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TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:
■
8ème chambre
1ère section
N° RG 21/12347
N° Portalis 352J-W-B7F-CVHTZ
N° MINUTE :
Assignation du :
30 Septembre 2021
JUGEMENT
rendu le 30 Janvier 2024
DEMANDEURS
Monsieur [E] [P]
Madame [T] [K]
demeurant ensemble [Adresse 1]
[Localité 5]
tous deux représentés par Maître Marie SIMOES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G0400
DÉFENDERESSE
Société ACCUEIL IMMOBILIER
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Maître Pauline CHAPUT de la SCP TOUBHANS – D’HIEUX-LARDON – CHAPUT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P304
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Laure BERNARD, Vice-Présidente
Monsieur Julien FEVRIER, Juge
Madame Muriel JOSSELIN-GALL, Vice-présidente
assistés de Madame Lucie RAGOT, Greffière,
Décision du 30 Janvier 2024
8ème chambre
1ère section
N° RG 21/12347 – N° Portalis 352J-W-B7F-CVHTZ
DÉBATS
A l’audience du 25 Octobre 2023 tenue en audience publique devant Monsieur Julien FEVRIER, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.
JUGEMENT
Prononcé par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte authentique du 15 mai 2019, madame [M] [Z] a vendu à monsieur [E] [P] et à madame [T] [K] un appartement de 134,99 m2 avec jouissance exclusive d’un jardin de 200 m2 environ situé [Adresse 1] (92) au prix de 995.600 €, outre 9.400 € au titre des meubles.
La SASU ACCUEIL IMMOBILIER a obtenu un permis de construire pour édifier un immeuble de plusieurs étages sur le terrain voisin situé [Adresse 4] (92) et a engagé la construction de celui-ci.
Se plaignant de subir un trouble anormal du voisinage du fait de la construction de ce nouvel immeuble, madame [P] et madame [K] ont assigné la société ACCUEIL IMMOBILIER en responsabilité devant le tribunal par acte d’huissier de justice du 30 septembre 2021.
*
Dans leurs dernières écritures notifiées par le réseau privé des avocats le 2 mai 2022, monsieur [P] et madame [K] demandent au tribunal, au visa des articles 544 et 1240 du code civil, de :
– constater que la société GROUPE ACCUEIL IMMOBILIER s’est rendue coupable d’un trouble anormal de voisinage ;
– condamner la société GROUPE ACCUEIL IMMOBILIER à leur payer la somme de 80.000 € en indemnisation de la perte de valeur du bien subie liée à la construction voisine ;
– condamner la société GROUPE ACCUEIL IMMOBILIER à leur payer la somme de 30.000 € en indemnisation de la perte de vue, de la perte d’ensoleillement et de la situation d’enfermement subies ;
– condamner la société GROUPE ACCUEIL IMMOBILIER à leur payer la somme de 10.000 € en indemnisation des nuisances sonores depuis la date du 16 mars 2020, date de début des travaux, ces nuisances excédants les nuisances normales générés par un chantier ;
– condamner la société GROUPE ACCUEIL IMMOBILIER à leur payer la somme de 1.638 € de frais de nettoyage des vitres ;
Décision du 30 Janvier 2024
8ème chambre
1ère section
N° RG 21/12347 – N° Portalis 352J-W-B7F-CVHTZ
– condamner la société GROUPE ACCUEIL IMMOBILIER à leur payer la somme de 5.000 € en indemnisation du préjudice moral subi par les requérants et de la mauvaise foi caractérisée de la société ACCUEIL IMMOBILIER ;
– débouter la société GROUPE ACCUEIL IMMOBILIER de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
– condamner la société GROUPE ACCUEIL IMMOBILIER à leur payer la somme de 2.400 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– dire n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir ;
– condamner la société GROUPE ACCUEIL IMMOBILIER aux dépens de l’instance qui seront recouvrés par maître Marie SIMOES, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
*
Dans ses dernières écritures notifiées par le réseau privé des avocats le 10 mars 2022, la société ACCUEIL IMMOBILIER demande au tribunal, au visa du permis de construire du 27 novembre 2018, des articles 544 et suivants et 1240 du code civil, de :
– la recevoir en ses conclusions et la déclarer bien fondée ;
– dire et juger que le permis de construire qui lui a été octroyé par la mairie de [Localité 5] le 27 novembre 2018 est définitif et purgé de tous recours des tiers ;
– dire et juger que les consorts [K] [P] ne rapportent pas la preuve de l’existence d’un trouble qui dépasserait les limites normales du voisinage ;
– dire et juger que les consorts [K] [P] ne rapportent pas la preuve d’une dépréciation de la valeur de leur appartement situé au RDC de l’immeuble sis [Adresse 1] (92) du fait des travaux voisins entrepris par elle ;
– dire et juger que les consorts [K] [P] ne justifient aucunement leur demande exorbitante à hauteur de 126.638 € au titre des divers préjudices confondus dont ils réclament le versement à leur profit ;
– débouter purement et simplement monsieur [P] et madame [K] de l’ensemble de leurs demandes consistant à obtenir la condamnation de la société ACCUEIL IMMOBILIER à leur verser la somme totale de 126.638 € au titre des divers préjudices notamment sur le fondement du trouble anormal de voisinage ou de la dépréciation de la valeur de leur appartement ;
– débouter les consorts [K] [P] de toutes leurs demandes, fins et conclusions y compris au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens parfaitement injustifiées ;
– renvoyer les consorts [K] [P] à mieux se pourvoir notamment auprès de l’expert judiciaire désigné dans le cadre du référé préventif par voie de dire pour lui faire part de leurs demandes relatives au déroulement du chantier ;
– condamner les consorts [K] [P] à lui payer la somme de 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner les consorts [K] [P] en tous les dépens dont distraction au profit de maître Pauline CHAPUT, avocat, en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
*
Il est renvoyé aux conclusions récapitulatives des parties pour l’exposé des moyens de droit et de fait à l’appui de leurs prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
La clôture de la procédure a été ordonnée le 12 décembre 2022.
L’affaire a été plaidée le 25 octobre 2023 et une note en délibéré a été autorisée pour transmettre une décision rendue contre le même défendeur par le tribunal judiciaire de Nanterre. La décision a été mise en délibéré au 30 janvier 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les demandes de “dire et juger”, de “constater” ou de “donner acte”
Les demandes dont la formulation ne consiste qu’en une reprise de simples moyens ou arguments au soutient des véritables prétentions formulées par les parties ne constituent pas des prétentions au sens des articles 4 et 5 du code de procédure civile.
En conséquence, il n’y a pas lieu de statuer sur de telles demandes formulées de la sorte.
Sur les demandes principales de monsieur [P] et de madame [K]
A l’appui de leurs demandes principales, les consorts [P] [K] font valoir que :
– lors de l’acquisition de leur appartement, il présentait une vue dégagée sur des maisons et espaces verts, ainsi qu’un jardin ensoleillé sans aucun vis-à-vis ;
– ils ont acquis ce bien 995.600 € en raison de ces qualités rares pour un bien situé en ville ;
– ils ont découvert le projet de construction de grande ampleur sur le terrain voisin en 2019 et ce alors que le permis de construire avait été affiché volontairement dans une petite rue qu’ils n’empruntaient pas;
– la société défenderesse avait la volonté de dissimuler son projet aux riverains et est de mauvaise foi ;
– la construction litigieuse vient modifier l’environnement de leur bien et sa valeur ;
– ils subissent une perte d’ensoleillement et de luminosité du jardin et de l’appartement ;
– cette situation porte atteinte à leur droit de propriété ;
– la conformité de la construction et l’obtention du permis de construire sont des critères indifférents à l’existence des troubles et l’engagement de la responsabilité ;
– le bien a perdu en valeur 80.600 € ;
– ils subissent également une perte de tranquillité (63 logements à la place de 5 habitations individuelles);
– ils ont encore subi des troubles de jouissance durant l’exécution du chantier (nuisances sonores et poussière, nuissances sanitaires, mur fragilisé) ;
– madame [K] a été exposée à ces nuisances durant sa grossesse ;
– aucun accord amiable n’a été possible ;
– leur action est fondée sur les articles 1240 et 544 du code civil ;
– ils ont subi divers préjudices ;
– la perte d’ensoleillement ne relève pas de la mission de l’expert ;
– ils subissent un trouble anormal du voisinage et pouvaient demander la démolition de l’ouvrage.
En défense, la société ACCUEIL IMMOBILIER soutient que :
– elle est propriétaire d’un terrain situé [Adresse 4] sur lequel elle a fait construire un immeuble de 2 bâtiments R+4 à usage d’habitation après démolitions des existants ;
– elle est titulaire d’un permis de construire valant permis de démolir du 27 novembre 2018 ;
– les travaux de démolition se sont déroulés fin 2019 et les travaux de construction sont en cours ;
– un expert judiciaire a été désigné dans le cadre d’un référé préventif ;
– l’appartement des demandeurs se trouve en limite directe avec les deux projets immobiliers importants en construction dans le secteur ;
– les demandeurs pouvaient aisément avoir connaissance du projet immobilier dès leur achat ;
– le permis de construire est purgé de tous recours des tiers ;
– la construction se trouve dans un environnement extrêmement urbanisé et est conforme au permis délivré ;
– il n’y a pas de trouble anormal du voisinage ;
– les préjudices invoqués sont contestés et sont virtuels, futurs et incertains ;
– il y aura plus de 16 mètres entre la maison des demandeurs et l’immeuble en cours de construction ;
– l’immeuble construit de ce côté-là est un R+3 ;
– le pavillon et jardin des demandeurs est au niveau – 1 et on n’y voit que les arbres de clôture ;
– l’environnement des demandeurs sera peu modifié et il n’y a pas d’enfermement ;
– les nuisances sonores et de poussière sont des troubles normaux en cas de travaux d’une telle envergure;
– les demandeurs profitent de la situation pour s’enrichir ;
– concernant les demandes relatives au chantier, les demandeurs devront en faire état dans le cadre d’un dire directement adressé à l’expert judiciaire chargé du référé préventif.
Vu l’article 544 du code civil qui prévoit que la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements.
Le droit pour le propriétaire de jouir et de disposer de sa chose de la manière la plus absolue, sauf usage prohibé par les lois ou par les règlements, est limité par l’obligation qu’il a de ne causer à la propriété d’autrui aucun dommage dépassant les inconvénients normaux du voisinage.
La théorie des troubles anormaux du voisinage consacre une responsabilité objective, fondée sur la constatation du dépassement d’un seuil de nuisance sans qu’il soit nécessaire d’imputer celui-ci à une faute ou à l’inobservation d’une disposition législative ou réglementaire.
Inversement, il est admis que le respect des dispositions légales et des règles d’urbanisme n’exclut pas l’existence éventuelle de troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage.
Les juges du fond apprécient souverainement le caractère excessif du trouble allégué tant au regard de sa permanence et de sa gravité que de la situation des lieux.
Vu l’article 1240 du code civil applicable en matière de responsabilité délictuelle.
Sur ce,
En l’espèce, la société ACCUEIL IMMOBILIER verse aux débats le permis de construire et de démolir qui lui a été accordé le 27 novembre 2018 et au demeurant les demandeurs ne discutent pas la validité de ce permis de construire ou son respect par le constructeur.
En revanche, les consorts [P] [K] invoquent un trouble anormal du voisinage en lien avec cette construction, bien qu’autorisée par un permis de construire.
Ils versent aux débats la promesse de vente qui leur a été consentie par madame [T] [G] [Z] le 12 février 2019 concernant leur appartement en duplex de 134,99 m2 avec jardin à jouissance exclusive situé dans un ensemble immobilier à [Localité 5] dans les Hauts-de-Seine, [Adresse 1]. L’acte mentionne un appartement aux niveaux -1 (avec salon et cuisine) et 0 (avec les chambres).
La vente a été réitérée par acte authentique du 15 mai 2019 produit aux débats.
Au soutien de leur prétention, les demandeurs versent à la procédure des photographies et vidéos de leur appartement et de son environnement avant et après la construction litigieuse.
Il en ressort que l’immeuble en cours de construction litigieux est effectivement plus haut et plus large que les maisons qui se trouvaient auparavant sur le terrain voisin de celui des demandeurs. Il est certain que l’ensoleillement de leur bien immobilier s’en trouve diminué, que la vue est moins dégagée et que les nuisances du voisinage seront potentiellement plus importantes du fait de l’augmentation du nombre de voisins et du nombre de nouvelles ouvertures donnant sur leur jardin.
Pour autant, l’immeuble en cours de construction litigieux, de hauteur R+3 ou R+4 selon les déclarations du constructeur, s’inscrit dans la ligne de ceux se situant aux alentours et visibles sur le rapport de l’expert judiciaire [B] [J] et sur les photos prises par maître [W], huissier de justice, le 6 février 2020 et annexées à son procès-verbal de constat.
L’immeuble se situe à proximité de [Localité 6], dans un environnement très urbanisé, de sorte que la probabilité de subir ce type de construction à proximité de la résidence où se situe le bien des demandeurs était prévisible (sans compter que le permis de construire était déjà consultable en mairie au jour de l’achat de l’appartement).
D’ailleurs, l’appartement des demandeurs se trouve lui-aussi dans un immeuble de plusieurs étages en copropriété.
En outre, l’appartement des demandeurs se situe aux niveaux -1 et 0, ce qui limite également l’ensoleillement. Cela est particulièrement visible sur les photos prises avant construction de l’immeuble litigieux.
Le tribunal considère donc que s’il existe un trouble du voisinage en lien avec cette construction à proximité directe de leur bien, les demandeurs échouent à établir son caractère anormal au regard de la situation de l’immeuble et du quartier, tant s’agissant de la perte d’ensoleillement que de la perte de vue.
De même et en toute hypothèse, le prétendu préjudice de perte de valeur du bien immobilier des demandeurs ne saurait être retenu dès lors que, ces derniers ne prétendant ni ne justifiant avoir essayé, en vain, de vendre ledit bien ou d’avoir dû le vendre à un prix moindre que celui du marché, il s’agit d’un préjudice futur et incertain, ne pouvant ouvrir droit à réparation.
Par ailleurs, s’agissant des troubles en lien avec le chantier de construction lui-même, l’existence d’un trouble anormal de voisinage excédant les nuisances inhérentes à une telle opération de construction n’est pas non plus suffisamment démontré.
Aucune faute délictuelle de la société défenderesse en la matière n’est davantage établie.
Les courriers des demandeurs ne peuvent démontrer à eux seuls la véracité de leurs allégations en matière de bruit ou de nuisances sanitaires, nul ne pouvant se constituer de preuve à soi-même.
Ils ne sont au demeurant pas corroborés par d’autres plaintes et constats d’huissiers de justice.
L’état de leurs vitres, dont ils estiment qu’elles ont été salies en raison du chantier, n’a pas été constaté avant l’ouverture du chantier d’une part et le lien de causalité entre cet état de saleté critiqué et avec le chantier voisin n’est pas suffisamment démontré d’autre part.
Enfin, il doit être relevé que leur copropriété, partie à la procédure de référé préventif, pourra faire valoir le cas échéant une dégradation de l’immeuble.
Dès lors, toutes les demandes des consorts [P] [K] seront rejetées.
Sur les demandes accessoires
En application de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
En l’espèce, les consorts [P] [K], parties perdantes, supporteront les dépens, avec distraction au profit de maître Pauline CHAPUT, avocat, dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.
En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée et il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation.
Toutes les demandes des parties à ce titre seront rejetées en équité.
En application des articles 514 et 515 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement.
Le juge peut écarter l’exécution provisoire de droit, en tout ou partie, s’il estime qu’elle est incompatible avec la nature de l’affaire. Il statue d’office ou à la demande d’une partie.
En l’espèce, il n’y a pas lieu de suspendre l’exécution provisoire du jugement.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant après débats en audience publique, en premier ressort et par jugement contradictoire, par mise à disposition au greffe :
REJETTE l’ensemble des demandes de monsieur [E] [P] et de madame [T] [K] ;
REJETTE les demandes des parties formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE monsieur [E] [P] et madame [T] [K] aux dépens ;
AUTORISE maître Pauline CHAPUT, avocat, à recouvrer les dépens dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile ;
REJETTE les autres demandes de la société ACCUEIL IMMOBILIER plus amples ou contraires;
DIT n’y avoir lieu à suspendre l’exécution provisoire.
Fait et jugé à Paris le 30 Janvier 2024.
La GreffièreLa Présidente