
PRONONCE :
Le 15 Juin 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile ; Mme Odile GREVIN, Présidente de chambre a signé la minute avec Mme Charlotte RODRIGUES, Greffier.
DECISION
M. [J] exploite à titre individuel un fonds de commerce d’ambulance sous l’enseigne ABB [J]. Il dirigeait également, jusqu’à sa radiation du registre du commerce et des sociétés le 15 février 2013, la SARL Transports sanitaires Maurice (ci-après la société TSM) ayant une activité de transport sanitaire ambulance.
Depuis 1995, la comptabilité des deux entreprises a été confiée à la SAS HEA Expertise Comptable qui a régularisé le 4 septembre 2014 un acte de cession de son fonds libéral au profit de la société SFEC-HEA.
Début 2008, la société TSM a fait l’objet d’un contrôle fiscal portant sur la TVA pour la période du 1er octobre 2004 au 30 septembre 2007, suivi d’un redressement de TVA de 153.249 euros en principal, lequel a fait l’objet d’un avis de mise en recouvrement notifié par l’administration fiscale le 25 juin 2008.
L’administration fiscale reprochait à la SARL TSM de facturer sans TVA la mise à disposition de son personnel à l’entreprise ABB [J].
Suivant jugement, signifié le 2 décembre 2011 et devenu définitif, le tribunal administratif de Lille a rejeté la contestation de la société TSM.
Le 30 juin 2015, M. [J] s’est porté caution personnelle au profit de l’administration fiscale et a consenti une hypothèque sur un immeuble lui appartenant pour le paiement du montant du redressement notifié à la société TSM.
Par acte d’huissier du 30 novembre 2016, la société TSM et M. [J] ont fait assigner la société HEA Consulting en paiement en principal de dommages et intérêts à hauteur de 156.493 euros devant le tribunal de commerce de Valenciennes.
Suivant jugement contradictoire du 13 février 2018, le tribunal de commerce de Valenciennes a :
– rejeté l’exception de nullité de l’assignation soulevée par la société HEA Consulting;
– reconnu l’existence du lien contractuel entre la société HEA Consulting et la SARL Transports Sanitaires Maurice;
– déclaré l’action de la SARL TSM et M. [J] irrecevable car prescrite;
– débouté la société HEA Consulting de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive;
– condamné la SARL TSM et M. [J] in solidum à payer à la société HEA Consulting la somme de 1.200 euros à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile;
– et condamné in solidum la société TSM et M. [J] aux entiers frais et dépens de l’instance, les frais de greffe sont liquidés à la somme de 90,21 euros.
La SARL TSM et M. [J] ont interjeté appel de cette décision selon déclaration du 8 mars 2018.
Suivant arrêt contradictoire du 4 juin 2020, la cour d’appel de Douai a :
– confirmé en toutes ses dispositions le jugement contradictoire rendu le 13 février 2018 par le tribunal de commerce de Valenciennes;
et y ajoutant,
– condamné in solidum M. [G] [J] et la société Transports Sanitaires Maurice à payer à la société HEA Consulting la somme de 2.400 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
M. [G] [J] et la SARL Transports sanitaires Maurice ont formé un pourvoi en cassation (n°20-18.470)
Suivant arrêt du 6 juillet 2022, la chambre commerciale de la cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt de la cour d’appel de Douai rendu le 4 juin 2020, entre les parties, sauf en ce que, confirmant le jugement, il rejette l’exception de nullité de l’assignation soulevée par la société HEA Consulting et reconnaît l’existence d’un lien contractuel entre la société HEA Consulting et la société Transports sanitaires Maurice et a remis, sauf sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et renvoyé les parties devant la cour d’appel d’Amiens.
La SARL Transports sanitaires Maurice et M. [G] [J] ont saisi la cour d’appel d’Amiens selon déclaration du 18 août 2022.
Selon avis du 21 février 2023, le ministère public requiert la condamnation de la SAS HEA Consulting, étant précisé que la durée du contentieux fiscal rallonge d’autant le temps de la prescription, de telle sorte que les requérants pouvaient encore agir à la date de l’assignation délivrée le 30 novembre 2016 et qu’il convient au fond de retenir la responsabilité professionnelle de la SAS HEA Consulting qui a commis des fautes caractérisées et révélées par l’action de l’administration fiscale.
Aux termes de leurs dernières conclusions d’appelants du 27 février 2023, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé détaillé des moyens développés, la SARL Transports sanitaires Maurice et M. [G] [J] demandent à la cour d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré l’action des concluants irrecevable car prescrite, rejeté leurs demandes en paiement de la somme de 156.493 euros, outre 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et condamné in solidum les concluants à payer à la SAS HEA Consulting la somme de 1.200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
Ils demandent à la cour statuant de nouveau de condamner la SAS HEA Consulting à leur payer conjointement la somme de 156.402 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique, subsidiairement, de condamner la SAS HEA Consulting à leur payer conjointement la somme de 156.400 euros à titre de dommages et intérêts pour perte de chance et de condamner la SAS HEA Consulting à payer à M. [G] [J] les intérêts légaux avec capitalisation par années entières sur la somme de 156.402 euros, à compter du 30 novembre 2016.
En toute hypothèse, ils demandent à la cour de condamner la SAS HEA Consulting à leur payer conjointement la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral, de condamner la SAS HEA Consulting à leur payer conjointement la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel et de débouter la SAS HEA Consulting de l’ensemble de ses demandes.
La SAS HEA Consulting s’est constituée mais n’a pas conclu dans les délais impartis par l’article 1037-1 alinéa 4 du code de procédure civile.
Aussi elle a en application de l’article 1037-1 alinéa 6 du code de procédure civile transmis ses dernières conclusions déposées devant la cour d’appel de Douai aux termes desquelles elle demandait à la cour de dire et juger la SARL Transports sanitaires Maurice irrecevable en ses demandes dirigées à l’encontre de la concluante,de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré l’action de la SARL Transports sanitaires Maurice et de M. [G] [J] irrecevable car prescrite, de constater l’absence de qualité à agir de M. [G] [J] à l’encontre de la concluante et en conséquence, de dire et juger M. [G] [J] irrecevable en ses demandes dirigées à l’encontre de la concluante et à titre subsidiaire de dire et juger la SARL Transports
sanitaires Maurice et M. [G] [J] mal fondés en leurs prétentions dirigées à son encontre et de débouter la SARL Transports sanitaires Maurice et M. [G] [J] de l’intégralité de leurs prétentions et sollicitait à titre infiniment subsidiaire, de limiter dans son quantum une éventuelle condamnation pécuniaire à l’encontre de la concluante aux pénalités et frais liés à la rectification de TVA, en tout état de cause de débouter la SARL Transports sanitaires Maurice et M. [G] [J] de leur demande de dommages et intérêts complémentaires pour préjudice moral d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté la SAS Hea Consulting de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et statuant à nouveau, de condamner in solidum la SARL Transports sanitaires Maurice et M. [G] [J] àlui payer une somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la SARL Transports sanitaires Maurice et M. [G] [J] in solidum à lui payer la somme de 1.200 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers frais et dépens de l’instance (frais de greffe liquidés à la somme de 90,21 euros) et y ajoutant, de condamner la SARL Transports sanitaires Maurice et M. [G] [J] à lui payer une somme de 4.000 euros à titre d’indemnité procédurale pour les frais irrépétibles rendus nécessaires en appel, ainsi qu’aux entiers frais et dépens de l’instance, dont distraction au profit de Me Hervé Moras, de la SCP Lemaire – Moras & Associés, avocat aux offres de droit par application de l’article 699 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 2 mars 2022, l’affaire ayant été fixée à bref délai pour plaider à l’audience du 6 avril 2023.
SUR CE
Il convient de relever en premier lieu que la Cour de cassation n’a pas entendu cassé et annulé l’arrêt de la cour d’appel de Douai en ce qu’il a confirmé le rejet de l’exception de nullité de l’assignation et reconnu l’existence d’un lien contractuel entre la société HEA Consulting et la société TSM.
Ces deux chefs sont désormais définitivement tranchés.
Sur la recevabilité des demandes formées par M. [J]
La société HEA Consulting soulevait l’absence de qualité à agir de M. [J] dès lors que seule la société TSM avait fait l’objet d’une rectification au titre de la TVA et non pas son gérant M. [J]. Elle lui reconnaissait un intérêt à agir dès lors qu’il s’était porté caution personnelle de la dette fiscale et avait consenti une hypothèque sur un immeuble lui appartenant mais maintenait qu’il était dépourvu de qualité à agir.
M. [J] et la société TSM soutiennent que M. [J] s’est acquitté de l’obligation envers le fisc aux lieu et place de la société et qu’en qualité de caution il a bien qualité à agir directement contre le responsable du manquement contractuel à l’origine de son préjudice.
Il sera relevé que la société HEA Consulting fonde sa fin de non-recevoir sur l’article 32 du code de procédure civile selon lequel est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir.
L’existence en la personne de celui qui élève ou combat une prétention d’un intérêt personnel juridique et légitime lui donne en principe qualité pour agir s’il ne s’agit pas d’une action spécialement attitrée.
Il est admis que les tiers à un contrat sont fondés à invoquer tout manquement contractuel lorsque ce manquement leur a causé un préjudice. Ainsi une caution a qualité à agir directement contre le responsable du manquement contractuel à l’origine de son préjudice.
En l’espèce M. [J] qui s’est porté caution personnelle de la société TSM au profit de l’administration fiscale et a réglé le montant du redressement ainsi qu’il en justifie, dispose d’un intérêt personnel et légitime à agir en responsabilité à l’encontre de l’expert-comptable de la société et qualité à agir contre le responsable prétendu du manquement qu’il allègue comme étant à l’origine de son préjudice.
Il convient de déclarer l’action de M. [J] recevable.
Sur la prescription
Le jugement entrepris confirmé par la cour d’appel a déclaré prescrite l’action en responsabilité engagée à l’encontre de la société HEA Consulting en prenant comme point de départ l’avis de mise en recouvrement de la Direction générale des impôts de Valenciennes notifié le 26 juin 2008.
La Cour de cassation rappelant que selon l’article L 110-4 du code de commerce, les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes et qu’en application de l’article 2224 du code civil la prescription d’une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas connaissance, reproche à la cour d’appel de Douai le point de départ du délai de prescription par elle choisi.
Elle considère que seule la date à laquelle le sort du recours contentieux avait été définitivement connu devait constituer ce point de départ. Elle a retenu ainsi la date du 3 février 2012 date d’expiration du délai d’appel contre le jugement du tribunal administratif rejetant le recours comme constituant la date à laquelle le dommage s’est réalisé.
Les appelants font valoir que leur action introduite le 30 novembre 2016 n’est pas prescrite, dès lors que le délai de cinq ans prévu à l’article 2224 du code civil avait commencé à courir, non pas à l’occasion de l’avis de mise en recouvrement du 25 juin 2008, mais le 3 février 2012, à l’expiration du délai d’appel à l’encontre du jugement rendu le 24 novembre 2011 par le tribunal administratif de Lille, lequel, devenu définitif en l’absence de recours, a consacré la position de l’administration fiscale et cristallisé le préjudice des requérants.
L’intimée soutenait que les demandes formulées à son encontre sont irrecevables, aux motifs, de la prescription, en application de l’article 2224 du code civil, de l’action introduite le 30 novembre 2016, soit plus de cinq ans après notification le 25 juin 2008 de l’avis de mise en recouvrement de la TVA sur la période du 1er octobre 2004 au 30 septembre 2007.
En application de l’article 2224 du code civil le délai de prescription de l’action en responsabilité engagée par M. [J] et la société TSM n’a commencé à courir qu’au jour de la réalisation du dommage qui ne peut être que le rejet définitif du recours à l’encontre du redressement fiscal qui se situe à l’expiration du délai d’appel du jugement du tribunal administratif en date du 2 décembre 2011 soit le 3 février 2012.
La présente action ayant été engagée le 30 novembre 2016 dans les cinq années suivant cette date l’action de M. [J] et de la société TSM ne peut être déclarée prescrite.
Elle est donc recevable.
Sur la responsabilité de la société HEA Consulting
Les appelants font état de manquements contractuels de l’intimée, ès qualités d’expert-comptable, qui a conseillé à sa cliente, la SARL TSM, de ne pas facturer de TVA sur des prestations de mise à disposition de personnel à la société ABB [J] et a établi des bilans et déclarations en conséquence, cela en violation de la réglementation fiscale en vigueur, étant précisé que les exonérations de TVA prévues par les articles 267-II-2 (sommes remboursées aux intermédiaires) et 261-B (services rendus au sein d’un groupement) du code général des impôts, d’interprétation stricte, ne s’appliquent pas à ce type de prestations.
Ils ajoutent que l’intimée a comptabilisé les sommes litigieuses, qualifiées de ‘débours’, non pas sur un compte de passage, mais sur des comptes de charges avant de les virer sur un compte ‘débiteurs divers’ en fin d’exercice et que l’article 261-B ne permet d’exonérer de TVA que els services rendus à leurs adhérents par un groupement constitué de personnes physiques ou morales exerçant une activité exonérée de TVA ou pour laquelle elles n’ont pas la qualité d’assujetti et qu’un groupement fût-il de fait doit être caractérisé par l’existence d’une entité tierce par rapport aux membres , la seule mise à disposition de son personnel par une entreprise au bénéfice d’une autre ne suffisant pas.
Ils soutiennent que les conditions préalables et nécessaires à une exonération de TVA n’étaient aucunement réunies et font observer que l’expert-comptable qui a accepté de procéder aux écritures comptables et fiscales est tenu à une obligation de résultat.
Ils soutiennent par ailleurs que l’absence d’appel interjeté à l’égard du jugement du tribunal administratif de Lille ne remet pas en cause la preuve des fautes professionnelles commises par l’expert-comptable, ni ne conditionne la recevabilité ou le bien fondé de l’action civile introduite aux fins de réparation des conséquences dommageables de ces fautes.
Ils font observer que M. [G] [J] ne pouvait récupérer la TVA sur des factures émises sans TVA par la SARL TSM, étant précisé que le redressement fiscal ne procède pas d’un défaut de réglement par la société ABB [J], mais de la minoration de l’assiette de la TVA par la SARL TSM sur les conseils fautifs de la SAS HEA Consulting.
Ils précisent que la SARL TSM justifie du réglement de l’intégralité de la dette fiscale et que l’intimée doit l’indemniser à concurrence de l’impôt supporté à tort, dès lors qu’elle était en mesure de proposer à son client un moyen licite et adapté de diminuer sa charge fiscale et qu’elle ne l’a pas mis en mesure de respecter les conditions requises au bénéfice de la franchise d’impôt revendiquée, étant ajouté que le paiement de la TVA aurait pu être légalement évité si, d’une part, HEA Consulting avait bien passé les écritures en compte de passage débours et non en compte de charges, et d’autre part, qu’un GIE avait été constitué comme cela avait été évoqué, ce qui n’a pas été le cas.
Ils font valoir que le préjudice consécutif aux fautes professionnelles de l’expert-comptable correspond à la somme totale réglée par M. [J] à l’administration fiscale, soit 156.402 euros, dont 153.249 euros de TVA et 12.306 euros de pénalités, étant observé qu’il ne s’agit pas d’un préjudice de perte de chance de ne pas être redevable de la TVA, mais d’un préjudice certain, au sens que la facturation de la TVA aurait été supportée par le client.
A titre subsidiaire ils demandent au titre de la perte de chance une somme de 156400 euros .
Il demandent en outre en complément d’indemnisation, à la condamnation de l’intimée au réglement des intérêts légaux sur la somme de 156.402 ou 156.400 euros à compter du 30 novembre 2016 au bénéfice de M. [J], lequel a été privé de la jouissance de la somme réglée au fisc depuis quatre années par les fautes de l’expert-comptable.
Ils font valoir par ailleurs qu’ils justifient d’un préjudice moral certain à hauteur de 10.000 euros, étant précisé que M. [J] a dû vendre un immeuble et provoquer la vente d’un autre immeuble détenu par une SCI dans laquelle il possédait 25% des parts sociales, afin de pouvoir assurer le réglement d’un échéancier négocié avec l’administration fiscale.
L’intimée soutient que les demandes formées à son encontre sont mal fondées, les appelants échouant à rapporter la preuve des fautes professionnelles alléguées, en l’absence d’appel interjeté à l’encontre du jugement rendu le 24 novembre 2011 par le tribunal administratif de Lille, dès lors que seule une décision négative devant la cour administrative d’appel aurait été de nature à démontrer les manquements prétendus de la société HEA expertise comptable.
Elle fait valoir que l’exonération de TVA ne faisait pas obstacle à sa récupération dans l’entreprise ABB Ambulance [J], à condition que cette dernière règle les factures émises par la SARL TSM au titre de prestations de mise à disposition de personnels, ce qui n’a pas été le cas.
Elle ajoute qu’elle n’est pas la caution solidaire de la SARL TSM, ni de M. [J], de sorte qu’elle ne peut être condamnée à payer une quelconque somme en leurs lieu et place, le jugement du tribunal administratif de Lille lui étant par ailleurs inopposable;
Enfin elle fait valoir que les appelants ne justifient pas du règlement d’une quelconque somme à l’administration fiscale.
A titre infiniment subsidiaire, si par impossible, la cour entrait en voie de condamnation elle demande de limiter le quantum de l’indemnité aux seuls pénalités et frais liés à la rectification de TVA faisant observer que la demande de dommages et intérêts complémentaires pour préjudice moral est injustifiée, d’autant que M. [J] n’avait aucune obligation, comme il le prétend, de régler la dette fiscale de la SARL TSM
Il n’est aucunement produit aux débats la lettre de mission de l’expert-comptable. Il résulte seulement des quelques factures établies par la société HEA Consulting qu’elle avait outre une mission de présentation des comptes annuels, la mission d’établir les contrats de travail et les fiches de paye mais aussi une mission juridique annuelle dont la nature n’est pas connue.
Il sera retenu cependant qu’aucune discussion ne s’élève entre les parties quant à la mission déférée à la société HEA Consulting.
Cette dernière ne conteste pas en effet avoir procédé à la refacturation des mises à disposition de personnels à l’entreprise ABB [J] et avoir préconisé l’exonération de TVA.
Elle maintient cependant que cela ne saurait constituer une faute technique de sa part mais que seule l’impossibilité de récupérer la TVA dans l’entreprise individuelle de M. [J] qui ne règlait pas les factures émises par la société TSM est à l’origine du redressement fiscal et qu’en outre l’absence de recours à l’encontre du jugement du tribunal administratif dont rien ne permet d’affirmer qu’il était voué à l’échec ne permet pas de retenir sa faute.
L’expert-comptable a envers son client une obligation de conseil et doit donc tirer les conséquences de ces constatations et mettre en garde son client, et l’informer et quand il y a lieu lui présenter les différentes possibilités offertes en matière fiscale notament et le guider dans ses choix.
Il est ainsi débiteur d’une obligation de moyens, son devoir est d’exécuter la mission qui lui est confiée avec toute la compétence et le soin que l’on est en droit d’attendre d’un professionnel normalement éclairé et diligent.
En l’espèce l’administration fiscale n’a pas suivi la position de la société TSM relative à l’exonération de TVA des mises à disposition de personnel dès lors que les conditions d’exonération n’étaient pas respectées et notamment en raison du fait que les salariés avaient pour employeur unique la société TSM qui ne pouvait être considérée comme un mandataire et du fait que comptablement les soldes des sommes en cause n’étaient pas portées dans des comptes de passage.
Le tribunal administratif a de même refusé aux sommes refacturées par la société TSM à la société ABB [J] la qualification de débours effectués pour le compte d’un commettant dès lors que seule la société TSM a conservé la qualité d’employeur des personnels pour lesquels elle a acquitté les salaires.
Il a par ailleurs considéré que les deux entreprises ne pouvait revendiquer la qualité de groupement au sens de l’article 261 B du code général des impôts exonérant de TVA les mises à disposition de personnels au sein d’un groupement et ce faute de justifier de la mise en commun d’éléments d’exploitation.
Le tribunal administratif a en outre retenu la qualification de mise à disposition de personnels pure et simple et non motivée par des motifs économiques remettant en cause le statut des deux sociétés et portant atteinte aux droits des personnels ou justifiée par une obligation légale ou réglementaire.
Cette décision désormais définitive qui répond à chacun des arguments de la société TSM pour voir admettre l’exonération de TVA et remettre en cause le redressement fiscal est suffisante pour apprécier le fait que la société HEA Consulting a par ses conseils non pas empêché la société TSM de bénéficier d’une exonération à laquelle elle avait droit mais lui a conseillé de facturer sans TVA alors même qu’elle ne pouvait bénéficier d’une exonération.
En effet quand bien même les sommes exposées pour le compte d’un tiers auraient été comptabilisées sur un compte de passage et non un compte de charges, la société TSM ne remplissait pas les conditions de cette exonération fondée sur l’article 267II-2 du code général des impôts dès lors que les salariés étaient les siens et leurs salaires des dépenses engagées pour son propre compte, restant le seul employeur des salariés mis à disposition et vis-à-vis de ceux-ci la société TSM doit être considérée comme intervenant pour son propre compte et non pour le compte de la société ABB [J].
De même s’agissant du recours à la notion de groupement de fait , quand bien même l’existence d’un groupement aurait été établie et l’existence de la mise à disposition de personnel pour une activité hors champ de la TVA ou exonérée, justifiée, l’organisation choisie ne résultant pas d’une obligation légale ou règlementaire mais d’une décision de gestion la société TSM ne pouvait davantage prétendre à une exonération de TVA .
Il n’est par ailleurs nullement établi par la société TSM qu’il entrait dans la mission de l’expert-comptable de la conseiller sur l’organisation de ses relations avec la société ABB [J] et sur un changement de statut juridique des deux sociétés.
Il doit en conséquence être retenu que la société HEA Consulting a manqué à son devoir de conseil en préconisant une exonération de TVA qui était cependant due.
Elle ne saurait s’exonérer de sa responsabilité en invoquant le fait que le redressement fiscal n’aurait pas été un souci si la société ABB [J] avait réglé les factures émises par la société TSM alors que son compte dans la comptabilité de la société TSM présentait un solde débiteur de 198796 euros au 30 septembre 2009 et de 266271,79 euros au 30 septembre 2010.
Le préjudice subi par la société TSM qui était redevable en tout état de cause de cet impôt est équivalent au montant des pénalités de retard soit 11770 euros qu’elle s’est engagée à acquitter en trois versements par l’intermédiaire de son comptable. Il n’est pas établi la réalité du préjudice moral subi par la société.
Enfin il est justifié d’une remise des intérêts de retard.
Ce redressement a contraint M. [J], dirigeant des deux sociétés, en sa qualité de caution de la société TSM à s’acquitter aux lieu et place de la société d’une somme de 156493 euros selon un plan de règlement accepté le 30 juin 2015.
Il justifie s’être acquitté depuis juillet 2015 jusqu’au mois de février 2019 d’une somme de 144632 euros et avoir cédé deux biens en 2015 et 2018 correspondant à des versements plus conséquents pour le paiement de la dette.
Cet impôt était néanmoins dû par la société qu’il cautionnait et il est désormais créancier de la société TSM.
Toutefois il a perdu une chance de voir cet impôt réparti sur plusieurs années sur la comptabilité de la société et a été contraint d’engager son propre patrimoine pour assumer ses obligations de caution en subissant des frais .
La faute commise par la société HEA Consulting a ainsi causé un préjudice certain à M. [J] et engagé la responsabilité délictuelle de la société.
Il convient de la condamner à indemniser M. [J] à hauteur de la somme de 25000 euros tant au titre des préjudices matériels que du préjudice moral étant observé que M. [J] est le dirigeant des deux sociétés et qu’il ne s’explique pas sur le défaut de paiement des factures de mise à disposition du personnel par la société ABB [J].
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Il convient de condamner la société HEA Consulting aux entiers dépens de première instance et d’appel et de la condamner à payer à M. [J] et à la société TSM la somme de 5000 euros à chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant contradictoirement et par mise à disposition de la décision au greffe,
Vu l’arrêt de la Cour de cassation en date du 6 juillet 2022,
Statuant dans les limites de la cassation,
Rejette la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de M. [J];
Infirme le jugement entrepris en ce qu’il a dit prescrite l’action de la société TSM et de M. [J] ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit l’action de la société TSM et de M. [J] non prescrite ;
Condamne la société HEA Consulting à payer à la société TSM la somme de 11770 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice avec intérêts à compter de la présente décision ;
Condamne la société HEA Consulting à payer à M. [J] la somme de 25000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices avec intérêts à compter de la présente décision ;
Condamne la société HEA Consulting au paiement des entiers dépens de première instance et d’appel ;
La condamne à payer à la société TSM et à M. [J] la somme de 5000 euros chacun sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La Présidente Le Greffier