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C 4
N° RG 21/03452
N° Portalis DBVM-V-B7F-K73L
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée le :
la SCP CABINET FORSTER
la SARL CABINET ISABELLE ROUX
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
Ch. Sociale -Section A
ARRÊT DU MARDI 14 NOVEMBRE 2023
Appel d’une décision (N° RG 20/00035)
rendue par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MONTELIMAR
en date du 01 juillet 2021
suivant déclaration d’appel du 27 juillet 2021
APPELANTE :
Association GENERALE DES FAMILLES, prise en la personne de son représentant légal en exercice sis au-dit siège
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par Me Pierre-Yves FORSTER de la SCP CABINET FORSTER, avocat au barreau de VALENCE, substituée par Me Patricia MOUSSIER de la SCP FOSTER BISTOLFI, avocat au barreau de VALENCE,
INTIMEE :
Madame [W] [K] épouse [A]
[Adresse 3]
[Localité 1]
représentée par Me Isabelle ROUX de la SARL CABINET ISABELLE ROUX, avocat au barreau de VALENCE,
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Madame Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère faisant fonction de Présidente,
Madame Gwenaëlle TERRIEUX, Conseillère,
Monsieur Frédéric BLANC, Conseiller,
DÉBATS :
A l’audience publique du 18 septembre 2023,
Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère faisant fonction de Présidente chargée du rapport et Mme Gwenaëlle TERRIEUX, Conseillère , ont entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, assistées de Mme Carole COLAS, Greffière, conformément aux dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, les parties ne s’y étant pas opposées ;
Puis l’affaire a été mise en délibéré au 14 novembre 2023, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.
L’arrêt a été rendu le 14 novembre 2023.
EXPOSE DU LITIGE :
Mme [W] [K] épouse [A], née le 7 juillet 1959, a été embauchée par l’Association générale des familles en qualité de maîtresse de maison par contrat de travail à durée déterminée à temps partiel du 1er juin 2002, suivi d’un contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel à compter du 1er septembre 2002.
L’Association générale des familles est une association gérant la sous-location de logements à vocation sociale, principalement à destination des étudiants.
Au dernier état de la relation contractuelle, Mme [W] [K] épouse [A] exerçait ses fonctions à temps plein avec la classification catégorie 2B, coefficient 437, classe 11 de la convention collective des maisons d’étudiants.
Elle était affectée sur deux sites désignés ‘Pracomtal’ et ‘Montlouis’, de même que sa collègue Mme [N] [T].
Le 31 décembre 2018, l’Association générale des familles a décidé de la fermeture du site ‘Pracomtal’.
Par courrier en date du 12 juin 2019, l’Association générale des familles a proposé à Mme [W] [K] épouse [A] une modification de son contrat de travail en vue de permettre le maintien de son emploi par une réduction de son temps de travail de 35 heures à 28 heures hebdomadaires. Une proposition semblable était adressée à sa collègue Mme [N] [T].
Les deux salariées ont refusé la modification de leur contrat de travail par courriers remis en main propre le 10 juillet 2019.
Par courrier en date du 22 octobre 2019, l’Association générale des familles a convoqué Mme [W] [K] épouse [A] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 13 novembre 2019.
Lors de cet entretien Mme [W] [K] épouse [A] s’est vu remettre un courrier énonçant le motif économique du licenciement économique envisagé ainsi que les documents relatifs au contrat de sécurisation professionnelle.
Le 14 novembre 2019, Mme [W] [K] épouse [A] a accepté le contrat de sécurisation professionnelle et demandé à bénéficier d’une priorité de réembauche.
La relation contractuelle a pris fin à la date du 4 décembre 2019.
Par requête visée au greffe le 10 mars 2020, Mme [W] [K] épouse [A] a saisi le conseil de prud’hommes de Montélimar aux fins de contester son licenciement et solliciter des dommages et intérêts pour non-respect de la priorité de réembauche, ainsi que le paiement d’astreintes téléphoniques et d’une prime annuelle.
L’Association générale des familles s’est opposée aux prétentions adverses.
Par jugement en date du 1er juillet 2021, le conseil de prud’hommes de Montélimar a :
– Dit et jugé que le licenciement pour motif économique de Mme [A] [W] est requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
– Condamné en conséquence, l’Association générale des familles à payer à Mme [A] [W] les sommes suivantes :
4 494,70 euros bruts à titre d’indemnité de préavis, outre 449,47 euros bruts (de congés payés afférents.
17 978,40 euros net à titre de dommages et intérêts (8 mois de salaire).
11 383,00 euros brut à titre de rappels de salaire pour astreinte outre 1 138,30 euros bruts de congés payés afférents,
1 000,00 euros bruts au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– Fixé le salaire mensuel moyen brut de Mme [A] [W] à la somme de 2 247,35 euros.
– Dit qu’à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par la présente décision et en cas d’exécution par voie extra-judiciaire les sommes retenues par l’huissier instrumentaire en application des dispositions de l’article 10 du décret du 8 mars 2001 portant modification du décret du 12 décembre 1996 devront être supportées par l’association générale des familles à payer en sus de l’indemnité mise à sa charge sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– Débouté Mme [A] [W] de sa demande d’indemnité pour non-respect de la priorité de réembauchage.
– Débouté l’Association générale des familles de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– Condamné l’Association générale des familles aux entiers dépens.
Le conseil de prud’hommes a notamment retenu que le motif économique du licenciement n’était pas fondé, nonobstant l’acceptation du contrat de sécurisation professionnelle, et que la salariée justifiait des astreintes pour lesquelles elle sollicitait des rappels de salaire. Par ailleurs le conseil a considéré que la preuve de l’existence d’un usage quant au paiement d’une prime annuelle n’était pas établie, faute de preuve de son caractère général, et que l’employeur démontrait qu’il n’avait pas procédé à des embauches après le départ de la salariée.
La décision a été notifiée par le greffe par lettres recommandées avec accusés de réception signés le 13 juillet 2021 pour Mme [W] [K] épouse [A] et pour l’Association générale des familles.
Par déclaration en date du 27 juillet 2021, l’Association générale des familles a interjeté appel à l’encontre dudit jugement.
Mme [W] [K] épouse [A] a formé appel incident.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 24 juillet 2023 l’Association générale des familles sollicite de la cour d’appel de :
« Vu les articles L1233-67 alinéas 1 et 2 et L1233-69 alinéa 1 du code du travail
Vu la jurisprudence précitée
Infirmer le jugement rendu le 1er juillet 2021 par le conseil de prud’hommes de Montélimar en ce qu’il a :
– dit et jugé que le licenciement pour motif économique est requalifié en licenciement sans cause réelle ni sérieuse
– condamné en conséquence l’Association générale des familles à payer à Mme [A] les sommes suivantes :
– 4.494,70 € bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 449,47 € bruts de congés payés afférents
– 17.978,40 € nets à titre de dommages et intérêts (8 mois de salaire)
– 11.383 € bruts à titre de rappels de salaire pour astreintes outre 1.138,30 € bruts de congés payés afférents
– 1.000 € nets au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– fixé le salaire moyen de Mme [A] à la somme de 2.247,35 €
– dit qu’à défaut de règlement spontané des condamnations de la décision et en cas d’exécution par voie extra-judiciaire, les sommes retenues par l’Huissier instrumentaire en application des dispositions de l’article 10 du Décret du 08/03/2001, portant modification du décret du 12/12/1996 devront être supportées par l’Association Générale des Familles à payer en sus de l’indemnité mise à sa charge sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
– débouté l’Association de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– condamné l’Association aux dépens.
Statuant de nouveau :
Juger que le motif économique de la rupture du contrat de Mme [W] [A] est avéré
Juger que la rupture du contrat de travail de Mme [W] [A] s’analyse en une acceptation du contrat de sécurisation professionnelle
Débouter Mme [W] [A] de l’intégralité de ses demandes
Condamner Mme [W] [A] à verser à l’Association générale des familles la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, correspondant aux frais exposés tant en première instance qu’en cause d’appel
Condamner Mme [W] [A] aux entiers dépens de première instance et d’appel
Confirmer le jugement entrepris pour le surplus. »
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 17 mai 2023 Mme [W] [K] épouse [A] sollicite de la cour de :
« Confirmer le jugement de 1ère instance en ce qu’il a :
– Requalifié le licenciement pour motif économique en rupture dépourvu(e) de cause réelle et sérieuse
– Condamné l’Association générale des familles à payer :
– Indemnité de préavis : 4 494,71 € et 449,47 € de congés payés
– Dommages et intérêts pour perte d’emploi mais en réformer le quantum et le fixer à 30 000 € nets de CSG et CRDS
– Rappel de salaires pour astreinte : 11 383 € et 1 138,20 € de congés payés
– Article 700 du NCPC : 1 000 €
[‘] Réformer le jugement de 1ère instance et statuant à nouveau de :
Condamner l’Association générale des familles à payer :
– Indemnité pour non-respect de la priorité de réembauchage : 23 000 €
– Prime annuelle : 800 euros
Constater que la cour n’est pas saisie des demandes relatives à l’obligation de formation continue et à la tenue d’entretien professionnel.
Condamner l’Association générale des familles à payer une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Vu les dispositions de l’article R.1454-28 du Code du travail, fixer la moyenne des trois derniers mois de salaire à la somme de 2.247,35 euros. »
Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l’article 455 du code de procédure civile de se reporter aux conclusions des parties susvisées.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 5 septembre 2023. L’affaire, fixée pour être plaidée à l’audience du 18 septembre 2023, a été mise en délibéré au 14 novembre 2023.
MOTIFS DE L’ARRÊT :
1 ‘ Sur les prétentions relatives à l’existence d’une astreinte téléphonique :
En application des dispositions des articles L. 1221-1 du code du travail et 1353 du code civil, la preuve de l’obligation au paiement incombe au salarié, à charge pour l’employeur qui se prétend libéré de son obligation d’en justifier.
L’article L 3121-9 du code du travail énonce :
Une période d’astreinte s’entend comme une période pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l’employeur, doit être en mesure d’intervenir pour accomplir un travail au service de l’entreprise.
La durée de cette intervention est considérée comme un temps de travail effectif.
La période d’astreinte fait l’objet d’une contrepartie, soit sous forme financière, soit sous forme de repos.
Les salariés concernés par des périodes d’astreinte sont informés de leur programmation individuelle dans un délai raisonnable.
L’article 5.4 de la convention collective des maisons d’étudiants du 27 mai 1992 invoqué par la salariée définit l’astreinte dans les termes suivants :
« 5.4.1. Définition
Il s’agit d’une période pendant laquelle le salarié, sans être à la disposition permanente et immédiate de l’employeur, a l’obligation de demeurer à son domicile ou à proximité afin d’être en mesure d’intervenir pour effectuer un travail au service de l’entreprise. La durée de cette intervention est considérée comme un temps de travail effectif (art. L. 3121-5 du code du travail).
[‘]
5.4.7. Rémunération de l’astreinte
Rémunération de l’astreinte
Le temps d’astreinte doit donner lieu au minimum soit :
‘ à une indemnité compensatrice sur la base minimum de 1/12 d’heure par heure d’astreinte. Au-delà de quinze astreintes et dans la limite de vingt et une astreintes, le temps passé en astreinte est rémunéré sur la base de 1/6 d’heure par heure d’astreinte ;
‘ à une indemnité en temps de repos équivalant à l’indemnité numéraire ;
‘ à une indemnité sous une autre forme (par exemple, un logement de fonction) indiquée dans le contrat de travail en contrepartie de l’astreinte.
Le ou les types d’indemnités, relatives aux astreintes, sont déterminés dans le contrat de travail.
En cas de compensation en repos compensateur, le contrat de travail ou un avenant doit en définir les modalités. Le repos doit être pris dans l’année civile en cours. Concernant les astreintes effectuées courant du mois de décembre, la compensation en repos peut être prise l’année civile suivante.
Si un salarié bénéficie, avant l’entrée en vigueur de l’avenant, d’une contrepartie pour astreinte supérieure aux dispositions précédentes, celle-ci lui reste acquise mais ne peut pas se cumuler avec les dispositions précédentes. [‘] ».
En l’espèce, le contrat de travail de Mme [W] [A] ne définit pas d’astreinte de sorte qu’il incombe à la salariée d’établir les éléments constitutifs de l’astreinte téléphonique revendiquée, en démontrant qu’elle s’était vu imposer l’obligation de se tenir prête à intervenir au profit de l’employeur.
D’une première part il ne ressort pas des pièces produites que l’employeur avait expressément imposé des obligations d’astreinte à la salariée.
D’une deuxième part Mme [A] produit la copie de l’affichage apposé dans chaque logement de la résidence, mentionnant les contacts utiles en cas d’urgence, et précisant le numéro du téléphone portable remis à la salariée sous l’intitulé « Astreinte [W]/[N] », avec par ailleurs le numéro de téléphone de l’astreinte assurée par le service de gardiennage.
L’employeur qui soutient que cette affichage a été réalisé à l’initiative des maîtresses de maison, affirme, sans être contredit, qu’il n’avait pas connaissance de cet affichage, les administrateurs ne pénétrant jamais dans l’espace privé des résidents.
En revanche, d’une troisième part, il est acquis aux débats que Mme [W] [K] épouse [A] s’était vue remettre un téléphone portable par son employeur.
Si l’employeur soutient que ce téléphone était destiné à faciliter les échanges entre les maîtresses de maison amenées à circuler dans les établissements, il ressort de l’attestation produite par Mme [V] [S], qui a exercé les mêmes fonctions de mai 2011 à mai 2015, qu’il était destiné à assurer un service de permanence pour les résidents.
Ainsi Mme [S] atteste « courant 2013 la direction nous a remis un téléphone portable pour que les résidents des 2 foyers logement puissent nous joindre lors de la fermeture des bureaux. Le téléphone permettait aux résidents de pouvoir nous joindre en cas de problèmes à tout moment : journée, soir, dimanches et jours fériés compris ».
Par ailleurs plusieurs résidents attestent du fait qu’ils ont utilisé ce numéro de téléphone pour appeler les maîtresses de maison en dehors des heures de bureau et que la salariée est intervenue pour régler les problèmes ainsi signalés.
Dès lors, il est indifférent que d’autres résidents attestent ne pas avoir eu besoin de contacter les maîtresses de maison pour demander un service en dehors des ouvertures de bureau.
Aussi l’employeur soutient vainement que les fonctions exercées par la maîtresse de maison ne nécessitaient pas de service d’astreinte alors que les attestations produites par la salariée mentionnent notamment des interventions pour des nuisances sonores causées par des résidents, un dysfonctionnement des équipements ménagers, ou un oubli de clés.
Et l’attestation rédigée par Mme [B] manque de force probante s’agissant d’une attestation unique rédigée par un membre bénévole de l’association qui relate en des termes imprécis que « Mme [A] et Mme [T] [m’] ont dit qu’elles écoutaient les messages et n’intervenaient que pendant les heures de bureau. »
Enfin le fait que le téléphone portable a été restitué à l’employeur le 5 août 2019 avec la fermeture du premier site alors que le second site restait en fonctionnement ne permet pas d’en déduire que la salariée n’effectuait pas d’astreinte avant la restitution du téléphone.
Il s’évince de ce qui précède que la salariée démontre suffisamment avoir assuré, en dehors de ses heures de travail, un service de permanence téléphonique, dans le cadre de ses fonctions, en utilisant le téléphone portable fourni par son employeur.
D’une quatrième part, le procès-verbal du conseil d’administration du 8 novembre 2016 mentionne « Il est évoqué le problème de l’astreinte qui n’est pas rémunérée à ce jour, mais le temps et les déplacements sont rémunérés. Nous allons nous renseigner auprès de l’UNME » et le procès-verbal du conseil d’administration du 4 avril 2017 indique « En ce qui concerne les astreintes et sans réponse de l’UNME à notre question, il est décidé d’appliquer l’indemnisation de la convention collective ».
En prenant ainsi l’engagement d’appliquer l’indemnisation définie par la convention collective pour les astreintes, le conseil d’administration de l’association a reconnu l’existence du service d’astreinte assuré par la salariée qui restait soumise au pouvoir de direction de l’employeur, peu important que la question avait été initialement soulevée par les salariées.
L’Association générale des familles ne peut donc prétendre que la salariée aurait mis en place de sa propre initiative ce service d’appel téléphonique en dehors des heures de travail.
En conséquence, la salariée est fondée à obtenir une rémunération au titre des astreintes téléphoniques effectuées.
En application des dispositions de l’article L 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence de temps d’astreinte, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux temps d’astreinte qu’il prétend avoir accomplis afin de permettre à l’employeur d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Mme [W] [K] épouse [A] produit un tableau détaillant les heures d’astreinte effectuées les soirs et week-end sur la période du 4 décembre 2016 au 31 juillet 2019 de sorte que ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre.
En réponse l’Association générale des familles avance, sans le démontrer, que la salariée a bénéficié de repos en contrepartie de ces astreintes, alors que la charge de la preuve des temps de repos incombe à l’employeur.
Aussi c’est par un moyen inopérant que l’employeur interroge les raisons qui motivaient les appels et messages émis par le téléphone mis à la disposition de la salariée.
Enfin il invoque une disproportion dunombre d’heures réclamées, sans caractériser d’incohérence quant aux horaires détaillés par la salariée, l’évolution du nombre de résidents étant sans incidence sur les temps d’astreinte.
En conséquence, la salariée est fondée à obtenir la rémunération sollicitée pour les astreintes téléphoniques effectuées, le détail des calculs par application des modalités définies par la convention collective ne faisant l’objet d’aucune critique utile.
Le jugement déféré est donc confirmé en ce qu’il a condamné l’Association générale des familles à payer à Mme [W] [K] épouse [A] la somme de 11 383,00 euros brut à titre de rappels de salaire pour astreinte outre 1 138,30 euros brut au titre des congés payés afférents.
2 ‘ Sur les prétentions au titre d’une prime annuelle :
Il appartient au salarié qui invoque un usage, de rapporter la preuve de son existence et de son étendue et à l’employeur d’établir que l’avantage ne présente pas les caractéristiques d’un usage. Contrairement à l’usage, la tolérance n’oblige pas l’employeur qui peut à tout moment revenir sur celle-ci.
Pour être qualifiée d’usage, présenter un caractère obligatoire pour l’employeur et constituer un élément normal et permanent du salaire, la gratification doit réunir trois critères cumulatifs : être constante dans son attribution, c’est-à-dire versée un certain nombre de fois ; fixe, c’est-à-dire calculée toujours selon les mêmes modalités même si son montant est variable ; et générale, c’est-à-dire attribuée à l’ensemble du personnel ou à une catégorie de salariés.
La dénonciation d’un usage ou d’un engagement unilatéral doit, pour être régulière, être précédée d’un préavis suffisant pour permettre des négociations et être notifiée, outre aux représentants du personnel, à tous les salariés individuellement s’il s’agit d’une disposition qui leur profite.
En l’espèce Mme [W] [K] épouse [A] invoque l’existence d’un usage pour solliciter paiement d’un rappel de prime de fin d’année de 800 euros.
Elle démontre que depuis décembre 2012 elle a perçu chaque année une telle prime pour une montant variant entre 800 et 1 000 euros de sorte que les critères de fixité et de constance sont établis.
En revanche Mme [W] [K] épouse [A] ne produit aucun élément quant aux bénéficiaires de cette prime de sorte qu’elle échoue à démontrer qu’elle était attribuée à l’ensemble du personnel ou à une catégorie de salariés, étant constaté qu’elle n’était pas la seule salariée de l’association employée en qualité de maîtresse de maison.
Il en résulte que l’existence d’un usage n’est pas démontrée.
Par confirmation du jugement déféré, la salariée est donc déboutée de sa demande en paiement d’une prime annuelle.
3 ‘ Sur la contestation du licenciement :
3.1 ‘ Sur le motif économique du licenciement :
D’une première part l’article L.1233-66 du code du travail prévoit, que l’employeur doit proposer au salarié dont il envisage de prononcer le licenciement pour motif économique, un contrat de sécurisation professionnelle qui a pour objet l’organisation et le déroulement d’un parcours de retour à l’emploi, le cas échéant au moyen d’une reconversion ou d’une création d’entreprise.
L’article L 1233-67 du code du travail dispose que l’adhésion du salarié au contrat de sécurisation professionnelle emporte rupture du contrat de travail.
L’Association générale des familles invoque vainement le moyen tiré d’une rupture du contrat par un commun accord des parties alors que le contrat de sécurisation professionnelle signé par la salariée ne constitue qu’une modalité du licenciement pour motif économique de sorte que l’adhésion à ce contrat ne prive pas la salariée du droit de contester le motif économique du licenciement.
D’une seconde part, l’article L 1233-3 du code du travail définit le motif économique dans les termes suivants :
« Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :
1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.
Une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à :
a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;
b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;
c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;
d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ;
2° A des mutations technologiques ;
3° A une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;
4° A la cessation d’activité de l’entreprise.
La matérialité de la suppression, de la transformation d’emploi ou de la modification d’un élément essentiel du contrat de travail s’apprécie au niveau de l’entreprise.
[‘] »
Même s’il peut être tenu compte d’éléments postérieurs, le motif économique doit s’apprécier à la date du licenciement.
Il incombe à l’employeur de démontrer, dans le périmètre pertinent, la réalité et le sérieux du motif invoqué.
En l’espèce dans le courrier du 13 novembre 2019 énonçant le motif économique, l’Association générale des familles expose les difficultés liées à la désaffection du quartier Pracomptal générant une baisse des loyers perçus pour l’année 2018 et une perte de 21 768,00 euros pour le bilan de l’année 2018.
Elle indique qu’elle a pris la décision de fermer le site de Pracomptal et de proposer à Mme [W] [K] épouse [A] une modification de son contrat par une réduction de son temps de travail, du fait de ces difficultés économiques, et que le refus opposé par la salariée l’a conduit à envisager une suppression de son poste ainsi que son licenciement pour motif économique.
Mme [W] [K] épouse [A] soutient, qu’outre le fait que son poste n’a pas été supprimé en ce qu’elle a été remplacée par des emplois intérimaires, l’employeur ne justifie pas des difficultés économiques alléguées.
Aussi il appartient à l’employeur de démontrer en quoi la modification, refusée par la salariée, d’un élément essentiel de son contrat de travail, répondait à des impératifs liés à des difficultés économiques caractérisées.
En l’espèce, par la production des documents comptables et de l’attestation de l’expert-comptable, l’association démontre avoir été confrontée à une baisse de son chiffre d’affaire au cours de deux années successives.
Il en ressort en effet que le chiffre d’affaire annuel qui s’établissant à 112.174,00 euros en 2017, était réduit à 97.715,00 euros en 2018 puis à 84.929,00 euros en 2019.
Aussi le résultat d’exploitation, positif en 2017 (7.917,00 euros), se révélait négatif en 2018 (- 23.722,00 euros) ainsi qu’en 2019 (- 14.269,00 euros)
Enfin le déficit chiffré à – 21.062,00 euros en 2018, était réduit à – 10.784,00 euros en 2019, postérieurement à la fermeture d’un des deux sites.
La baisse du chiffre d’affaire étant caractérisée sur deux années, il importe peu que les éléments produits ne permettent pas une analyse par trimestre contrairement à ce qu’objecte la salariée, la durée d’un trimestre ne constituant qu’un minimum fixé par l’article L 1233-3 précité.
Il en résulte que la réalité des difficultés économiques est établie.
En revanche, s’agissant de la suppression du poste occupé par Mme [A], il ressort des écritures de l’Association générale des familles que pour éviter de recourir à la suppression de l’un des deux postes de maîtresses de maison existant, l’employeur a d’abord envisagé de réduire le temps de travail de chacune, en leur proposant à chacune une réduction de leur temps de travail.
Puis, suite au refus opposé par chacune à la modification de leur contrat de travail, l’employeur a procédé au licenciement des deux salariées concernées sans recherche de reclassement du fait de la suppression des deux postes.
Or, l’employeur confirme avoir eu recours à l’intérim pour exercer les fonctions de maîtresse de maison en alléguant d’un « besoin réel de 21 heures hebdomadaires » sans produire lesdits contrats d’intérim.
Et selon l’attestation établie par l’expert-comptable en date du 30 mars 2021 concernant l’emploi de travailleurs intérimaires, l’association a reçu des factures de l’association APPTE pour un total de 1.647,25 heures de travail sur l’année 2020, avoisinant ainsi un temps complet.
Il résulte de ces explications que l’employeur échoue à démontrer que la suppression du poste de Mme [W] [K] épouse [A] a été effective.
Or, le licenciement de deux salariées exerçant les mêmes tâches, tandis qu’un seul emploi est en réalité supprimé, ne peut reposer sur un motif économique (Soc, 25 février 1992, n°90-40.712).
En conséquence, confirmant le jugement dont appel, le licenciement de Mme [W] [K] épouse [A] est déclaré sans cause réelle et sérieuse.
3.2 ‘ Sur les demandes financières afférentes à la rupture :
D’une première part en application de l’article L 1234-5 du code du travail lorsque le salarié licencié n’exécute pas le préavis, il a droit, sauf s’il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice.
En l’absence de motif économique de licenciement, le contrat de sécurisation professionnelle devenant sans cause, l’employeur est tenu à l’obligation du préavis et des congés payés afférents, sauf à tenir compte des sommes déjà versées.
L’Association générale des familles prétend vainement avoir réglé ce préavis par la contribution versée à Pôle emploi au titre du financement du contrat de sécurisation professionnelle alors que cette contribution n’a pas été versée au salarié.
En conséquence elle est condamnée, par confirmation du jugement dont appel, à payer à Mme [W] [K] épouse [A] une indemnité de préavis d’un montant de 4 494,70 euros brut dont le calcul ne fait l’objet d’aucune critique utile par l’employeur, outre 449,47 euros brut au titre des congés payés afférents.
D’une seconde part, en application de l’article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis ; et, si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux que cet article prévoit.
Mme [W] [K] épouse [A] disposait d’une ancienneté, au service du même employeur, de 17 ans et peut donc prétendre, par application des dispositions précitées, à une indemnisation du préjudice né de la perte injustifiée de son emploi comprise entre 3 et 14 mois de salaire.
Âgée de 60 ans à la date de la rupture, Mme [W] [K] épouse [A] a bénéficié, dans le cadre du dispositif du CSP, du maintien d’une rémunération équivalente à son salaire pendant un an. Elle justifie des indemnités versées par Pôle emploi de décembre 2019 à décembre 2021, caractérisant une perte de revenus mensuelle moyenne avoisinant 1 200 euros, peu important qu’elle ait continué à percevoir une rémunération du fait de ses fonctions d’administrateur auprès de la CAF.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, procédant à une appréciation souveraine des éléments de fait soumis, le moyen tiré de l’inconventionnalité des barèmes se révèle inopérant dès lors qu’une réparation adéquate n’excède pas la limite maximale fixée.
Par conséquent, par réformation du jugement entrepris quant au quantum, il convient de condamner l’Association générale des familles à lui verser la somme de 25 000 euros brut à titre des dommages et intérêts en réparation de son préjudice pour perte d’emploi.
4 ‘ Sur les prétentions au titre de la priorité de réembauche :
L’article L 1233-45 du code du travail dispose que le salarié licencié pour motif économique bénéficie d’une priorité de réembauche durant un délai d’un an à compter de la date de rupture de son contrat s’il en fait la demande au cours de ce même délai.
Dans ce cas, l’employeur informe le salarié de tout emploi devenu disponible et compatible avec sa qualification.
L’article L 1235-13 du même code prévoit qu’en cas de non-respect de la priorité de réembauche, le juge accorde au salarié une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire.
En application de l’article L 1235-14 du même code, dans les entreprises de moins de onze salariés, le salarié peut prétendre, en cas de non-respect de la priorité de réembauche, à une indemnité correspondant au préjudice subi.
Le préjudice consécutif au licenciement sans cause réelle et sérieuse est distinct de celui résultant du non-respect de la priorité de réembauche et les réparations sont cumulables (Soc, 5 octobre 1995, n° 94-40.093).
En cas de litige il appartient à l’employeur de rapporter la preuve qu’il a satisfait à son obligation, soit en établissant qu’il a proposé les postes disponibles et compatibles avec la qualification du salarié, soit en justifiant de l’absence de tels postes.
En l’espèce Mme [W] [K] épouse [A] a sollicité le bénéfice d’une priorité de réembauche par courrier du 4 décembre 2019.
Dès lors elle bénéficiait de cette priorité, peu important le fait qu’elle avait précédemment refusé la proposition de réduction du temps de travail sur le même poste, son refus ne dispensant nullement l’employeur de son obligation de proposer ultérieurement d’autres emplois.
L’employeur expose qu’il a bénéficié de l’aide de bénévoles et qu’il a employé des salariés intérimaires pour un temps de travail moindre à celui proposé dans le cadre de la modification du contrat de travail. Il s’abstient cependant de justifier desdits contrats.
Il résulte donc de ces affirmations qu’il a eu recours à des travailleurs intérimaires pour assurer les fonctions préalablement exercées par Mme [W] [K] épouse [A] et sa collègue.
Et l’employeur affirme, sans en justifier, que ces emplois portaient sur un nombre d’heures de travail inférieur à celui que représentait le poste de Mme [W] [K] épouse [A], alors que par attestation en date du 30 mars 2021, l’expert-comptable vise des factures pour un montant correspondant à 1.647,25 heures de travail sur l’année 2020, soit dans une proportion avoisinant un temps complet.
Il s’évince de ces constatations que l’employeur échoue à justifier de l’absence de poste de disponible, sans prétendre en avoir informé la salariée.
Mme [W] [K] épouse [A] justifie du préjudice résultant de la différence entre le salaire qu’elle aurait perçu si elle avait été réembauchée et le montant des indemnités versées par Pôle emploi, indépendamment de la rémunération de ses fonctions d’administrateur auprès de la CAF.
En conséquence, par infirmation du jugement dont appel, l’Association générale des familles est condamnée à lui verser la somme de 23 000,00 euros net à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la violation de la priorité de réembauche.
5 ‘ Sur les demandes accessoires :
L’Association générale des familles, partie perdante à l’instance au sens des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, doit être tenue d’en supporter les entiers dépens de première instance et d’appel.
En conséquence, la demande indemnitaire au titre des frais irrépétibles qu’elle a engagés est rejetée.
Il serait par ailleurs inéquitable, au regard des circonstances de l’espèce comme des situations économiques des parties, de laisser à la charge de Mme [W] [K] épouse [A] l’intégralité des sommes qu’elle a été contrainte d’exposer en justice pour la défense de ses intérêts, de sorte qu’il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a condamné l’association générale des familles à lui verser la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles engagés, et y ajoutant, de la condamner à lui verser une indemnité complémentaire de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, dans les limites de l’appel, après en avoir délibéré conformément à la loi,
CONFIRME le jugement déféré en ce qu’il a :
– Condamné l’Association générale des familles à payer à Mme [W] [A] les sommes de 11 383,00 euros brut à titre de rappels de salaire pour astreinte outre 1 138,30 euros brut de congés payés afférents,
– Débouté Mme [W] [A] de sa demande en paiement d’un rappel de prime annuelle ;
– Dit que le licenciement pour motif économique de Mme [W] [A] est dénué de cause réelle et sérieuse.
– Condamné l’Association générale des familles à payer à Mme [W] [A] les sommes de 4 494,70 euros brut à titre d’indemnité de préavis, outre 449,47 euros brut au titre des congés payés afférents ;
– Condamné l’Association générale des familles à payer à Mme [W] [A] la somme de 1 000,00 euros brut au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Débouté l’Association générale des familles de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– Condamné l’Association générale des familles aux entiers dépens.
L’INFIRME pour le surplus,
Statuant des chefs du jugement infirmé et y ajoutant,
CONDAMNE l’Association générale des familles à payer à Mme [W] [K] épouse [A] les sommes suivantes :
– 25 000,00 euros brut à titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 23 000,00 euros net à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la violation de la priorité de réembauche,
CONDAMNE l’Association générale des familles à payer à Mme [W] [K] épouse [A] une indemnité complémentaire de 1 500,00 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
REJETTE la demande d’indemnisation de l’Association générale des familles au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE l’Association générale des familles aux entiers dépens d’appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Hélène Blondeau-Patissier, Conseillère faisant fonction de Présidente, et par Madame Mériem Caste-Belkadi, Greffière, à qui la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
La Greffière, La Conseillère faisant fonction de Présidente,