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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 3-2
ARRÊT AU FOND
DU 11 MAI 2023
N° 2023/163
Rôle N° RG 22/03690 – N° Portalis DBVB-V-B7G-BJA35
[V] [K]
C/
LA PROCUREURE GENERALE
S.C.P. BR ASSOCIES
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Olivier AVRAMO
Me Matthieu JOUSSET
PG
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce d’AIX EN PROVENCE en date du 04 Mars 2022 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 2020008591.
APPELANT
Monsieur [V] [K]
né le [Date naissance 1]/1975 à [Localité 5], de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Olivier AVRAMO, avocat au barreau de TOULON, plaidant
INTIMES
Madame LA PROCUREURE GENERALE
demeurant [Adresse 4]
défaillante
S.C.P. BR ASSOCIES
Désigné en qualité de liquidateur judiciaire de la société MASSILIA par Jugement du Tribunal de Commerce d’Aix-en-Provence en date du 18 décembre 2018, demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Matthieu JOUSSET de la SELARL JOUSSET AVOCATS, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Joris RAFFY, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, plaidant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 01 Mars 2023 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Madame Gwenael KEROMES, Présidente a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Gwenael KEROMES, Président de chambre
Madame Muriel VASSAIL, Conseiller
Madame Agnès VADROT, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Chantal DESSI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 11 Mai 2023.
MINISTERE PUBLIC :
Auquel l’affaire a été régulièrement communiquée.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 11 Mai 2023,
Signé par Madame Gwenael KEROMES, Président de chambre et Madame Chantal DESSI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
La Sarl Massilia Étanchéité, dont le gérant était M. [V] [K], avait pour activité la couverture acier, étanchéité toiture, terrasses et toiture acier.
Le 12 septembre 2017, le commissaire aux comptes déclenchait une procédure d’alerte en raison de faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation.
Par jugement du 15 février 2018, le tribunal de commerce d’Aix-en-Provence a placé la Sarl Massilia Étanchéité sous sauvegarde et par jugement du 18 décembre 2018, a prononcé la liquidation judiciaire de la société et désigné la SCP BR Associés en qualité de liquidateur judiciaire.
La SCP BR Associé ès qualités a fait citer par acte d’huissier en date du 21 octobre 2020 M. [V] [K] devant le tribunal de commerce d’Aix-en-Provence aux fins que soit prononcée à l’encontre de celui-ci une condamnation à verser 1 186 606,96 euros au titre de sa contribution à l’insuffisance d’actif de la liquidation judiciaire de la Sarl Massilia Étanchéité et, sur le fondement des articles L 653-1 à L 653-11 du code de commerce, une mesure de faillite personnelle pour une durée de 10 ans ou d’interdiction de gérer.
Par jugement contradictoire en date du 4 mars 2022, le tribunal de commerce d’Aix-en-Provence, déboutant M. [V] [K] de sa demande de nullité de la procédure a, au visa des articles L 652-1, L 653-1 et suivants du code de commerce :
– débouté M. [V] [K] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– dit que M. [V] [K] est responsable de l’insuffisance d’actif de la liquidation judiciaire de la société Massilia Étanchéité
– condamné M. [V] [K] à payer à la SCP BR Associés ès qualités la somme de 500 000 euros avec intérêts au taux légal à compter de la date du jugement, au titre de sa participation au comblement de l’insuffisance d’actif de la société Massilia Étanchéité;
– fixé au 31 mars 2023 au plus tard la date du règlement entre les mains de la SCP BR Associés ès qualité de l’intégralité de la contribution de M. [V] [K] ;
– prononcé à l’encontre de M. [V] [K] une mesure de faillite personnelle d’une durée de 10 ans ;
– débouté la SCP BR Associés sur sa demande d’article 700 du code de procédure civile;
– ordonné l’exécution provisoire du présent jugement en application de l’article L 653-11 du code de commerce ;
– déclaré les dépens frais privilégiés de la procédure collective dont il s’agit.
M. [V] [K] a interjeté appel de ce jugement suivant déclaration du 11 mars 2022, appel tendant à la nullité du jugement et à défaut, à l’infirmation de la décision en toutes ses dispositions.
Le 21 mars 2022, M. [V] [K] a assigné le liquidateur judiciaire de la société Massilia Étanchéité devant le premier président de la cour d’appel afin d’obtenir la suspension de l’exécution provisoire et par ordonnance de référé du 27 juin 2022, la demande d’arrêt de l’exécution provisoire a été rejetée.
Aux termes de ses conclusions d’appelant déposées et notifiées le 16 juin 2022, M. [V] [K] demande à la cour de le recevoir en son appel et le déclarer bien fondé, sur le fond :
– d’infirmer le jugement et statuant à nouveau,
– de prononcer la nullité du jugement ;
– dire n’y avoir lieu à prononcer de comblement de l’insuffisance d’actif ou de faillite personnelle et encore d’interdiction de gérer,
– de déclarer la SCP BR & Associés irrecevable et mal fondée en ses demandes et conclusions
– subsidiairement, d’octroyer à M. [V] [K] les plus larges délais de paiement, soit 24 mois,
– condamner tout succombant à verser à M. [V] [K] la somme de 5000 euros en vertu de l’article 700 du code de procédure civile tant au titre de la première instance que l’instance d’appel ;
– passer les entiers dépens de l’instance en frais privilégiés de la procédure collective.
1) Sur la nullité du jugement : il considère que le prétendu rapport du juge commissaire déposé 18 jours après la délivrance de l’assignation du liquidateur judiciaire à M. [V] [K], n’est qu’une demande de condamnation de M. [V] [K] à une faillite personnelle ou une interdiction de gérer, constitue un préjugement qui vicie la procédure contradictoire et prive l’intéressé des droits de la défense ; que le tribunal de commerce en ne répondant pas au moyen soulevé par M. [V] [K] qui reprochait au juge commissaire un rapport non éclairant mais un manifeste à charge, qui va au delà d’un simple avis et demande une condamnation alors qu’il n’est pas une partie à l’instance, ‘a commis un défaut de réponse à conclusions et a rendu un jugement affecté de nullité car le rapport du juge commissaire est également affecté de nullité puisque partisan’.
Il considère que le juge commissaire a outrepassé ses prérogatives en demandant le prononcé d’une sanction personnelle alors qu’il ne peut que rendre un avis et que dès lors, il est constant qu’il y a soupçon de partialité lorsqu’un doute raisonnable peut naître dans l’esprit du justiciable ; que le juge commissaire étant partial, le jugement qui n’en tire pas les conclusions est par conséquent partial par le fait même qu’il crée un soupçon légitime de partialité.
2) Sur l’absence de motivation quant au prononcé de la mesure de faillite personnelle et l’absence de réponse à conclusions : la motivation doit porter sur chaque chef du dispositif et concerne les moyens invoqués dans les conclusions, le défaut de réponse à conclusions constituant un défaut de motifs
Concernant le montant de l’insuffisance d’actif , il fait valoir que parmi les créances admises au passif, il y a lieu de ne pas tenir compte de la caution solidaire de M [K] appelée par la banque HSBC en vertu d’un jugement rendu par le tribunal de commerce de Marseille du 23 janvier 2020 ; qu’en outre d’autres créances seront éteintes car couvertes par les garanties décennales pour un total de 282 181 euros, et devront être exclue de l’insuffisance d’actif.
Il reproche aux premiers juges de s’être contredits en le condamnant à verser une somme de 500 000 euros au titre de la contribution à l’insuffisance d’actif tout en prononçant une interdiction de gérer, ce qui constitue une injonction paradoxale, puisqu’elle interdit à M. [V] [K] ‘de tenter de produire des richesses propres à lui permettre de disposer de cette somme dans le délai d’une année’
3) Sur l’infirmation du jugement dont appel :
Concernant les fautes de gestion alléguées, après avoir rappelé qu’en application l’article L 651-2 du code de commerce une simple négligence, faute légère ou imprudence, ne peut entraîner la condamnation du dirigeant à combler l’insuffisance d’actif, il soutient que la SCP BR & Associés qui allègue plusieurs griefs ne démontre pas en quoi les fautes énoncées auraient participé de manière active à la caractérisation d’une insuffisance d’actif
Concernant la comptabilité il reproche au tribunal d’avoir écarté l’argument selon lequel le précédent cabinet comptable, Anderton Consulting, a eu une responsabilité dans la mauvaise tenue de la comptabilité au prétexte qu’aucune action en responsabilité n’a été engagée contre ce cabinet après que M. [V] [K] ait pris connaissance des incohérences comptables revélées tardivement ; que cette mauvaise tenue de la comptabilité a donné une illusion durant une période que l’activité de la société Massilia Étanchéité était rentable et a empêché M. [V] [K] de prendre les mesures utiles à redresser l’activité de la société. C’est tort, selon lui, que le tribunal a considéré que l’absence de dépôt des assemblées générales d’approbation des comptes annuels constituait une faute de nature à avoir une influence sur l’insuffisance d’actif, car l’on ne voit pas en quoi cette omission aurait pu avoir une influence sur l’aggravation de l’insuffisance d’actif.
Les assemblées générales annuelles ont bien été tenues mais n’ont pas été déposées au greffe, ce qui ne constitue qu’une simple négligence et non une faute de gestion.
Concernant la poursuite d’une activité déficitaire, il invoque la chute considération du chiffre d’affaires 2017 ayant entraîné des difficultés de trésorerie ; il dit avoir immédiatement réagi en injectant 80 000 euros et en sollicitant le concours de la banque HSBC pour lequel il s’est porté caution. Fin 2017, au vu du bilan clôturé le 31 décembre 2017, il a résilié des contrats non indispensables à l’activité et licencié l’ensemble des salariés de la société Massilia Étanchéité, tout en conservant le bail des locaux afin de poursuivre le redressement de l’entreprise. Il a ensuite réorienté l’activité de la société vers une activité de bureau d’études et pilotages de travaux afin de diminuer les charges de l’entreprise et fait reprendre l’activité et les contrats conclus par la société Massilia Étanchéité par la société Massilia Étanchéité du Var, à même de poursuivre les contrats, moyennant une commission de près de 20 % sur les marchés transférés.
Il impute l’absence apparente en comptabilité des commissionnements issus des transferts des contrats à la société Massilia Étanchéité de Var, la disparition en comptabilité en 2018 des véhicules Renault Megane et Clio immobilisés sur les comptes 2016 aux erreurs et négligences de l’expert-comptable de la société, Anderton Consultings ; de même la constitution de provisions pour risques correspondant aux contentieux en cours étaient une opération comptable risquée dans l’hypothèse où si ces contentieux n’aboutissent pas, seront à réintégrés fiscalement ; il estime enfin que l’usage d’une motocyclette Harley Davidson à titre de véhicule professionnel du dirigeant de l’entreprise n’est pas prohibé ;
S’agissant de la vente des véhicules :
– Renault Kangoo à la société Massilia Étanchéité du Var, pour la somme de 2 500 euros TTC chacun,
– Renault Kangoo à M. [O] [D] pour la somme de 2 500 euros TTC par compensation avec des prestations réalisées non réglées,
– Ford cédés à la société Bessa Rénovation par compensation avec des comptes fournisseurs non réglés,
il maintient que ces cessions n’ont pas été réalisées à vil prix mais correspondent à la valeur des dits véhicules compte tenu de leur kilométrage.
S’agissant des paiements personnel et préférentiels réalisés à son profit ou celui des sociétés qu’il dirige, il soutient qu’aucune irrégularité n’a été relevée à l’occasion du contrôle fiscal réalisé concernant ces paiements et que l’administrateur judiciaire n’a émis aucune réserve dans le cadre du contrôle des actes de gestion ; que les dépenses de voyage et restaurants ont été effectuées dans le cadre de l’objet social de la société, dont un voyage du personnel au Maroc destiné à renforcer la cohésion d’équipe.
Sur la faillite personnelle ou à défaut, sur l’interdiction de gérer : en l’absence de démonstration d’une faute suffisamment grave à l’encontre de M. [V] [K] ces sanctions ne peuvent être prononcées et si elles l’étaient, elles l’empêcheraient de faire face à ses obligations en lui interdisant de gérer toute société et se procurer des ressources lui permettant de faire face à ses obligations dans les délais qui lui seront accordés, étant appelé à s’acquitter de sommes dues au titre de cautionnement qu’il a souscrits.
Aux termes de ses conclusions n° 2 d’intimée déposées et notifiées le 6 juillet 2022, la SCP BR Associés ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Massilia Etanchéité, demande à la cour de :
– à titre liminaire, de débouter M. [K] de sa demande de nullité de l’assignation de première instance ;
– à titre liminaire, de débouter M. [K] de sa demande de nullité du jugement attaqué;
– à titre principal, de confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions ;
– à titre subsidiaire, à défaut, statuant à nouveau sur l’entier litige au fond dans le cadre de l’effet dévolutif de l’appel, de condamner M. [K] selon les modalités détaillées dans le dispositif des présentes conclusions et de débouter M. [K] de toutes ses demandes.
La partie intimée fait valoir que l’assignation est régulière au regard des articles 649, 114 et 117 du code de procédure civile ; que le rapport du juge commissaire prévu par l’article R 662-12 alinéa 1er du code de commerce ne saurait constituer un préalable à la délivrance de l’assignation qui lui est nécessairement antérieure, ce qu’aucun texte au demeurant ne subordonne la délivrance de l’assignation à l’établissement préalable de ce rapport ; que la formalité du rapport est nécessaire devant le tribunal de commerce mais non devant la cour d’appel qui, si elle devait annuler le jugement, se prononcerait à nouveau sur l’entier litige sans rapport du juge commissaire.
Elle conclut à la validité du jugement au visa des articles 460 et 542 du code de procédure civile et soutient que les motifs de nullité invoqués par M. [V] [K] sont inopérants. Elle considère que si l’exécution provisoire de droit est exclue en matière de condamnation en responsabilité pour insuffisance d’actif , le tribunal peut toutefois la prononcer en application de l’article 515 du code de procédure civile
Si la cour devait annuler le jugement, elle se trouverait saisie de l’entier litige par l’effet dévolutif de l’appel.
Sur la responsabilité pour insuffisance d’actif, le liquidateur judiciaire invoque à l’encontre de M. [V] [K], plusieurs fautes de gestion :
– l’absence de comptabilité régulière, sincère et complète,
– la poursuite d’une activité déficitaire depuis au moins le mois de janvier 2017,
– la dissimulation ou le détournement d’actifs : deux véhicules Renault Megane valorisés à hauteur de 45 562 euros dans les comptes annuels de la société pour 2016 ne figurant pas dans le procès-verbal d’inventaire dressé le 15 mars 2018 ( sauvegarde) et le 10 janvier 2019 (liquidation judiciaire ), le matériel d’exploitation, les véhicules et stocks en propriété, la vente précipitée à prix bradés ou transférés à titre gratuit de cinq véhicules en décembre 2017, la marque verbale Massilia Étanchéité enregistrée auprès de l’INPI le 10 octobre 2013 sous le numéro 4038711 appartenant à la société Massilia Étanchéité détournée au profit d’autres sociétés utilisant les termes Massilia Étanchéité dans leur dénomination ou afin de ne pas leur porter préjudice (Massilia Étanchéité de Var, Massilia Étanchéité de la Drôme) constituant l’actif social ont disparu ou ont été détournées, de même que le détournement de la clientèle et des contrats au profit de la société Massilia Étanchéité du Var qui explique la perte de chiffre d’affaires sur 2017 et 2018
– la violation de l’intérêt social : l’usage de mauvaise foi du bien ou du crédit de la société à des fins personnelles (souscription au nom de la société d’un contrat de crédit-bail portant sur une moto de marque Harley David son que la société lui a cédé à titre gratuit le 18 septembre 2017 alors que cette moto aurait pu être cédée à un prix proche de 25 000 euros) , les dépenses de restaurant et de voyages et des dépenses sans lien avec l’objet social, dans l’intérêt personnel du dirigeant ou pour favoriser des sociétés dans lesquelles il est directement ou indirectement intéressé,
– la violation de la norme fiscale, constitutive d’une faute de gestion,
– l’incompétence, la passivité et le désintérêt du dirigeant,
Concernant le montant de l’insuffisance d’actif celui ci s’élève :
– pour le passif admis ne faisant l’objet d’aucune contestation ou ayant fait l’objet de décisions irrévocables dans le cadre de la vérification du passif : 1 236 236,14 euros (hors passif faisant l’objet d’instances en cours pour un montant total de 2 577 346,09 euros)
– l’actif s’élève à 49 628,18 euros
– l’insuffisance d’actif s’élève par conséquent à 1 186 606,96 euros.
L’article L 651-2 al.1 du code de commerce n’exige pas qu’il soit démontré un lien de cause à effet direct entre l’insuffisance d’actif et les fautes de gestion imputées au dirigeant à celui-ci , mais que ces fautes de gestion ont contribué à l’insuffisance d’actif.
Par un avis déposé et signifié par RPVA le 31 janvier 2023, ministère public requiert le rejet de la demande de nullité de l’assignation délivrée en première instance par le liquidateur judiciaire et la confirmation du jugement querellé dans toutes ses dispositions.
L’affaire a été fixée à l’audience du 1er mars 2023 et l’ordonnance de clôture a été rendue le 02 février 2023.
En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il sera renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
MOTIFS
Sur la nullité du jugement du tribunal de commerce alléguée par M. [V] [K]
1) Si l’article R 662-12 du code de commerce dispose que le tribunal statue sur le rapport du juge commissaire, ce dernier, organe de la procédure collective, formule dans un rapport des observations sur le déroulement de la procédure et un avis, lesquels ne lient pas le tribunal qui statue au vu des éléments rapportés aux débats, étant rappelé qu’il appartient au liquidateur judiciaire qui entend mettre en cause la responsabilité du dirigeant de la personne morale sous le coup d’une liquidation judiciaire à raison des fautes de gestion commises, afin de le voir condamner à contribuer à l’insuffisance d’actif, de démontrer l’existence d’une ou plusieurs fautes de gestion qui ont participé à l’insuffisance d’actif ou à son aggravation.
Le juge commissaire ne participant pas à la formation de jugement, les observations et l’avis qu’il peut être amené à formuler ne peuvent, en eux-même, entacher de partialité le jugement rendu par le tribunal.
2) Concernant l’absence de motivation sur la sanction en faillite personnelle, le tribunal contrairement à ce qu’affirme l’appelant a parfaitement caractérisé un ensemble de fautes de gestion et retenu ‘une évidente confusion entre les intérêts de la personne morale et ses propres intérêts’ qui ont ‘clairement contribué à l’augmentation de l’insuffisance d’actif de la société’.
3) S’agissant du défaut de réponse à conclusions, contrairement à ce qui est affirmé par l’appelant, le tribunal a répondu aux moyens péremptoires soulevés en ce qui concerne la régularité de l’assignation et de la procédure, en considérant que :
– la communication ou le dépôt du rapport du juge commissaire ne constituait pas un préalable nécessaire à l’assignation en responsabilité pour l’insuffisance d’actif
– aucune disposition ne prévoyait à peine de nullité un formalisme précis concernant le rapport du juge commissaire
– le rapport a été communiqué au défendeur qui a eu le loisir d’en prendre connaissance et de le critiquer dans le respect du contradictoire.
Il est spécieux et inopérant de soulever l’existence d’une contrariété de motifs et de dispositif dans le jugement du tribunal de commerce, en ce qu’il a condamné le gérant de la société Massilia Étanchéité à participer à l’insuffisance d’actif tout en lui faisant interdiction de gérer une société, de sorte que celui-ci serait empêché de se procurer les ressources nécessaires à satisfaire son obligation de réparer une partie de l’insuffisance d’actif, dès lors que la faillite personnelle prononcée vise à sanctionner des fautes de gestion relevées à son encontre et n’est pas en lien avec sa capacité financière à s’acquitter de ses obligations.
Dès lors et sans qu’il soit nécessaire de suivre M. [V] [K] dans le détail de son argumentation, la cour considère que le tribunal de commerce a répondu aux moyens péremptoires contenus dans les écritures déposées au soutien des intérêts de M. [V] [K] et que les éléments versés aux débats ont été soumis à la contradiction des parties durant l’instance.
Sur la demande de condamnation à supporter une insuffisance d’actif
Selon l’article L651-2 du code de commerce, le tribunal de commerce peut condamner à supporter l’insuffisance d’actif d’une société placée en liquidation judiciaire, tout dirigeant de droit ou de fait responsable d’une faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif.
En application du texte susvisé, pour que l’action initiée par la SCP BR Associés ès qualités puisse prospérer doivent être établis :
-use insuffisance d’actif,
-use ou placers faute de gestion imputables à M. [V] [K]
-un lien de causalité entre la ou les faute commises et l’insuffisance d’actif.
1) Détermination de l’insuffisance d’actif
L’actif social s’élève à la somme de 49 629,18 euros.
Le passif admis à titre définitif s’élève à la somme de 1 236 236,14 euros (n’est pas pris en compte le passif déclaré qui fait l’objet d’instances en cours pour un montant total de 2 577 346,09 euros).
L’insuffisance s’élève donc à la somme de 1 186 606,96 euros (1 236 236,14 euros – 49 629,18 euros).
2) sur les manquements reprochés à M. [V] [K] ayant contribué à l’insuffisance d’actif :
Aux termes d’une motivation par laquelle il s’est attaché à caractériser chacune des fautes de gestion qu’il a retenue et en répondant aux moyens pertinents soulevés par M. [V] [K], contrairement à ce qui est soutenu par ce dernier, le tribunal de commerce d’Aix-en-Provence a retenu trois catégories de fautes de gestion à l’encontre de M. [V] [K], à savoir :
– l’absence de remise d’une comptabilité régulière, sincère et complète,
– la poursuite d’une activité déficitaire depuis au moins 2017,
– la dissimulation ou le détournement de tout ou partie de l’actif social et l’aggravation du passif
Concernant la comptabilité, il se déduit des articles L 123-12 et L 123-14 que dispose que toute personne physique ou morale ayant la qualité de commerçant doit tenir une comptabilité régulière, sincère et complète donnant une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entreprise.
Le fait de ne pas tenir une comptabilité régulière, sincère et complète constitue une faute de gestion qui revêt un caractère de gravité particulière en ce qu’elle prive le dirigeant de connaître avec précision la situation de l’entreprise et son équilibre financier ; par ailleurs, le fait de ne pas déposer au greffe les comptes sociaux constitue également une faute de gestion.
En l’espèce, l’absence de remise par M. [V] [K] au liquidateur judiciaire une comptabilité régulière et complète pour les exercices clos au 31 décembre 2015, au 31 décembre 2016, au 31 décembre 2017 et au 31 décembre 2018, dès l’ouverture de la procédure de sauvegarde du 15 février 2018 comme cela lui a été rappelé par le mandataire judiciaire, le 20 février 2018, puis par le liquidateur le 19 décembre 2019, est caractérisée ; ce n’est en effet que le 6 mai 2021 que l’appelant a communiqué les grands livres afférents aux exercices 2015 à 2017 au liquidateur judiciaire, soit plus de trois ans après l’ouverture de la procédure de la procédure de sauvegarde.
Les éléments comptables remis au liquidateur comportent en outre des contradictions et des incohérences donnant une image fausse du patrimoine et de la situation financière de l’entreprise et compromettant tant son pilotage et son redressement, qui ont été pointées par le commissaire aux comptes dans son rapport pour l’exercice 2016 ainsi que l’a relevé à juste titre le tribunal de commerce.
Dans son rapport sur l’exercice 2016, le commissaire aux compte relève en effet que, contrairement aux dispositions du code de commerce et du plan comptable général, les comptes annuels présentés par la société ne comportent pas une annexe donnant les explications suffisantes sur le contenu de l’information donnée par le bilan et par le compte de résultat ; diverses procédures judiciaires en cours, dont l’issue paraît incertaine, n’ont pas fait l’objet de provisions alors que les condamnations possibles s’élèvent à 120 000 euros ; une partie très significative des créances clients présentent un risque élevé d’irrecouvrabilité lié à leur ancienneté ou à des litiges, sans qu’aucune provision n’a été constituée.
Le commissaire aux comptes n’a pas été en mesure, pour ces raisons, de certifier si les comptes annuels sont, au regard des règles et principes comptables, réguliers et sincères et donnent une image fidèle du résultat des opérations de l’exercice écoulé ainsi que de la situation financière et de patrimoine de la société à la fin de cet exercice. Il relève en outre que le rapport de gestion ne lui a pas été communiqué en violation des dispositions des articles L 232-1 et L 232-26 du code de commerce.
L’obligation de tenir une comptabilité régulière, sincère et complète incombe personnellement au gérant de la Sarl Massilia Étanchéité qui ne peut s’en exonérer en s’abritant derrière les fautes et erreurs alléguées du cabinet comptable, pour lesquelles il n’a au demeurant pas mis en cause sa responsabilité.
L’absence de mesures correctives ont motivé, entre autres, la procédure d’alerte mise en oeuvre par le commissaire aux comptes en septembre 2017
Par ailleurs, M. [K] n’a pas réuni d’assemblée générale aux fins d’approbation des comptes annuels pour les exercices sociaux 2016, 2017 et 2018 et n’a pas déposé au greffe du tribunal de commerce lesdits comptes annuels de la société Massilia Étanchéité comme le lui impartissaient les dispositions du code de commerce.
C’est donc à juste titre que le tribunal de commerce a considéré que la faute de gestion était, au regard de ces éléments, caractérisée sur ce chef.
Concernant la poursuite d’une activité déficitaire :
A été mise en évidence la diminution très importante du chiffre d’affaires entre 2015 et 2017 (4 004 854 euros en 2015 et 1 314 353 en 2017) et du résultat, celui-ci devenant déficitaire en 2017 (-628 560 euros contre 53 917 en 2016), de la trésorerie entre 2015 et 2017, celle-ci passant successivement de 240 572 euros en 2015 à 122 026 euros en 2016 puis à 6 579 euros en 2017, qui ne pouvait passer inaperçue pour M. [K].
Dès la fin 2016 et le début de l’année 2017, celui-ci avait connaissance que l’activité de la société était déficitaire ; en effet à période, le résultat était devenu déficitaire, les capitaux propres étaient largement inférieurs à la moitié du capital social, une diminution très importante de la trésorerie était observable, corrélativement à l’augmentation des dettes fournisseurs et le non paiement des dettes fiscales depuis 2015 (TVA, IS).
Si M. [K] a injecté des fonds propres pour soutenir l’activité de la société, il a surtout eu recours à la souscription d’engagements financiers entraînant des charges financières importantes, mais également en cessant de régler les dettes fiscales, sociales et des dettes fournisseurs, aggravant ainsi le passif de la société, ce qui a été relevé par le commissaire aux comptes.
Il ressort ainsi des pièces produites que depuis au moins le mois de janvier 2017, date à laquelle le résultat est devenu déficitaire, M. [V] [K] a maintenu une activité déficitaire au point que le commissaire aux comptes de la société Massilia Étanchéité a déclenché une procédure d’alerte du gérant de la société dès le 12 septembre 2017, face au constat de faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation (pièce n° 17 de l’intimée).
Il est évoqué notamment dans le rapport d’alerte du commissaire aux comptes que la trésorerie apparaît dans une situation fortement préoccupante, que le chiffre d’affaire a fortement diminué en 2016 et a continué à le faire en 2017, et que la situation comptable provisoire au 31 juillet 2017 est déficitaire, les capitaux propres étant largement inférieurs à la moitié du capital social, voire négatifs.
M. [K] ne pouvait ignorer cette situation car dès l’exercice clos au 31 décembre 2016, le commissaire aux comptes, avait relevé dans son rapport aux associés -outre l’absence de toutes provisions pour risques liées aux procédures en cours et pour créances irrécouvrable- que les résultats et la trésorerie se sont gravement dégradés. Il indiquait à ce sujet que la dégradation de ces ratios s’est encore accentuée et aucun élément définitif d’appréciation ne permet de prévoir un redressement de la situation. Il en résulte une incertitude significative faisant peser un doute sur la continuité de l’exploitation.
Ces éléments caractérisent la poursuite d’une activité déficitaire, ce que ne pouvait ignorer M. [V] [K], laquelle constitue une faute de gestion.
Sur la dissimulation et le détournement des actifs de la société, M. [V] [K] ne conteste pas vraiment avoir :
– transféré l’activité de la société Massilia Étanchéité à la société Massilia Étanchéité du Var, créée en 2013, dans laquelle il était associé majoritaire, par le transfert à titre gratuit des contrats et de la clientèle, ce qui caractérise le détournement d’une partie de l’actif social de la première au profit de la seconde,
– avoir favorisé la SCI Cléna (dont il est l’associé et le gérant), bailleur des locaux dans lesquels la société Massilia Étanchéité exerce son activité, au détriment des créanciers prioritaires,
– avoir vendu à cinq véhicules dont deux au profit de la société Massilia Étanchéité du Var, étant noté que s’il affirme que la somme de 5 000 euros retirée de la vente de ces véhicules est cohérente avec l’état des dits véhicules, il ne justifie toutefois pas de cet état.
L’augmentation très importante du passif à partir de janvier 2017 comme les choix opérés par M. [V] [K] en tant que dirigeant de la société, notamment face aux difficultés financières rencontrées, d’augmenter l’endettement, de transférer l’activité de la société et par conséquent de la priver de rentrées d’argent ainsi que d’une parte de son actif au profit de sociétés dans lesquelles il est directement intéressé au détriment de la procédure collective, comme la tenue d’une comptabilité incomplète et insincère privant les tiers d’une image fidèle de la société, de sa situation financière et de l’état de son patrimoine et privant de surcroît la gérance d’un outil de pilotage fiable et précis de l’entreprise, caractérise la faute de gestion dont le caractère intentionnel est manifeste, en raison de l’expérience acquise par l’appelant dans la gestion et la direction des entreprises par le fait qu’il est dirigeant de plusieurs entreprises de
Eu égard aux fautes de gestion relevées, d’une gravité particulière, qui ont de manière certaine contribué à l’augmentation du passif et par voie de conséquence, à l’insuffisance d’actif, la responsabilité de M. [K] est engagée et celui-ci doit donc être tenu à participer au comblement de l’insuffisance d’actif de la société.
C’est à juste titre que le tribunal de commerce a fixé la contribution de M. [V] [K] à l’insuffisance d’actif à 500 000 euros, prenant en compte des versements à déduire au titre des garanties décennales et cautions.
3) Concernant le prononcé de la mesure de faillite personnelle qui emporte, conformément à l’article L 653-2 du code de commerce, interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale.
Il se déduit des dispositions combinées des articles L653-4, L653-5 et L653-8 du code de commerce que le juge peut condamner à une faillite personnelle tout dirigeant de société qui :
– a abusivement poursuivi, dans un intérêt personnel, une activité déficitaire qui ne pouvait conduire qu’à la cessation des paiements de la personne morale
– a détourné ou dissimulé tout ou partie de son actif ou frauduleusement augmenté son passif,
– n’a pas tenu de comptabilité complète et sincère, en dépit des obligations légales et règlementaires en la matière.
Aux termes des développements précédents, la cour a retenu le caractère intentionnel des trois fautes imputées à M. [V] [K].
Ainsi, en prononçant la faillite personnelle d’une durée de dix ans à l’encontre M. [V] [K], le tribunal de commerce a prononcé une sanction personnelle justifiée et proportionnée au regard de la particulière gravité des fautes de gestion commises par celui-ci.
Si le tribunal de commerce ne peut assortir la condamnation de M. [V] [K] de l’exécution provisoire en ce qui concerne l’insuffisance d’actif il peut, en application de l’article L 653-11 du même code assortir la décision de l’exécution provisoire concernant la mesure de faillite personnelle, ce qu’il a fait de manière expresse et nécessairement limitée à cette seule mesure ainsi qu’il ressort des motifs et du dispositif de la décision attaquée.
Il n’y a pas lieu en l’espèce de faire droit à la demande de rectification de l’erreur matérielle commise dans le jugement telle que formulée par la SCP BR Associés ès qualités.
4) Sur la demande de délais de paiement.
M. [V] [K] a bénéficié, de fait, de larges délais de paiement depuis l’assignation délivrée le 21 octobre 2021 par le liquidateur judiciaire ; par ailleurs il ne verse aux débats aucun élément permettant à la cour d’apprécier sa situation personnelle, sociale et familiale comme ses ressources et patrimoine, et par conséquent, le bien fondé de la demande. En conséquence, la demande de délais de paiement sera rejetée.
5) sur les demandes accessoires
M. [V] [K] succombant en appel, n’est pas fondé dans ses demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de la SCP BR Associés, ès qualités, les frais non compris dans les dépens qu’elle a engagés pour la défense de ses intérêts en cause d’appel. M. [V] [K] sera condamné à verser à la SCP BR Associés, ès qualités, la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
M. [V] [K] sera par ailleurs condamné aux dépens d’appel conformément à 696 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt rendu contradictoirement, par mise à disposition des parties au greffe ;
Rejette l’exception de nullité du jugement rendu par le tribunal de commerce d’Aix-en-Provence en date du 4 mars 2022 soulevée par l’appelant ;
Déboute M. [V] [K] de ses demandes ;
Confirme le jugement rendu par le tribunal de commerce d’Aix-en-Provence en date du 4 mars 2022 en toutes ses dispositions en celles comprises relatives aux dépens.
Rejette la demande en rectification d’erreur matérielle formée par la SCP BR Associés, ès qualités ;
Y ajoutant,
Dit que la mesure de faillite personnelle fera l’objet d’une inscription au fichier national des interdits de gérer en application des articles L 128-1 et suivants et R. 128-1 et suivants du code de commerce, tenu sous la responsabilité du Conseil national des greffier des tribunaux de commerce auprès duquel la personne inscrite pourra exercer ses droits d’accès et de rectification prévu par les articles 15 et 16 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données.
Condamne M. [V] [K] à payer à la SCP BR Associés la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [V] [K] aux dépens de la procédure d’appel.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE