Nuisances sonores : décision du 30 janvier 2024 Cour d’appel d’Angers RG n° 20/00316

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Nuisances sonores : décision du 30 janvier 2024 Cour d’appel d’Angers RG n° 20/00316
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COUR D’APPEL

D’ANGERS

CHAMBRE A – CIVILE

IG/CG

ARRET N°

AFFAIRE N° RG 20/00316 – N° Portalis DBVP-V-B7E-EUKG

jugement du 07 Janvier 2020

Tribunal de Grande Instance de SAUMUR

n° d’inscription au RG de première instance : 18/00308

ARRET DU 30 JANVIER 2024

APPELANTS :

Monsieur [E] [B]

né le [Date naissance 1] 1948 à [Localité 13] (59)

[Adresse 14]

[Localité 11]

Madame [W] [M] épouse [B]

née le [Date naissance 10] 1956 à [Localité 15] (75)

[Adresse 14]

[Localité 11]

Monsieur [A] [O]

né le [Date naissance 8] 1948 à [Localité 12] (49)

[Adresse 14]

[Localité 11]

Madame [U] [Z] épouse [O]

née le [Date naissance 2] 1945 à [Localité 12] (49)

[Adresse 14]

[Localité 11]

Monsieur [C] [V]

né le [Date naissance 9] 1957 à [Localité 12] (49)

[Adresse 14]

[Localité 11]

Madame [R] [D] épouse [V]

née le [Date naissance 7] 1955 à [Localité 12] (49)

[Adresse 14]

[Localité 11]

Représentés par Me Audrey PAPIN, substituant Me Philippe LANGLOIS de la SCP ACR AVOCATS, avocats postulants au barreau d’ANGERS – N° du dossier 71200143 et par Me Christophe BUFFET, avocat plaidant au barreau d’ANGERS

INTIMEE :

S.A.S. [I]-[T] agissant poursuite et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au dit siège

[Adresse 6]

[Localité 17]

[Localité 11]

Représentée par Me Laura BICHOT-MOREAU, substituant Me Thibault CAILLET de la SCP AVOCATS DEFENSE ET CONSEIL, avocats au barreau d’ANGERS – N° du dossier 118036

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue publiquement, à l’audience du 24 Octobre 2023 à 14 H 00, Mme GANDAIS, conseillère ayant été préalablement entendue en son rapport, devant la Cour composée de :

Madame MULLER, conseillère faisant fonction de présidente

Mme GANDAIS, conseillère

Mme ELYAHYIOUI, vice-présidente placée

qui en ont délibéré

Greffière lors des débats : Mme LEVEUF

Greffière lors du prononcé : Mme GNAKALE

ARRET : contradictoire

Prononcé publiquement le 30 janvier 2024 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l’article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Catherine MULLER, conseillère faisant fonction de présidente et par Flora GNAKALE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

~~~~

FAITS ET PROCÉDURE

M. [E] [B] et son épouse, Mme [W] [M], M. [A] [O] et son épouse, Mme [U] [Z], M. [C] [V] et son épouse, Mme [R] [D] sont propriétaires de maisons d’habitation, de dépendances et d’espaces extérieurs avec jardin, situés dans un hameau au lieu-dit ‘[Adresse 14]’, à [Localité 17], commune déléguée de la nouvelle commune de [Localité 11] (49).

La SCI [I]-[T] est propriétaire d’un ensemble immobilier situé au même lieu-dit ‘[Adresse 14]’ et voisin des parcelles appartenant aux époux [B], [O] et [V].

Cet ensemble immobilier, issu du partage d’un ancien domaine agricole s’étendant sur plusieurs parcelles appartenant au Conseil Général de Maine et Loire jusqu’en 2012, comprend la maison d’habitation occupée par M. [G] [I], Mme [X] [T] et leur fille, ainsi qu’un show-room de mobilier et un centre logistique exploités par la SAS [I]-[T], exerçant sous l’enseigne Scandinavia Design, spécialisée dans le commerce de mobilier scandinave.

L’accès aux propriétés des époux [V], [B], [O] et de la SCI [I]-[T] est assuré par une unique voie de circulation, composée du chemin rural n°72 dit de l’Eglise puis d’un chemin communal (correspondant aux parcelles cadastrées ZK n° [Cadastre 3], [Cadastre 4] et [Cadastre 5]), créé à la suite du partage de cet ancien domaine agricole.

En novembre 2016, les époux [V], [B] et [O], se plaignant de nuisances liées au passage et à l’activité des camions empruntant le chemin communal pour se rendre au centre logistique de la SAS [I]-[T], ont fait établir un constat d’huissier.

Par ordonnance sur requête du 12 avril 2017, à la demande des époux [B], [O] et [V], le président du tribunal de grande instance de Saumur a ordonné une expertise, confiée à M. [Y] [K] avec pour mission de procéder à une mesure de la fréquence des passages de véhicules sur une durée d’un mois, ainsi que des mesures acoustiques générées par ces passages à proximité des habitations des requérants, de l’activité de la société Scandinavia Design.

Le 20 décembre 2017, l’expert a déposé son rapport.

Par acte d’huissier du 23 mars 2018, les époux [B], [O] et [V] ont fait assigner la SAS [I]-[T] devant le tribunal de grande instance de Saumur.

En l’état de leurs dernières écritures, ils demandaient en première instance, à titre principal, la condamnation de la SAS [I]-[T] à faire cesser dans le mois suivant la signification du jugement à intervenir, toute manoeuvre de camions effectuée au profit de la société Scandinavia Design et ce, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée ainsi que sa condamnation à des dommages intérêts.

Par jugement du 7 janvier 2020, le tribunal judiciaire de Saumur a :

– débouté M. et Mme [O], M. et Mme [B] et M. et Mme [V] de l’ensemble de leurs demandes,

– condamné M. et Mme [O], M. et Mme [B] et M. et Mme [V] à payer à la SAS [I]-[T] une somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné M. et Mme [O], M. et Mme [B] et M. et Mme [V] aux entiers dépens comprenant les frais de l’expertise judiciaire, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 19 février 2020, les époux [B], [O] et [V] ont formé appel de ce jugement en toutes ses dispositions, intimant la SAS [I]-[T].

L’ordonnance de clôture a été rendue le 20 septembre 2023 et l’affaire a été plaidée à l’audience du 24 octobre 2023, conformément à l’avis de clôture et de fixation adressé par le greffe aux parties le 1er juin 2023.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de leurs dernières écritures déposées le 20 septembre 2023, M. et Mme [O], M. et Mme [B] et M. et Mme [V] demandent à la cour de :

– réformer le jugement dont appel en ce qu’il :

* les a déboutés de l’ensemble de leurs demandes,

* les a condamnés à payer à la SAS [I]-[T] une somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

*les a condamnés aux entiers dépens comprenant les frais de l’expertise judiciaire, conformément à l’article 699 du même code,

– les dire et juger tant recevables que bien fondés en leurs demandes,

en conséquence,

– condamner la société [I]-[T] à faire cesser dans le mois suivant la signification de l’arrêt à intervenir, toute manoeuvre de camions effectuée au profit de la société Scandinavia Design sur le site situé au lieu-dit [Adresse 14] à [Localité 17] à [Localité 11] (49) sur les parcelles cadastrées section ZK n°[Cadastre 3], [Cadastre 4] et [Cadastre 5] et ce, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée,

– condamner la société [I]-[T] à verser à M. et Mme [B] d’une part, M. et Mme [O], d’autre part, et M. et Mme [V] de troisième part, chacun, la somme de 5 000 euros à titre de dommages intérêts, sauf à parfaire,

– condamner la société [I]-[T] à verser à M. et Mme [B] d’une part, M. et Mme [O], d’autre part, et M. et Mme [V] de troisième part, chacun, la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société [I]-[T] aux entiers dépens qui comprendront, outre les frais de la présente instance, le coût de l’expertise judiciaire, et ceux de toutes mesures conservatoires éventuellement régularisées au jour de la décision à intervenir.

Aux termes de ses dernières écritures déposées le 17 novembre 2020, la SAS [I]-[T] demande à la cour, au visa des articles R 1334-31 à R 1334-

37, devenus articles R 1336-5 à R 1336-11, du code de la santé publique, de :

– déclarer M. et Mme [O], M. et Mme [B] et M. et Mme [V] irrecevables et en tous les cas mal fondés en leur appel,

– les en débouter,

– confirmer, en toutes ses dispositions, le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Saumur le 7 janvier 2020,

– en conséquence, débouter M. et Mme [O], M. et Mme [B] et M. et Mme [V] de toutes leurs demandes,

– condamner in solidum M. et Mme [O], M. et Mme [B] et M. et Mme [V] à lui payer une indemnité de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner in solidum M. et Mme [O], M. et Mme [B] et M. et Mme [V] aux dépens d’appel, lesquels seront recouvrés selon les dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 494 du code de procédure civile, à leurs dernières conclusions ci-dessus mentionnées.

MOTIFS DE LA DECISION :

I- Sur le trouble anormal de voisinage

Le tribunal a jugé que les demandeurs ne rapportaient pas la preuve du caractère permanent, important et grave du trouble anormal du voisinage allégué. D’une part, il a retenu que le seul dépassement de la valeur réglementaire ne permettait pas de caractériser ledit trouble et ce d’autant que les mesures acoustiques prises par l’expert judiciaire l’ont été à partir des extérieurs des habitations pour mesurer le passage de camions sur un chemin communal. Il a relevé que l’expert n’a en définitive constaté qu’un dépassement, s’agissant de l’habitation des consorts [V] et a reconnu implicitement l’absence de dépassements pour les autres voisins. Le juge a souligné l’insuffisance du rapport d’expertise judiciaire en ce que n’était pas explicitée la méthode utilisée pour isoler les bruits liés aux travaux de l’église. D’autre part, le tribunal a considéré que s’agissant de passages de camions sur un chemin communal, les jours de semaine, entre 9 heures et 17 heures, ils constituaient un bruit aléatoire et discontinu, ainsi que constaté par l’expert, sans pouvoir être qualifié de trouble permanent. A cet égard, le juge s’est appuyé sur les indications de l’expert concluant qu’il n’y a pas de potentialité de gêne pour seulement un véhicule par jour et qu’il faut, dans ces conditions procéder à une autre analyse pour ce type de désordres en cherchant une approche ‘plus qualitative que quantitative’. Le juge relève encore que l’expert admet l’absence de trouble sonore pour les consorts [B]. S’agissant de l’analyse ‘qualitative’ livrée par l’expert, le tribunal note que ce dernier n’a pas étudié les bruits perçus à l’intérieur des pièces principales des logements d’habitation, fenêtres ouvertes ou fermées, comme préconisé par l’article R 1334-32 du code de la santé publique. Le tribunal a encore remarqué que l’expertise manquait d’objectivité en ce qu’il n’y avait pas eu, pour affiner l’analyse, de discrimination des passages des camions se rendant, à titre professionnel, auprès du centre logistique de la SAS [I]-[T]. S’agissant du constat réalisé par l’huissier de justice, le tribunal a là encore souligné son imprécision quant à la nature et la destination des véhicules circulant sur le chemin communal, rendant impossible l’identification des nuisances sonores imputables à l’activité professionnelle de la société. Par ailleurs, le tribunal a jugé qu’il n’était pas anormal qu’un nuage de poussière se soulève sur la partie en terre du chemin au passage d’un véhicule, que celui-ci soit utilitaire, léger ou poids-lourds, observant que ce désagrément ne relève pas de la SAS [I]-[T] mais de la qualité du chemin de terre. S’agissant de la fissure constatée sur le pignon de l’atelier des époux [O], de l’empiétement déploré par les consorts [V] sur leur propriété, des nids-de-poule sur la partie du chemin en terre, le juge a considéré que le constat d’huissier ne faisait aucunement la preuve de l’imputabilité de ces désordres à la SAS [I]-[T]. En outre, sur les mesures acoustiques prises par l’huissier avec un sonomètre, le tribunal a considéré qu’elles étaient dépourvues de force probante puisque réalisées par un huissier ne disposant d’aucune compétence particulière en la matière et au moyen d’un matériel dont la fiabilité n’était pas démontrée. Le juge a d’ailleurs remarqué que ces mesures acoustiques différaient de manière remarquable de celles effectuées par l’expert judiciaire.

Aux termes de leurs dernières écritures, les appelants, s’appuyant sur le rapport de l’expert judiciaire et le constat d’huissier, affirment que le passage des camions se rendant à la plate-forme de la SAS [I]-[T] crée des nuisances importantes (bruits générés par le passage des camions et par les opérations de livraisons, de chargements et de déchargements, dommages causés au chemin de terre, vibrations ressenties dans les habitations) constitutives d’un trouble anormal du voisinage. Ils rappellent que les constatations, tant de l’huissier que de l’expert, ont porté sur une période de quelques jours, ce qui peut donner une idée des nuisances rapportées à la période d’un mois. Les appelants font valoir qu’ils ont choisi [Adresse 14] pour y vivre et pour exercer leurs activités artistiques, au vu de la tranquillité de l’endroit. Ils font grief au tribunal d’avoir jugé insuffisantes les constatations de l’expert judiciaire alors que celui-ci a explicité, par rapport à la notion de trouble anormal du voisinage et non pas seulement par rapport à la violation des normes et valeurs réglementaires, ce qu’il considérait comme relevant de ce trouble. Ils soutiennent que l’expert a évidemment retenu pour son analyse exclusivement les véhicules importants desservant la plate-forme logistique et que s’il a pu faire état de conversations à l’occasion de la desserte de cette plate-forme, celles-ci n’ont pas nécessité de mesures particulières puisqu’elles ne venaient que caractériser des nuisances supplémentaires s’ajoutant au bruit des camions. Sur les critiques du tribunal à l’encontre du constat d’huissier, les appelants répliquent que les mesures sonores prises par ce dernier attestent indiscutablement d’une émergence considérable par un appareil de mesure fiable, observant que l’expert avait relevé cette même émergence pour le passage ponctuel de camions. Ils affirment en outre que l’huissier a bien distingué les véhicules se rendant sur le site de la société des autres véhicules. Les appelants relèvent que l’intimée n’a, à aucun moment, apporté la moindre justification des conditions de desserte de son établissement, ne produisant aucun relevé des approvisionnements, déchargements et enlèvements. Plus généralement, ils rappellent que [Adresse 14] est une zone naturelle, d’habitation et de recueillement, ayant pour centre essentiel l’église de [16] et qu’en définitive l’activité commerciale de la société intimée s’est développée en méconnaissance totale de la réglementation d’urbanisme, le secteur ne correspondant aucunement à une zone destinée à une activité commerciale. Faisant le constat de ce que le passage des camions interdit toute forme de visite de leurs ateliers artistiques, l’endroit étant même devenu dangereux pour les visiteurs de l’église et pour les habitants, ils estiment qu’au-delà même d’un trouble anormal de voisinage, c’est un véritable trouble anormal de l’environnement qui peut être caractérisé compte tenu de l’incompatibilité totale entre la plate-forme logistique et les lieux. Les appelants soulignent à cet égard l’existence d’une procédure parallèle à la présente instance devant la cour administrative d’appel de Nantes, visant à faire reconnaître la violation par la société intimée des dispositions du PLU applicables à la zone en cause.

Aux termes de ses dernières écritures, l’intimée soutient que les appelants ne démontrent pas l’existence de nuisances constitutives de troubles anormaux de voisinage. Elle expose que les comptages réalisés par l’huissier et par l’expert judiciaire ne distinguent pas les véhicules qui se rendent sur la plate-forme logistique de ceux ayant une autre destination, observant que le chemin communal dessert également l’église très visitée de [16]. Elle ajoute que la maison d’habitation de M. [I], Mme [T] et leur fille fait partie de l’ensemble immobilier où se trouve son centre logistique de sorte que l’intégralité des véhicules qui s’y rendent ne saurait être imputée à son activité professionnelle. Elle énonce encore que la répartition faite par l’expert judiciaire mentionnant le nombre de voitures et le nombre de camions ne distingue pas les véhicules de tourisme, des utilitaires et des différents types de poids-lourds. Elle fait ainsi grief à l’huissier et à l’expert d’avoir comptabilisé les véhicules utilitaires qui sont pourtant des poids légers dans la même catégorie que les poids-lourds. Par ailleurs, l’intimée indique avoir procédé à la transformation des anciens chais en entrepôt afin de réduire la fréquence de passage de véhicules sur le chemin communal, soulignant que cette modification a été autorisée par la commune à la suite d’un avis favorable de l’Architecte des Bâtiments de France et est donc en conformité avec la réglementation d’urbanisme. À cet égard, elle souligne que le plan d’occupation des sols, pour cette zone en secteur Np, autorise tout changement de destination des bâtiments dès lors que celui-ci est réalisé dans le respect du site. L’intimée fait remarquer que le constat d’huissier, réalisé en novembre 2016, soit antérieurement à la transformation des chais, ne prend pas en compte la diminution de la fréquence de passage des véhicules sur le chemin communal. S’agissant de l’état du chemin communal, elle conteste toute responsabilité relativement aux déformations, ornières et nids-de-poule constatés par l’huissier, observant que la deuxième portion du chemin qui est utilisée par les véhicules de livraison la desservant, ne présente aucune de ces dégradations au contraire de la première portion du chemin qui est empruntée par ces mêmes véhicules mais également par ceux qui se rendent à la propriété des époux [V]. L’intimée affirme que les déformations constatées résultent en réalité du passage intensif d’engins de chantier lors des travaux de réhabilitation de l’ancien entrepôt des époux [V] et du forage de géothermie qu’ils ont pratiqué. Elle ajoute que les empiétements de camions sur la parcelle des époux [V] ne peuvent être imputés aux véhicules de livraison, aucun élément ne permettant d’affirmer que les traces de pneus ne correspondent pas à celles d’autres véhicules, comme les camions de chantier des époux [V]. Elle observe en tout état de cause que ces derniers ont désormais disposé en limite de propriété des rochers et autres objets qui dépassent même sur le chemin communal, rendant impossible tout empiétement sur leur terrain. S’agissant de la fissure présente sur le mur de l’atelier des époux [O] et constatée par l’huissier de justice, l’intimée fait valoir que celle-ci ne saurait également être imputée au passage des véhicules de livraison, son apparition n’étant pas datée et son éventuelle évolution depuis l’installation de son activité professionnelle n’étant ni évoquée ni a fortiori démontrée. S’agissant des mesures acoustiques réalisées par l’huissier et l’expert judiciaire, l’intimée déplore leur imprécision et souligne qu’il n’est pas indiqué comment les bruits liés aux travaux de rénovation de l’église ont pu être isolés pour ne retenir que ceux liés au passage des camions. En tout état de cause, elle rappelle que le chemin communal et les véhicules qui y circulent sont exclus du champ d’application des articles R 1334-31 à R 1334-37 du code de la santé publique, cette réglementation énoncée par l’expert pour réaliser les mesures acoustiques et apprécier l’existence ou non d’une gêne sonore étant inapplicable à l’espèce. En outre, l’intimée fait grief à l’expert judiciaire d’avoir manqué d’objectivité et d’impartialité, son rapport étant empreint de commentaires personnels et reprenant à son compte les doléances des requérants. Elle reproche ainsi à l’expert d’avoir fait une description des lieux totalement subjective et erronée, livrant un jugement de valeur plus qu’une appréciation d’ordre technique. Elle rappelle que [Adresse 14] a toujours hébergé des artisans, des écoles, des entreprises et des agriculteurs et qu’ont toujours circulé des véhicules de tous genres, tracteurs, voitures, camionnettes, camions, bus et machines agricoles, de sorte que les bruits d’activité professionnelle n’ont rien d’incongru. Elle rappelle qu’elle a été choisie par le vendeur, le conseil général de Maine et Loire, pour son activité professionnelle, jugée en parfait accord avec l’histoire et l’esprit du site [Adresse 14]. L’intimée souligne que les livraisons incriminées n’interviennent que la semaine entre 9 heures et 17 heures, heures d’ouverture et de fermeture des bureaux, observant que la résidence principale des appelants, à l’exception des époux [O], ne se situe pas à [Localité 17] où ils séjournent généralement uniquement le week-end. Elle fait grief à l’expert judiciaire de ne pas avoir pris en considération cette donnée essentielle pour apprécier le caractère gênant des bruits litigieux. L’intimée indique encore que l’expert n’a pas précisé que l’église, qui figure dans le guide vert Michelin, attire de nombreux visiteurs en semaine comme en week-end pendant la belle saison et qu’elle sert de zone de stationnement pour de nombreux randonneurs. L’intimée souligne encore que la seule perception d’une conversation depuis une propriété voisine ne saurait être constitutive d’un trouble anormal de voisinage, peu important le caractère professionnel ou non de l’échange, en particulier dans un lieu à vocation professionnelle.

Sur ce, la cour

Aux termes de l’article 544 du code civil, la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par la loi ou les règlements.

L’exercice, même légitime, du droit de propriété peut engager la responsabilité s’il occasionne un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage. Pour ouvrir droit à réparation, le trouble allégué doit être anormal par sa permanence, son importance et sa gravité. Il s’apprécie in concreto, en tenant compte de différents paramètres liés à l’environnement et aux circonstances de temps et de lieu. Il est rappelé à cet égard que le respect de dispositions légales, réglementaires ou techniques n’exclut pas en soi l’existence éventuelle de troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage.

S’agissant d’un régime de responsabilité objectif, spécifique et autonome, le constat d’un dommage en lien certain et direct de cause à effet avec le trouble anormal suffit à entraîner la mise en oeuvre du droit à réparation de la victime du dommage indépendamment de toute faute commise.

En l’espèce, au soutien de leur action, les appelants produisent notamment un plan cadastral, des photographies des lieux, y compris aériennes, un extrait cartographique du plan local d’urbanisme, un constat d’huissier réalisé les 4, 8, 15 et 24 novembre 2016, le rapport de l’expertise judiciaire ordonnée suivant ordonnance sur requête du 12 avril 2017 et déposé le 20 décembre 2017.

Il importe d’observer, avant l’analyse de ces pièces, qu’aux termes de son acte de propriété, la SCI [I]-[T] a acquis du département de Maine et Loire, le 20 décembre 2012, l’ensemble immobilier situé [Adresse 6] et a bénéficié, pour l’accès à sa propriété, d’une servitude de passage sur les parcelles ZK [Cadastre 3], [Cadastre 4] et [Cadastre 5] qui forment un chemin, lequel est devenu par la suite communal, du fait de sa cession par le département à la commune de [Localité 17], à une date indéterminée, à tout le moins avant les opérations d’expertise judiciaire qui se sont déroulées de septembre à octobre 2017 ainsi que cela ressort du dire adressé à l’expert judiciaire par le conseil des appelants.

En outre, la cour observe que dans le cadre d’une déclaration préalable déposée le 27 décembre 2016 par la SCI [I]-[T], en vue de transformer les anciens chais agricoles en entrepôt de stockage, celle-ci a obtenu, après avis favorable de l’architecte des Bâtiments de France, une décision tacite de non-opposition du maire de la commune. Cette décision a été déférée au tribunal administratif de Nantes par les époux [B], [O] et [V] qui ont sollicité son annulation. Aux termes d’un jugement rendu le 22 novembre 2019, la juridiction administrative a rejeté la requête des demandeurs et suivant arrêt du 9 octobre 2020, la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté la demande des époux [B], [O] et [V], appelants, tendant à annuler le jugement entrepris, retenant qu’en application des articles R 421-7, R 151-27 du code de l’urbanisme, de l’article N2 du règlement du plan local d’urbanisme de la commune de [Localité 17], ‘le changement de destination d’un ancien chai en entrepôt commercial ne méconnaît pas, en lui-même, les dispositions mentionnées ci-dessus’ et, pour rejeter le moyen tiré de la méconnaissance de l’article N3 du règlement du plan local d’urbanisme (‘(…)les caractéristiques des accès doivent répondre à l’importance et à la destination des constructions et installations à desservir’), adoptant les motifs des premiers juges ayant indiqué ‘(…) les requérants (…) se bornent à invoquer des éléments relatifs à la voie de desserte, sans incidence en l’espèce sur les caractéristiques de l’accès à la propriété de la SCI pétitionnaire. À supposer qu’ils aient entendu invoquer les dispositions relatives à la desserte du projet, il ressort des pièces du dossier que le terrain d’assiette du projet est desservi par une voie communale qui est, jusqu’à la propriété de la SCI pétitionnaire, recouverte d’enrobé et présente des caractéristiques permettant notamment la circulation de camions. Les requérants ne peuvent utilement invoquer la circonstance que le reste de la voie n’est constitué que d’un chemin de terre, dès lors qu’il ressort des pièces du dossier que l’accès aux chais ne s’effectue pas par cette voie.’

Les appelants qui font état, aux termes de leurs écritures, d’une ‘activité commerciale de la société [I]-[T] [qui] s’est en outre développée en méconnaissance totale de la réglementation d’urbanisme puisque dans cette zone Np du plan d’occupation des sols, les seuls changements de destinations autorisés le sont pour les destinations suivantes : habitat, tourisme, loisirs et accueil du public.’ ne justifient pas d’une procédure qui serait diligentée contre la société intimée du fait de l’irrégularité de son activité commerciale au regard des prescriptions du plan local d’urbanisme applicable.

L’exploitation d’une activité dans le respect des normes imposées n’exclut cependant pas qu’elle soit source d’un trouble anormal de voisinage.

S’agissant des nuisances alléguées, générées précisément par l’activité commerciale de vente de mobilier scandinave exercée par la SAS [I]-[T], notamment dans l’entrepôt qui fait place aux anciens chais, les appelants se fondent en premier lieu sur le constat d’huissier qu’ils ont fait établir courant du mois de novembre 2016. Si, s’agissant de sa période d’établissement, l’intimée considère qu’il y a lieu d’écarter ledit constat qui est antérieur à la transformation des chais et qui ne prendrait pas en compte la diminution de la fréquence de passage des véhicules sur le chemin communal, aucune précision n’est donnée concernant les conditions d’exercice de son activité avant les travaux de rénovation. L’intimée n’explicite pas en quoi l’utilisation de l’entrepôt et non plus des chais aurait modifié le trafic des véhicules venant sur son site. En conséquence, ledit constat d’huissier, qui ne vaut certes pas expertise acoustique mais qui est discutable au même titre qu’un autre élément de preuve de même valeur, peut donc être examiné.

Il décrit préliminairement l’environnement : le lieudit [Adresse 14] est un hameau comprenant :

– l’église du village de [Localité 17], classée aux monuments historiques et au patrimoine,

– un cimetière,

– quatre maisons d’habitation occupées par quatre couples différents : [O], [V], [B] et [I] (la SCI [I]-[T]),

– un local occupé par la compagnie de théâtre ‘Bernadette Bousse’,

– un ensemble ‘les écolodges de Loire’ avec quatre cabanes sur pilotis dans les bois, un hammam, un sauna, un pré avec des ânes et des chèvres.

Le lieudit, entouré de champs et d’arbres, est situé à environ deux kilomètres de la mairie et de l’école.

L’huissier de justice a indiqué que le chemin qui est sans issue, emprunté par certains camions, afin d’accéder aux chais de la SCI [I]-[T] servant aussi d’entrepôt, est situé juste derrière la haie séparant la parcelle des époux [V] de celle de la SCI [I]-[T]. Ce chemin est décrit comme constitué dans un premier temps d’une simple couche d’enrobé puis se transformant, dans un second temps en chemin de terre après l’accès à la maison appartenant à la SCI [I]-[T]. Le chemin fait 5 mètres 12 centimètres de large au maximum, certains passages étant plus étroits, les camions ne pouvant faire demi-tour sur le chemin ou se croiser.

Le rédacteur du constat a observé :

– que certains camions, les plus gros, sont obligés de mordre sur la parcelle de M. et Mme [V] pour pouvoir prendre le virage. Cela est visible par la présence au sol d’une borne d’expert géomètre délimitant l’angle de cette parcelle. Les traces de passage de pneus des camions débordent sur la parcelle de M. et Mme [V].

– la présence de nombreuses déformations, ornières et nids-de-poule sur toute la longueur du chemin en terre, mesurant des trous de profondeur de 8,5 cm, 9,3 cm et 9,5 cm.

Au cours de ses quatre interventions sur les lieux, l’huissier a comptabilisé les passages (aller et retour) de camions comme suit, après avoir précisé que chaque camion reste entre 5 et 15 minutes chez la SCI [I]-[T] :

– le 4 novembre 2016 (à partir de 14 heures) : 6 passages en l’espace d’1 heure 20 minutes,

– le 8 novembre 2016 (à partir de 14 heures) : 8 passages en l’espace d’1 heure 40 minutes,

– le 15 novembre 2016 (à partir de 9 h 30) : 2 passages en l’espace de 45 minutes,

– le 24 novembre 2016 (à partir de 9 heures) : 4 passages en l’espace de 47 minutes.

Il a constaté que le passage de ces camions entraîne un nuage de poussière, des vibrations en certains points à savoir :

– l’atelier de Mme [O],

– le salon de l’habitation des époux [O],

– l’atelier de M. [B].

L’huissier a également observé la présence d’une fissure importante en partie droite du pignon gauche de l’atelier de Mme [O].

Afin de mettre en évidence les nuisances sonores provoquées par le passage des camions et déplorées par les requérants, l’huissier a effectué différentes mesures à l’aide d’un sonomètre, prises à partir de :

– l’atelier, fenêtres fermées, de Mme [V],

– l’atelier, fenêtres fermées, de M. [B],

– l’extérieur, en se plaçant le long du chemin emprunté par les camions,

– le jardin des époux [V],

et ce, sans et avec passage d’un camion.

Il a ainsi pu mesurer des écarts de décibels lors du passage d’un camion, notamment de plus de 30 décibels à l’extérieur, de 13 et 18,9 décibels dans les ateliers.

Aux termes de son rapport d’expertise déposé le 19 décembre 2017, M. [K], pour répondre à la mission qui lui a été confiée, a expliqué sa méthodologie, à savoir le comptage des camions et des mesures acoustiques. Il a pu souligner que ‘si les mesures acoustiques sont assez simples à mettre en ‘uvre, il est plus difficile de faire un comptage exhaustif à l’aide de compteurs pneumatiques ou par radars. L’inconvénient de ce comptage est qu’il comptabilise tous les véhicules ; ceux vers Scandinavia Design et les autres ; la poste et les véhicules de chantier pour les travaux de rénovation de l’église.’ L’expert judiciaire a dès lors décidé, après concertation, de se déplacer durant la journée et de noter les heures de passage des véhicules aller et retour qui se dirigent vers la plate-forme de Scandinavia Design et de réaliser en simultané des mesures acoustiques. Ses interventions sur site se sont déroulées comme suit :

– le 26 septembre 2017 de 9 heures à 17 heures chez M. et Mme [O],

– le 4 octobre 2017 de 9 heures à 12h30 chez M. et Mme [B],

– le 10 octobre 2017 de 9 heures à 17 heures chez M. et Mme [O],

– le 11 octobre 2017 de 9 heures à 17 heures chez M. et Mme [O],

– le 25 octobre 2017 de 9 heures à 17h15 chez M. et Mme [V],

– le 26 octobre 2017 de 9 heures à 17h10 chez M. et Mme [V].

Au titre de leurs doléances, les requérants à l’expertise judiciaire ont pu indiquer au technicien désigné que les bruits étaient entendus uniquement la semaine, en journée de 9 heures à 17 heures et se manifestaient de façon aléatoire, le nombre de camions durant une journée oscillant entre 3 et 7.

Au titre des mesures acoustiques réalisées, depuis l’extérieur et dans les propriétés des époux [O], [B] et [V], l’expert judiciaire a identifié deux sources sonores :

– le passage des camions sur le site riverain de la société,

– les arrivées et départs des camions, les déchargements et chargement au niveau de la plate-forme.

Il a constaté, lors de ces opérations de déchargements et chargements de camions, un dépassement d’émergence non-conforme, d’une moyenne de 10 dB, dans la propriété des époux [V] les 25 et 26 octobre 2017. L’expert a également signalé des dépassements d’émergence, lors des passages de camions, dans la propriété des époux [O], les 26 septembre, 10 octobre et 11 octobre 2017, sans toutefois préciser l’émergence admissible.

S’agissant du trafic de camions, il a recensé leurs passages comme suit :

– 26 septembre 2017, chez M. et Mme [O] : 5 camions (soit 10 passages)

– 4 octobre 2017, chez M. et Mme [B] : 1 camion (soit 2 passages)

– 10 octobre 2017, chez M. et Mme [O] : 6 camions (soit 12 passages)

– 11 octobre 2017, chez M. et Mme [O] : 7 camions (soit 14 passages)

– 25 octobre 2017, chez M. et Mme [V] : 7 camions (soit 14 passages)

– 26 octobre 2017, chez M. et Mme [V] : 6 camions (soit 12 passages).

Après avoir indiqué fonder son analyse ‘sur l’expérience personnelle, l’écoute faite sur place et les résultats des mesures destinées à avoir une vision objective de la situation’, l’expert a conclu que les résultats ont montré des émergences très importantes lors des passages des véhicules, indiquant dans le même temps ‘Y a t’il potentialité de gêne pour seulement un véhicule par jour, la réponse est non, dans le cas contraire il faudrait supprimer toutes les routes. Cela montre que le calcul d’émergence pour ce type de désordre n’est pas pertinent dans le cas de bruits aléatoire et discontinu.’ Il a alors privilégié une autre approche ‘plus qualitative que quantitative’, remarquant que les passages des camions montrent des pics très prononcés liés au faible niveau sonore (bruit de fond) avant et après les passages de ceux-ci. L’expert a souligné que ‘ces événements montrent que ces pics sont près (sic) perceptibles à l’oreille, ils s’introduisent fortement dans les propriétés, se produisent de manière aléatoire entraînant un effet de surprise désagréable. De plus, contenu (sic) du paysage sonore du lieu, les passages répétitifs de ces camions entraînent une incongruité évidente. La nature des bruits perçus, leur forme et leur amplitude sont les éléments constitutifs d’une gêne sonore incontestable pour les époux [O]. Ces bruits imprévisibles pénètrent dans le jardin de leur propriété. Les nuisances alléguées par les époux [V] sont bien réelles en extérieur dans leur jardin dès que la plate-forme de Scandinavia Design est en exploitation, par l’arrivée des camions sur le site. Les man’uvres, les déchargements, les ouvertures et fermetures hydrauliques de la porte arrière des camions ainsi que les conversations des chauffeurs avec le personnel de Scandinavia Design sont totalement identifiables et gênants. Dans ce cas, contrairement aux bruits de passage des camions, l’approche quantitative peut être retenue, les émergences mesurées dans le jardin des époux [V] sont largement dépassées et constituent un trouble anormal de voisinage puisque les critères de gêne sont supérieurs aux valeurs admissibles. (…) Compte tenu d’un seul passage de camions devant la propriété des époux [B] le jour des mesures en matinée, il n’y a pas potentialité de gêne pour seulement un camion par jour.’

En premier lieu et comme souligné à juste titre par la société intimée, l’expert judiciaire a visé, de manière erronée, au titre de la réglementation applicable, celle relative à la lutte contre les bruits de voisinage régie par les dispositions du décret du 31 août 2006 modifié par le décret du 7 août 2017 et codifiée aux articles R 1334-31 et suivants du code de la santé publique, qui s’appliquent à tous les bruits de voisinage à l’exception de ceux qui proviennent des infrastructures de transport et des véhicules qui y circulent.

Dès lors, la cour ne peut tirer des conséquences de la comparaison faite par l’expert entre les mesures effectuées et les normes réglementaires relatives au bruit des activités courantes.

En second lieu, l’anormalité du bruit généré par l’activité commerciale de la SAS [I]-[T] doit être établie par des mesurages et des données concrètes et précises. En l’occurrence, si l’huissier de justice requis par les appelants, en novembre 2016, a compté le nombre de camions ayant desservi le site de la société intimée, force est de constater, à l’examen des photographies, que des utilitaires ont été comptabilisés au titre de ces véhicules alors qu’ils n’induisent pas les nuisances sonores d’un poids-lourd. Au surplus, les mesures acoustiques réalisées par l’huissier sont difficilement exploitables en ce qu’elles sont dépourvues de toute mesure du bruit résiduel. Les résultats obtenus sont par ailleurs très différents de ceux mis en évidence par l’expert judiciaire. Enfin, le constat d’huissier et le rapport d’expertise ne peuvent se compléter, reposant chacun sur des méthodologies différentes.

Par ailleurs, si l’expert judiciaire a procédé lui-même au décompte du nombre de camions se rendant à la plate-forme de la société intimée, lors de ses déplacements sur le site, les mesures acoustiques ont concerné l’ensemble des camions, sans pouvoir discriminer ceux qui se rendent, à titre professionnel, sur le site de la société. Le sonomètre a enregistré, sur 5 journées entières et une demi-journée, en continu sur 8 heures, les niveaux sonores avec un codage pour certains événements : entrées de camions, manoeuvres, déchargements. Néanmoins, aucun élément de l’expertise ne permet d’affirmer qu’au titre des sources sonores, d’autres camions se dirigeant vers d’autres sites (propriété des époux [V], église) n’ont pas été comptabilisés, l’expert précisant d’ailleurs que les travaux de rénovation de l’église (impliquant un passage de camions) n’ont pas été intégrés dans les calculs du fait qu’ils sont exceptionnels.

Aussi, si le passage de véhicules poids-lourd et les opérations de livraison peuvent générer des émergences significatives, n’est pas rapportée la preuve par les appelants d’une circulation de ces véhicules et d’opérations de manutention lorsqu’ils sont à l’arrêt, de nature à caractériser, par leur importance, leur fréquence, voire leur permanence, un trouble anormal de voisinage. Celui-ci se trouve encore moins caractérisé pour les époux [V] et [B] qui ne contestent pas le moyen adverse selon lequel ils ne résideraient pas à titre principal dans leurs propriétés du Prieuré.

S’agissant des autres nuisances évoquées par les appelants, la cour observe que ces derniers ne font plus état, comme en première instance, de l’empiétement des camions sur la propriété des époux [V] ni de la fissure constatée sur le pignon de l’atelier des époux [O]. Sur la poussière qui envahit leurs propriétés après les passages de camions et qui les contraindrait à laisser leurs fenêtres fermées, il s’avère que ce désagrément constaté par l’huissier il y a plus de 7 ans, concerne en réalité tous véhicules, y compris légers, circulant sur un chemin de terre. Dès lors, ce trouble d’empoussièrement ne saurait être qualifié d’anormal.

Si les appelants mentionnent les dommages apportés à la chaussée et les vibrations ressenties dans les habitations riveraines du chemin, au titre des nuisances générées par l’activité commerciale de la société intimée, ils ne développent pas de moyens particuliers, se limitant à reprendre les constatations de l’huissier de justice, réalisées au cours du mois de novembre 2016. En tout état de cause, comme retenu par le premier juge, il n’est pas démontré que les dégradations du chemin, en sa partie en terre, sont imputables à la SAS [I]-[T]. Les vibrations ressenties en certains points des habitations des appelants, au passage de camions, ne sauraient quant à elles, prises isolément et en l’absence de précision sur leurs conséquences, être considérées comme un trouble anormal de voisinage.

De l’ensemble, il n’est pas suffisamment démontré que l’activité de la société intimée, s’exerçant à proximité des propriétés des appelants, cause à ces derniers des inconvénients d’une importance, d’une intensité et d’une répétition telles, qu’ils dépassent les troubles normaux de voisinage. Il s’ensuit que la responsabilité de la SAS [I]-[T] n’est pas engagée sur le fondement de la théorie du trouble anormal de voisinage et que le premier juge a, à bon droit, débouté les époux [O], [V] et [B] de l’ensemble de leurs demandes. Le jugement sera ainsi confirmé.

II- Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions relatives à l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Les appelants succombant en leur appel, ils supporteront in solidum les dépens d’appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile, avec distraction au profit du conseil de l’intimée.

Ils seront également condamnés in solidum à leur payer une somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel exposés par l’intimée.

Les appelants seront quant à eux déboutés de leur demande formée à ce titre.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,

CONFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Saumur du 7 janvier 2020 en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

CONDAMNE in solidum M. [E] [B], Mme [W] [B], M. [A] [O], Mme [U] [O], M. [C] [V], Mme [R] [V] à payer à la SAS [I]-[T] la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, à raison des frais irrépétibles exposés en cause d’appel,

DEBOUTE M. [E] [B], Mme [W] [B], M. [A] [O], Mme [U] [O], M. [C] [V], Mme [R] [V] de leur demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE in solidum M. [E] [B], Mme [W] [B], M. [A] [O], Mme [U] [O], M. [C] [V], Mme [R] [V] aux dépens d’appel avec distraction au profit du conseil de la SAS [I]-[T].

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

F. GNAKALE C. MULLER

 


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