Notion d’utilisateur averti : 21 décembre 2023 Tribunal judiciaire de Paris RG n° 21/08460

·

·

image_pdfEnregistrer (conclusions, plaidoirie)

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Le :
Copie délivrée à Me BAJER PELLET #E2199 (certifiée conforme)
Copie délivrée à Me PECNARD #E1626 (exécutoire)

3ème chambre
1ère section

N° RG 21/08460
N° Portalis 352J-W-B7F-CUVRB

N° MINUTE :

Assignation du :
09 juin 2021

JUGEMENT
rendu le 21 décembre 2023
DEMANDERESSE

S.A.S. WATT AND SEA
Parc Creatio TECH
[Adresse 3]
[Localité 1]

représentée par Me Héloïse BAJER PELLET, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #E2199 & Me Bertrand ERMENEUX de la SELARL AVOXA RENNES, avocat au barreau de RENNES, avocat plaidant

DÉFENDERESSE

Société REMORAN OY
[Adresse 4]
[Localité 2] ( FINLANDE)

représentée par Me Camille PECNARD du Cabinet LAVOIX, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E1626

Décision du 21 décembre 2023
3ème chambre 1ère section
N° RG 21/08460
N° Portalis 352J-W-B7F-CUVRB

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Anne-Claire LE BRAS, 1ère Vice-Présidente Adjointe
Madame Elodie GUENNEC, Vice-présidente
Monsieur Malik CHAPUIS, Juge,

assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière

DEBATS

A l’audience du 18 septembre 2023 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 14 décembre 2023.
Le délibéré a été prorogé au 21 décembre 2023.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

La société par actions simplifiée Watt and Sea, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de La Rochelle depuis le 4 août 2009, conçoit, fabrique et commercialise des systèmes d’énergie embarqués pour des bateaux de plaisance et de course au large.
Elle est notamment titulaire d’un modèle communautaire d’hydrogénérateur n°001783523-0001, enregistre΄ le 19 novembre 2010 et intitulé « Cruising » :

Elle revendique également la protection du droit d’auteur sur cet hydrogénérateur.
La société de droit finnois Remoran OY, immatriculée depuis le 11 janvier 2018, a été créée par le groupe Pasatel OY en vue d’assurer la commercialisation d’un hydrogénérateur appelé « Remoran Wave 3 » qu’elle commercialise depuis le 7 février 2020. Elle est d’ailleurs titulaire d’un dessin et modèle communautaire n°006557112-0001 déposé le 31 mai 2019, publie΄ le 23 octobre 2019 et incorporé dans son produit.

Considérant que le modèle d’hydrogénérateur Remoran Wave 3 contrefaisait son modèle communautaire Cruising n°001783523-0001 et que la société Remoran OY avait imité son manuel d’instructions afférent, la société Watt and Sea a, par courrier recommandé avec accusé de réception du 7 mai 2020, mis en demeure la société Remoran OY de notamment cesser toute production et commercialisation du modèle d’hydrogénérateur Remoran Wave 3.
Par un courrier du 27 mai 2020, la société Remoran OY a contesté, par l’intermédiaire de son conseil finnois, les arguments de la demanderesse et a refusé de se conformer aux demandes de cette dernière.
Par acte d’huissier du 9 juin 2021, la société Watt and Sea a assigné la société Remoran OY à titre principal en contrefaçon du dessin et modèle de l’Union européenne n°001783523-0001 et en concurrence déloyale et parasitaire et à titre subsidiaire, en contrefaçon de droit d’auteur.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 2 février 2023, la société Watt and Sea demande au tribunal, au visa des livres I et IV du code de propriété intellectuelle, de l’article 10 bis et de l’article 19 de la Convention de l’Union de Paris du 20 mars 1883 et l’article 1240 du code civil, de :
– Rejeter la demande de la société Remoran OY en nullité du modèle communautaire 001783523-0001 ;
– Déclarer la société Watt and sea recevable à agir en contrefaçon de son modèle communautaire 001783523-0001 ;
– Déclarer que la société Remoran OY a commis des actes de contrefaçon de modèle et subsidiairement de droit d’auteur du modèle communautaire 001783523-0001 au préjudice de la société Watt and Sea ;
– Déclarer que la société Remoran OY a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire au préjudice de la société Watt and Sea ;

En conséquence,
– Interdire à la société Remoran OY de fabriquer et de commercialiser l’hydroge΄ne΄rateur juge΄ contrefaisant en France et sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne ;
– Ordonner la destruction des stocks sous contrôle d’huissier dans les 10 jours de la signification du jugement à peine de 1 000 euros par jour de retard, à charge pour la société Remoran OY d’en justifier sous délai ;

– Condamner la société Remoran OY à payer à la société Watt and Sea la somme de 300 000 euros au titre de la contrefaçon, somme à parfaire ;
– Condamner la société Remoran OY à payer à la société Watt and Sea la somme forfaitaire de 50.000 euros au titre de la concurrence déloyale ;

– Autoriser la société Watt and Sea à publier la décision par extrait de son choix dans 3 journaux de son choix, au frais des sociétés Remoran OY, chaque insertion ne devant pas excéder la somme de 5 000 euros H.T;
– Ordonner la publication aux frais de la société Remoran OY sur la page d’accueil de son site internet « www.remoran.eu », du dispositif traduit en anglais et en finnois du jugement à intervenir, en partie supérieure de la page d’accueil du site internet de la société Remoran OY «https://remoran.eu/ » ou de toute autre nom de domaine s’il venait à changer, au-dessus de la ligne de flottaison, dans la partie centrale du premier écran de présentation qui s’affiche, de façon visible, et en caractère “Times new roman”, de taille 14, sans italique, de couleur noire et sur fond blanc, sans mention ajoutée, dans un encadre΄ de 468 x 120 pixels, en dehors de tout encart publicitaire, le texte devant être immédiatement précédé du titre COMMUNIQUE JUDICIAIRE, traduit en anglais et en finnois, en lettre capitale, de taille 18, sans italique, de couleur noire sur fond blanc, pendant une durée de deux mois à compter de sa première mise en ligne et ce, dans un délai de 48 heures à compter de la signification du jugement à intervenir, sous peine d’astreinte définitive de 1 500 euros par jour de retard ;
– Condamner la société Remoran OY aux entiers dépens et à payer la somme de 35 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Ordonner l’exécution provisoire.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 24 janvier 2023, la société Remoran OY demande au tribunal, au visa du articles 25, 82 et 83 du Règlement (CE) n° 6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires, du Règlement de Bruxelles 1 bis, de l’article L. 522-1 du code de la propriété intellectuelle et le chapitre Ier du titre V du code de la propriété intellectuelle, des articles L. 521-7, L. 111-1, L. 122-1 et suivants et L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle, de l’article 1240 du code civil et des articles 514-1, 699 et 700 du code de procédure civile, de :- Débouter la société Watt and sea de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
– Juger que les demandes formulées par la société Watt and sea ne peuvent concerner que des faits prétendument commis sur le territoire national français ;
– Juger que le modèle communautaire n°001783523-0001 est nul ;
– Juger que l’hydrogénérateur “Cruising” n’est pas protégé par le droit d’auteur ;
– Juger que la société Watt and sea ne peut bénéficier d’aucune protection au titre de la concurrence déloyale ou du parasitisme ;
En tout état de cause,
– Juger que la société Remoran OY n’a pas commis d’actes de contrefaçon du dessin et modèle communautaire n°001783523-0001 ;

– Juger que la société Remoran OY n’a pas commis d’actes de contrefaçon de droit d’auteur ;
– Juger que les procès-verbaux du 27 novembre 2020 sont nuls ;
– Juger que la société Remoran OY n’a pas commis d’actes de concurrence déloyale et parasitaire ;

En conséquence,
– Débouter la société Watt and sea de l’ensemble de ses demandes ;
– Juger que les demandes d’interdiction et de publication seront limitées au territoire de la France ;
– Juger que la décision à intervenir ne sera pas exécutoire à titre provisoire ;
– Condamner la société Watt and sea à payer à la société Remoran OY la somme de 110 000 euros, sauf à parfaire, au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner la société Watt and sea à rembourser à la société Remoran OY les frais afférents au constat d’huissier du 15 novembre 2021, au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner la société Watt and sea à payer à la société Remoran OY l’ensemble des frais de justice, en ce compris les frais de constat d’huissier, qui seront recouvrés par [X], en la personne de Maître Camille Pecnard, selon l’article 699 du code de procédure civile.

L’instruction de l’affaire a été close par une ordonnance du 7 février 2023 et l’affaire plaidée à l’audience du 18 septembre 2023.

MOTIVATION

I. La demande en nullité reconventionnelle du modèle communautaire Cruising n°001783523-0001
La société Remoran OY sollicite reconventionnellement la nullité du modèle communautaire Cruising n°001783523-0001 pour défaut de nouveauté et de caractère individuel et fait valoir à ce titre que : – le tribunal n’est pas lié par le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 14 novembre 2013 (« Cristec ») ayant rejeté la nullité du modèle litigieux et dont le raisonnement présente d’évidentes lacunes ;
– elle soumet à l’examen du tribunal de nouvelles antériorités qui n’ont pas été discutées lors du précèdent litige ;
– l’étude des hydroge΄ne΄rateurs du marché démontre que les principaux éléments composant leur forme, à savoir le mat ou mâtereau, la partie cylindrique et la turbine sont récurrents ;
– la demanderesse ne démontre pas quelles caractéristiques du modèle Cruising auraient été déterminées par des considérations non liées à la fonctionnalité ;
– parmi les caractéristiques revendiquées par la société Watt and sea « le casque de fixation gris métallisé », « la forme arrondie du casque de fixation », et « le positionnement du casque fixation sur le mat », ne figurent pas sur l’enregistrement de dessin et modèle communautaire de sorte qu’il ne peut en être tenu compte pour l’examen de la validité ;
– le modèle Cruising est dépourvu de nouveauté et de caractère individuel au regard de trois antériorités qui divulguent chacune l’ensemble de ses caractéristiques ;
– le modèle Cruising est dépourvu de caractère individuel au regard de sept antériorités ;
– la société Watt and Sea se contente de façon systématique d’affirmer que les milieux spécialisés n’auraient pas pu connaître ces antériorités sans en apporter la moindre preuve.
– L’utilisateur averti est défini comme étant un skipper.
Décision du 21 décembre 2023
3ème chambre 1ère section
N° RG 21/08460
N° Portalis 352J-W-B7F-CUVRB

La société Watt and Sea expose que :- si la défenderesse sous-entend que le modèle n°001783523-0001 serait en tout ou partie dictée par des exigences techniques et fonctionnelles, elle ne fonde pourtant pas sa demande en nullité sur ce fondement, n’invoquant que le prétendu défaut de nouveauté et de caractère propre ;
– en argumentant sur un prétendu caractère basique et récurrent des hydroge΄ne΄rateurs, la défenderesse remet en question la validité de son propre modèle d’hydroge΄ne΄rateur dont elle a demandé la protection dans de nombreux pays ;
– le fait que les hydroge΄ne΄rateurs doivent répondre à des contraintes techniques n’empêche pas une marge de créativité dans leur conception ;
– conformément au jugement du 14 novembre 2013, le modèle Cruising se différencie des autres hydroge΄ne΄rateurs par un parti pris esthétique qui se caractérise par le choix de la couleur uniforme blanc laque΄ du haut du mâtereau jusqu’aux pales de l’hélice, ainsi que des courbes douves grâce à l’aspect monobloc rendu par la jonction harmonieuse entre les différentes pièces, la continuité entre le mâtereau lui-même affine΄ longiligne et profile΄, la forme cylindrique du fût, ainsi que la terminaison de l’hélice en ellipse ;
– aucune des dix prétendues antériorités invoquées ne constitue une divulgation du modèle n° 001783523-0001 et celles-ci procurent des impressions visuelles d’ensemble différentes.
– Elle ne donne aucune définition précise de sa conception de l’utilisateur averti.

Sur ce,

L’article 25(1)(b) du Règlement n°6/2002 dispose qu’“1.Un dessin ou modèle communautaire ne peut être déclaré nul que : […] b) s’il ne remplit pas les conditions fixées aux articles 4 à 9″.
L’article 7 du Règlement énonce, à propos de la divulgation du dessin et modèle, qu’ “aux fins de l’application des articles 5 et 6, un dessin ou modèle est réputé avoir été divulgué au public s’il a été publié à la suite de l’enregistrement ou autrement, ou exposé, utilisé dans le commerce ou rendu public de toute autre manière, avant la date visée à l’article 5, paragraphe 1, point a), et à l’article 6, paragraphe 1, point a), ou à l’article 5, paragraphe 1, point b), et à l’article 6, paragraphe 1, point b), selon le cas, sauf si ces faits, dans la pratique normale des affaires, ne pouvaient raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur concerné, opérant dans la Communauté. Toutefois, le dessin ou modèle n’est pas réputé avoir été divulgué au public s’il a seulement été divulgué à un tiers sous des conditions explicites ou implicites de secret”.
La Cour de justice rappelle dans son arrêt du 21 septembre 2017 Easy Sanitary Solutions BV (Aff. C-361/15 et C-405/15 P, §64) que “conformément aux articles 5 à 7 du règlement n° 6/2002, à l’appréciation du caractère nouveau et du caractère individuel du dessin ou modèle contesté et […] la comparaison que celle-ci implique entre les dessins ou modèles en cause (…) exige de disposer d’un dessin ou modèle antérieur précis et déterminé”.
Pour apprécier le caractère individuel et nouveau du modèle “Cruising”, un examen des différentes antériorités soulevées en défense doit être effectué, l’analyse retenu par le jugement du tribunal Judiciaire de Paris du 14 novembre 2013 ne liant pas le présent tribunal. Le modèle “Cruising” est un hydrogénérateur composé de quatre éléments, à savoir un mâtereau (mât), un fût en forme cylindrique, une turbine et un dispositif de fixation.
Cependant, certains des modèles ou brevets présentés comme des antériorités par la défenderesse ne comportent qu’une photographie de faible qualité, inexploitable pour apprécier la validité du modèle “Cruising”. Les antériorités éléments D 3, 4, 5 et 10 ne peuvent ainsi être qualifiées de précises et déterminées et ne peuvent donc permettre d’écarter la nouveauté du modèle, ni l’absence de caractère individuel de celui-ci.
Sur la nouveauté

Concernant la nouveauté du dessin et modèle, l’article 5 du même Règlement prévoit que : “1. Un dessin ou modèle est considéré comme nouveau si aucun dessin ou modèle identique n’a été divulgué au public: (…)b) dans le cas d’un dessin ou modèle communautaire enregistré, avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement du dessin ou modèle pour lequel la protection est demandée ou, si une priorité est revendiquée, la date de priorité.
2. Des dessins ou modèles sont considérés comme identiques lorsque leurs caractéristiques ne diffèrent que par des détails insignifiants.”

La différence de proportion entre certaines des antériorités revendiquées (D7, D8, D9), qui concernent des brevets pour des avions entraine une distinction suffisante pour écarter l’absence de nouveauté du modèle “Cruising”.
De même, le modèle litigieux est le seul à présenter une apparence monobloc. La présence de pédale sur le modèle D2 entraine également une différence suffisante avec le modèle “Cruising”.
La différence de couleur (D1, D2) et du nombre ou de la forme de l’hélice (D2, D6, D7, D8, D9) sont également notables.
Au surplus, l’élément D1 se distingue du modèle litigieux par l’absence de forme arrondie en banane du mâtereau. L’ensemble de ces distinctions ne représentant pas des détails insignifiant, les dessins et modèles ne peuvent être considérés comme étant identiques.
Enfin, les documents D8 et D9, qui sont des thèses se rapportant à des équipements aéronautiques, ne peuvent être considérés comme étant raisonnablement connus des milieux spécialisés du secteur de la pratique normale des affaires. Il n’y a donc pas de divulgation établie pour ces deux antériorités.
Le caractère nouveau du modèle “Cruising” est donc établi, faute de divulgation antérieure de modèles identiques.
La demande en nullité est rejetée.
Sur le caractère individuel

L’article 6 du Règlement précise, concernant le caractère individuel du dessin et modèle que “1. Un dessin ou modèle est considéré comme présentant un caractère individuel si l’impression globale qu’il produit sur l’utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public: […] b) dans le cas d’un dessin ou modèle communautaire enregistré, avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement ou, si une priorité est revendiquée, avant la date de priorité.
2. Pour apprécier le caractère individuel, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle.”

La Cour de Justice définit également, dans son arrêt du 20 octobre 2011, dit PepsiCo, Inc./Grupo Promer Mon Graphic SA, la notion de d’utilisateur averti, qui “doit être comprise comme une notion intermédiaire entre celle de consommateur moyen, applicable en matière de marques, auquel il n’est demandé aucune connaissance spécifique et qui en général n’effectue pas de rapprochement direct entre les marques en conflit, et celle d’homme de l’art, expert doté de compétences techniques approfondies. Ainsi, la notion d’utilisateur averti peut s’entendre comme désignant un utilisateur doté non d’une attention moyenne mais d’une vigilance particulière, que ce soit en raison de son expérience personnelle ou de sa connaissance étendue du secteur considéré”. Le degré de liberté du créateur doit également être déterminé pour apprécier le caractère individuel.
Afin d’apprécier le caractère individuel du modèle “Cruising”, l’utilisateur averti doit être déterminé, à savoir un observateur doté d’une vigilance particulière, en raison de son expérience personnelle ou de sa connaissance étendue du secteur considéré.
En l’espèce, l’objet dans lequel le modèle est incorporé est un hydrogénérateur, un équipement nautique, utilisable pour des bateaux. L’utilisateur averti est donc une personne, professionnelle ou pratiquant régulier, familière du pilotage de ce type de navire pouvant utiliser ce modèle et en comprendre les caractéristiques essentielles outre celles, purement esthétiques, sans utilité pratique.
Le créateur de l’hydrogénérateur doit prendre en compte ses caractéristiques techniques tenant, pour l’essentiel, à l’introduction d’une hélice dans l’eau au moyen d’un dispositif relié au bateau. En outre, le créateur du modèle, qui doit prendre en considération les fonctionnalités techniques du modèle, qui est utilisé dans l’eau, pas démontré qu’il est particulièrement contraint au-delà de cette exigence en l’état des éléments débattus par les parties. Les antériorités débattues par les parties permettent à ce titre de constater l’existence d’une grande diversité de forme et d’agencement de ces composants permettant de qualifier de degré de liberté du créateur d’élevé.
L’élément D1 est un prototype, qui n’est pas de la même couleur que le modèle litigieux, qui ne se présente pas en monobloc (celui-ci étant noir et métallique et non blanc) et qui ne présente pas la même forme de mâtereau (du fait de l’absence d’arrondi en forme de banane). L’impression visuelle est donc distincte.
L’élément D2 est également un prototype, dont la couleur diffère de celle du modèle litigieux (les hélices et pédales sont noires), dont les bras sont en pointe, utilisé avec un système de pédale et sans forme monobloc. Le nombre de pâle diffère également (2 contre 3). Ainsi, l’impression visuelle est distincte.
L’élément D6 D11 et 2 désignent un produit moteur de hors-bord. Celui-ci n’est donc pas un hydrogénérateur, ne présente par ailleurs pas de forme monobloc, et possède des hélices de couleur orange, distinctes de celles du modèle litigieux. Un aileron est également présent, à l’inverse du modèle “Cruising”. L’impression visuelle est donc distincte.
L’élément D7 et celui D8 concernent des brevets, déposés aux Etats Unis, pour une aile d’avion (les dimensions ne sont donc pas les mêmes), les proportions des hélices sont différentes, les pâles celles-ci étant beaucoup plus grandes que celles du modèle litigieux. La forme du modèle (monobloc chez Cruising) et des hélices, diffèrent également. Enfin, le modèle de turbine D7 se présente à l’horizontale, et non à la verticale comme l’hydrogénérateur en question.
Enfin, l’élément D9 est une thèse de 1968 à Oklahoma. L’aspect monobloc, caractéristique de l’hydrogénérateur “Cruising” ne se retrouve pas, puisque la partie composée de l’hélice et des pâles semble dissociée du reste du modèle. A fortiori, l’élément D9 ne présente pas d’hélice sur tous les clichés, et ses dimensions ne sont pas les mêmes puisqu’il s’agit, ici encore d’une utilisation pour un avion.
Au surplus, les documents D8 et D9, qui sont des thèses se rapportant à des équipements aéronautiques, ne peuvent être considérés comme étant raisonnablement connus des milieux intéressés spécialisés du secteur, ici des hydrogénérateurs pour bateaux de plaisance, de la pratique normale des affaires. Il ne peut donc être réputé divulgué au sens de l’article 7 règlement n°6/2002 précité.
Le caractère individuel du modèle “Cruising” est donc établi.
II. Sur la contrefaçon du modèle communautaire Cruising n°001783523-0001

La société Watt and Sea soutient que l’hydroge΄ne΄rateur Remoran Wave 3 commercialisé par la défenderesse contrefait son modèle communautaire Cruising n°001783523-0001 au motif que l’impression visuelle d’ensemble produite par le produit litigieux sur un utilisateur averti, à savoir un connaisseur du secteur de la navigation marine, est la même que celle produite par le modèle Cruising dès lors que d’évidentes ressemblances se constatent entre les deux produits :- la forme à l’aspect « monobloc » ;
– la pièce en forme de banane au sommet du mat ;
– la couleur blanche du mat ;
– le nom/marque de l’hydroge΄ne΄rateur appose΄ sur le mâtereau ;
– le fût cylindrique en bas du mâtereau ;
– l’hélice tripale au bout du fût ;
– l’hélice avec terminaison elliptique ;
– l’orientation cette hélice tripale.

La société Remoran se livre à une comparaison détaillée des produits eu égard aux ressemblances invoquées par la demanderesse dont elle tire que l’impression d’ensemble suscitée par son produit est différente de celle du modèle “Cruising” de sorte qu’aucune contrefaçon ne peut lui être reprochée. Ainsi, le produit “Remoran Wave 3” serait plus trapu, aurait un diamètre proportionnellement plus important et étant plus court, sans aspect monobloc, et possédant un casque de fixation.
Sur ce,

L’article 10 §1 du règlement (CE) n° 6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001 dispose que :“la protection conférée par le dessin ou modèle communautaire s’étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l’utilisateur averti une impression visuelle globale différente”.
L’article 14, « Droit au dessin ou modèle communautaire », paragraphe 1. du règlement 6/2002 du 12 décembre 2001 dit que « le droit au dessin ou modèle communautaire appartient au créateur ou à son ayant droit (…) ».
L’article 19 du même règlement (CE) n° 6/2002 précise quant à lui que “ le dessin ou modèle communautaire enregistré confère à son titulaire le droit exclusif de l’utiliser et d’interdire à tout tiers de l’utiliser sans son consentement. Par utilisation au sens de la présente disposition, on entend en particulier la fabrication, l’offre, la mise sur le marché, l’importation, l’exportation ou l’utilisation d’un produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé ou auquel celui-ci est appliqué, ou le stockage du produit à ces mêmes fins.”

De même, l’article L. 515-1 du code de la propriété intellectuelle, applicable en vertu de l’article L. 522-1 du même code, énonce : “ Toute atteinte aux droits définis par l’article 19 du règlement (CE) n° 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur”.
Ainsi qu’il précède, l’utilisateur averti est un professionnel ou un pratiquant régulier, familier du pilotage de ce type de navire pouvant utiliser ce modèle et en comprendre les caractéristiques essentielles outre celles, purement esthétiques, sans utilité pratique.

Le créateur de l’hydrogénérateur doit prendre en compte ses caractéristiques techniques tenant, pour l’essentiel, à l’introduction d’une hélice dans l’eau au moyen d’un dispositif relié au bateau. En outre, le créateur du modèle, qui doit prendre en considération les fonctionnalités techniques du modèle, qui est utilisé dans l’eau, pas démontré qu’il est particulièrement contraint au-delà de cette exigence en l’état des éléments débattus par les parties. Les antériorités débattues par les parties permettent à ce titre de constater l’existence d’une grande diversité de forme et d’agencement de ces composants permettant de qualifier de degré de liberté du créateur d’élevé.
En l’espèce, si la forme de l’aspect monobloc peut sembler reprise dans le modèle “Remoran Wave 3”, notamment du fait de l’unicité de la couleur, il apparait clairement que les deux parties du modèle sont dissociées, contrairement au modèle “Cruising” (qui lui n’est pas télescopique).
La forme arrondie du mâtereau n’est pas exactement similaire, celle du modèle “Remoran Wave 3” étant bien plus inclinée que celle du modèle “Cruising”.
Le fait que le modèle “Cruising” et celui “Remoran Wave 3” soient constitués d’un fût cylindrique et d’une hélice tripale ne suffit pas à procurer une impression visuelle globale identique, cette configuration se retrouvant par ailleurs chez de nombreux modèles de ce type.
Enfin, les noms des Watt and Sea et Remoran Oy, bien qu’apposés au même endroit sur les modèles, dans des tons proches, sont suffisamment distincts pour que l’impression globale de l’utilisateur averti soit différente en fonction des deux modèles.
Il en résulte que le produit en litige et le modèle ne peuvent produire sur l’utilisateur averti une impression visuelle d’ensemble identique à raison de leurs différences.
La contrefaçon n’est pas établie. Les demandes tendant à sa réparation sont rejetées.
III. Sur la contrefaçon des droits d’auteur sur le modèle Cruising n°001783523-0001
La société Watt and Sea revendique la protection du droit d’auteur sur son modèle Cruising dont elle tire l’originalité de sa physionomie propre et de son esthétisme particulier, s’éloignant de la froideur première des matériaux qui composent l’hydrogénérateur et qui n’existait jusqu’àlors pas sur le marché. Elle souligne également l’impression esthétique épurée et harmonieuse qui ressort de l’observation de son oeuvre, renforcée par le choix des courbes, arrondies, et des couleurs douces du produit.
Elle précise que le design particulier de l’hydrogénérateur a été récompensé à plusieurs reprises.
Elle déduit une contrefaçon de son droit d’auteur sur le modèle Cruising par la société Remoran OY des ressemblances qu’elle recense entre l’hydroge΄ne΄rateur Remoran Wave 3 et ledit modèle :- la forme d’un aspect monobloc ;
– le mâtereau longiligne, mince et profile΄ qui reprend la courbure ;
– la continuité du carénage tout le long du mâtereau et entre le mâtereau et le fût cylindrique ; la pièce en forme de banane au sommet du mat ;
– la couleur blanche ;
– le nom/marque de l’hydroge΄ne΄rateur appose΄ sur le mâtereau ;
– le fût cylindrique en bas du mâtereau comprenant un petit renflement de carénage à l’extrémité de la turbine ;
– l’hélice tripale au bout du fût, avec terminaison elliptique.

La société Remoran OY fait valoir que l’hydrogénérateur de la société Watt and sea est dépourvu d’originalité dès lors que : – une personne morale ne peut pas avoir la qualité d’auteur et qu’aucun auteur personne physique n’est identifié dans l’assignation de la société Watt and sea ;
– le blanc est une couleur froide qui associée au noir ne permet pas de s’éloigner de la froideur première des matériaux ;
– l’effet monobloc et la courbure du mâtereau ne relèvent pas d’un choix artistique et original mais de considérations techniques, puisqu’ils permettent de réduire la trainée ;
– les prix et nomination revendiqués par la demanderesse ont trait à des compétitions récompensant des créations techniques et utilitaires et non des œuvres d’art en tant que telles.

Elle ajoute qu’en toute hypothèse, la contrefaçon n’est pas caractérisée au motif que :- les critères de contrefaçon du droit d’auteur et des dessins et modèles diffèrent et la démonstration de l’une ne saurait emporter démonstration de l’autre ;
– la couleur blanche de l’hydrogénérateur de la société Watt and Sea est fonctionnelle ;
– dans la mesure où le mâtereau de l’hydrogénérateur Remoran Wave 3 est rétractable, le produit ne peut ni être un « monobloc », ni être mince et profilé ;
– la partie supérieure de l’hydrogénérateur Remoran Wave 3 n’a pas la forme d’une banane ;
– la demanderesse ne démontre pas en quoi l’emplacement de la marque sur le mâtereau reflèterait la personnalité de son auteur et les inscriptions présentes sur chacun des hydrogénérateurs diffèrent.

Sur ce,

Sur l’originalité :

L’oeuvre, au sens du code de propriété intellectuelle, est l’oeuvre de l’esprit prévue à l’article L. 111-1 selon lequel l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur l’œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial. La protection d’une œuvre de l’esprit est acquise à son auteur du fait de la création d’une forme originale, en ce sens qu’elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur et n’est pas la banale reprise d’un fonds commun non appropriable. L’article L.112-2, 10° du code de propriété intellectuelle vise spécialement les oeuvres des arts appliqués.
De plus, en vertu de l’article L.513-2 du même code, la protection au titre du droit d’auteur peut se cumuler avec les protections accordées au titre des dessins et modèles.
Cette solution se retrouve en dessin et modèle communautaire, consacrée notamment par la cour de Justice. (CJUE, Arrêt de la Cour, Cofemel – Sociedade de Vestuário SA contre G-Star Raw CV., 12/09/2019, C-683/17).
En l’espèce, la caractéristique principale de ce type d’hydrogénérateur “Cruising” est sa forme monobloc, qui permet d’une part une impression de continuité du carénage sur tout le long du mâtereau et sur le fût cylindrique, et qui, d’autre part, donne à ce modèle une impression arrondie “en forme de goutte d’eau”, profilée.
De plus, il ressort du modèle “Cruising” un certain esthétisme qui se traduit par les formes épurées et harmonieuses de l’hydrogénérateur. Cet esthétisme est d’ailleurs renforcé par cet aspect monobloc, profilé qui semble rappeler la forme d’une goutte d’eau.
Enfin, la combinaison de cet aspect monobloc et de l’esthétisme du modèle “cruising”, dans son ensemble, permet de dégager des choix arbitraires dans la conception de l’hydrogénérateur. Le schéma créatif de conception n’a donc pas uniquement été dicté par des considérations techniques.
L’originalité de l’oeuvre est donc caractérisée, et celle-ci bénéficie d’une protection au titre du droit d’auteur.
Sur la titularité des droits :

Il est de jurisprudence constante que la présomption d’auteur est accordée à la personnalité morale ayant divulgué et exploité l’oeuvre. Ainsi, l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation rappelle par son arrêt du 24 mars 1993 énonce que “la société qui exploite commercialement (…) doit, toutefois, en l’absence de toute revendication de la part de la ou des personnes physiques ayant réalisé les clichés, être présumée, à l’égard des tiers contrefacteurs, titulaire des droits sur les oeuvres en cause.”
En l’espèce, la société Watt and Sea rapporte bien la preuve de la divulgation de son oeuvre, à savoir une exploitation commerciale, non équivoque du modèle “Cruising”. Elle bénéficie donc des droits d’auteur attachés à cette oeuvre, en sa qualité de titulaire des droits patrimoniaux du modèle.
Sur la contrefaçon :

En application des dispositions des articles L. 122-1 et L. 122-4 du code de la propriété intellectuelle, le droit d’exploitation appartenant à l’auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction, et toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite.
Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque.La contrefaçon d’une œuvre protégée par le droit d’auteur, qui n’implique pas l’existence d’un risque de confusion, consiste dans la reprise de ses caractéristiques reconnues comme étant constitutives de son originalité.

La contrefaçon s’apprécie selon les ressemblances et non d’après les différences. Elle ne peut toutefois être retenue lorsque les ressemblances relèvent de la reprise d’un genre et non de la reproduction de caractéristiques spécifiques de l’œuvre première.
En vertu du développement établi au stade de la comparaison des hydrogénéréateurs, les ressemblances alléguées en demande ne suffisent pas à établir la reprise des caractéristiques établissant l’originalité de l’oeuvre de la société Watt and Sea. L’aspect monobloc de l’hydrogénérateur “cruising”, qui contribue en grande partie à la caractérisation de l’originalité de cette oeuvre, n’est pas reproduit par celui en litige, pas plus que la forme arrondie de celui-ci. L’esthétisme de l’hydrogénérateur “Cruising” renvoie à une forme de goutte d’eau, qui lui est propre et n’est pas reproduit chez l’autre hydrogénérateur.
La contrefaçon n’est donc pas caractérisée, les demandes de la société Watt and Sea à ce sujet sont rejetées.
IV. Sur la concurrence déloyale et parasitaire

IV. 1. Sur la concurrence déloyale

La société Watt and Sea fait valoir que :- la présentation du manuel technique de l’hydrogénérateur Remoran Wave 3 est une reprise du manuel technique du modèle Cruising commercialisé par la société Watt and sea ;
– l’hydrogénérateur Remoran Wave 3 reprend la combinaison de couleurs de l’hydrogénérateur Cruising.

La société Remoran OY répond que :- un manuel utilisateur accompagne un produit et ne constitue pas en soi un élément différenciateur entre deux produits, visant à rallier la clientèle ;
– le contenu du manuel utilisateur et de la documentation technique accompagnant un produit est en partie dicté par la règlementation relative aux marques CE ;
– les couleurs bleue et verte sont courantes dans l’univers nautique ainsi que dans le secteur des énergies renouvelables et la demanderesse ne démontre pas en quoi cette combinaison de couleurs lui serait spécifique ;
– les teintes de vert et de bleu utilisées ne sont pas les mêmes entre les deux sociétés et ne sont pas utilisées de la même façon dans chacun des manuels.

Sur ce,

Selon l’article 10 bis de la Convention d’Union de Paris du 20 mars 1883 : “1. Les pays de l’Union sont tenus d’assurer aux ressortissants de l’Union une protection effective contre la concurrence déloyale. 2. Constitue un acte de concurrence déloyale tout acte de concurrence contraire aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale.
3. Notamment devront être interdit : tous faits quelconques de nature à créer une confusion par
n’importe quel moyen avec l’établissement, les produits ou l’activité industrielle ou commerciale d’un concurrent (…)”.

La concurrence déloyale, fondée sur le principe général de responsabilité civile édicté par l’article 1240 du code civil, consiste en des agissements s’écartant des règles générales de loyauté et de probité professionnelle applicables dans la vie des affaires tels que ceux créant un risque de confusion avec les produits ou services offerts par un autre.Elle suppose la caractérisation d’une faute en lien de causalité avec un préjudice.

La société demanderesse reproche à la société Remoran Oy d’utiliser un manuel technique qui entraine une confusion pour sa clientèle avec son propre manuel. Or ce manuel technique est normé par la réglementation relative aux marques communautaires, et présente nécessairement des similitudes, puisque les deux produits sont très proches. La technique d’utilisation est identique, justifiant notamment l’utilisation d’un croquis du modèle immergé. Les avertissements d’utilisation sont également les mêmes, mais leur présentation diffère. Enfin ce manuel sert à comprendre l’utilisation du produit et n’est pas en soit un outil de publicité. Le risque de confusion par la clientèle n’est donc pas caractérisé.
Concernant la reprise des combinaisons de couleurs de l’hydrogénérateur Cruising, par le modèle Remoran Wave 3, le choix des couleurs bleu, vert et blanc, apparait banal, au regard de leur activité nautique. En outre, les tons des couleurs sont différents, de même que la typographie des signes sur les hydrogénérateurs respectifs.
Aucun préjudice n’est donc démontré à ce titre, faute de constitution d’actes de concurrence déloyale.
Infondée, la demande est donc rejetée.

IV. 2. Sur le parasitisme

La société Watt and Sea expose que la société Remoran OY a profité des investissements, des recherches et du savoir-faire de la société Watt and sea. S’appuyant sur le contenu d’un constat d’huissier qu’elle a fait diligenter, elle fait valoir à ce titre que :- l’intérieur de l’hydroge΄ne΄rateur Remoran Wave 3 est quasi-identique au modèle Cruising ;
– la clé de démontage, spécifiquement conçue par la socie΄té Watt and sea pour pouvoir ouvrir ses hydroge΄ne΄rateurs s’adapte parfaitement à l’hydroge΄ne΄rateur Remoran Wave 3.

La société Remoran OY répond que :
Sur le constat d’huissier : – les opérations préliminaires du constat sur lequel la société Watt and sea fonde sa prétention n’ont pas été effectuées sous le contrôle de l’huissier de sorte qu’il existe un doute particulièrement sérieux sur la traçabilité du produit objet des constats ;
– en impliquant un potentiel prospect de la société Remoran OY dans une procédure intentée à son encontre, la demanderesse a cherché à ternir la réputation de la société Remoran OY sur le marché des hydrogénérateurs ;
– l’huissier ne s’est pas limité à de simples constatations purement matérielles mais a procédé aux mêmes types d’observations que si une saisie-contrefaçon avait été ordonnée ;
– le comportement du tiers acheteur et les propos de l’huissier démontrent la tentative de la société Watt and sea de détourner le constat pour mener des mesures d’instructions exorbitantes, sans autorisation d’un juge.

Sur les actes de parasitisme 
– la reproduction des caractéristiques esthétiques de son hydrogénérateur invoquée par la société Watt and Sea au titre du parasitisme ne constitue pas un fait distinct de la contrefaçon alléguée ;
– la société Watt and sea ne caractérise pas les investissements intellectuels, financiers ou humains qui auraient été exposés par elle pour la mise au point du mécanisme électrique interne qui, au demeurant, présente des différences substantielles avec celui de l’hydrogénérateur Remoran Wave 3 ;

Sur ce,

Le parasitisme, qui trouve son fondement dans la responsabilité extracontractuelle de l’article 1240 du code civil, se définit comme l’ensemble des comportements par lequel un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire.Elle suppose la caractérisation d’une faute en lien de causalité avec un préjudice.

De plus, si le parasitisme peut être invoqué en addition d’une demande en contrefaçon, les faits reprochés doivent être distincts de ceux résultant de ladite contrefaçon. (Civ. 1re, 30 sept. 2015, no 14-19.105).
Il ressort du procès-verbal du 27 novembre 2022 réalisé par l’huissier de Justice M. [B] [Z], que celui-ci a pu vérifier l’intégrité du colis reçu, celui-ci énonçant que “ce carton est fermé par quatre bandes de ruban adhésif qui sont intactes et ne présentent aucune trace de décollement. Il n’y a sur le carton aucune autre trace de ruban adhésif retiré et les quatre rubans adhésifs, en place et sans trace d’ouverture, ne permettent aucunement l’ouverture du carton”. La force probante de ce constat n’est donc pas utilement remise en cause par la société Remoran OY.
Il apparait, à la suite d’une comparaison visuelle des intérieurs des deux hydrogénérateur que ceux-ci sont quasiment similaires, la clef de démontage de la société Watt and Sea s’adaptant d’ailleurs à celui du concurrent. Certaines distinctions demeurent cependant, notamment la largeur des bouchons arrières et la dimension des anneaux. Pour autant, la société demanderesse échoue à démontrer qu’en réalisant ces caractéristiques, elle a produit des investissements intellectuels, financiers ou humains. Faute d’efforts ou de savoir-faire démontrés, une reprise fautive de ces éléments ne peut être caractérisée.
De plus, la reproduction des caractéristiques esthétiques ne constitue pas un fait distinct de la contrefaçon pour dessin et modèle ou droit d’auteur invoquée.
V. Sur les dispositions finales

La société Watt and Sea qui succombe, est condamnée aux dépens de l’instance.
Elle sollicite, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, le remboursement d’un constat d’huissier pour lequel elle ne justifie d’aucune facture ; une attestation comptable est versée à ce titre mais celle-ci ne précise pas le détail des dépenses réalisées.
Elle sera donc condamnée à payer à la société Remoran OY la somme de 15 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, somme appréciée en équité à défaut d’autre justificatif ou d’acc

ord des parties sur son montant.

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL 

REJETTE la demande de la société Remoran OY en nullité du modèle communautaire 001783523-0001 ;

REJETTE les demandes principales et celles subséquentes ;

CONDAMNE la société Watt and Sea à payer à la société Remoran OY la somme de 15 000 €, au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Watt and Sea à payer à la société Remoran OY l’ensemble des frais de justice, qui seront recouvrés par le cabinet [X], en la personne de Maître Camille Pecnard, selon l’article 699 du Code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 21 décembre

 

Points juridiques associés :