Nuisances sonores : décision du 30 janvier 2024 Cour d’appel de Grenoble RG n° 23/00960

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Nuisances sonores : décision du 30 janvier 2024 Cour d’appel de Grenoble RG n° 23/00960
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N° RG 23/00960 – N° Portalis DBVM-V-B7H-LXMN

C1

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Pauline BISACCIA

Me Gabriel SABATIER

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU MARDI 30 JANVIER 2024

Appel d’une ordonnance de référé (N° R.G. 22/01507)

rendue par le Président du Tribunal judiciaire de Grenoble

en date du 02 février 2023

suivant déclaration d’appel du 07 mars 2023

APPELANT :

M. [G] [M]

né le 19 février 1981 à [Localité 4]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté et plaidant par Me Pauline BISACCIA, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMÉ :

M. [E] [L]

né le 10 mars 1971 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté et plaidant par Me Gabriel SABATIER, avocat au barreau de GRENOBLE

COMPOSITION DE LA COUR : LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ   :

Mme Catherine CLERC, Présidente,

Mme Joëlle BLATRY, Conseiller,

Mme Véronique LAMOINE, Conseiller,

Assistées lors des débats de Anne Burel, greffier

DÉBATS :

A l’audience publique du 20 novembre 2023, Madame Lamoine, conseiller, a été entendue en son rapport.

Les avocats ont été entendus en leurs observations.

Et l’affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l’arrêt a été rendu.

FAITS, PROCÉDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

M. [L] est propriétaire, à [Localité 3] (38), d’une maison d’habitation située [Adresse 1], et M. [M] est propriétaire de la parcelle bâtie contiguë située au 12 de la même rue.

En avril 2010, M. [M] a fait installer dans sa propriété une piscine hors sol équipée d’une filtration à moteur.

M. [L] s’est adressé à son voisin en lui signalant qu’il subissait des nuisances sonores du fait de cette filtration.

Il a fait appel à un conciliateur de justice en octobre mais cette tentative est demeurée infructueuse.

Un conciliateur a été saisi une seconde fois sur l’intervention du syndic de copropriété; dans ce cadre, les parties ont signé le 7 octobre 2021 un ‘constat d’accord amiable’ aux termes duquel M. [M] s’est engagé, dans les deux mois de l’accord, à ‘mettre sa piscine en conformité avec la réglementation en vigueur’, à ce que le moteur ne fonctionne plus la nuit entre 22 heures et 6 heures du matin, et à ‘créer une véritable isolation de son caisson moteur’.

Par acte du 20 juillet 2022, M. [L], se plaignant de ce que, nonobstant l’accord intervenu, aucune mesure n’avait été prise et que les nuisances sonores perduraient, a assigné M. [M] devant le président du tribunal judiciaire de Grenoble statuant en référé pour le voir condamner sous astreinte, sur le fondement d’un trouble anormal de voisinage et au fixa des articles R. 1335 et suivants du code de la santé publique, à “mettre en conformité l’installation de filtration de sa piscine pour que le trouble anormal cesse”, et à lui payer une indemnité de procédure.

Par ordonnance du 2 février 2023, le juge des référés a :

condamné M. [M] à effectuer des travaux de mise en conformité acoustique de son installation au regard des articles R. 1136-5 et suivants du code de la santé publique et ce, sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter du 120ème jour suivant la signification de l’ordonnance,

condamné M. [M] aux dépens et à payer à M. [L] la somme de 1 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

rappelé que l’ordonnance est exécutoire de droit par provision.

Par déclaration au greffe en date du mars 2023, M. [M] a interjeté appel de cette ordonnance.

Les 21 et 22 mars 2023, les avocats des parties ont été avisés que l’affaire était fixée à plaider à l’audience du 3 juillet 2023 en application des dispositions de l’article 905 du code de procédure civile. A cette audience, l’affaire a été renvoyée à celle du 20 novembre 2023 en raison d’un mouvement de grève nationale des greffiers.

Par conclusions récapitulatives n° 2 notifiées le 26 juin 2023, M. [M] demande à cette cour d’infirmer l’ordonnance déférée en toutes ses dispositions et de :

juger que l’installation de filtrage de sa piscine ne constitue pas un trouble anormal de voisinage et que les nuisances sonores dont se prévaut M. [L] ne relèvent pas d’un trouble manifestement illicite,

débouter M. [L] de l’ensemble de ses demandes,

le condamner aux entiers dépens comprenant le coût du procès-verbal d’huissier du 13 septembre 2022, et à lui payer la somme de 2 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Il fait valoir :

que les dispositions des articles R. 1336-5, R. 1336-6 et R. 1336-7 du code de la santé publique retenues par le juge des référés pour le condamner sous astreinte ne sont pas applicables en l’espèce comme ne concernant que les professionnels ou les activités de loisirs organisées, et non pas les particuliers,

qu’il n’est, par conséquent, rapporté la preuve d’aucun trouble manifestement illicite constitué par un non respect de règles légales ou réglementaires,

que, s’agissant de la notion de troubles anormaux de voisinage, c’est au demandeur invoquant cette notion qu’il revient d’en rapporter la preuve,

que tel n’est pas le cas en l’espèce, les attestations produites par M. [L] est insuffisante sur ce point, étant souligné que celles signées des époux [J] reprennent des phrases strictement identiques,

que le courrier du conseil syndical ne confirme pas la présence de troubles anormaux de voisinage mais souligne seulement que l’installation de la piscine a été faite sans la consultation préalable des copropriétaires,

qu’il a régularisé cette situation auprès de la mairie en déposant une déclaration préalable de travaux, sur laquelle la mairie de [Localité 3] a rendu une décision de non opposition le 10 mai 2023,

que la circonstance que M. [L] a formé un recours gracieux contre cette décision ne suffit pas davantage à rapporter la preuve du trouble anormal de voisinage invoqué,

que M. [L] lui reproche le non respect de la distance d’avec la limite séparative pour l’implantation de sa piscine,

que, pour autant, la non opposition délivrée par la mairie témoigne que l’installation de sa piscine respecte les règles applicables,

qu’aux termes de la conciliation intervenue en octobre 2021, il s’était engagé à insonoriser le caisson de son moteur ce qu’il a fait puisqu’il a modifié le caisson entourant la pompe de sa piscine pour l’insonoriser,

que le trouble invoqué par M. [L] est d’autant moins établie que lui-même verse aux débats une attestation de Mme [B], une autre voisine, qui témoigne que la piscine litigieuse est positionnée le long de sa clôture ainsi que son moteur, et que “le système en fonctionnement ne présente pas de gêne particulière” pour sa part,

que le procès-verbal de constat produit par M. [L] est inopérant à établir l’existence d’un trouble anormal dès lors qu’il n’a mesuré que le bruit ambiant et non pas le bruit émergent,

que, pour sa part, il a fait appel à un huissier de justice qui a procédé à diverses mesures desquelles il résulte que le fonctionnement de la pompe de sa piscine ne génère qu’un bruit émergent de 2 à 4 Db, ce qui est tout à fait supportable et ne constitue pas un trouble anormal de voisinage.

M. [L], par conclusions récapitulatives notifiées le 26 juin 2023, demande la confirmation de l’ordonnance déférée en toutes ses dispositions et la condamnation de M. [M] à lui payer la somme supplémentaire de 3 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile, enfin à supporter les dépens comprenant le coût des deux procès-verbaux de constats d’huissier du 17 juin 2022 et du 11 octobre 2022.

Il reprend, en les développant, les motifs retenus par le juge des référés pour considérer que l’installation de la piscine de M. [M] présente à la fois un non respect de la réglementation, en particulier des articles R. 1336-5 et R. 1336-7 du code de la santé publique, et un trouble anormal de voisinage.

Il est renvoyé à ses conclusions pour plus ample exposé.

L’instruction a été clôturée par une ordonnance rendue le 27 juin 2023.

Par requête reçue au greffe via le RPVA le 29 août 2023, M. [L] a demandé que l’ordonnance de clôture soit révoquée pour lui permettre de produire des pièces attestant du fonctionnement de la piscine litigieuse pendant la période estivale 2023.

Il s’est vu répondre, par message transmis par le greffe via le RPVA le 14 septembre 2023, que la présidente de chambre refusait de révoquer la clôture en l’absence de cause grave au sens de l’article 803 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la demande principale

Aux termes des articles 834 et 835 du code de procédure civile :

“Dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend.

Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.”

M. [L] demande la confirmation de l’ordonnance déférée en ce qu’elle a condamné M. [M], sous astreinte, à “effectuer des travaux de mise en conformité acoustique de son installation au regard des articles R. 1136-5 et suivants du code de la santé publique”.

Or, M. [M] fait valoir, à bon escient, que les textes en cause sont inapplicables à l’espèce.

En effet, tout d’abord le dispositif de l’ordonnance présente manifestement une erreur matérielle en ce que le premier juge a vraisemblablement voulu évoquer les articles R. 1336-5 et suivants, et non pas R. 1136-5 et suivants, du code de la santé publique, dès lors qu’il cite in extenso, dans les motifs de son ordonnance, le contenu des articles R. 1336-5 et R. 1336-7 de ce code.

Ensuite, si l’article R. 1336-5 de ce code édicte que :

‘Aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme, dans un lieu public ou privé, qu’une personne en soit elle-même à l’origine ou que ce soit par l’intermédiaire d’une personne, d’une chose dont elle a la garde ou d’un animal placé sous sa responsabilité.’, il énonce ainsi un principe et non pas une norme, et il ne peut pas, par conséquent, être ordonné à M. [M] de se conformer à ce seul texte, la condamnation à faire cesser un trouble, si ce dernier est avéré, devant se traduire par une obligation précise, dont l’exécution doit pouvoir être vérifiée surtout si elle est assortie d’une astreinte.

Par ailleurs, les valeurs limites d’émergence de l’article R. 1336-7 du même code évoqué par le premier juge dans les motifs de la décision déférée s’appliquent, aux termes de l’article R. 1336-6, aux bruits mentionnés à l’article R. 1336-5 :

ayant pour origine ‘une activité professionnelle autre que l’une de celles mentionnées à l’article R. 1336-10 ou une activité sportive, culturelle ou de loisir, organisée de façon habituelle ou soumise à autorisation’, selon l’alinéa 1 de cet article,

‘engendrés par des équipements d’activités professionnelles’, selon l’alinéa 2.

Il est évident que le bruit émanant du moteur de filtration de la piscine de M. [M] n’entre dans aucune de ces catégories, et que dès lors il ne peut lui être imposé de se conformer aux valeurs limites énoncées par ce texte.

Enfin, si le dernier alinéa de l’article R. 1336-7 évoque un ‘niveau de bruit ambiant mesuré (…) supérieur à 25 décibels pondérés A si la mesure est effectuée à l’intérieur des pièces principales d’un logement d’habitation, fenêtres ouvertes ou fermées, ou à 30 décibels pondérés A dans les autres cas’, ce n’est pas, contrairement à ce qu’a retenu le premier juge, pour énoncer que ces niveaux de bruit seraient des limites à ne jamais dépasser, mais pour préciser que, dans ce cas, l’émergence globale et, le cas échéant, l’émergence spectrale doivent être recherchées, c’est-à-dire la part du bruit en litige par rapport au bruit ambiant sans ce bruit.

Dès lors, les textes auxquels le juge des référés a condamné M. [M] à se conformer sont inapplicables et, pour ces motifs, l’ordonnance déférée doit être infirmée.

M. [L] sera, par voie de conséquence, débouté de sa demande principale sans qu’il y ait lieu de rechercher l’existence ou non de troubles anormaux de voisinage, puisque la seule prétention de l’intimé consiste à voir, par voie de confirmation de l’ordonnance déférée, condamner son voisin à mettre son installation en conformité avec des textes dont il vient d’être démontré qu’ils sont inapplicables.

Sur les demandes accessoires

M. [L], succombant en sa demande, devra supporter les dépens de première instance et d’appel en application de l’article 696 du code de procédure civile et il n’y a pas lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile en sa faveur.

L’équité ne commande pas de faire application du même texte au profit de M. [M].

L’article 696 du code de procédure civile énumère limitativement les dépens afférents aux instances, actes et procédures d’exécution, parmi lesquels ne figurent que les émoluments des officiers publics ou ministériels désignés par le juge. Il ne peut donc être fait droit à la demande de M. [M] visant à y voir joindre le coût du procès-verbal de constat d’huissier du 13 septembre 2022, qu’il a lui-même sollicité.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire,

Infirme en toutes ses dispositions l’ordonnance déférée.

Statuant de nouveau et y ajoutant :

Déboute M. [L] de l’ensemble de ses demandes.

Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de M. [M], y compris en appel.

Rejette toutes les autres demandes.

Condamne M. [L] aux dépens de première instance et d’appel.

Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

Signé par madame Clerc, président, et par madame Burel, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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