Nuisances sonores : décision du 22 janvier 2024 Cour d’appel de Paris RG n° 19/13502

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Nuisances sonores : décision du 22 janvier 2024 Cour d’appel de Paris RG n° 19/13502
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Copies exécutoires République française

délivrées aux parties le : Au nom du peuple français

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 4

ORDONNANCE DU 22 JANVIER 2024

(n° , 6 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/13502 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CAIEY

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 20 Mai 2019 Tribunal d’Instance de PARIS – RG n° 1218080030

Nature de la décision : Contradictoire

NOUS, Catherine LEFORT, Conseillère, agissant par délégation du Premier Président de cette Cour, assistée de Sonia DAIRAIN, Greffière.

Statuant sur le recours formé par :

DEMANDEUR

Monsieur [Z] [D]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Comparant en personne

contre

DEFENDEURS

Madame [S] [K]

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représenté par Me Victor-Xavier GARCIA, avocat au barreau de PARIS, toque : G0782

LA SOCIÉTÉ CONSTRUCTA PROMOTION, venant aux droits de la SSCV COEUR DE VILLE CONSTRUCTA

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée par Me Valérie DESFORGES de la SARL ADEMA AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : A0540, substituée par Me Hugo DAUSTER

Et après avoir appelé les parties lors des débats de l’audience publique du 20 Novembre 2023 :

Par ordonnance de référé en date du 13 avril 2018, le tribunal d’instance de Paris 8ème, saisi par Mme [S] [K], a ordonné une expertise et désigné M. [Z] [D] en qualité d’expert aux fins notamment de rechercher l’origine des désordres, fournir tous éléments permettant de déterminer les responsabilités encourues et les préjudices subis, indiquer et évaluer les travaux de remise en état. La provision à valoir sur la rémunération de l’expert, mise à la charge de Mme [K], a été fixée à 1.500 euros.

L’expert a déposé son rapport le 27 mars 2019 et a demandé la taxation de sa rémunération à la somme de 12.792 euros TTC.

Par ordonnance du 20 mai 2019, notifiée à l’expert le 3 juin 2019, le magistrat taxateur du tribunal d’instance de Paris a :

– fixé les frais et vacations de l’expert à la somme de 2.612,50 euros,

– dit que déduction faite de la consignation de la somme de 1.500 euros versée, Mme [K] devra verser auprès de la régie du tribunal la somme de 1.112,50 euros au titre des honoraires dus à M. [D],

– à réception de la somme de 1.112,50 euros, autorisé le régisseur du tribunal à verser celle-ci à l’expert et autorisé la déconsignation de la provision de 1.500 euros à l’expert.

Pour statuer ainsi, le magistrat a retenu qu’au regard de l’insuffisance de la provision allouée, l’expert n’avait pas sollicité une consignation complémentaire, ce qui aurait permis à Mme [K] d’être informée du montant estimé des honoraires, que les notes 1, 2, 3 et 4 ne correspondant pas au fond du dossier à proprement parler, le temps passé à la rédaction de ces notes devaient être réduit à 2 heures, que la rédaction du rapport, fixée à 33 vacations, devait être réduite, que le temps passé à la rédaction du rapport devait être réduit à 10 heures et le nombre total de vacations à 22 heures.

Par courrier daté du 9 juin 2019 et reçu au greffe de la cour d’appel le 13 juin 2019, M. [D], expert, a contesté cette ordonnance de taxe devant le premier président. Il demandait au premier président ‘d’annuler’ l’ordonnance de taxe et ‘donner réparation par la restitution de la somme manquante’ de 10.179,50 euros TTC.

Les parties ont été régulièrement convoquées par le greffe à l’audience du 7 novembre 2022 à l’issue de laquelle un retrait du rôle a été prononcé afin de permettre aux parties de transiger.

M. [D] ayant indiqué que la conciliation n’avait pas abouti et sollicité une ordonnance de taxe pour la somme de 3.783 euros, le greffe a convoqué les parties à l’audience du 20 novembre 2023.

A cette audience, M. [D], qui a adressé de nombreuses observations écrites à la cour et aux parties, fait valoir que la diminution de 80%, sans motifs, de sa rémunération pour une expertise de qualité, est excessive et abusive ; que l’expertise portait sur les réserves non levées, dont les nuisances sonores résultant d’une mauvaise isolation phonique qui représentent la majeure partie de son travail ; qu’il a exercé sa mission seul, sans sapiteur, malgré la technicité et la complexité des problèmes phoniques ; que la société Constructa Promotion refuse de payer ses honoraires de 12.000 euros alors que c’est elle la responsable des nuisances ; que ce n’est pas à Mme [K] de les payer ; qu’il n’a pas déposé de demande de consignation complémentaire car Mme [K] avait mis sept mois à payer la provision initiale, de sorte qu’il savait qu’elle ne pourrait pas payer ; qu’il n’a commis aucun manquement à ses devoirs et a parfaitement rempli sa mission, de sorte qu’il a droit à une rémunération équitable. Il sollicite donc le paiement des 3.783 euros TTC de la ‘mise en conciliation’ à charge provisoire du promoteur Constructa Promotion, auteur du sinistre au titre de l’article 284 alinéa 2 du code de procédure civile, ainsi que la mise à la charge de celui-ci de la somme de 2.000 euros pour dépens et frais de justice au titre des articles 695 à 700 du code de procédure civile, et le rejet de la demande de Construction Promotion au titre des frais irrépétibles.

La société Constructa Promotion, venant aux droits de la SCCV Coeur de Ville, sollicite la confirmation de l’ordonnance et la condamnation de M. [D] à lui payer la somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles. Elle soutient que l’expert a manqué à ses obligations en s’abstenant d’envoyer une prévision d’honoraires et de demander une consignation complémentaire en application de l’article 280 du code de procédure civile, étant rappelé que l’ordonnance désignant l’expert mentionnait qu’en cas d’absence de demande de consignation, le montant des honoraires serait celui de la provision. Elle ajoute qu’il n’y a eu qu’une réunion d’expertise et que l’essentiel du travail de l’expert est sa note n°6, de sorte que les 108 vacations sollicitées sont excessives. Elle estime que l’ordonnance de taxe est parfaitement motivée, que le juge aurait pu se limiter à 1.500 euros, mais a essayé de tenir compte du travail de l’expert et a parfaitement apprécié la rémunération de celui-ci. Elle précise que l’affaire au fond, qui est en cours, permettra de trancher la question des dépens, et qu’elle a soulevé une fin de non-recevoir.

Mme [K] conclut également à la confirmation de l’ordonnance, estimant que le montant de 13.536 euros TTC sollicité est excessif, l’expert n’ayant organisé qu’une réunion.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité du recours

M. [D] justifie avoir respecté les conditions de délai et de forme prévues par les articles 714 et 715 du code de procédure civile.

Le recours est donc recevable.

Sur la rémunération de l’expert

Aux termes de l’article 280 alinéa 2 du code de procédure civile, en cas d’insuffisance manifeste de la provision allouée, au vu des diligences faites ou à venir, l’expert en fait sans délai rapport au juge, qui, s’il y a lieu, ordonne la consignation d’une provision complémentaire à la charge de la partie qu’il détermine.

L’article 284 du même code dispose :

‘Passé le délai imparti aux parties par l’article 282 pour présenter leurs observations, le juge fixe la rémunération de l’expert en fonction notamment des diligences accomplies, du respect des délais impartis et de la qualité du travail fourni.

Il autorise l’expert à se faire remettre jusqu’à due concurrence les sommes consignées au greffe. Il ordonne, selon le cas, soit le versement des sommes complémentaires dues à l’expert en indiquant la ou les parties qui en ont la charge, soit la restitution des sommes consignées en excédent.

Lorsque le juge envisage de fixer la rémunération de l’expert à un montant inférieur au montant demandé, il doit au préalable inviter l’expert à formuler ses observations.

Le juge délivre à l’expert un titre exécutoire.’

En l’espèce, le juge taxateur relève à juste titre que malgré l’insuffisance manifeste de la provision allouée, l’expert n’a pas sollicité une consignation complémentaire qui aurait permis à Mme [K] d’être informée du montant estimé des honoraires qui seraient sollicités.

D’ailleurs, l’ordonnance de référé du 13 avril 2018, désignant M. [D] en qualité d’expert et chiffrant à la somme de 1.500 euros la provision à valoir sur la rémunération de l’expert, indique dans son dispositif : ‘disons que dans les deux mois à compter de sa désignation, l’expert indiquera le montant de sa rémunération définitive prévisible afin que soit éventuellement ordonnée une provision complémentaire dans les conditions de l’article 280 du code de procédure civile et qu’à défaut d’une telle indication, le montant de la consignation initiale constituera la rémunération définitive de l’expert’.

C’est en vain que M. [D] fait valoir qu’il n’a pas demandé de consignation complémentaire au motif que Mme [K] n’avait pas les moyens de la payer, même si son intention était louable. En effet, il résulte de l’article 280 alinéa 2 du code de procédure civile précité que le juge détermine la partie à la charge de laquelle il décide de mettre la consignation complémentaire, de sorte que l’expert aurait pu demander que ce soit la Sccv Coeur de Ville qui avance la consignation complémentaire.

En tout état de cause, l’ordonnance de référé n’a pas autorité de la chose jugée et il appartient au juge taxateur de chiffrer la rémunération de l’expert indépendamment de la présentation ou non d’une demande de consignation complémentaire, ce qu’il a d’ailleurs fait en l’espèce.

Il ressort du rapport d’expertise que l’affaire n’oppose que deux parties, que M. [D] a réalisé une seule réunion d’expertise, la seconde ayant été annulée en raison de l’hospitalisation de Mme [K], qu’il a examiné plusieurs désordres, sans difficultés techniques particulières, à l’exception du désordre phonique, qui en raison de sa complexité technique, représente l’essentiel du travail de l’expert, qu’en l’absence de devis communiqués par les parties, M. [D] a fait une estimation à dire d’expert du coût des travaux nécessaires pour remédier aux désordres, qu’il n’a pas eu à trancher la question des préjudices de Mme [K] car celle-ci ne lui a fait parvenir aucun élément, que les parties n’ont adressé à l’expert aucun dire sur le contenu de son rapport, de sorte qu’il n’a pas eu à y répondre. Il est donc difficile de savoir si ce rapport sera exploitable pour la juridiction saisie et surtout les parties, mais ces dernières en sont en partie responsables ayant été peu investies dans cette mesure d’expertise. L’expert a été diligent, puisque l’expertise a duré moins d’un an au total.

Au regard de ces éléments, les 108 vacations à 95 euros demandées initialement étaient effectivement excessives.

S’agissant de l’étude préalable de dossier, de l’analyse des pièces des parties, de la lecture et de l’étude du dossier, les 8 vacations demandées étaient excessives au regard du faible nombre de parties et de pièces et pouvaient être réduites à 2 vacations.

Les vacations demandées pour les recherches techniques et règlementaires (7) et les courriers et mails (8) n’apparaissaient pas anormales. C’est à tort que le juge taxateur les a supprimées sans motifs.

C’est en revanche à juste titre que le premier juge a réduit les vacations des notes aux parties (à l’exception de la note n°6) car la plupart sont des notes types (méthodologie) ou formelles (convocations) ne portant pas sur le fond du dossier. Seule la note n°5 représente un véritable travail puisqu’il s’agit du compte rendu n°1, mais s’agissant de la présentation des désordres, elle est purement descriptive, de sorte que sa rédaction, sur quatre pages à peine, ne nécessitait pas les 19 heures sollicités. La réduction à 2 heures de l’ensemble de ces notes par le juge taxateur est cependant exagérée. Il convient d’évaluer ce travail à 4 heures, soit 4 vacations au lieu des 23 qui étaient demandées.

Les 5 vacations sollicitées pour la réunion d’expertise ne souffrent pas de critiques et ne sont d’ailleurs pas contestées par les parties.

S’agissant de la note n°6, qui représente certes l’essentiel du travail de l’expert, sur une vingtaine de pages, les 33 vacations demandées pour 41 heures de travail apparaissent cependant disproportionnées au regard de la complexité du dossier, dans la mesure où il a déjà été accordé 8 heures de recherches techniques (7 vacations). Ce travail peut être estimé à 27 heures, soit 22 vacations.

Le rapport d’expertise reprend la note n°6 intégralement et n’intègre presque aucun nouvel élément, à défaut de réaction des parties. Les 19 vacations demandées pour sa rédaction étaient donc exagérées et doivent être réduites à 5. De même, le temps de création matérielle des rapports doit être réduit à 2 vacations compte tenu du faible nombre d’exemplaires et de pièces annexées.

Enfin, les 2 vacations sollicitées pour les temps de trajet entre [Localité 8] et [Localité 7] ne souffrent pas de critiques et ne sont d’ailleurs pas contestées par les parties.

Ainsi, les 108 vacations demandées au total auraient dû être réduites à 57. La réduction à 22 vacations, opérée par le premier juge, n’est pas justifiée.

Le taux de 95 euros HT par vacation n’est pas contesté.

Il en résulte une rémunération HT de 5.415 euros (22×95), à laquelle devait s’ajouter les frais sollicités de 400 euros HT que le juge taxateur a omis, ce qui fait un total de 5.815 euros HT, soit 6.978 euros TTC.

M. [D] sollicite désormais, à la suite d’une proposition amiable faite aux parties à hauteur de 50% de la somme demandée initialement, soit 6.396 euros TTC, que soit taxé le solde lui restant dû, à savoir 3.783 euros TTC, après déduction des 2.612 euros déjà accordés par le juge taxateur.

Toutefois, la juridiction d’appel ne peut que confirmer ou infirmer la décision de première instance, et dans ce dernier cas, statuer à nouveau, mais elle ne peut pas accorder seulement un complément. Par conséquent, il convient d’infirmer l’ordonnance de taxe en ce qu’elle a fixé les frais et honoraires de M. [D] à 2.612,50 euros TTC et statuer à nouveau.

Le juge (en première instance ou en appel) ne peut pas accorder plus que ce qui est demandé par les parties. Dès lors, il convient de taxer la rémunération de l’expert à la somme de 6.396 euros TTC.

Après déduction de la provision de 1.500 euros, il reste dû à l’expert la somme de 4.896 euros.

L’ordonnance de taxe n’a d’intérêt que pour l’expert puisqu’elle lui permet d’être payé rapidement par la déconsignation des fonds à son profit et l’obtention d’un titre exécutoire pour le solde. Elle ne préjuge en rien de la répartition finale des frais d’expertise qui sera faite entre les parties par le juge du fond statuant sur les dépens. Ce n’est pas l’ordonnance de taxe qui tranche le débat entre les parties sur la charge finale du coût de l’expertise.

Toutefois, s’agissant du solde restant à verser à l’expert, d’un montant de 4.896 euros, le juge taxateur doit, en application de l’article 284 du code de procédure civile, déterminer quelle partie en aura la charge provisoirement.

Dans la mesure où Mme [K] a déjà avancé la provision de 1.500 euros, qu’il est constant qu’elle est moins solvable que la société Constructa Promotion, et que l’expertise met en évidence la responsabilité du promoteur, le solde à verser à l’expert sera mis à la charge de cette dernière.

Les dépens de la présente instance doivent être mis à la charge de la partie qui avance les frais d’expertise, soit la société Constructa Promotion, laquelle sera donc déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

M. [D], ne justifiant pas de frais irrépétibles, sera débouté également de sa demande fondée sur l’article 700.

PAR CES MOTIFS,

DECLARONS le recours de M. [Z] [D] recevable,

INFIRMONS l’ordonnance fixant la rémunération d’expert rendue le 20 mai 2019 par le magistrat taxateur du tribunal d’instance de Paris 8ème,

Statuant à nouveau,

FIXONS la rémunération de M. [Z] [D] à la somme de 6.396 euros TTC,

AUTORISONS l’expert à se faire remettre, par le régisseur du tribunal d’instance de Paris, la somme de 1.500 euros préalablement consignée,

ORDONNONS le versement par la société Constructa Promotion, venant aux droits de la Sccv Coeur de Ville, d’une somme complémentaire de 4.896 euros à M. [Z] [D],

DEBOUTONS la société Constructa Promotion de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,

DEBOUTONS M. [Z] [D] de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,

METTONS les dépens d’appel à la charge de la société Constructa Promotion.

ORDONNANCE rendue par Madame Catherine LEFORT, Conseillère, assistée de Mme Sonia DAIRAIN, greffière lors de la mise à disposition de l’ordonnance au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

La Greffière, La Conseillère.

 


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