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Notation négative du salarié : que dit le RGDP ?
La suppression informatique des données personnelles concernant un salarié (notation négative) est un droit au sein des groupes de sociétés.
La juridiction a ordonné à la Poste de supprimer de ses fichiers toutes donnés informatiques permettant de conserver ou de traiter les données relatives au salarié et pouvant nuire à sa candidature ou à son emploi dans une des sociétés du groupe.
Au terme de la lettre de licenciement, Monsieur [J] [V] a été informé qu’à compter de la mise en oeuvre du licenciement, ses coordonnées personnelles seraient intégrées dans une solution informatique de la poste qui rendrait un avis négatif à toute candidature qu’il présenterait pour intégrer à nouveau un service du groupe La Poste, ces données étant conservées pendant 10 ans.
Un astérix situé à la fin de ce paragraphe renvoie au paragraphe suivant :
« ce traitement dont le responsable est [Adresse 2], est réalisé en vertu de ses intérêts légitimes.
Vous disposez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement et d’opposition. Vous pouvez l’exercer par mail à l’adresse contact [Courriel 4] ou à l’adresse postale visée ci-dessus.
Pour contacter le délégué à la protection des données du groupe La Poste, lui écrire à [Adresse 2]. En cas de difficulté en lien avec la gestion de vos données personnelles vous pouvez introduire une réclamation auprès de la commission nationale de l’informatique et des libertés »
Monsieur [J] [V] soutient que ce fichier informatique méconnaît les règles du RGPD qui autorise chaque personne à bénéficier du respect de sa vie privée et limite à trois ans la conservation des données personnelles, la loi informatique et libertés, l’article 226’18 du code pénal qui interdit la collecte des données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite et l’article L 1332-5 du code du travail qui interdit à un employeur d’invoquer à l’appui d’une nouvelle sanction une sanction antérieure de plus de trois ans.
La société LA POSTE soutient qu’en l’absence de centralisation des données RH entre les différentes structures du groupe LA POSTE, il est nécessaire qu’elle intègre dans une solution informatique les données personnelles des salariés licenciés pour motif disciplinaire afin d’empêcher qu’un salarié licencié pour un tel motif puisse postuler immédiatement au sein d’une autre structure du groupe.
Elle souligne que depuis l’entrée en vigueur du RGPD en mai 2018, la déclaration de traitement des données à caractère personnel auprès de la CNIL n’est plus nécessaire, et a été remplacée par l’obligation pour le responsable de traitement de déclarer les traitements dans un registre, ce qui a été fait.
La réglementation générale de protection des données personnelles (RGPD) qui s’impose aux états membres de l’Union Européenne est entrée en vigueur depuis le 25 mai 2018.
Pour pouvoir être mis en oeuvre, tout traitement de données doit se fonder sur l’une des six bases légales prévues par le RGPD : le consentement, l’exécution d’un contrat ou mesure précontractuelle, l’obligation légale, la sauvegarde des intérêts vitaux, la mission d’intérêt public et l’intérêt légitime.
Le RGPD impose que le consentement soit libre, spécifique, éclairé et univoque.
L’article 5, paragraphe 1, du RGPD reprend les principes directeurs relatifs au traitement des données personnelles, déjà consacrés par la directive 95/46/CE.
Sont ainsi rappelés : le principe de licéité, loyauté et transparence dans le traitement des données, le principe de finalité, selon lequel les données sont collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes et ne doivent pas être traitées ultérieurement d’une manière incompatible avec ces finalités ; le principe de nécessité et minimisation des données qui doivent être traitées de façons adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités ; le principe d’exactitude des données ; le principe de limitation de la durée de conservation ; le principe d’intégrité des données et protection de la confidentialité.
La Cour a rappelé que le principe de finalité était essentiel à la protection des individus et que « les dérogations et les restrictions au principe de la protection de telles données doivent s’opérer dans les limites du strict nécessaire » ( CJUE, 24 févr. 2022, aff. C-175/20, SS SIA ).
La personne concernée a le droit d’obtenir du responsable du traitement l’ effacement de données à caractère personnel la concernant.
Le responsable du traitement a alors l’obligation d’effacer ces données dans les meilleurs délais.
Toutefois, ce droit n’est pas général et ne peut être obtenu que pour certains motifs limitativement énumérés, par exemple si les données ne sont plus nécessaires au regard des finalités pour lesquelles elles ont été collectées ou si la personne concernée retire le consentement sur lequel est fondé le traitement.
Des exceptions à l’effacement sont cependant prévues, lorsque le traitement est nécessaire :
– à l’exercice du droit à la liberté d’expression et d’information ;
– pour respecter une obligation légale qui requiert le traitement ;
– pour des motifs d’intérêt public dans le domaine de la santé publique ;
– à des fins archivistiques dans l’intérêt public, à des fins de recherche scientifique ou historique ou à des fins statistiques ;
– à la constatation, à l’exercice ou à la défense de droits en justice.
La loi informatique et libertés de 1978 qui s’applique à l’échelon national a été modifiée pour respecter le RGPD.
Elle prévoit notamment que les données :
– sont collectées et traitées de manière loyale et licite
– sont collectées pour des finalités déterminées et légitimes
– sont adéquates, pertinentes et non excessives
– ne peuvent porter sur l’origine ethnique, les opinions politiques, religieuses, l’appartenance syndicale, la santé ou l’orientation sexuelle
C’est à juste titre que, en application de ces textes, Monsieur [J] [V] fait valoir son droit à la suppression de ses données personnelles du fichier litigieux.
En effet, il n’a pas donné son consentement à la conservation de ses données personnelles pendant 10 ans et la société LA POSTE ne justifie pas d’un intérêt légitime à les conserver pendant cette durée.
Le jugement de première instance sera infirmé en ce qu’il l’a débouté de cette demande et il convient d’ordonner à la poste de supprimer de ses fichiers toutes donnés informatiques permettant de conserver ou de traiter les données relatives à Monsieur [J] [V] et pouvant nuire à sa candidature ou à son emploi dans une des sociétés du groupe.
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
20 mars 2024
Cour d’appel de Reims
RG n°
22/01757
Arrêt n°
du 20/03/2024
N° RG 22/01757
IF/ML
Formule exécutoire le :
à :
COUR D’APPEL DE REIMS
CHAMBRE SOCIALE
Arrêt du 20 mars 2024
APPELANT :
d’un jugement rendu le 12 septembre 2022 par le Conseil de Prud’hommes de CHALONS EN CHAMPAGNE, section Encadrement (n° F 21/00146)
Monsieur [J] [V]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté par la SELARL IFAC, avocats au barreau de l’AUBE
INTIMÉE :
La S.A. LA POSTE
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Flore PEREZ, avocat au barreau de REIMS et par la SELARL KLP PARTNERS, avocat au barreau de PARIS
DÉBATS :
En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 24 janvier 2024, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Isabelle FALEUR, conseiller, chargé du rapport, qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 20 mars 2024.
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
Monsieur François MÉLIN, président de chambre
Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller
Madame Isabelle FALEUR, conseiller
GREFFIER lors des débats :
Madame Maureen LANGLET, greffier placé
ARRÊT :
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur François MÉLIN, président de chambre, et Madame Maureen LANGLET, greffier placé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
FAITS ET PROCEDURE
Monsieur [J] [V] a été engagé par la société LA POSTE à compter du 3 février 2020 par contrat à durée déterminée en qualité de directeur des ressources humaines, positions ingénieur et cadre supérieur, niveau III A, groupe A, affecté au centre financier de [Localité 3].
Le terme de ce contrat, conclu pour assurer un relais sur le poste de DRH entre la date de sa création et l’entrée en service à venir du nouveau titulaire recruté par la poste, était fixé au 7 août 2020.
Par avenant du 30 juin 2020, le contrat à durée déterminée a été renouvelé jusqu’au 9 octobre 2020.
Le 1er octobre 2020, le conseil de prud’hommes de Châlons-en-Champagne, statuant en référé, a ordonné la poursuite de la relation de travail entre Monsieur [J] [V] et la société LA POSTE, dans l’attente de la décision à venir sur le fond du litige portant sur la demande de requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée présentée par le salarié.
Le 9 octobre 2020, le conseil de prud’hommes de Châlons-en-Champagne a requalifié le contrat de travail à durée déterminée de Monsieur [J] [V] en contrat à durée indéterminée et condamné la société LA POSTE à lui payer une indemnité de requalification d’un montant de 5 863 euros.
Le 3 février 2021, Monsieur [J] [V] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, puis convoquée devant la commission consultative paritaire.
Il a été licencié pour faute grave le 5 mai 2021.
Monsieur [J] [V] a saisi le conseil de prud’hommes de Châlons-en-Champagne le 15 juillet 2021 pour contester son licenciement et former diverses demandes de nature salariale et indemnitaire.
Aux termes de ses dernières conclusions, il a demandé au conseil de prud’hommes de Châlons-en-Champagne :
– de le juger recevable et bien fondé en ses demandes ;
– de juger son licenciement nul ;
– de condamner la société LA POSTE à lui payer les sommes suivantes :
. 17’499 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 1 749,90 euros de congés payés afférents
. 2 187,37 euros d’indemnité légale de licenciement
. 350’000 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul
. 66’301,77 euros de rappel de salaires correspondant à la période d’éviction avant réintégration outre 6 630,18 euros de congés payés afférents
. 50’000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral
. 2 500 euros au titre des frais irrépétibles
– d’ordonner à la société LA POSTE de justifier, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du huitième jour suivant la notification du jugement, de la suppression de toute donnée informatique permettant de conserver et de traiter toute information relative à sa personne et pouvant nuire à sa candidature ou à son emploi dans une des sociétés du groupe LA POSTE, le conseil se réservant la faculté de liquider l’astreinte ;
– d’ordonner l’exécution provisoire de la totalité de la décision en application de l’article R 1454-28 du code du travail ;
– de juger que la société LA POSTE devra rembourser les frais d’huissier en cas d’exécution forcée en application de l’article 10 du décret 96-10 80 du 12 décembre 1996 ;
Aux termes de ses conclusions, la société LA POSTE a demandé au conseil de prud’hommes :
– de juger que le licenciement de Monsieur [J] [V] reposait sur une faute grave ;
– de juger que la violation d’une liberté fondamentale ne pouvait être relevée à son encontre ;
– de débouter Monsieur [J] [V] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
– de débouter Monsieur [J] [V] de sa demande au titre de l’exécution provisoire, à tout le moins de subordonner une éventuelle exécution provisoire au dépôt d’une consignation équivalente auprès de la caisse des dépôts et consignations ;
– de condamner Monsieur [J] [V] à lui payer les sommes suivantes :
. 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive
. 3 000 euros au titre des frais irrépétibles
– de condamner Monsieur [J] [V] aux dépens ;
Par jugement du 12 septembre 2022, le conseil de prud’hommes de Châlons-en-Champagne a :
– dit que le licenciement de Monsieur [J] [V] n’était pas nul ;
– dit que le licenciement de Monsieur [J] [V] reposait sur une faute grave ;
– débouté Monsieur [J] [V] de ses demandes financières, d’indemnité de préavis, d’indemnité de congés payés sur préavis, d’indemnité de licenciement, d’indemnité pour licenciement nul, de rappel de salaires et congés payés sur rappel de salaires ;
– débouté Monsieur [J] [V] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
– débouté Monsieur [J] [V] de sa demande de suppression de toute donnée informatique le concernant pouvant nuire à sa candidature ou à son emploi dans une des sociétés du groupe La Poste sous astreinte ;
– débouté Monsieur [J] [V] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné Monsieur [J] [V] à payer à la société LA POSTE la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles ;
– débouté la société LA POSTE de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
– débouté les parties de leurs plus amples demandes ou prétentions contraires ;
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire du jugement ;
– dit que chacune des parties supporterait ses propres dépens ;
Le 10 octobre 2022, Monsieur [J] [V] a interjeté appel du jugement de première instance en ce qu’il a jugé que son licenciement n’était pas nul et l’a débouté de ses demandes indemnitaires et salariales.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 18 décembre 2023 et l’affaire a été appelée à l’audience du 24 janvier 2024 pour être mise en délibéré au 20 mars 2024.
EXPOSE ET MOYENS DES PARTIES
Aux termes de ses conclusions notifiées par RPVA le 13 mars 2023, auxquelles en application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, Monsieur [J] [V] demande à la cour :
D’INFIRMER le jugement rendu par le conseil de prud’hommes en date du 12 septembre 2022 en ce qu’il a :
– dit que son le licenciement n’était pas nul ;
– dit que son le licenciement reposait sur une faute grave ;
– l’a débouté de ses demandes financières, d’indemnité de préavis, d’indemnité de congés payés sur préavis, d’indemnité de licenciement, d’indemnité pour licenciement nul, de rappel de salaires et congés payés sur rappel de salaires ;
– l’a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
– l’a débouté de sa demande de suppression de toute donnée informatique le concernant pouvant nuire à sa candidature ou à son emploi dans une des sociétés du groupe La Poste sous astreinte ;
– l’a débouté de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– l’a condamné à payer à la société LA POSTE la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles ;
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire du jugement ;
– dit que chacune des parties supporterait ses propres dépens ;
DE CONFIRMER le jugement rendu par le conseil de prud’hommes en ce qu’il a débouté la société LA POSTE de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
DE DEBOUTER la société LA POSTE de l’intégralité de ses demandes ;
Statuant à nouveau,
A titre principal,
DE CONSTATER que sa requête est recevable et bien fondée et juger que son licenciement est nul ;
DE CONDAMNER en conséquence la société LA POSTE à lui payer les sommes suivantes :
. 17’499 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 1 749,90 euros de congés payés afférents
. 2 187,37 euros à titre d’indemnité légale de licenciement
. 350’000 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul
A titre subsidiaire,
DE JUGER que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;
DE CONDAMNER en conséquence la société LA POSTE à lui payer les sommes suivantes :
. 17’499 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 1749,90 euros de congés payés afférents
. 2 187,37 euros à titre d’indemnité légale de licenciement
. 350’000 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul
DE CONDAMNER la société LA POSTE à lui payer les sommes suivantes :
. 66’301,77 euros de rappel de salaires correspondant à la période d’éviction avant réintégration à raison de 5 833 euros bruts par mois outre 6 630,18 euros de congés payés afférents
. 50’000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral
. 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
D’ORDONNER à la société LA POSTE de justifier, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du huitième jour suivant la notification du jugement, de la suppression de toute donnée informatique permettant de conserver et de traiter toutes informations le concernant pouvant nuire à sa candidature ou à son emploi dans une des sociétés du groupe La Poste ;
DE JUGER que la société LA POSTE devrait lui rembourser les frais d’huissier en cas d’exécution forcée en application de l’article 10 du décret 96’10 80 du 12 décembre 1996 ;
Monsieur [J] [V] affirme qu’il a subi un harcèlement moral après la requalification de son contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée en raison des agissements de son employeur qui a insisté de manière agressive pour lui faire signer une délégation de responsabilité non nécessaire à ses fonctions et non conforme à la pratique habituelle, refusé d’appliquer le jugement ordonnant la requalification de la relation de travail, refusé de lui accorder la possibilité d’assister à la commission de discipline en visioconférence, dénigré systématiquement sa personne et son activité, fait preuve d’agressivité dans la relation de travail ayant conduit à un malaise sur son lieu de travail que La Poste a refusé de soumettre à la législation relative aux risques professionnels.
Monsieur [J] [V] soutient que son licenciement est nul en raison de la violation d’une liberté fondamentale, la société LA POSTE l’ayant licencié en réponse à l’action judiciaire qu’il a menée pour faire requalifier son contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée.
Il soutient que, dès lors que la lettre de licenciement fait directement référence à une procédure contentieuse engagée ou envisagée par le salarié, le licenciement est nul sans que l’employeur soit admis à apporter la preuve contraire et à justifier de faits fondant un licenciement pour cause réelle et sérieuse.
Il souligne qu’en l’espèce la lettre de licenciement mentionne expressément son action judiciaire aux fins de requalification de son contrat de travail en contrat à durée indéterminée.
A titre subsidiaire, Monsieur [J] [V] soutient que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse, seul son refus temporaire de signer une délégation de pouvoir étant matériellement vérifiable. Il soutient que l’acceptation d’une telle délégation est un acte grave pour un salarié cadre, que son contrat de travail ne comporte pas de délégation de pouvoir et que l’acceptation d’une telle délégation non prévue contractuellement constitue une modification du contrat de travail que l’employeur ne peut imposer au salarié.
Il ajoute qu’il a fini par accepter de signer la délégation de pouvoir, trois semaines avant l’engagement de la procédure de licenciement, et conteste que son refus de la signer auparavant ait entravé le fonctionnement du service des ressources humaines et ce d’autant que Madame [P] [Z], qui a été embauchée le jour même du jugement du conseil de prud’hommes ordonnant la requalification de son contrat de travail, exerçait la fonction de directrice des ressources humaines au centre financier de Châlons-en-Champagne qui disposait donc d’une DRH opérationnelle.
Monsieur [J] [V] soutient qu’il a subi une mise à l’index illégale après son licenciement dans la mesure où la société LA POSTE lui a notifié que ses coordonnées personnelles seraient intégrées pendant 10 ans dans une base de données informatique, dans le but de faire obstacle à toute candidature dans un autre service du groupe La Poste et ce au mépris de la RGPD qui autorise chaque personne à bénéficier du respect de sa vie privée et limite à trois ans la conservation des données personnelles, de la loi informatique et libertés, de l’article 226’18 du code pénal et de l’article L 1332-5 du code du travail.
Aux termes de ses conclusions notifiées par RPVA le 9 février 2023, auxquelles en application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, la société LA POSTE demande à la cour :
DE CONFIRMER le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Châlons-en-Champagne le 12 septembre 2022 en ce qu’il a jugé que le licenciement de Monsieur [J] [V] reposait sur une faute grave et l’a débouté de ses demandes indemnitaires ;
D’INFIRMER le jugement du conseil de prud’hommes de Châlons-en-Champagne du 12 septembre 2022 en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes reconventionnelles ;
En conséquence,
DE JUGER que le licenciement de Monsieur [J] [V] repose sur une faute grave ;
DE JUGER qu’aucune violation d’une liberté fondamentale ne peut être relevée à son encontre ;
En conséquence,
DE DEBOUTER Monsieur [J] [V] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
DE DEBOUTER Monsieur [J] [V] de sa demande au titre de l’exécution provisoire, et à tout le moins de la subordonner au dépôt d’une somme d’argent équivalente auprès de la caisse des dépôts et consignations ;
DE FAIRE droit à ses demandes reconventionnelles ;
DE CONDAMNER Monsieur [J] [V] à lui payer les sommes suivantes :
. 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive
. 3 000 euros au titre des frais irrépétibles
DE CONDAMNER Monsieur [J] [V] aux dépens.
La société LA POSTE conteste tout fait de harcèlement moral.
Elle expose que sa demande de signature de la délégation de responsabilité était justifiée par la mission confiée au salarié, que la dispense d’activité avec maintien de la rémunération sur la période comprise entre le 12 octobre 2020 et le 23 octobre 2020 a été prise en accord avec le salarié pour permettre d’envisager les modalités de sa réintégration effective au sein de la société en parallèle de la prise de poste de Madame [Z], nouvelle DRH à compter du 1er octobre 2020.
Elle ajoute qu’elle a strictement appliqué la décision de justice dans la mesure où Monsieur [J] [V] a été maintenu à son poste de directeur des ressources humaines, sa rémunération, ses conditions de travail et ses missions demeurant identiques.
Elle expose qu’elle a justifié auprès de Monsieur [J] [V] de la raison de l’impossibilité d’assister à la commission consultative paritaire en visioconférence en application des textes internes.
Enfin, elle conteste le dénigrement systématique de Monsieur [J] [V] et de son activité et souligne que ce dernier ne lui a jamais fait part d’un malaise dont il aurait été victime sur son lieu de travail.
La société LA POSTE soutient que le seul fait que l’action en justice exercée par un salarié soit contemporaine d’une mesure de licenciement ne fait pas présumer que celle-ci procède d’une atteinte à la liberté fondamentale d’agir en justice et que, lorsque les faits invoqués dans la lettre de licenciement caractérisent une cause réelle et sérieuse de licenciement, il appartient au salarié de démontrer que la rupture de son contrat de travail constitue une mesure de rétorsion à une action en justice introduite pour faire valoir ses droits.
Elle fait valoir que le licenciement de Monsieur [J] [V] n’a pas été contemporain à la saisine du conseil de prud’hommes de Châlons-en-Champagne aux fins d’obtenir la requalification de son contrat de travail et qu’il ne sanctionne pas l’action judiciaire du salarié.
Elle ajoute que la référence faite à l’action judiciaire menée par Monsieur [J] [V] dans le cadre de la lettre de licenciement n’est qu’une donnée contextuelle visant à lui rappeler les responsabilités inhérentes à son poste de directeur des ressources humaines et ne constitue en rien un reproche ou une sanction à son action en justice.
La société LA POSTE fait valoir que Monsieur [J] [V] a commis une faute grave :
– en refusant, pendant plusieurs mois et malgré les demandes réitérées de ses responsables hiérarchiques, de signer une délégation de pouvoir lui permettant d’exercer la plénitude de ses missions. Elle soutient que cette délégation de pouvoir était nécessaire à l’exercice de ses missions et notamment en matière disciplinaire, de recrutement, de mobilité et de promotion tant du personnel régi par le droit privé que des fonctionnaires.
La société LA POSTE souligne que ce n’est que le 15 janvier 2021, soit après plus de 11 mois d’exercice de ses fonctions que Monsieur [J] [V] a accepté de signer la délégation de pouvoir et que l’inconsistance des arguments qu’il a soulevés pour s’opposer à la signature de cette délégation démontrent une abstention volontaire gravement fautive de sa part, traduisant une mauvaise foi et une insubordination.
Elle ajoute qu’il n’a pu, de ce fait, exercer l’intégralité de ses missions quotidiennes qui ont dû être assumées par ses supérieurs.
– en s’abstenant d’organiser la transition pour assurer la continuité du service à la suite du départ de la conseillère en évolution professionnelle dont il avait été averti dès le mois de septembre 2020
– en faisant preuve de négligence sur les missions qui lui étaient confiées en dépit des nombreux rappels à l’ordre de sa hiérarchie
MOTIFS
Sur le harcèlement moral
L’article L 1152-1 du code du travail dispose qu’aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Au terme de l’article L 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L 1152-1 à L 1152-3 et L 1153-1 à L 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
En application des articles L1152-1 et L1154-1 du code du travail, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral , il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L1152-2 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Les échanges de courriers électroniques produits aux débats par les deux parties démontrent que la société LA POSTE a insisté pendant plusieurs mois pour que Monsieur [J] [V] signe une délégation de pouvoir.
En revanche, c’est à tort que Monsieur [J] [V] affirme que la société LA POSTE a refusé d’appliquer la décision du conseil de prud’hommes. En effet, conformément à la décision judiciaire, il a été maintenu sur son poste de directeur des ressources humaines du centre financier de [Localité 3].
S’il a fait l’objet d’une dispense d’activité, avec maintien de sa rémunération, entre le 12 octobre 2020 et le 23 octobre 2020, c’est en accord avec son employeur, formalisé par un écrit signé par les deux parties, afin de permettre d’envisager les modalités de l’organisation de la direction des ressources humaines dans la mesure où Madame [Z] nommée directrice des ressources humaines du centre financier de [Localité 3], par la voie interne, prenait son poste à compter du mois de novembre 2020.
Monsieur [J] [V] soutient que la société LA POSTE lui a fait comprendre qu’il n’était pas le bienvenu et que le jugement ne serait pas appliqué dans la durée, mais il procède par affirmation et les échanges de courriels, notamment avec la responsable du centre financier de [Localité 3], démontrent une communication de la part de l’employeur empreinte de respect.
La société LA POSTE justifie qu’elle a immédiatement pris les mesures pour résoudre le problème informatique que Monsieur [J] [V] a rencontré le vendredi 31 décembre 2021 et qu’il avait les mêmes accès aux salles de réunion que les autres membres du CODIR.
Monsieur [J] [V] reproche à son employeur de lui avoir refusé la possibilité d’assister à la réunion de la commission consultative paritaire du 23 mars 2021 en visioconférence.
Ce fait est établi par un courrier électronique émanant de la juriste coordinatrice en droit social de la société LA POSTE, qu’il produit en pièce 15.
Monsieur [J] [V] soutient que la société LA POSTE dénigrait systématiquement sa personne et son activité.
Toutefois il ne produit aucun élément au soutien de son affirmation.
Il affirme que l’agressivité de son employeur, dans les relations de travail, ont conduit à un malaise sur son lieu de travail.
Au soutien de son allégation, il produit un échange de courriers électroniques avec le médecin du travail et notamment un courrier électronique en date du jeudi 12 novembre 2020 à 10h37 dans lequel il informe le médecin du travail qu’il vient d’éprouver une douleur stomacale intense, ‘comme un coup de poignard’, qu’il est resté à son bureau plusieurs minutes avant que cela ne s’estompe progressivement.
Ces échanges de courriers électroniques ne sont corroborés par aucune autre pièce, notamment médicale. A aucun moment Monsieur [J] [V] n’a prévenu son employeur d’un quelconque malaise sur son lieu de travail.
Il est donc établi que la société LA POSTE a insisté pour que le salarié signe une délégation de pouvoir et qu’il n’a pas pu assister à la commission de discipline en visioconférence.
Ces éléments sont insuffisants pour laisser présumer des faits de harcèlement moral étant souligné que Monsieur [J] [V] exerçait des fonctions de directeur des ressources humaines, qu’en cette qualité il devait prendre des décisions nécessitant une délégation de pouvoir et que la juriste coordonnateur en droit social de la société LA POSTE, tout comme la présidente de la commission consultative paritaire ont expliqué au salarié que les textes internes de la société LA POSTE sur le fonctionnement des commissions consultatives paritaires imposaient que la communication du dossier ait lieu au siège de la commission et excluait le recours à la visioconférence pour les formations disciplinaires.
Le jugement de première instance sera confirmé en ce qu’il a débouté Monsieur [J] [V] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral.
Sur la nullité du licenciement de Monsieur [J] [V]
Dans son arrêt du 6’février 2013 n° 11-11.740, la chambre sociale de la Cour de Cassation a consacré la liberté d’ester en justice en tant que liberté fondamentale au visa de l’article’6 §’1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.
Par ailleurs, il résulte de l’alinéa premier du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales qu’est nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale constitutionnellement garantie, le licenciement intervenu en raison d’une action en justice introduite ou susceptible d’être introduite par le salarié à l’encontre de son employeur.
L’article L 1235-3-1 du code du travail, dans sa version applicable au litige dispose que L’article
L 1235-3 n’est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d’une des nullités prévues au deuxième alinéa de cet article, nullités parmi lesquelles figure la violation d’une liberté fondamentale. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Lorsque le licenciement est, même partiellement, motivé par l’exercice d’une action en justice, ce motif est dirimant et interdit à la cour d’examiner les autres motifs susceptibles d’avoir présidé à la rupture, sous réserve de la possibilité pour le juge, et seulement si l’employeur lui en a fait la demande, de prendre en compte les autres motifs de rupture qui y seraient énoncés pour minorer, le cas échéant, le montant de l’indemnisation à accorder au salarié.
Par ailleurs, lorsque la lettre de licenciement fait état de la procédure introduite par le salarié, mais sans la lui reprocher, le juge doit analyser précisément le contenu de la lettre de licenciement pour déterminer le lien de causalité entre l’action en justice et le licenciement ainsi que l’a jugé la chambre sociale de la cour de cassation dans un arrêt du 20 janvier 2021, pourvoi n 19-21.196.
Au cas présent, la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige fait grief à Monsieur [J] [V] d’avoir refusé de signer sa délégation de pouvoir pendant plusieurs mois, en dépit de demandes réitérées de sa hiérarchie, alors qu’une telle délégation de pouvoir était nécessaire pour qu’il puisse réaliser l’ensemble de ses missions, de s’être, de ce fait, placé dans l’impossibilité d’assumer la totalité du poste de DRH et d’avoir adopté une attitude d’insubordination faisant par ailleurs courir des risques juridiques à l’établissement.
Elle lui reproche également de ne pas avoir anticipé et d’avoir mal géré la continuité du service à la suite du départ de la CEP dont il avait été informé plusieurs mois auparavant.
La lettre de licenciement comporte le paragraphe suivant : « (…) Vous étiez parfaitement au fait de l’étendue de vos responsabilités et des obligations qui étaient les vôtres, dont notamment celle de signer une délégation de pouvoir. Plus encore, eu égard à votre parcours professionnel, vous aviez parfaitement conscience qu’une délégation de pouvoir était nécessaire pour réaliser l’ensemble de vos missions et occuper pleinement vos fonctions. Pourtant vous n’avez pas retourné l’acceptation de cette délégation de pouvoir, ni porté ou signalé une quelconque question sur le contenu de cette dernière et ce pendant neuf mois, jusqu’à ce que l’on vous demande de régulariser votre situation administrative. Par le biais d’une action judiciaire vous avez obtenu la requalification de votre contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée le 9 octobre 2020. Vous avez donc été maintenu sur le poste que vous occupiez en tant que directeur des ressources humaines au sein du centre financier de Châlons. Le 9 novembre 2020, votre supérieure hiérarchique vous a rappelé et demandé de régulariser votre acceptation de délégation de pouvoir, en vous signalant que cette situation était porteuse de risques pour la direction, ayant estimé qu’il s’agissait d’un simple oubli de transmission de votre part. Pourtant, lors de ce premier échange durant lequel votre manager vous rappellera qu’il vous revenait d’accepter toutes les responsabilités qui sont les vôtres depuis votre entrée en fonction au mois de février 2020, vous répondrez ‘je ne signe pas un document qui engage la responsabilité à la légère et qu’en tant que contrat à durée déterminée qui ne connaît pas l’entreprise je n’allais pas endosser ce genre de responsabilité’ démontrant par la même le peu de considération et d’engagement professionnel pour le poste que vous occupez.
Ce premier refus, qui sera suivi de nombreux autres, est totalement incompréhensible au vu notamment de votre volonté de vous maintenir dans nos effectifs sur le poste de directeur des ressources humaines. Lors de tous les entretiens managériaux que votre supérieure aura auprès de vous à compter de cette date, celle-ci réitérera ses demandes formelles pour procéder à la régularisation de la situation et vous n’aurez alors de cesse de contester sa demande en vous plaçant, de fait, vous-même dans l’impossibilité d’exercer pleinement votre fonction en refusant d’accepter la délégation de pouvoir qui vous était présentée. (…) »
Il résulte de cette rédaction que la lettre de licenciement fait référence à l’action judiciaire introduite par Monsieur [J] [V] devant le conseil de prud’hommes de Châlons-en-Champagne mais sans lui en faire grief. Elle rappelle seulement qu’en tant que directeur des ressources humaines, en contrat à durée déterminée comme contrat à durée indéterminée après la requalification de son contrat de travail, il lui incombait de signer la délégation de pouvoir nécessaire au plein exercice de ses fonctions.
Cette référence ne peut à elle seule entraîner la nullité du licenciement de Monsieur [J] [V] pour violation d’une liberté fondamentale.
Il appartient toutefois à la société LA POSTE d’établir que le licenciement est sans lien avec l’action judiciaire introduite par Monsieur [J] [V].
Si les pièces produites aux débats par la société LA POSTE, et notamment des échanges de courriers électroniques, sont insuffisantes pour établir que le salarié a mal géré le départ de la conseillère en évolution professionnelle et la transition pour assurer la continuité du service, il est en revanche établi que Monsieur [J] [V] a refusé de signer la délégation de pouvoir qui lui permettait d’assurer la gestion des personnels du centre financier conformément à ses missions et à ses responsabilités de directeur des ressources humaines, et ce jusqu’au 15 janvier 2021 contraignant sa direction à assumer certaines décisions à sa place.
Une délégation de pouvoir a été présentée à Monsieur [J] [V] pour signature lors de son embauche du 3 février 2020, ainsi qu’en témoigne la secrétaire de direction dans l’attestation que la société LA POSTE produit aux débats.
Dans le cadre d’un mail interne échangé entre Madame [K], directrice du centre financier, et ses collaborateurs, avant même l’arrivée de Monsieur [J] [V] en poste, elle les informait de son futur recrutement et précisait qu’il convenait de prévoir les délégations à signer dès le premier jour.
Il est en effet établi par la fiche de poste produite aux débats par l’intimée que le directeur des ressources humaines pilote la mise en ‘uvre des processus et actions RH conformément aux obligations légales et réglementaires en vigueur. A ce titre il doit prendre les décisions en matière disciplinaire, de recrutement, de mobilité et de promotion. Il doit également superviser les fonctionnaires qui travaillent dans le centre financier.
Pour bénéficier des pouvoir nécessaires tant sur le personnel régi par le droit privé que sur le personnel fonctionnaire, il était nécessaire que Monsieur [J] [V] dispose d’une délégation de pouvoir.
Contrairement à ce que soutient le salarié, la délégation de pouvoir qu’il devait régulariser n’emportait pas modification de son contrat de travail dès lors qu’elle était strictement nécessaire et inhérente à l’exercice de ses fonctions de directeur des ressources humaines et qu’un tel poste impliquait ce type de délégation.
Le 9 novembre 2020, Madame [P] [Z], directrice des ressources humaines du centre financier, nommée en promotion interne, a adressé un courrier électronique à Monsieur [J] [V] pour lui demander de rendre sa délégation de pouvoir signée, lui indiquant que cela aurait dû être fait dès sa prise de fonction en février 2020.
Or malgré les nombreuses demandes réitérées tant de Madame [P] [Z] que de Madame [T] [K], directrice du centre financier, dont la société LA POSTE justifie en produisant les courriels aux débats, Monsieur [J] [V] a refusé de signer cette délégation jusqu’au 15 février 2021, faisant ainsi preuve d’une insubordination fautive compte tenu de sa qualité de directeur des ressources humaines, des missions que cela impliquait et de la nécessité de disposer d’une délégation de pouvoir pour les exercer pleinement.
La société LA POSTE produit aux débats une attestation de Madame [T] [K] qui témoigne de la désorganisation du service en raison du refus de Monsieur [J] [V] de signer la délégation de pouvoir et de l’impact sur sa charge de travail.
Ces éléments caractérisent une faute grave, Monsieur [J] [V] par son refus de signer la délégation de pouvoir pendant plusieurs mois ayant fait obstacle lui-même au plein exercice de ses fonctions.
Le licenciement de Monsieur [J] [V], intervenu plusieurs mois après la requalification de son contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée et alors que la société LA POSTE avait respecté la décision de justice, n’est pas en lien avec son action judiciaire mais fondé sur une faute grave.
Le jugement de première instance sera donc confirmé en ce qu’il a dit que le licenciement de Monsieur [J] [V] n’était pas nul, qu’il reposait sur une faute grave et en conséquence a débouté le salarié de ses demandes financières, d’indemnité de préavis, d’indemnité de congés payés sur préavis, d’indemnité de licenciement, d’indemnité pour licenciement nul, de rappel de salaires outre congés payés afférents.
Sur la suppression informatique des données personnelles
Au terme de la lettre de licenciement, Monsieur [J] [V] a été informé qu’à compter de la mise en ‘uvre du licenciement, ses coordonnées personnelles seraient intégrées dans une solution informatique de la poste qui rendrait un avis négatif à toute candidature qu’il présenterait pour intégrer à nouveau un service du groupe La Poste, ces données étant conservées pendant 10 ans.
Un astérix situé à la fin de ce paragraphe renvoie au paragraphe suivant : « ce traitement dont le responsable est [Adresse 2], est réalisé en vertu de ses intérêts légitimes. Vous disposez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement et d’opposition. Vous pouvez l’exercer par mail à l’adresse contact [Courriel 4] ou à l’adresse postale visée ci-dessus. Pour contacter le délégué à la protection des données du groupe La Poste, lui écrire à [Adresse 2]. En cas de difficulté en lien avec la gestion de vos données personnelles vous pouvez introduire une réclamation auprès de la commission nationale de l’informatique et des libertés »
Monsieur [J] [V] soutient que ce fichier informatique méconnaît les règles du RGPD qui autorise chaque personne à bénéficier du respect de sa vie privée et limite à trois ans la conservation des données personnelles, la loi informatique et libertés, l’article 226’18 du code pénal qui interdit la collecte des données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite et l’article L 1332-5 du code du travail qui interdit à un employeur d’invoquer à l’appui d’une nouvelle sanction une sanction antérieure de plus de trois ans.
La société LA POSTE soutient qu’en l’absence de centralisation des données RH entre les différentes structures du groupe LA POSTE, il est nécessaire qu’elle intègre dans une solution informatique les données personnelles des salariés licenciés pour motif disciplinaire afin d’empêcher qu’un salarié licencié pour un tel motif puisse postuler immédiatement au sein d’une autre structure du groupe.
Elle souligne que depuis l’entrée en vigueur du RGPD en mai 2018, la déclaration de traitement des données à caractère personnel auprès de la CNIL n’est plus nécessaire, et a été remplacée par l’obligation pour le responsable de traitement de déclarer les traitements dans un registre, ce qui a été fait.
La réglementation générale de protection des données personnelles (RGPD) qui s’impose aux états membres de l’Union Européenne est entrée en vigueur depuis le 25 mai 2018.
Pour pouvoir être mis en ‘uvre, tout traitement de données doit se fonder sur l’une des six bases légales prévues par le RGPD : le consentement, l’exécution d’un contrat ou mesure précontractuelle, l’obligation légale, la sauvegarde des intérêts vitaux, la mission d’intérêt public et l’intérêt légitime.
Le RGPD impose que le consentement soit libre, spécifique, éclairé et univoque.
L’article 5, paragraphe 1, du RGPD reprend les principes directeurs relatifs au traitement des données personnelles, déjà consacrés par la directive 95/46/CE . Sont ainsi rappelés : le principe de licéité, loyauté et transparence dans le traitement des données, le principe de finalité, selon lequel les données sont collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes et ne doivent pas être traitées ultérieurement d’une manière incompatible avec ces finalités ; le principe de nécessité et minimisation des données qui doivent être traitées de façons adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités ; le principe d’exactitude des données ; le principe de limitation de la durée de conservation ; le principe d’intégrité des données et protection de la confidentialité.
La Cour a rappelé que le principe de finalité était essentiel à la protection des individus et que « les dérogations et les restrictions au principe de la protection de telles données doivent s’opérer dans les limites du strict nécessaire » ( CJUE, 24 févr. 2022, aff. C-175/20, SS SIA ).
La personne concernée a le droit d’obtenir du responsable du traitement l’ effacement de données à caractère personnel la concernant. Le responsable du traitement a alors l’obligation d’effacer ces données dans les meilleurs délais. Toutefois, ce droit n’est pas général et ne peut être obtenu que pour certains motifs limitativement énumérés, par exemple si les données ne sont plus nécessaires au regard des finalités pour lesquelles elles ont été collectées ou si la personne concernée retire le consentement sur lequel est fondé le traitement. Des exceptions à l’effacement sont cependant prévues, lorsque le traitement est nécessaire : – à l’exercice du droit à la liberté d’expression et d’information ; – pour respecter une obligation légale qui requiert le traitement ; – pour des motifs d’intérêt public dans le domaine de la santé publique ; – à des fins archivistiques dans l’intérêt public, à des fins de recherche scientifique ou historique ou à des fins statistiques ; – à la constatation, à l’exercice ou à la défense de droits en justice.
La loi informatique et libertés de 1978 qui s’applique à l’échelon national a été modifiée pour respecter le RGPD.
Elle prévoit notamment que les données :
– sont collectées et traitées de manière loyale et licite
– sont collectées pour des finalités déterminées et légitimes
– sont adéquates, pertinentes et non excessives
– ne peuvent porter sur l’origine ethnique, les opinions politiques, religieuses, l’appartenance syndicale, la santé ou l’orientation sexuelle
C’est à juste titre que, en application de ces textes, Monsieur [J] [V] fait valoir son droit à la suppression de ses données personnelles du fichier litigieux. En effet, il n’a pas donné son consentement à la conservation de ses données personnelles pendant 10 ans et la société LA POSTE ne justifie pas d’un intérêt légitime à les conserver pendant cette durée.
Le jugement de première instance sera infirmé en ce qu’il l’a débouté de cette demande et il convient d’ordonner à la poste de supprimer de ses fichiers toutes donnés informatiques permettant de conserver ou de traiter les données relatives à Monsieur [J] [V] et pouvant nuire à sa candidature ou à son emploi dans une des sociétés du groupe.
L’astreinte n’apparaît pas nécessaire.
Sur la demande de dommages et intérêts de la société LA POSTE pour procédure abusive
L’exercice d’une action en justice constitue en principe un droit et ne dégénère en abus que si celui qui l’exerce agit par malice ou mauvaise foi ou par erreur équipollente au dol.
Ces conditions n’étant pas réunies, la cour confirme le jugement de première instance en ce qu’il a débouté la société LA POSTE de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Sur les autres demandes
Monsieur [J] [V] succombant en ses demandes sera condamné à payer à la société LA POSTE la somme de 1000 euros au titre de ses frais irrépétibles à hauteur d’appel.
Il est débouté de sa demande à ce titre.
Le salarié, qui succombe, supportera les dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi ;
INFIRME le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Châlons-en-Champagne le 12 septembre 2022 en ce qu’il a débouté Monsieur [J] [V] de sa demande de suppression de toutes données informatiques le concernant pouvant nuire à sa candidature ou à son emploi dans une des sociétés du groupe la société LA POSTE ;
CONFIRME le jugement pour le surplus ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
ORDONNE à la société LA POSTE de supprimer toutes donnés informatiques permettant de conserver et traiter les données personnelles de Monsieur [J] [V] pouvant nuire à sa candidature ou à son emploi dans une des sociétés du groupe LA POSTE ;
DIT n’y avoir lieu à astreinte ;
CONDAMNE Monsieur [J] [V] à payer à la société LA POSTE la somme de 1500 euros au titre des frais irrépétibles en appel ;
DEBOUTE Monsieur [J] [V] de sa demande au titre des frais irrépétibles ;
CONDAMNE Monsieur [J] [V] aux dépens de la procédure d’appel.
Le greffier, Le président,