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29 septembre 2020
Cour d’appel de Grenoble
RG n°
18/00323
PS
N° RG 18/00323
N° Portalis DBVM-V-B7C-JLZI
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée le :
Me Wilfried SAMBA-SAMBELIGUE
la SELARL GALLIZIA DUMOULIN ALVINERIE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
Ch. Sociale -Section A
ARRÊT DU MARDI 29 SEPTEMBRE 2020
Appel d’une décision (N° RG 15/01235)
rendue par le Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de VALENCE
en date du 18 décembre 2017
suivant déclaration d’appel du 16 janvier 2018
APPELANT :
M. [J] [V]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 2]
représenté par Me Wilfried SAMBA-SAMBELIGUE, avocat au barreau de GRENOBLE
INTIMEE :
SAS CATERPILLAR FRANCE, inscrite au RCS de GRENOBLE sous le numéro B 061 500 245, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 1]
représentée par Me Delphine DUMOULIN de la SELARL GALLIZIA DUMOULIN ALVINERIE, avocat au barreau de GRENOBLE substituée par Me Laure ALVINERIE, avocat au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DÉLIBÉRÉ :
M. Philippe SILVAN, Conseiller faisant fonction de Président,
Mme Valéry CHARBONNIER, Conseillère,
Mme Magali DURAND-MULIN, Conseillère,
DÉBATS :
A l’audience du 06 juillet 2020 tenue à publicité restreinte en raison de l’état d’urgence sanitaire,
M. Philippe SILVAN, Conseiller faisant fonction de Président, chargé du rapport, et Mme Valéry CHARBONNIER, Conseillère, ont entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, assistés de M. Fabien OEUVRAY, Greffier, en présence de Mme [E] [L], stagiaire en 2ème année de master, conformément aux dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, les parties ne s’y étant pas opposées ;
Puis l’affaire a été mise en délibéré au 29 septembre 2020, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.
L’arrêt a été rendu le 29 septembre 2020.
Exposé du litige:
M. [V] a été embauché, le 31 octobre 2007, par la SAS Caterpillar France dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée en qualité de coordonnateur producteur soudeur.
Le 12 février 2013, la Société Caterpillar a notifé un avertissement à M. [V] concernant des problèmes de qualité. Le 20 décembre 2013, la SAS Caterpillar France a adressé à M. [V] la notification d’une mise à pied d’une journée en raison à nouveau de problèmes qualité persistants.
Le 12 novembre 2014, la Société Caterpillar a convoqué M. [V] à un entretien préalable fixé au 21 novembre en vue d une mesure pouvant aller jusqu à un licenciement, entretien auquel il ne se présentait pas. M. [V] était convoqué à un nouvel entretien fixé au 16 décembre 2014 auquel le salarié ne se rendait pas. Le 19 décembre 2014, M. [V] a fait 1’objet d’un licenciement.
Le 22 décembre 2015, M. [V] a saisi le conseil des prud’hommes de Valence d’une contestation de son licenciement.
Par jugement en date du 18 décembre 2017, le conseil des prud’hommes de Valence a :
– Déclaré fondé sur une cause réelle et sérieuse le licenciement de M.[V],
– Débouté M.[V] de toutes ses demandes,
– Débouté la SAS Caterpillar France de sa demande fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamné M.[V] aux dépens.
M. [V] a fait appel de ce jugement le 16 janvier 2018.
Par conclusions en date du 16 avril 2018, auxquelles il est expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, M. [V] demande de:
– réformer le jugement du 18 décembre 2017 et, statuant de nouveau :
– constater que la société Caterpillar n a pas respecté son obligation de sécurité de résultat à son égard,
– constater qu’aucune faute susceptible de conduire à la rupture du contrat de travail ne peut être retenue à son encontre,
– constater que la société Caterpillar n’a de ce fait pas loyalement exécuté le contrat de travail,
– dire et juger que la décision de la société Caterpillar de rompre le contrat de travail trouve en réalité son origine dans les problèmes de santé qu’il a rencontrés,
En conséquence :
à titre principal:
– condamner la SA Caterpillar à lui payer la somme de 50.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de la nullité de son licenciement,
à titre subsidiaire :
– condamner la SA Caterpillar à lui payer les sommes suivantes :
– Dommages et intérêts pour licenciement abusif 25.000 €,
– Dommages et intérêts pour préjudice moral, discrimination et violation de l’obligation de sécurité de résultat 5.000 €,
– assortir ces condamnations des intérêts légaux de droit à compter de la saisine du conseil pour les sommes à caractère salarial et à compter de la notification de la décision à intervenir pour les autres,
– condamner encore la Société Caterpillar à lui payer la somme de 2.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Par conclusions en réponse en date du 13 juillet 2018, auxquelles il est expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, la SAS Caterpillar France demande:
– dire et juger que le licenciement de M. [V] est justifié,
– dire et juger que M. [V] n a pas été victime d une discrimination en raison de son état de santé,
– dire et juger que la Société Caterpillar n’a pas manqué à son obligation de sécurité de résultat,
en conséquence,
– déboute M. [V] de l’intégralité de ses prétentions,
– confirmer le jugement dont appel dans son intégralité,
– condamner M. [V] au paiement de la somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance,
L’ordonnance de clôture a été rendue le 30 juin 2020. Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées.
SUR QUOI :
Sur l’obligation de sécurité de résultat :
L’article L. 4121-1 du code du travail, dans sa version issue de la loi 2010-1330 du 9 novembre 2010, en vigueur lors du licenciement de M. [V], prévoit que :
L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1 Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;
2 Des actions d’information et de formation ;
3 La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
Par ailleurs, l’employeur doit mettre en ‘uvre ces mesures de prévention sur le fondement des principes généraux de prévention prévus par l’article L. 4121-2 du code du travail.
Il est de principe que l’obligation de sécurité pesant sur l’employeur est une obligation de résultat.
En l’espèce, à l’issue d’un certificat médical du 5 décembre 2013, le docteur [W], a relevé chez M. [V] un champ visuel perturbé, une athérosclérose assez prononcée pour son âge, les déclarations de M. [V] selon lequel il était très gêné dans son activité professionnelle et souhaitait un reclassement qui lui semblait justifié.
Le 6 mai 2014, le docteur [F], médecin du travail, a constaté chez M. [V] une baisse de l’acuité visuelle en précisant que ce dernier attribuait, à tort compte tenu de ses protections visuelles, cette réduction de ces capacités visuelles à son métier de soudeur.
Selon courriel du 19 décembre 2013, le médecin du travail de la SAS Caterpillar France a indiqué au supérieur hiérarchique de M. [V] que ce dernier lui avait adressé plusieurs certificats attestant de problèmes de vue et pouvant expliquer des défauts de qualité et précisé que se posait la question de son maintien au poste de soudeur qu’il imputait, à tort, comme étant à l’origine de sa baisse de vision. Le même jour, le supérieur direct de M. [V] a répondu au médecin du travail que les problèmes de qualité reprochés à M. [V] était dus à une déviation par rapport au standard de travail, en l’espèce, un temps d’attente insuffisant entre deux passes superposées, et non à un problème de vue.
Au terme d’un second certificat médical du 28 novembre 2014, le docteur [W] a constaté chez M. [V] une légère baisse de son acuité visuelle et une légère kératite par sécheresse oculaire pouvant être déclenchée par la soudure.
Enfin, M. [V] a été déclaré apte sans réserve à l’occasion des visites médicales annuelles organisées par l’employeur entre 2008 et 2014.
S’il ressort de ces éléments la preuve que M. [V] a présenté, à compter de l’année 2013, une baisse de son acuité visuelle, aucune des pièces médicales ne permet avec certitude d’en imputer l’origine, au moins partiellement, à son activité professionnelle.
En effet, le médecin du travail a relevé que les protections individuelles dont disposait M. [V] ne permettait pas d’attribuer l’origine de cette perte d’acuité visuelle à son métier de soudeur. Par ailleurs, le second certificat médical du docteur [W], ophtalmologue, se borne à évoquer l’existence d’un possible rapport entre l’activité de soudure de M. [V] et les problèmes oculaires présentés par ce dernier sans établir, avec certitude, l’existence d’un lien de causalité entre cette activité professionnelle et les problèmes de vue de M. [V] ni expliciter en quoi les travaux de soudure réalisés par ce salarié aurait dégradé sa vue. Par ailleurs, M. [V], examiné tous les ans par la médecine du travail, a été déclaré apte sans aucune réserve par le médecin du travail. Il est constant que le docteur [F] est salarié de la SAS Caterpillar France. Cependant, cette seule qualité de salarié de l’employeur ne suffit pas à elle seule à caractériser un manque d’indépendance de ce praticien vis à vis de la SAS Caterpillar France. La sincérité des conclusions du médecin du travail dans son certificat médical du 6 mai 2014 et ses avis médicaux d’aptitude ne peut donc être remis en cause.
Il n’est donc pas démontré que la SAS Caterpillar France a manqué à son obligation de sécurité. M. [V] ne peut en conséquence conclure, sur ce fondement, à titre principal à la nullité du licenciement et, à titre subsidiaire, à l’allocation de dommages et intérêts.
Sur la discrimination :
L’article L. 1132-1 du code du travail prévoit qu’aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou en raison de son état de santé ou de son handicap.
Selon l’article L. 1132-4 du même code, toute disposition ou tout acte pris à l’égard d’un salarié en méconnaissance du principe de non-discrimination est nul.
Enfin, l’article L. 1134-1 du code du travail dispose que lorsque survient un litige en raison d’une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, qu’au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination et que le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
En l’espèce, il est constant que M. [V] a été licencié par la SAS Caterpillar France alors qu’il rencontrait des problèmes de santé. Il ressort cependant des termes de la lettre de licenciement que la rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur est motivée par des défauts de qualité affectant les travaux de soudure réalisés par M. [V]. Ce dernier ne verse aux débats aucun élément de preuve de nature à laisser présumer que, par delà les griefs de qualité allégués par l’employeur, le licenciement pourrait être motivé par les problèmes de santé affectant le salarié. M. [V], défaillant dans la présentation d’éléments suffisamment pertinents pour faire présumer l’existence d’une discrimination, ne peut conclure à la nullité de la rupture du contrat de travail sur ce fondement.
Sur le bien fondé du licenciement :
Conformément à l’article L. 1232-1 du code du travail tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. Par ailleurs, en application de l’article L. 1235-1 du même code, le doute profite au salarié en cas de contestation du licenciement.
Il ressort de la lettre de licenciement adressée le 19 décembre 2014 par la SAS Caterpillar France à M. [V] qu’il est reproché à ce dernier, malgré les sanctions disciplinaires antérieures, réitéré dans la violation des procédures qualité et produit les 27, 28, 29 octobre ainsi que le 3 novembre 2014, des pièces présentant des défauts ultrason ainsi que, le 5 novembre 2014, menti sur l’état d’une pièce en décidant volontairement de ne pas suivre la procédure de contrôle.
Il résulte des entretiens individuels annuels de M. [V] pour la période courant de 2007 à 2013 que son attention a été attirée sur la nécessité de veiller au respect de la qualité de sa production pour les années 2010, 2011, 2012 et 2013.
Par ailleurs, au terme de notes internes des 21 mars 2012, 30 janvier 2013 et 12 décembre 2013 (dites « état de fait ») la SAS Caterpillar France a relevé des erreurs de qualités commises par M. [V] au cours des mois de janvier, février et mars 2012, janvier 2013, novembre 2013.
Le 12 février 2013, M. [V] a été sanctionné d’un avertissement en raison d’un problème de qualité constaté le 30 janvier 2013.
Le 20 décembre 2013, il a été sanctionné d’une mise à pied à raison de problèmes de qualité constatés les 28 et 29 novembre 2013.
Il ressort de la note « état de fait » du 5 novembre 2014 que les 27 et 28 octobre 2014, M. [V] a produit un nombre de pièces insuffisant et qu’un défaut ultrason a été relevé sur sa production, que le 29 octobre 2014, deux pièces produites par M. [V] présentait de nouveau un tel défaut, que le 3 novembre 2014, une pièce présentait un défaut ultrason et que le 5 novembre 2014, M. [V] a menti sur l’existence d’un contrôle sur une pièce produite et qu’elle présentait un défaut de qualité.
La réalité de ces griefs n’est pas contestée par M. [V]. Par ailleurs, il ressort clairement de la réponse du supérieur hiérarchique direct de M. [V] au médecin du travail le 19 décembre 2013 et de la procédure de soudage applicable dans l’entreprise, produite aux débats par la SAS Caterpillar France, que ces désordres trouvent leur origine non pas dans les problèmes oculaires de M. [V] comme soutenu par celui-ci mais dans le non respect des procédures internes.
Par ailleurs, tant à l’occasion des entretiens individuels annuels des années 2010 à 2013 qu’à l’occasion de l’avertissement du 12 février 2013 et de la mise à pied disciplinaire du 20 décembre 2013, l’attention de M. [V] a été attirée sur la nécessité de fournir une prestation de qualité. La réitération de telles erreurs par M. [V] démontre la volonté chez ce dernier de ne pas respecter les procédures internes de qualité et justifiait en conséquence son licenciement pour cause réelle et sérieuse. Le jugement déféré, en ce qu’il a dit que le licenciement de M. [V] reposait sur une cause réelle et sérieuse, sera en conséquence confirmé.
Sur le surplus des demandes :
M. [V], partie perdante qui sera condamnée aux dépens, sera débouté de sa demande au titre de ses frais irrépétibles. Enfin, il n’apparaît pas inéquitable de débouter la SAS Caterpillar France au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
DECLARE recevable en son appel,
CONFIRME le jugement du conseil de prud’hommes de Valence du 18 décembre 2017,
DEBOUTE M. [V] de ses demandes,
DEBOUTE la SAS Caterpillar France de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. [V] aux dépens de première instance et d’appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par M. Philippe SILVAN, Conseiller faisant fonction de Président, et par Mme Chrystel ROHRER, Greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GreffierLe Conseiller