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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 2
ARRÊT DU 26 OCTOBRE 2023
(n° , 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/03335 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CHEPC
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 05 Janvier 2023 -Président du TJ de Paris – RG n° 22/57740
APPELANTS
Mme [J] [G] épouse [Z]
[Adresse 4]
[Localité 5]
Mme [N] [G] épouse [M]
[T], [O]
[Localité 6] (GRÈCE)
M. [U] [A]
[T], [O]
[Localité 6] (GRÈCE)
Représentés et assistés par Me Valérie EDWIGE, avocat au barreau de PARIS, toque : G0504
INTIMES
M. [Y] [X]
[Adresse 1]
[Localité 7]
Mme [W] [C] veuve [X]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentés et assistés par Me Jean-jacques DIEUMEGARD, avocat au barreau de PARIS, toque : C0715
S.A.R.L. DU PAIN ET DES IDEES, RCS de Paris sous le n°440 661 718, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représentée par Me Michael NEUMAN de la SELEURL NEUMAN AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : E0726
Substitué à l’audience par Me Ava COHEN, avocat au barreau de PARIS, toque : C1687
SYNDICAT DES COPROPRIETAIRES DU 34 YVES TOUDIC, représenté par son syndic, la SARL JDG IMMO
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représenté et assisté par Me Guillaume ABADIE de l’AARPI CABINET GUILLAUME ABADIE – FREDERIQUE MORIN, avocat au barreau de PARIS, toque : E0024
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 804, 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 21 Septembre 2023, en audience publique, les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Michèle CHOPIN, Conseillère et Laurent NAJEM, Conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre,
Michèle CHOPIN, Conseillère,
Laurent NAJEM, Conseiller,
Qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Laurent NAJEM, Conseiller, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
*****
EXPOSE DU LITIGE
M. [A], Mme [G] épouse [M] et Mme [G] épouse [Z] (ci-après les consorts [G]-[A]) sont propriétaires indivis depuis le 29 septembre 2014 à la suite d’une donation de leur mère, d’un appartement situé [Adresse 4] à [Localité 5].
Ils exposent subir des nuisances sonores depuis 2014 provenant de la boulangerie exploitée par la société Du pain et des idées située au rez-de-chaussée et au premier étage de la copropriété alors que leur appartement est situé au deuxième étage.
Par actes des 21, 22 et 23 septembre 2022, les consorts [G]-[A], ont assigné la société Du pain et des idées, le syndicat des copropriétaires du [Adresse 4], M. et Mme [X], M. [C] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris aux fins de voir ordonner une expertise sur les nuisances sonores provenant du local commercial exploité par cette dernière.
Par ordonnance réputée contradictoire du 05 janvier 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris, a :
– rejeté la demande d’expertise ;
– rejeté la demande formulée au visa de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné les consorts [G]-[A] aux dépens de l’instance ;
– rappelé que la décision est de droit revêtue de l’exécution provisoire.
Par déclaration du 10 février 2023, les consorts [G]-[A] ont interjeté appel de l’ensemble des chefs du dispositif de la décision.
Dans leurs dernières conclusions remises et notifiées le 27 juillet 2023, les consorts [G]-[A] demandent à la cour, au visa de l’article 145 du code de procédure civile, de :
– les recevoir en leurs appels et les dire bien fondés ;
– infirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance de référé du 5 janvier 2023 ;
A titre principal,
– constater l’absence de prescription de leur action compte tenu de la nature immobilière de celle-ci ;
Par conséquent,
– désigner tel expert qu’il plaira à la cour d’appel avec mission de : Les parties régulièrement convoquées, de se rendre sur les lieux désignés dans l’assignation, de se faire communiquer tous documents et pièces qu’il estimera utiles l’accomplissement de sa mission,
entendre tout sachant,
rechercher l’existence des désordres allégués ; les décrire, en indiquer la nature, l’importance, la date d’apparition dans toutes ses composantes (date des premières manifestations, aggravation éventuelle), en rechercher l’origine ou les origines ; dans la nature du possible joindre son rapport des documents techniques permettant la juridiction de se rendre compte de la réalité des constatations faites,
dire si les désordres allégués affectent la solidité de l’immeuble,
préciser la date d’apparition des désordres,
décrire et évaluer les travaux propres remédier aux désordres, et leurs délais d’exécution ; d’en chiffrer le coût en annexant au rapport les devis utilisés, fournis par les parties, qu’il vérifiera ; en l’absence de devis, d’estimer le coût des travaux de reprise,
fournir tout renseignement de fait permettant la juridiction ultérieurement saisie de statuer sur les responsabilités encourues,
évaluer les moins-values résultant des désordres non réparables,
fournir tous éléments de nature permettre ultérieurement la juridiction saisie d’évaluer les préjudices de toute nature, directs ou indirects, matériels ou immatériels résultant des désordres, notamment le préjudice de jouissance subi ou pouvant résulter des travaux de remise en état,
dire si des travaux urgents sont nécessaires soit pour empêcher l’aggravation des désordres et du préjudice qui en résulte, soit pour prévenir les dommages aux personnes ou aux biens ; dans l’affirmative, la demande d’une partie ou en cas de litige sur les travaux de sauvegarde nécessaires, décrire ces travaux et en faire une estimation sommaire dans un rapport intermédiaire qui devra être déposé aussi tôt que possible, […]
A titre subsidiaire,
– constater l’absence de prescription de leur action du fait de l’amplification des troubles de voisinage depuis l’année 2019 ;
Par conséquent,
– désigner tel expert qu’il plaira à la cour d’appel avec la mission sus développée ;
A titre très subsidiaire,
– constater l’absence de prescription de leur action en raison d’une cause d’interruption de la prescription ;
Par conséquent,
– désigner tel expert qu’il plaira à la cour d’appel avec la mission sus développée ;
A titre infiniment subsidiaire,
– constater l’absence de prescription de leur action du fait de la successivité et du caractère distinct des nuisances sonores subies ;
Par conséquent,
– désigner tel expert qu’il plaira à la cour d’appel avec la mission sus développée ;
En tout état de cause,
– condamner la société Du pain et des idées au paiement d’une somme de 3.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Ils font valoir que leur action, de nature immobilière, n’est pas soumise à la prescription quinquennale ; que le bruit en cause, qualifié de “solidien”, touche à la solidité de l’immeuble et partant, peut l’affecter, raison pour laquelle les troubles du voisinage occasionnés par ces bruits justifient une action réelle immobilière. Ils en déduisent qu’ils sont fondés à solliciter la désignation d’un expert.
A titre subsidiaire, ils se prévalent de l’aggravation de la situation depuis 2019, soit un élément nouveau.
A titre très subsidiaire, ils considèrent que M. [D] (gérant de la société Du pain et des idées) a reconnu le trouble anormal qu’il occasionnait tant en 2016, en procédant à la réalisation de travaux, qu’en 2021, en indiquant vouloir à nouveau y remédier et ils font valoir que ce comportement constitue une cause interruptive de prescription.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 20 août 2023, la société Du pain et des idées demande à la cour, au visa des articles 2224 et 2260 du code civil et des articles 145 et 700 du code de procédure civile, de :
A titre principal,
– confirmer l’ordonnance de référé rendue par le tribunal judiciaire de Paris le 5 janvier 2023 dans toutes ses dispositions ;
En conséquence,
– débouter les consorts [G]-[A] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;
En tout état de cause,
– condamner les consorts [G]-[A] solidairement à verser la somme de 3.500 euros à la société Du pain et des idées au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la présente procédure d’appel ;
– condamner les consorts [G]-[A] aux entiers dépens d’instance.
Elle allègue que le trouble anormal du voisinage est la seule action qui peut être intentée en l’espèce ; qu’il s’agit d’une action en responsabilité civile contractuelle et non d’une action réelle immobilière ; qu’aucune aggravation n’est démontrée et ne peut au demeurant résulter de la propre plainte des appelants.
Elle conteste le fait que M. [D] ait reconnu être l’auteur d’un trouble anormal du voisinage et elle considère qu’il a uniquement reconnu qu’il en avait connaissance.
Dans leurs dernières conclusions remises et notifiées le 28 avril 2023, M. et Mme [X], bailleurs de la société Du pain et des idées, demandent à la cour, au visa de l’article 145 du code de procédure civile et de l’article 2224 du code civil, de :
A titre principal,
– [constater] qu’ils s’en remettent à la décision de la cour quant à la recevabilité et au mérite de la demande d’expertise qui est formulée par les consorts [G]-[A] ;
A titre subsidiaire,
– qu’il leur soit donné acte des protestations et réserves d’usage qu’ils formulent à l’égard de la mesure d’expertise qui est envisagée ;
– condamner toute partie succombante à leur verser la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner toute partie succombante aux entiers dépens sur le fondement de l’article 699 du code de procédure civile.
Ils précisent qu’ils ont veillé à répercuter les griefs à leur locataire mais n’ont pas été associés aux différentes démarches et mesures acoustiques.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 28 avril 2023, le syndicat des copropriétaires de l’immeuble sis [Adresse 4] [Localité 5] demande à la cour, au visa de l’article 145 du code de procédure civild, de :
– infirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance de référé rendue le 5 janvier 2023 ;
– désigner tel expert qu’il plaira à la cour d’appel avec la mission telle que mentionnée dans les conclusions des consorts [A]-[G] ;
– condamner la société Du pain et des idées à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société Du pain et des idées aux entiers dépens.
Il expose reprendre à son compte l’argumentation des appelants. Il insiste sur une aggravation de la situation à compter de 2019 et se prévaut de la jurisprudence retenant que les nuisances sonores constituent des faits distincts et successifs.
Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs conclusions susvisées conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
La clôture de l’instruction de l’affaire est intervenue le 5 septembre 2023.
SUR CE, LA COUR,
Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
Pour la mise en ‘uvre de ces dispositions, il appartient au juge d’apprécier la perspective d’un litige futur ou éventuel et de caractériser l’existence d’un motif légitime de rechercher ou de conserver des éléments de preuve. Le caractère légitime d’une demande de mesure d’instruction in futurum suppose que soit établie l’existence d’éléments rendant plausible le bien-fondé de l’action en justice envisagée et que la mesure sollicitée présente une utilité.
L’irrecevabilité d’une action éventuelle au fond pour cause de prescription prive de tout motif légitime la demande d’expertise sur le fondement de l’article 145 précité. En effet, en ce cas, il n’est pas justifié de l’utilité de l’instauration d’une mesure d’expertise judiciaire aux fins de conserver la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, si à la date de saisine du juge des référés, l’action est irrecevable pour cause de prescription.
En l’espèce, les consorts [A]-[G] font état de nuisances sonores en provenance, selon leurs allégations, des locaux exploités par la société Du pain et idées, situés au rez-de-chaussée de l’immeuble sis [Adresse 4] à [Localité 5].
Aux termes de leurs conclusions, ils exposent qu’ils se plaignent de ces troubles du voisinage depuis 2014. Il résulte cependant d’une plainte adressée à la mairie de [Localité 5] le 16 mars 2019, que Mme [J] [G] a indiqué subir les nuisances provenant du laboratoire ” depuis 2009 ” (pièce 15 des consorts [A]/[G]).
Contrairement à ce que soutiennent les appelants, une action en responsabilité fondée sur un trouble anormal du voisinage, en l’espèce en raison des nuisances sonores, constitue non une action réelle immobilière mais nécessairement une action en responsabilité civile extracontractuelle soumise à la prescription de droit commun de l’article 2224 du code civil, de cinq ans.
En outre, le point de départ du délai de prescription d’une telle action est fixé à la date de la première manifestation du trouble invoqué et non à chaque nouveau trouble allégué.
Au moment de l’introduction de l’instance devant le premier juge, le 21 septembre 2022, il s’était écoulé plus de cinq années depuis le début des nuisances, que l’on retienne la date figurant dans la plainte (2009) ou celle invoquée dans leurs conclusions (2014).
Pour s’opposer à cette prescription, les appelants font encore valoir que les nuisances se seraient amplifiées en 2019, faisant naître un nouveau délai de prescription. Cependant, la preuve d’une aggravation ne peut résulter de la seule plainte des appelants auprès de la Mairie, en 2019, qui n’est étayée d’aucun constat concomitant en justifiant. En outre, l’aggravation ne peut se déduire de la persistance des bruits dénoncés.
Au visa de l’article 2240 du code civil, les consorts [A]-[G] allèguent par ailleurs que M. [D], gérant de la société Du pain et des idées, aurait reconnu le trouble anormal du voisinage, ce comportement constituant une cause d’interruption de la prescription.
Ils se fondent sur l’audition de M. [D] par les services de la Police le 15 avril 2021 :
” (‘) Question : Avez-vous connaissance des nuisances sonores émanant de votre activité professionnelle’
Réponse : Oui bien évidemment, depuis février 2002 depuis ma reprise du local commercial. Nous avons refait les cheminées d’extractions il y a 15 ans pour les odeurs qui se dégageaient et au niveau des bruits, j’ai fait des travaux il y a 10 ans et également le 26 juillet 2016 pour réduire les émissions de bruits Je suis d’accord avec les nuisances, cependant nous sommes 4 à avoir nos ventilations donnant sur la cour de l’immeuble, il faudrait vraiment identifié [sic] qui est l’auteur des nuisances ou s’il s’agit d’un cumul des émissions de bruits. D’ailleurs j’ai prévu de faire des travaux cet été avec un remplacement du four et le déplacement des groupes de froid situaient côté cour au côté rue afin qu’il y est moins de perceptions sonores. Les travaux sont prévus la dernière semaine de juillet et les 3 premières semaines d’août, le prix des travaux s’élève à 100 000 euros.”
Il sera relevé que ces déclarations sont intervenues plus de cinq années après le début des nuisances allégués (2014, voire 2009 selon la plainte), de sorte que la prescription relative à l’action pour trouble anormal de voisinage était déjà acquise, et qu’en tout état de cause, ces propos ne peuvent être considérés comme non équivoques puisque M. [D] demande que soit identifié ” l’auteur des nuisances “, émettant par ailleurs l’hypothèse d’une pluralité de causes, de sorte qu’il ne reconnaît pas expressément en être l’auteur ; le fait qu’il ait effectué des travaux ne constituant pas davantage une telle reconnaissance.
Dès lors, les consorts [A]-[G] ne justifient pas, à la date de la saisine du juge des référés le 21 septembre 2022, de l’utilité de l’instauration d’une mesure d’expertise judiciaire aux fins de conserver la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, lequel ne pouvantt qu’être voué à l’échec en raison de son irrecevabilité. C’est donc à bon droit que le premier juge a retenu que la mesure d’instruction sollicitée était dépourvue de motif légitime.
La décision déférée sera confirmée en ce qu’elle a rejeté la demande d’expertise.
Sur les demandes accessoires
Le sens de la présente décision conduit à confirmer les dispositions relatives aux frais répétibles et irrépétibles.
A hauteur d’appel, les consorts [A]-[G] seront condamnés aux dépens ainsi que, in solidum, à payer à la société Du pain et des idées la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Le surplus des demandes sur ce fondement sera rejeté.
PAR CES MOTIFS
Confirme la décision entreprise ;
Y ajoutant,
Condamne in solidum M. [A], Mme [G] épouse [M] et Mme [G] épouse [Z] à payer à la société Du pain et des idées la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [A], Mme [G] épouse [M] et Mme [G] épouse [Z] aux dépens d’appel ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE