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TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Copie Certifiée Conforme délivrée le :
à Me Victor STEINBERG-COULAIS
Copie Exécutoire délivrée le :
à Me Evelyne ELBAZ
■
8ème chambre
1ère section
N° RG 20/03155
N° Portalis 352J-W-B7E-CR6NA
N° MINUTE :
Assignation du :
26 mars 2020
JUGEMENT
rendu le 30 janvier 2024
DEMANDEUR
Syndicat des copropriétaires de l’immeuble sis [Adresse 3] représenté par son syndic la société JEAN CHARPENTIER SOPAGI SA
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représenté par Me Evelyne ELBAZ de la SELARL CABINET ELBAZ – GABAY – COHEN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #L0107
DÉFENDEURS
Monsieur [B] [V]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
représenté par Me Victor STEINBERG-COULAIS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0596
MAIRIE DE [Localité 4]
Direction du Logement et de l’Habitat
Bureau de la Protection des Locaux d’Habitation
[Adresse 1]
[Adresse 1]
non représentée
Décision du 30 janvier 2024
8ème chambre 1ère section
N° RG 20/03155 – N° Portalis 352J-W-B7E-CR6NA
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Laure BERNARD, Vice-Présidente,
Muriel JOSSELIN-GALL, Vice-présidente,
Février FEVRIER, Juge,
assistée de Delphine PROVOST-GABORIEAU, Greffier.
DÉBATS
A l’audience du 08 novembre 2023 tenue en audience publique devant Laure BERNARD, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.
JUGEMENT
Prononcé par mise à disposition au greffe
Réputé contradictoire
En premier ressort.
EXPOSE DU LITIGE
M. [B] [V] est copropriétaire des lots n°19 (appartement au 5ème étage), n°20 (ancien WC), n°27 (chambre de bonne n°8 au 6ème étage), n°29 (chambre de bonne n°10 au 6ème étage ) et n°33 (cave n°3 au sous-sol), au sein de l’immeuble sis [Adresse 3], soumis au statut de la copropriété des immeubles bâtis.
Par acte d’huissier délivré le 26 mars 2020, le syndicat des copropriétaires de l’immeuble en cause, représenté par son syndic en exercice, a assigné, devant la juridiction de céans, M. [V], ainsi que la Mairie de [Localité 4], afin notamment d’obtenir, à titre principal, la restitution de son affectation strictement bourgeoise du lot n°19 appartenant à M. [V], ainsi que l’arrêt de sa mise en location de courte durée.
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 08 mars 2022, le syndicat des copropriétaires demande au tribunal de :
« Vu les articles 1240 et suivants du code civil,
Vu les articles 43, 8 et 10 de la loi du 10 juillet 1965,
Vu les articles 514, 695 et suivants, 699 et 700 du code de procédure civile,
Vu les pièces produites dont le règlement de copropriété du demandeur :
– Dire le syndicat des copropriétaires de l’immeuble du [Adresse 3] recevable et bien fondé en l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
Et, y faisant droit et rappelant que le règlement de copropriété du demandeur interdit tout commerce dans les appartements et chambres des étages qui doivent être affectés exclusivement à l’habitation bourgeoise excluant notamment toutes locations meublées ou de courtes durées ;
– Condamner M. [V] :
À restituer une affectation d’habitation strictement bourgeoise au lot n°19 de l’immeuble du [Adresse 3], à l’exclusion de tout commerce ou activité commerciale, locations meublées, saisonnières ou de courtes durées ;
Ce, sous astreinte de 5.000 euros par infraction constatée ;
À justifier de sa demande de retrait des annonces de mises en locations saisonnières ou de courtes durées sur les sites Abritel, HomeAway et Bed & Roses et de la confirmation des retraits par les plate-formes de mise en relation ;
Ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard commençant à courir dans les deux mois de la signification de la décision à intervenir ;
À ne pas publier d’autres annonces de mise en location meublée, saisonnière ou de courtes durées sur d’autres supports ou plate-formes ;
Ce, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée (le constat d’huissier lui-même ayant coûté au demandeur la somme de 380 euros TTC) ;
À payer au syndicat des copropriétaires demandeur la somme de 10.000 euros en indemnisation du préjudice subi à raison des troubles anormaux du voisinage ;
– Condamner M. [V] à payer au syndicat des copropriétaires de l’immeuble du [Adresse 3] la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– Condamner M. [V] aux entiers dépens, qui comprendront le coût du procès-verbal du 20 septembre 2019, au profit de Me [H] dans les conditions de l’article 699 du même code ;
– Dire n’y avoir lieu d’écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir ».
Le syndicat des copropriétaires soutient, à l’appui de sa demande principale, que M. [V] propose son lot n°19 la location de courte durée, dans des conditions contraires au règlement de copropriété, opérant une modification unilatérale de la destination du lot contraire à la destination de l’immeuble lui-même.
Il argue de ce que ce lot doit être affecté uniquement à l’habitation, à l’exclusion de toute activité de commerce, et doit respecter la clause d’occupation bourgeoise exclusive prévue au règlement de copropriété, dont il affirme qu’elle est licite et conforme à la destination de l’immeuble.
Le syndicat des copropriétaires s’estime dès lors fondé à solliciter le retour à l’affectation conventionnelle du lot n°19, d’une part, et l’indemnisation du préjudice collectif subi par les copropriétaires occupants du fait de ces locations faites à des touristes ou à des sociétés pour leurs événements et générant notamment des dégradations et des nuisances sonores, d’autre part.
En réponse aux moyens adverses, le syndicat des copropriétaires soutient que la prétendue contrariété des dispositions litigieuses du règlement de copropriété avec le droit européen doit être rejeté dès lors ledit règlement ne peut être assimilé à un contrat commercial de prestation de service visés par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, d’une part, et que les clauses imposant une occupation « exclusivement à l’habitation bourgeoise » ou interdisant la location en meublé ne sont pas soumises à la directive, d’autre part, outre qu’en toute hypothèse le tribunal n’a pas à se substituer à la Cour de justice pour écarter les dispositions d’ordre public de loi du 10 juillet 1965, enfin.
Le syndicat des copropriétaires conteste également le caractère prétendument illicite des clauses du règlement de copropriété litigieuses dès lors qu’elles se justifient par le standing de l’immeuble, eu égard à sa localisation et à sa composition (un seul appartement par étage, destiné à n’accueillir qu’une famille).
Enfin, le syndicat des copropriétaires relève que M. [V] prétend avoir cessé toute « location AirBnB » et en déduit qu’il n’y a donc aucune difficulté à ce qu’il lui soit enjoint de respecter la destination de ses parties privatives en respectant une occupation strictement bourgeoise.
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 1er septembre 2022, M. [V] demande au tribunal de :
« Vu les articles 9, 117, 514-1, 695 et suivants, 699 et 700 du code de procédure civile,
Vu les articles 1162 et 1240 du code civil,
Vu les articles 8, 9 et 43 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis,
Vu l’article 55 du décret n°67-223 du 17 mars 1967 pris pour l’application de la loi du 10 juillet 1965,
Vu les articles 56, 57 et 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,
Vu les pièces versées aux débats,
A titre principal :
– Constater le défaut de pouvoir de la société Jean Charpentier SOPAGI, syndic, pour représenter le syndicat des copropriétaires du [Adresse 3] s’agissant de la présente action en justice; – Déclarer irrecevables l’ensemble des demandes formées par le syndicat des copropriétaires du [Adresse 3] ;
– Prononcer la nullité de l’assignation introductive d’instance signifiée le 26 mars 2020 ;
A titre subsidiaire :
– Prononcer la nullité des articles II, A, I 3° et II, A I, 5° du règlement de copropriété de l’immeuble du [Adresse 3] motif pris de leur contrariété à l’article 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
A titre plus subsidiaire :
– Transmettre à la Cour de justice de l’Union européenne la question préjudicielle suivante :
« L’article 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un règlement de copropriété puisse interdire, de façon générale et absolue, la location meublée touristique, privant ainsi purement et simplement les propriétaires de la possibilité d’exercer, fut-ce à titre ponctuel, une telle activité ? ».
A titre encore plus subsidiaire :
– Déclarer non-écrite la clause de l’article II, A, I, 5° du règlement de copropriété de l’immeuble du [Adresse 3]; – Dire et juger que la clause prévue à l’article II, A, I 3° du règlement de copropriété de l’immeuble du [Adresse 3] n’interdit pas les locations meublées touristiques intervenues ;
A titre infiniment subsidiaire :
– Dire et juger que le syndicat des copropriétaires du [Adresse 3] ne rapporte pas la preuve de l’existence d’un trouble anormal de voisinage ;
En tout état de cause :
Décision du 30 janvier 2024
8ème chambre 1ère section
N° RG 20/03155 – N° Portalis 352J-W-B7E-CR6NA
– Débouter le syndicat des copropriétaires du [Adresse 3] de toutes ses demandes ;
– Condamner le syndicat des copropriétaires du [Adresse 3] aux entiers dépens de l’instance ;
– Condamner le syndicat des copropriétaires du [Adresse 3] au paiement de la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ».
A titre liminaire, M. [V] sollicite du tribunal de prononcer la nullité de l’assignation introductive d’instance en date du 26 mars 2020 et, de déclarer irrecevables ses demandes, arguant de ce que cette autorisation est insuffisamment précise quant à son étendue et son objet, ainsi que sur ses fondements.
Sur le fond, M. [V] soutient que l’activité de location meublée touristique est une prestation de services au sens de l’article 57 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), de sorte que les clauses litigieuses du règlement de copropriété sont des restrictions au principe de libre prestation des services, garanti par l’article 56 du Traité précité , et doivent être déclarées nulles. Il suggère à titre subsidiaire que la juridiction pose une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne sur ce point de la compatibilité d’une telle clause d’un règlement de copropriété.
Il prétend en outre que les clauses querellées du règlement de copropriété doivent être réputées non écrit car contraires aux dispositions d’ordre public de la loi du 10 juillet 1965, en l’absence d’un quelconque standing de l’immeuble, d’une part, et en raison de leur rédaction imprécise qui ne permet pas de considérer comme interdite l’exercice à titre ponctuel d’une activité de location meublée touristique, d’autre part.
Enfin, M. [V] s’oppose à la demande additionnelle indemnitaire arguant de l’absence d’élément probant de l’anormalité alléguée des nuisances prétendument subies, alors que l’immeuble en cause est situé en plein cœur de [Localité 4], sur une avenue particulièrement passante et touristique.
Pour un exposé plus détaillé des moyens et prétentions des parties, il convient de renvoyer aux termes de leurs dernières écritures susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
Citée à étude, la Mairie de [Localité 4] n’a pas constitué avocat. La décision sera réputée contradictoire en application de l’article 473 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 6 mars 2023.
L’affaire, appelée à l’audience du 08 novembre 2023, a été mise en délibéré au 30 janvier 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les demandes de « constater » et de « dire et juger »
Il n’y a pas lieu de statuer sur ces demandes, lesquelles ne constituent pas des prétentions au sens de l’article 4 du code de procédure civile mais sont la reprise des arguments développés dans les écritures des parties.
Sur la nullité de l’assignation
Aux termes de l’article 122 du code de procédure civile « Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. »
Le deuxième alinéa de l’article 55 du décret n°67-223 du 17 mars 1967, dans sa version issue du décret n°2019-650 du 27 juin 2019, prévoit en son premier alinéa que « le syndic ne peut agir en justice au nom du syndicat sans y avoir été autorisé par une décision de l’assemblée générale ».
L’incident de procédure tirée du défaut d’habilitation du syndic à agir n’est pas une fin de non-recevoir mais une exception de procédure, car le moyen vise un défaut de pouvoir et non un défaut de qualité, de sorte qu’il s’agit d’une irrégularité de fond relevant de la compétence exclusive du juge de la mise en état.
Par conséquent M. [V] est irrecevable à soulever cette exception de procédure devant le tribunal statuant au fond.
Sur la demande principale
L’article 8 de la loi du 10 juillet 1965 dispose notamment qu’au sein d’une copropriété, le « règlement conventionnel de copropriété détermine la destination des parties tant privatives que communes, ainsi que les conditions de leur jouissance (…) ».
Il précise en son alinéa 2 que ce règlement de copropriété « ne peut imposer aucune restriction aux droits des copropriétaires en dehors de celles qui seraient justifiées par la destination de l’immeuble, telle qu’elle est définie aux actes, par ses caractères ou sa situation ».
Le règlement de copropriété, qui a valeur contractuelle, détermine la destination des parties tant privatives que communes ainsi que les conditions de leur jouissance.
Toutefois, les clauses limitant la liberté d’usage des parties privatives des copropriétaires ne sont valables que si elles sont justifiées par la destination de l’immeuble.
L’article 9 I de la loi précitée dispose que « Chaque copropriétaire dispose des parties privatives comprises dans son lot ; il use et jouit librement des parties privatives et des parties communes sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l’immeuble. »
La destination de l’immeuble se définit par les actes qui la déterminent, notamment le règlement de copropriété, par les caractères dudit immeuble et, en particulier, la qualité architecturale, le standing et la situation de celui-ci.
Le changement d’affectation d’un lot est possible dès lors que la nouvelle affectation n’est pas expressément prohibée par le règlement de copropriété, qu’elle est conforme à la destination de l’immeuble et qu’elle ne porte pas atteinte aux droits des autres copropriétaires.
La destination contractuelle du lot ou son actuelle affectation ne sont donc pas de nature à empêcher, à elles seules, un copropriétaire de changer librement l’usage de son lot.
Les clauses du règlement de copropriété limitant les droits d’un copropriétaire interprétées strictement.
Le copropriétaire n’est pas tenu par la destination contractuelle du règlement de copropriété et reste libre de modifier l’affectation de la partie privative de son lot, sous les seules conditions de l’article 9, sauf si une clause contractuelle le prohibe expressément (Cass Civ. 3ème, 10 déc. 1986, n° 82-15.198).
La rotation de courtes périodes de location dans des « hôtels studios meublés », pour des courts ou moyens séjours, n’est pas compatible avec la destination de l’immeuble à usage principalement d’habitation, avec possibilité d’usage mixte professionnel-habitation et à l’exclusion de toute activité commerciale, dès lors que le règlement de copropriété traduit une volonté de stabilité des occupants (Civ 3ème, 08 mars 2018, n°14-15.864).
Sur ce,
Le règlement de copropriété prévoit, en son titre II « Droits et obligations des copropriétaires » que :
« A – Parties constituant une propriété privée
I° Chacun des copropriétaires aura en ce qui concerne les locaux, leurs annexes et accessoires lui appartenant exclusivement, le droit d’en jouir et disposer comme de chose lui appartenant en toute propriété à la condition de ne pas nuire aux droits des autres copropriétaires des autres parties divises, de ne rien faire qui puisse compromettre la solidité de la maison, et sous les réserves qui vont être ci-après formulées.
(…)
3° Les locaux, appartements et les chambres de personnel ne pourront être occupés que par des personnes de bonne vie et mœurs qui devront veiller à ne rien faire, ni laisser faire qui puisse nuire à sa bonne tenue.
Il ne pourra être exercé dans la maison aucun commerce sauf cependant en rez-de-chaussée, ainsi qu’on le verra plus loin, l’intention des parties étant que les étages servent exclusivement à l’habitation bourgeoise.
Toutefois, les professions de docteur-médecin, chirurgien-dentiste, avocat, notaire, avoué et, d’une façon générale, les professions libérales pourront être exercées dans les appartements, mais à la condition expresse, s’il s’agit d’un docteur-médecin ou chirurgien, qu’il ne soit tenu aucune clinique ou maternité dans l’appartement, ni aucun laboratoire d’analyses ou d’expériences et que ces médecins ou chirurgines ne soient pas des spécialistes de maladies contagieuses ou vénériennes, ni de radiographes, les professeurs de chant, de danse et de musique, les bureaux commerciaux, agences, bureaux de placement, d’enregistrement, percepteurs ou contrôleurs de contributions, sont interdits.
(…)
Les locaux du rez-de-chaussée pourront être affectés à des bureaux à usage professionnel ou commercial utilisés en magasins pour commerce de luxe ou en bars, mais il ne devra y être exercé aucun commerce qui soit de nature à troubler la tranquillité de la maison ou susceptible d’incommoder les autres propriétaires, soit par le bruit, l’aspect ou les mauvaises odeurs, ou pouvant être un danger pour l’immeuble.
(…)
5° Il est absolument interdit de faire des locations en meublé.
6° Les propriétaires se soumettront à toutes les obligations prévues par le règlement intérieur de l’immeuble. Ils devront veiller à ne troubler en rien la tranquillité de la maison, par leur fait, celui des personnes de leur famille, des gens de service et de leurs visiteurs. (…) ».
Il ressort par ailleurs du règlement de copropriété et de l’état descriptif de division que l’immeuble est composé de cinq étages principaux, avec un seul appartement par étage, une boutique en rez-de-chaussée et des chambres de service au sixième étage.
Il s’évince de la lecture combinée de ces éléments que la destination de l’immeuble est exclusivement bourgeoise et que les restrictions apportées à l’usage possible des parties privatives par leurs propriétaires, tant sur le principe de leur mise à disposition au profit de tiers que des professions pouvant y être exercées, illustrent une volonté de préserver l’équilibre global de la copropriété, qui est de taille moyenne voire « familiale », et la tranquillité de ses occupants, ce qui est une préoccupation légitime quelque soit le niveau de standing de l’immeuble.
L’interdiction de la location en meublé, visée au 2° du titre II du règlement de copropriété, doit s’entendre comme incluant les locations de courte durée et/ou saisonnières, compte tenu du souci de ses rédacteurs d’éviter les allers et venues répétitives subséquentes à ce genre de mise à disposition sur de brèves périodes de temps.
M. [V] ne conteste par avoir mis à disposition son bien, de façon régulière, pour ce genre de locations de courte durée, mais conteste l’irrégularité de cet usage.
Or et d’une part, l’argument d’une prétendue contrariété de ces dispositions à l’article 57 du TFUE est inopérant et sera écarté, sans qu’il y ait lieu à question préjudicielle, dès lors qu’un règlement de copropriété a pour vocation de définir des règles de vie et de fonctionnement d’un immeuble soumis au statut de la copropriété, et n’est donc par définition pas soumis aux dispositions supranationales précitées, ayant vocation à s’appliquer aux questions relatives à la libre circulation des personnes, des services et des capitaux, étant en outre relevé qu’aux termes des articles 3 et 4 dudit traité l’Union européenne ne dispose pas d’une compétence exclusive en matière de réglementation immobilière.
D’autre part, s’agissant de la contrariété alléguée des dispositions litigieuses aux articles 8 et 9 de loi du 10 juillet 1965, d’ordre public, il ne sera pas davantage retenu dès lors qu’il a été démontré, à l’analyse des termes du règlement de copropriété précités, que la destination exclusivement bourgeoise de l’immeuble ainsi que l’interdiction corrélative des locations en meublé ont pour but la volonté de préserver l’équilibre global et la tranquillité de la copropriété, étant en outre relevé qu’elles n’interdisent que la location en meublé et non le principe d’une mise en location d’un lot selon un contrat de bail « classique ».
Elles respectent ainsi l’équilibre voulu par le législateur aux termes de l’article 9 de loi du 10 juillet 1965 entre le respect du droit de propriété des copropriétaires sur leurs parties privatives, d’une part, et le respect de la destination de l’immeuble et des droits des autres copropriétaires, d’autre part.
Il n’y a pas lieu, dès lors comme le soutient le défendeur, de réputer non-écrites les clauses querellés précitées, et ce sans qu’il y ait lieu au demeurant d’examiner la question du standing de l’immeuble.
Il convient donc de faire droit à la demande du syndicat des copropriétaires et de condamner M. [V] à :
– restituer une affectation d’habitation strictement bourgeoise au lot n°19, à l’exclusion de tout commerce ou activité commerciale, locations meublées, saisonnières ou de courtes durées, et ce sous astreinte de 2.000 euros par infraction constatée, à compter de la signification de la présente décision ;
– justifier, par quelque moyen que ce soit, au syndicat des copropriétaires ou à minima aux membres du conseil syndical, de sa demande de retrait des annonces de mises en locations saisonnières ou de courtes durées du lot n°19 sur les sites Abritel, HomeAway et Bed & Roses et de la confirmation des retraits par les plate-formes de mise en relation, et sous astreinte de 500 euros par jour de retard à l’issue d’un délai de deux mois après signification de la présente décision ;
– ne pas publier d’autres annonces de mise en location meublée, saisonnière ou de courtes durées du lot n°19 sur d’autres supports ou plate-formes, et ce sous astreinte de 500 euros par infraction constatée.
Sur la demande additionnelle indemnitaire
Un trouble anormal de voisinage est constitué dès lors qu’existe une nuisance excédant les inconvénients normaux de la cohabitation dans un immeuble collectif en fonction des circonstances et de la situation des lieux.
L’article 544 du code civil dispose que “la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements”.
L’article 9 alinéa 1er de la loi du 10 juillet 1965 dispose en outre que “chaque copropriétaire dispose des parties privatives comprises dans son lot ; il use et jouit librement des parties privatives et des parties communes sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l’immeuble.”
La responsabilité résultant de troubles qui dépassent les inconvénients normaux de voisinage, lesquels doivent être prouvés par celui qui les invoque, est établie objectivement, sans que la preuve d’une faute soit exigée.
Le propriétaire est responsable de plein droit des troubles anormaux de voisinage provenant de son fonds, que ceux-ci aient été causés par son fait ou par celui de personnes avec lesquelles il est lié par contrat, notamment par le preneur de son lot.
Un syndicat des copropriétaires peut agir à l’encontre d’un copropriétaire sur le fondement de la théorie des troubles anormaux du voisinage (ex. : Civ. 3ème, 11 mai 2017, n° 16-14.339, publié au bulletin).
Un syndicat des copropriétaires a qualité à agir en réparation des préjudices personnels ressentis de la même manière par l’ensemble des copropriétaires, prenant ainsi un caractère collectif (ex. : Civ. 3ème, 23 novembre 2017, n° 16-20.805), au titre de la sauvegarde des droits afférents à l’immeuble, en application des dispositions de l’article 15 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis.
Le caractère collectif est établi en présence de préjudices personnels des copropriétaires qui relèvent normalement de l’action individuelle mais qui sont supportés par l’ensemble des copropriétaires ou par l’ensemble des lots de la même manière (Civ. 3ème, 14 novembre 1990, n° 88-12.995, 17 octobre 2012, n° 11-17.066, 10 octobre 1984, n° 83-14.811, etc.).
Ainsi, les désordres qui affectent des parties privatives d’appartements peuvent être qualifiés de troubles collectifs rendant recevable le syndicat des copropriétaires à agir en justice pour leur réparation, dès lors qu’ils causent les mêmes troubles de jouissance à l’ensemble des copropriétaires (Civ. 3ème, 7 septembre 2011, n° 09-70.993).
Sur ce,
Au soutien de sa demande additionnelle indemnitaire, le syndicat des copropriétaires produit aux débats plusieurs écrits émanant de trois copropriétaires : une déclaration de main-courante déposée par M. [W] [U] datée du 22 mars 2019, une plainte déposée par ce même copropriétaire auprès des services de police le 29 mars 2019 doublée d’une attestation de ce dernier du 08 avril 2019, une attestation de Mme [Y] [T] du 04 juin 2019, deux attestations de M. [S] [R] des 10 juillet 2019 et 29 septembre 2020, et enfin une plainte de ce dernier envoyée par lettre aux services de police, datée du 22 novembre 2021.
A la lecture de ces écrits les auteurs se plaignent, de façon concordante et pour l’essentiel, de bruits de fêtes nocturnes très tardives émanant de l’appartement du défendeur, essentiellement en période de fins de semaine, d’allers et venues au sein des parties communes durant ces fêtes, et de dégradations subséquentes de l’ascenseur et de la cage d’escalier.
Néanmoins, ces éléments factuels sont contrebalancés par les pièces adverses, M. [V] produisant deux attestations de M. [Z] [X] [C] et de Mme [P] [A], copropriétaires, datées respectivement des 15 juillet 2020 et 15 avril 2021 et faisant état de l’absence de quelconques nuisances subséquentes à la location du bien du défendeur, ainsi qu’une attestation de la société Rommonitor indiquant avoir installé, au sein du lot concerné, un détecteur de bruit en état de fonctionnement.
Faute pour le syndicat des copropriétaires de rapporter la preuve, qui lui incombe, de la réalité du trouble de voisinage allégué et de son caractère anormal, ainsi que du préjudice collectif qu’il estime avoir subi du fait dudit trouble, tant dans son principe que dans son quantum, la demande indemnitaire présentée à ce titre à l’encontre du copropriétaire défendeur doit donc être rejetée.
Sur les demandes accessoires
L’article 695 du code de procédure civile dispose que « Les dépens afférents aux instances, actes et procédures d’exécution comprennent :
1° Les droits, taxes, redevances ou émoluments perçus par les greffes des juridictions ou l’administration des impôts à l’exception des droits, taxes et pénalités éventuellement dus sur les actes et titres produits à l’appui des prétentions des parties ;
2° Les frais de traduction des actes lorsque celle-ci est rendue nécessaire par la loi ou par un engagement international ;
3° Les indemnités des témoins ;
4° La rémunération des techniciens ;
5° Les débours tarifés ;
6° Les émoluments des officiers publics ou ministériels ;
7° La rémunération des avocats dans la mesure où elle est réglementée y compris les droits de plaidoirie ;
8° Les frais occasionnés par la notification d’un acte à l’étranger ;
9°Les frais d’interprétariat et de traduction rendus nécessaires par les mesures d’instruction effectuées à l’étranger à la demande des juridictions dans le cadre du règlement (UE) 2020/1783 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2020 relatif à la coopération entre les juridictions des Etats membres dans le domaine de l’obtention des preuves en matière civile et commerciale ;
10° Les enquêtes sociales ordonnées en application des articles 1072, 1171 et 1221 ;
11° La rémunération de la personne désignée par le juge pour entendre le mineur, en application de l’article 388-1 du code civil ;
12° Les rémunérations et frais afférents aux mesures, enquêtes et examens requis en application des dispositions de l’article 1210-8 ».
Il résulte de l’article 695 du code de procédure civile que les dépens d’une instance n’incluent pas les frais de constat d’un huissier de justice non désigné à cet effet par décision de justice (Civ 2ème, 12 janvier 2017, n°16-10.123).
Partie succombante au litige, M. [V] doit être condamné aux dépens, qui n’incluent pas le coût du procès-verbal de constat d’huissier du 20 septembre 2019 dès lors qu’il ne s’agissait pas d’une désignation par décision de justice.
M. [V] est également condamné à régler au syndicat des copropriétaires une somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
En application de l’article 514 modifié par le décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019, applicable aux instances introduites à compter du 1er janvier 2020, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement.
Il n’y a pas lieu en l’espèce d’écarter l’exécution provisoire de droit.
Les parties seront déboutées du surplus de leurs demandes formées au titre des dépens et des frais irrépétibles ainsi que de leurs autres demandes plus amples ou contraires.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant par jugement réputé contradictoire, mis à disposition au greffe et en premier ressort,
DECLARE M. [B] [V] irrecevable en son exception de procédure tendant à la nullité de l’assignation,
Décision du 30 janvier 2024
8ème chambre 1ère section
N° RG 20/03155 – N° Portalis 352J-W-B7E-CR6NA
CONDAMNE M. [B] [V] à restituer une affectation d’habitation strictement bourgeoise au lot n°19 lui appartenant au sein de l’immeuble sis [Adresse 3], à l’exclusion de tout commerce ou activité commerciale, locations meublées, saisonnières ou de courtes durées, et ce sous astreinte de 2.000 euros par infraction constatée, à compter de la signification de la présente décision,
CONDAMNE M. [B] [V] à justifier, par quelque moyen que ce soit, au syndicat des copropriétaires de l’immeuble sis [Adresse 3] ou à minima aux membres du conseil syndical dudit immeuble, de sa demande de retrait des annonces de mises en locations saisonnières ou de courtes durées du lot n°19 sur les sites Abritel, HomeAway et Bed & Roses et de la confirmation des retraits par les plate-formes de mise en relation, et sous astreinte de 500 euros par jour de retard à l’issue d’un délai de deux mois après signification de la présente décision,
CONDAMNE M. [B] [V] à ne pas publier d’autres annonces de mise en location meublée, saisonnière ou de courtes durées du lot n°19 sur d’autres supports ou plate-formes, et ce sous astreinte de 500 euros par infraction constatée, à compter de la signification de la présente décision,
DIT que les astreintes ci-dessus prononcées courront pendant 6 mois et seront, le cas échéant, liquidées par le juge de l’exécution, conformément aux dispositions de l’article L.131-3 du code des procédures civiles d’exécution,
DEBOUTE le syndicat des copropriétaires de l’immeuble sis [Adresse 3] de sa demande additionnelle indemnitaire,
CONDAMNE M. [B] [V] à payer au syndicat des copropriétaires de l’immeuble sis [Adresse 3], représenté par son syndic en exercice, une somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. [B] [V] aux dépens, n’incluant pas le coûtdu procès-verbal de constat d’huissier du 20 septembre 2019,
RAPPELLE que l’exécution provisoire de la présente décision est de droit,
DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes formées au titre des dépens et des frais irrépétibles ainsi que de leurs autres demandes.
Fait à Paris, le 30 janvier 2024
Le GreffierLa Présidente