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28 septembre 2023
Cour d’appel de Rennes
RG n°
19/04868
7ème Ch Prud’homale
ARRÊT N°333/2023
N° RG 19/04868 – N° Portalis DBVL-V-B7D-P6QQ
LVL MEDICAL OUEST SAS
C/
M. [C] [T]
Copie exécutoire délivrée
le : 28/09/2023
à : MAITRES
LHERMITTE
DUIGOU
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 28 SEPTEMBRE 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,
Assesseur : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère,
Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 09 Mai 2023 devant Madame Isabelle CHARPENTIER, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
En présence de Monsieur [Z], médiateur judiciaire
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 28 Septembre 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANTE :
LVL MEDICAL OUEST SAS
[Adresse 2]
[Localité 8]
Représentée par Me Richard ZELMATI de la SCP ZELMATI, Plaidant, avocat au barreau de LYON substitué par Me BALATIN, avocat au barreau de LYON
Représentée par Me Christophe LHERMITTE de la SCP GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE,Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉ :
Monsieur [C] [T]
né le 14 Septembre 1969 à [Localité 4]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Aurélie DUIGOU de la SELAS KPMG AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de BREST
EXPOSÉ DU LITIGE
La SAS LVL Medical Ouest dont le siège social est fixé à [Localité 8] (44) a pour activité la location de matériels et produits médico-techniques pour l’assistance à domicile notamment dans le domaine de l’assistance respiratoire. Elle appartient au groupe Air Liquide.
M. [C] [T] a été embauché le 17 janvier 2012 par la SAS LVL Médical Ouest selon un contrat à durée indéterminée, en qualité de Responsable d’Equipe respiratoire, statut cadre. Il était rattaché à l’établissement de [Localité 7].
La relation de travail était régie par la convention collective du négoce et des prestations de service dans les domaines Médico-Techniques.
Le 7 juillet 2016, le salarié était convoqué à un entretien préalable à licenciement fixé au 19 juillet.
Le 28 juillet 2016, M. [T] s’est vu notifier son licenciement pour cause réelle et sérieuse avec dispense de préavis dans un courrier ainsi libellé :
‘ Le 17 janvier 2012, vous avez été recruté en tant que Responsable d’Equipe respiratoire au sein de la structure LVL Médical Ouest [Localité 7].
A ce titre, vous avez notamment en charge le management de l’équipe technique afin que la prestation technique puisse être réalisée dans les meilleures conditions et dans le respect des procédures internes et de la réglementation.
Or, depuis quelques mois, et ce malgré des échanges écrits et verbaux sur le sujet, nous avons relevé des dysfonctionnements dans la prise en charge des patients dont vous avez la responsabilité, un non-respect des procédures réglementaires en vigueur au sein de l’Entreprise, une non-application des consignes de la stratégie de l’Entreprise ainsi que de sérieuses défaillances dans le pilotage de votre équipe, éléments que nous reprenons ci-après.
– Dysfonctionnements dans la prise en charge patients
Le 15 juin 2016, la Direction est informée du décès du patient [L] [W], patient sous votre responsabilité en tant que responsable de l’équipe respiratoire de l’agence de [Localité 7], découvert par notre technicien à son domicile et faisant l’objet de la feuille d’appel n° 590098-1.
Suite à ce décès, nous avons immédiatement mis en place notre procédure interne afin de connaitre et comprendre l’historique des événements ayant mené à cette situation. Nous avons ainsi procédé à une enquête qui a fait l’objet d’un arbre des causes le 29 juin 2016.
Monsieur [W] est un patient sous oxygène 16 heures sur 24 et suivi habituellement par notre technicien [U] [K].
Le lundi 13 juin 2016, la mère du patient appelle notre agence de [Localité 7] pour un échange de bouteille d’oxygène pour le lendemain, cet appel est tracé par la feuille d’appel n° 587109-2 dont vous êtes destinataire.
L’assistant Technique du secteur est absent ce jour, son binôme, [X] [V], ne contacte pas le patient et donc ne programme pas la livraison demandée.
A ce premier niveau, vous ne vous assurez pas que la prestation a été ou non prise en compte.
Le lendemain, mardi 14 juin, Monsieur [W] contacte à nouveau l’agence de [Localité 7], pour relancer la demande de livraison, nous informant, qu’il n’a aucune nouvelle de sa première demande (feuille d’appel W 588682-1). L’assistant technique du secteur vous contacte car son planning chargé ne lui permet pas d’assurer cette livraison le jour même.
Vous demandez à votre collaborateur de contacter lui-même le patient pour juger du degré d’urgence de la livraison. Le patient est donc programmé pour une livraison le lendemain, mercredi 15 juin 2016.
Lorsque le technicien se présente au domicile de Monsieur [W], personne ne répond, ni à la porte, ni au téléphone. Le technicien contacte alors la mère du patient, et découvre avec elle, le patient décédé.
Votre attitude n’est plus en phase avec ce que nous attendons d’un responsable d’équipe.
Vous auriez dû veiller à contacter le patient et trouver la solution permettant d’assurer une prise en charge la plus rapide et sécurisée possible et planifier le jour même une intervention par un des membres de votre équipe. Un tel laxisme est inacceptable.
En tant que responsable d’équipe vous devez suivre l’activité de vos équipes en analysant et contrôlant les feuilles d’appel concernant les patients dont vous avez la responsabilité.
Ainsi, par exemple, si vous aviez procédé à cette lecture et analyse, nous n’aurions pas rencontré les dysfonctionnements tels que ceux rencontrés avec Monsieur [W].
Si vous aviez veillé aux informations contenues dans la feuille d’appel, vous vous seriez rendu compte immédiatement du dysfonctionnement à savoir programmer la livraison conformément à la demande.
Vous n’êtes pourtant pas sans savoir, au regard de votre expérience dans l’entreprise et de nos obligations réglementaires, qu’une intervention aurait dû être programmée. Ce que vous avez entièrement reconnu lors de notre entretien du 19 juillet.
Ce dysfonctionnement particulièrement grave dans la prise en charge des patients résulte notamment de votre difficulté dans le management de vos équipes.
A plusieurs reprises, nous vous avons interpellé sur le fait que le manque de suivi de vos équipes, sur votre incapacité à déléguer et à donner les orientations nécessaires à vos équipes pour assurer une prise en charge de qualité de nos patients. Nous notons que vous rencontrez de réelles difficultés de management avec vos équipes et votre incapacité à faire preuve de discernement dans vos prises de décision qui ont des conséquences néfastes sur notre activité
Suite aux difficultés que vous rencontriez dans la gestion et le management des équipes de [Localité 7] et [Localité 5], [J] [S] et moi-même, nous vous avons rencontré en date du 5 octobre 2015.
Lors de ce rendez-vous afin de vous aider dans l’amélioration de la situation et vous permettre de concentrer vos efforts pour redresser la situation, nous avons convenu ensemble, d’un plan d’action visant à vous aider, d’une part, à améliorer l’aspect management et accompagnement de vos équipes et d’autre part un meilleur suivi des
consignes et orientations données par la Direction. Ce plan d’action a fait l’objet d’un courrier recommandé en date du 13 octobre 2015.
Nous vous avions offert la possibilité via ce plan d’actions, de redresser la situation et de remettre en question vos pratiques managériales, ce qui n’a été le cas que temporairement puisque des dysfonctionnements apparaissent à nouveau
Nous constatons que vous ne contrôlez toujours pas l’activité de votre équipe, les assistants techniques sont livrés à eux-mêmes, et ne sont pas totalement accompagnés par leur manager.
Nous vous rappelons que notre activité nous contraint à respecter des procédures et des délais très stricts en matière de prise en charge de nos patients; que ce type de négligence nuit fortement à notre qualité de prise en charge et à l’image de sérieux et de professionnalisme de LVL Médical dont vous êtes le représentant auprès des patients et des prescripteurs.
De surcroît, nous ne sommes pas en mesure de pouvoir vous accorder notre confiance sur la mise en ‘uvre de toute nouvelle décision ou directive émise par la Direction.
insi, lors de la réunion Synergie Respiratoire du 18 mai dernier où étaient présentes les équipes techniques et commerciales, un certain nombre d’actions que vous deviez déployer ne l’ont pas été, et ce malgré le compte rendu écrit qui a été transmis par mail en date du 23 mai.
Il s’avère que cette situation n’a pas évolué depuis le 18 mai puisque, nous constatons que vous ne respectez toujours pas le formalisme et la tenue des points hebdomadaires à faire auprès de chacune de vos équipes, notamment:
La présence obligatoire des assistants techniques â ces réunions hebdomadaires dont le planning est fixé à l’année (tous les lundis à 10h00): sur 6 membres de vos équipes, nous constatons une absence systématique (en congés ou avec des activités planifiées) d’au moins 2 à 3 membres (réunions des 23 mai, 6 juin, 13 juin), soit la moitié de vos équipes.
Le respect des horaires par vos équipes: de la même manière, à chaque réunion au moins un technicien arrive après le démarrage de la réunion (lundi 6 juin 2016 un membre de votre équipe est arrivé à 11h26 au lieu de 10 heures).
L’ordre du jour imposé lors de ces réunions n’est pas systématiquement suivi; ainsi, les points clés tels que le suivi des activités respiratoires et des interventions particulières de la semaine écoulée ainsi que les événements marquants de la semaine à venir ne sont pas traités lors de chaque réunion.
De ce fait, [J] [S], Responsable Technique vous a relancé par mail le 24 juin dernier.
En synthèse, vous n’assurez pas de façon qualitative la communication et l’animation des équipes, ce qui a pour conséquence la baisse de motivation et l’absence de cohésion des équipes techniques dont vous avez la charge.
Cette situation est d’autant plus inacceptable au regard:
– de votre ancienneté et connaissance de l’entreprise,
– de votre expérience sur l’activité respiratoire,
– de l’accompagnement dont vous avez bénéficié: formations par les équipes du siège social sur les sujets stratégiques et réunions d’appui, formation management « Gear UP » suivie pendant 21h en décembre 2014 et octobre 2015 et soutien du responsable technique respiratoire zone,
– des conseils qui vous ont été donnés à travers de nombreux mails et via vos entretiens annuels depuis 2012 dont vous n’avez aucunement tenu compte malgré une synthèse de fond pourtant très mitigée.
L’ensemble de ces faits démontre un manque de professionnalisme, un non-respect de nos procédures et se traduisent par une défaillance de management et de pilotage avec la non prise en compte des remarques qui vous ont été faites depuis plusieurs mois et qui auraient dû vous permettre d’atteindre les objectifs que nous nous étions fixés’.
M. [T] a saisi le conseil de prud’hommes de Quimper le 30 juillet 2018 afin de contester son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et d’obtenir des dommages-intérêts pour licenciement abusif et en indemnisation de son préjudice moral.
La SAS LVL Médical Ouest s’est opposée à la demande du salarié et a sollicité une indemnité de procédure.
Par jugement en date du 20 juin 2019, le conseil de prud’hommes de Quimper a :
– dit et jugé que le licenciement de Monsieur [T] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
– condamné la société LVL Médical Ouest à verser à Monsieur [T] :
– la somme de 13 258 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,
– la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral.
– condamné la société LVL Médical Ouest à verser à Monsieur [T] la somme de 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonné l’exécution provisoire au titre des dispositions de l’article 515 du code de procédure civile sur l’ensemble du jugement,
– débouté la société LVL Médical Ouest de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société LVL Médical Ouest aux entiers dépens y compris ceux pouvant résulter de l’exécution forcée du présent jugement.
***
La SAS LVL Médical Ouest a interjeté appel de la décision par déclaration au greffe le 19 juillet 2019.
En l’état de ses dernières conclusions transmises par RPVA le 15 octobre 2019, la SAS LVL Médical Ouest demande à la cour de :
– Réformer le jugement en toutes ses dispositions
– et statuant à nouveau,
– Dire et juger que le licenciement de Monsieur [T] repose sur une cause réelle et sérieuse
– Débouter Monsieur [T] de l’intégralité de ses demandes infondées
– Condamner Monsieur [T] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’à supporter les entiers dépens d’instance.
Les conclusions notifiées par M.[T] ont été déclarées irrecevables par ordonnance du 30 juin 2022 du conseiller de la mise en état.
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 31 janvier 2023 avec fixation de l’affaire à l’audience du 07 février 2023, renvoyée à la demande de l’appelante ( mouvement de grève du Barreau) à l’audience du 9 mai 2023.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l’exposé des prétentions et moyens de l’appelante à ses conclusions.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la cause réelle et sérieuse du licenciement
La société LVL Medical Ouest demande l’infirmation du jugement au motif que les manquements de M.[T] à ses obligations contractuelles étaient suffisamment sérieux pour justifier la mesure de licenciement pour cause réelle et sérieuse prononcée le 28 juillet 2018, à savoir:
– le dysfonctionnement de réapprovisionnement en oxygène d’un patient, décédé ultérieurement,
– des difficultés managériales récurrentes
– la non-application des consignes à l’égard de ses subordonnés.
Les pièces produites par M.[T] seront écartées des débats du fait de l’irrecevabilité des conclusions en cause d’appel.
L’article L 1232-1 du code du travail dispose que tout licenciement pour motif personnel doit être motivé et justifié par une cause réelle et sérieuse. Selon l’article L 1235-1 du même code, en cas de litige, le juge apprécie le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
La lettre de licenciement du 28 juillet 2018 qui fixe les limites du litige se fonde à la fois sur un motif disciplinaire lié au non-respect des consignes de la hiérarchie et sur une insuffisance professionnelle se traduisant par des dysfonctionnements dans la prise en charge des patients et par des difficultés managériales.
Il convient de rappeler que M. [T] occupait les fonctions de Responsable d’Equipe depuis le 17 janvier 2012, au sein de l’établissement de [Localité 7] et qu’en cette qualité, il percevait au dernier état de la relation contractuelle de travail un salaire de 2 558 euros brut, auquel s’ajoutaient des primes d’objectif allant de 150 à 600 euros par trimestre.
Chargé plus spécialement des équipes médicales et paramédicales, M.[T] exerçait son activité sous la responsabilité et le contrôle du Responsable d’agence afin que la prestation technique puisse être réalisée dans les meilleures conditions et dans le respect des procédures internes et de la réglementation.
Ses missions sont décrites dans une fiche de poste non paraphée, en annexe au contrat de travail :
‘ Le Responsable d’Equipe a en charge le management des équipes techniques et paramédicales sous la responsabilité et le contrôle du Responsable d’agence afin que la prestation technique puisse être réalisée dans les meilleures conditions et dans le respect des procédures internes et de la réglementation.
Missions et Responsabilités :
1 – en matière de management
– déterminer les charges de travail et les moyens à mettre en place,
– organiser le travail des équipes techniques : détermine les secteurs couverts par les assistants techniques, répartit la charge de travail, établit le planning des tournées des assistants techniques, organise la gestion des astreintes techniques.
– est responsable de la bonne application des procédures er de la qualité de la prestation, par la mise en place notamment de formations et de contrôles.
– assure une remontée d’information concernant les matériels, les patients, les problèmes rencontrés par les AT ( assistants techniques), au Responsable d’agence et au pharmacien.
– par délégation du Responsable d’agence, optimise et contrôle les moyens matériels et humains de l’activité.
2- en matière de gestion des plaintes et réclamations dans le domaine technique,
3- garant de l’image de l’entreprise auprès de ses équipes,
4- réalise des interventions techniques auprès des patients.’
1- Sur le motif disciplinaire
Il est fait grief à M. [T] de ne pas avoir respecté depuis la réunion du 18 mai 2018 les consignes et directives de sa hiérarchie concernant la présence obligatoire des assistants techniques aux réunions hebdomadaires, le respect par ses équipes des horaires et de ne pas avoir suivi l’ordre du jour imposé lors des réunions d’équipe.
La société LVL Medical Ouest verse à l’appui des griefs :
– une présentation des points sous forme de document de type ‘power point’, abordés lors d’une réunion de travail Synergie Respi à [Localité 6] le 18 mai 2016 concernant les Responsables d’agence, les Responsables d’équipe de la zone Ouest de la société LVL. A cette occasion, il a été présenté ‘le nouveau schéma d’intervention des patients F9 avec difficultés d’observance, après le constat actuel d’une perte de trop nombreux patients F9, d’un manque de méthode dans le traitement des patients non observants, d’un trop de dossiers patients non statués , de trop de visites non préparées et non efficaces’,
– un compte-rendu de la réunion Synergie Respi du 18 mai 2023 ( pièces 14-1 et 14-2), précisant qu'[C] ( [T]) est chargé de ‘ revoir la préparation du point hebdo sur [Localité 7] : le RE prépare l’extraction LIVIA des interventions, avec un délai ‘immédiat’ sans qu’il soit possible de déterminer si M.[T] en a été destinataire et à quelle date.
– un courriel ( pièce 23) du 21 juin 2016 de M.[S], Responsable technique, interrogeant M.[T] en lui ‘joignant ‘le compte rendu de la réunion du 18 mai pour savoir ‘s’il a mis en oeuvre les points hebdo prévu lors de la réunion du 18 mai.’
– le message du 24 juin 2016 de M.[S] demandant à M.[T] d’apporter dès lundi ( 27 juin) les ‘ corrections à apporter sur la tenue des points hebdo, avec respect des horaires (10 heures) , la présence des gars obligatoires 15 mn mini avant l’heure de la réunion, pas d’absence ou retard non justifiés. ‘ tu as la charge de la bonne tenue de cette réunion et dois faire en sorte que l’ensemble des sujets puissent être abordés dans le temps imparti. Merci [C], pour application immédiate.’
– un message du 26 juillet 2016 intitulé ‘ Bilan présence AT point hebdo’ établi par le Directeur de zone M.[D] et transmis à M. [S] faisant le point de la présence des Assistants Techniques au Point hebdo de [Localité 7]. Le tableau joint fait apparaître le nom des participants aux 3 réunions organisées les 23 mai, 6 juin et 13 juin 2016, faisant apparaître que parmi les 6 assistants techniques de l’équipe, 2 à 3 étaient soit absents soit arrivés en retard. Le responsable avance l’hypothèse, sans avoir procédé à la vérification préalable, que les salariés absents étaient peut-être en congés à ces dates.
Ces documents ne permettent pas d’établir que les directives de l’employeur adressées à M.[T] dans le message du 24 juin 2016 concernant le caractère obligatoire de la présence des assistants techniques au Point hebdo n’ont pas été respectées par M.[T].
En tout état de cause, les ‘feuilles de présence’ des assistants techniques au Point Hebdo pour la période postérieure au message du 24 juin 2016 ne sont pas produites de sorte qu’il est impossible de vérifier les allégations de l’employeur.
La matérialité du grief disciplinaire n’est donc pas établie à l’encontre de M.[T].
2- sur l’insuffisance professionnelle
L’article L 1232-1 du Code du travail subordonne la légitimité du licenciement à l’existence d’une cause réelle et sérieuse.La cause doit ainsi être objective, exacte et les griefs reprochés doivent être suffisamment pertinents pour justifier la rupture du contrat de travail. L’insuffisance professionnelle peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement lorsqu’elle repose sur des éléments précis, objectifs et imputables au salarié et qu’elle se rapporte à l’exécution de tâches relevant de sa qualification.
– Sur le dysfonctionnement de la prise en charge d’un patient M.[W]:
Aux fins d’établir le bien-fondé des griefs invoqués, l’employeur reproche à M.[T] d’avoir manqué aux consignes en matière de prise en charge du patient M. [L] [W], décédé le 15 juin 2016 :
-un extrait de la procédure interne au sein de la société LVL de prise en charge d’un patient en oxygénothérapie à domicile, applicable au 8 juin 2015 (pièce 26),
– un extrait de la procédure interne prévue en cas ‘d’astreinte respiratoire’ (pièce 27) récapitulant les pratiques de dispensation à domicile de l’oxygène à usage médical avec désignation des différents intervenants.
– la prescription du 3 mars 2016 du médecin traitant de M.[W] pour une oxygénothérapie 16h/24 h par jour en raison d’une bronchite chronique. La prescription est faite pour une période d’un an à compter du 25 avril 2016.
( Pièce 29)
– les fiches d’appel du 10 mars 2016 concernant M.[W] ayant décidé de partir au Gabon sans oxygène.
– les fiches d’appel des 13, 14 et 15 juin 2016 concernant la demande de livraison d’oxygène au domicile de M.[W], revenu en France mais retrouvé décédé à son domicile le 15 juin 2016 au moment de la livraison d’oxygène par l’assistant technique de la société LVL.
– ‘l’arbre des causes’ établi 29 juin 2016 par la société LVL suite au décès de M.[W] ( pièce 20) rappelant que le patient est parti au Gabon sans oxygène depuis le mois de mars 2016 contre avis médical.
– l’habilitation BPDO de M.[T] délivrée jusqu’au 31 décembre 2016 pour effectuer l’installation d’oxygène à usage médical à domicile .
Il résulte de l’analyse de ces pièces que :
– le lundi 13 juin 2016, un proche de M.[W] a appelé la société LVL afin de replanifier une livraison d’oxygène à domicile du patient, placé sous oxygénothérapie, suite à son retour en France. La fiche d’appel fait mention que la demande d’échange de bouteilles est à faire pour le lendemain mais qu’elle n’est pas urgente ; ce message a été transmis aux assistants techniques chargés de l’exécution ainsi qu’à M.[T] en tant que Responsable d’Equipe.
– le lendemain, mardi 14 juin 2016, M.[W] a pris contact téléphonique avec la société LVL, n’ayant pas eu de nouvelles de la livraison prévue le jour-même. Cet appel est transmis uniquement à M.[K], assistant technique, sans que M.[T] en soit destinataire.
– le mercredi 15 juin 2016, M.[K] qui avait convenu la veille par téléphone avec M.[W] de procéder à la livraison de l’oxygène le mercredi matin s’est déplacé au domicile mais le patient a été retrouvé décédé.
Comme l’a justement observé le Conseil des prud’hommes, l’analyse des pièces démontre que le suivi de la livraison au profit du patient M.[W] a été confié à l’assistant technique référent sans que le Responsable d’équipe n’ait été informé des modalités précises de la livraison convenue avec le patient; que la procédure interne ainsi mise en place n’était pas conforme à la réglementation en ce qu’elle ne prévoyait l’information du Responsable d’Equipe qu’une fois la livraison effectuée ; qu’après l’analyse des causes du décès de M.[W], l’employeur a mis en place les correctifs nécessaires pour assurer un suivi conforme avec la réglementation et le traitement d’un appel de patient placé sous prescription médicale.
Dans ces conditions, l’employeur qui avait mis en place une procédure interne non conforme à la réglementation n’est pas fondé à invoquer la défaillance de M.[T] dans la prise en charge de M.[W], dont les premiers juges ont au demeurant souligné, ce qui n’est pas contesté, que la famille du patient n’avait déposé aucune plainte à l’encontre de la société.
Sur la difficulté du salarié dans le management de son équipe
La société LVL Medical Ouest invoque la difficulté de M.[T] à manager son équipe, se traduisant par un manque de suivi, une incapacité à déléguer et à donner les orientations nécessaires aux équipes pour assurer une prise en charge de qualité aux patients, une incapacité à faire preuve de discernement dans ses prises de décision ayant des conséquences néfastes sur l’activité. L’employeur précise que le plan d’action mis en place le 13 octobre 2015 afin d’aider M.[T] à ‘redresser la situation en améliorer l’aspect management et accompagnement des équipes et en assurant un meilleur suivi des consignes et orientations données par la Direction’ n’a pas donné satisfaction et que des dysfonctionnements ont réapparu, malgré l’ancienneté du salarié, sa connaissance de l’entreprise, son expérience de l’activité respiratoire, les formations dont il a bénéficié et des conseils prodigués par son responsable.
M.[T] recruté le 17 janvier 2012 comme Responsable d’Equipe, sous la responsabilité du Responsable d’agence à [Localité 7], a bénéficié au vu du curriculum vitae transmis par l’employeur d’une formation universitaire supérieure ( DESS Conception, Mise en oeuvre et qualité des composants électroniques et optoélectroniques obtenu en 1997) et a occupé précédemment des postes en qualité d’adjoint au responsable de maintenance et d’adjoint au directeur technique.
La société LVL Médical Ouest produit aux fins d’établir l’insuffisance professionnelle du salarié :
– l’entretien annuel d’évaluation établi le 22 novembre 2012 par M.[S] Responsable technique, soulignant ‘l’urgence à mettre en place tous les outils pour qu'[C] acquiert la connaissance métier au plus vite’, et qu’il s’affirme en tant que Manager ‘plus ferme et directif’.
– l’entretien annuel du 20 novembre 2013 faisant apparaître de ‘ grosses lacunes de management’ fixé au salarié des objectifs à fin janvier 2014 à charge pour le Responsable technique de l’aider à les réaliser.
Ces objectifs concernent notamment la limitation des heures supplémentaires pour les assistants techniques ( 5 heures hebdomadaires maximum), le contrôle hebdomadaire des géolocalisations . Il est précisé que ‘pour faciliter la réalisation des objectifs, identiques à ceux fixés aux autres responsables d’équipe de la zone Ouest pour l’année 2013, un poste d’assistant technique supplémentaire a été pourvu sur [Localité 5] en juillet 2013.’
– l’entretien annuel 2014 réalisé le 27 février 2015, faisant apparaître une amélioration des compétences de M.[T] dans le domaine de la communication et de l’écoute de ses équipes ( Maîtrise globale), et des compétences à développer en matière d’animation, de délégation et de leadership.
– le courrier du 13 octobre 2015 du Directeur de zone (M.[D]) lui faisant part de son insatisfaction relative à l’aspect management et accompagnement de son équipe et d’autre part au manque de suivi des consignes et orientations de la Direction. Ces consignes à exécuter immédiatement consistaient pour l’essentiel :
-‘ à identifier et faire traiter par l’assistant technique concerné de façon hebdomadaire les retards pris notamment pour les patients VNI,
– à sensibiliser et mobiliser l’équipe respiratoire sur la nécessité d’augmenter les taux d’intervention insuffisants à ce jour, passant par la mise en place d’une refonte des secteurs géographiques et la redéfinition de l’attribution des missions de chacun ( en particulier [F] [B]),
– à traiter régulièrement les écarts mobilité et les anomalies sur les interventions sur Livia.’
– un premier bilan établi au 3 novembre 2015 concernant le plan d’action M.[T] Responsable équipe [Localité 5]/[Localité 7].
– un entretien annuel 2015 réalisé le 9 février 2016 aux termes duquel ‘le salarié a fait de gros progrès grâce à la mise en place d’une organisation de travail claire et définie lui permettant de gagner en efficacité, qu’il est toujours à la recherche de la satisfaction des prescripteurs et des patients il est décrit comme conscient des améliorations nécessaires, persévérant, fait preuve d’empathie et de diplomatie en gérant les éventuelles tensions liées à l’activité’. En revanche, il doit progresser ‘dans son management , dans le mode de communication aux équipes, dans ses connaissances techniques ( il n’a jamais fait de terrain) et dans le suivi de l’activité même s’il y a eu de gros progrès .’
Les observations du salarié sont les suivantes: ‘ des déplacements sur [Localité 6] répétées engendrent une amplitude horaire importante (distance) mais ces déplacements sur [Localité 6] sont malheureusement nécessaires pour la majorité des réunions de la zone Ouest.(..) Les réunions mensuelles permettent de mieux se situer quant à la tenue des objectifs fixés. La charge et l’organisation de travail des Responsables d’Equipe ont été revues en partie cette année 2015 sur la zone suite à des remontées de RE fatigués ou démotivés d’accomplir le travail sur un mode tendu ou désorganisé. Le circuit des informations descendantes de la Direction est mieux élaboré. En tant que RE, j’ai à coeur de remplir mes missions dès lors que les moyens nous sont donnés.’
Concernant les demandes de formation, aucune demande n’a été exprimée par son Responsable après avoir constaté que le salarié a bénéficié d’une formation management en 2015 et doit participer à une formation avec ses équipes en 2016.
– le résumé des thèmes abordés lors d’une réunion de travail Synergie Respi du 18 mai 2016 avec des DR, des Responsables d’Equipe et des pharmaciens ( Pièce 14-1)
S’agissant de l’impossibilité alléguée de l’intimé de mettre en oeuvre une nouvelle décision de la Direction, l’employeur fonde ce grief essentiellement sur le non-respect des consignes fixées par courriel transmis le 23 mai 2018 et sur un prétendu laxisme du Responsable d’Equipe à imposer une présence obligatoire des assistants techniques lors des réunions hebdomadaires et le respect des horaires. Toutefois, ce grief, analysé sous l’angle disciplinaire, a été jugé comme non établi pour les motifs développés précédemment. L’employeur est en conséquence défaillant à établir le reproche ainsi formulé et s’abstient de fournir des éléments sur d’autres éventuelles carences du salarié.
Sur le non-respect des procédures internes, l’employeur se réfère uniquement aux dysfonctionnements dans la prise en charge du patient décédé le 15 juin 2016, alors que les éléments versés aux débats ne sont pas suffisants pour imputer cette situation à la méconnaissance par M.[T] de la procédure interne pour les motifs développés précédemment.
Hormis les mentions figurant sur les comptes-rendus annuels d’entretien, l’employeur ne fournit aucun autre exemple et/ou témoignage, à l’appui des reproches formulés de manière générale sur les insuffisances de M.[T] en matière de management, sur son incapacité à déléguer et à donner les orientations nécessaires à ses équipes.
Enfin, alors que son manager insistait depuis le mois de novembre 2012 sur ‘l’urgence à mettre en place tous les outils pour que M.[T] acquiert la connaissance métier au plus vite’, la société LVL Médical Ouest ne justifie pas des actions de formation, évoquées dans le courrier de licenciement, notamment la formation de management dispensée au salarié en décembre 2014. De plus, l’appelante était informée à l’issue de l’entretien annuel d’évaluation du 9 février 2016 que le salarié ne disposait pas de l’ensemble des connaissances techniques nécessaires à son poste ( ‘il n’a jamais fait de terrain’ selon son manager). La défaillance de l’employeur en matière de formation au salarié dont la formation universitaire de niveau DESS et l’expérience professionnelle antérieure dans des secteurs industriels lui permettaient d’accéder aux exigences de son poste, résulte de manière suffisante des pièces produites. La société appelante, tenue d’assurer la formation continue du salarié, est ainsi mal fondée à se prévaloir d’une insuffisance professionnelle sans avoir mis en place les actions de formation préalables nécessaires aux exigences et responsabilités du poste confié.
Les éléments fournis par la société appelante ne permettent pas d’établir l’insuffisance professionnelle reprochée à M.[T], lequel a fait valoir lors du dernier entretien d’évaluation le 10 février 2016 des ‘difficultés rencontrées dans un mode tendu et désorganisé la difficulté par les Responsables d’Equipe du secteur Ouest, sans que l’employeur ne fournisse le moindre élément contredisant le constat du salarié sur sa charge de travail et ses mauvaises conditions de travail. Le fait que le salarié ait perçu de manière régulière des primes qualitatives d’un montant trimestriel variant entre 150 euros ( 3ème trimestre 2016) et 600 euros ( 4ème trimestre 2015), ne fait que contredire le positionnement de l’employeur quant à l’insuffisance professionnelle de M.[T].
L’insuffisance professionnelle n’étant pas avérée, les premiers juges ont considéré à juste titre le licenciement de M. [T] dépourvu de cause réelle et sérieuse. Le jugement sera donc confirmé.
Sur les conséquences du licenciement
Aux termes de l’article L 1235-3 du code du travail en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le juge octroie au salarié, avec une ancienneté de quatre ans au sein de l’entreprise, une indemnité à la charge de l’employeur dont le montant est compris entre 3 mois et 5 mois de salaire.
A la date du licenciement, M. [T] percevait une rémunération moyenne de 2 558 euros brut par mois outre une prime moyenne de 325 euros par trimestre, avait 47 ans et justifiait d’une ancienneté de 4 ans et 10 mois.
Compte tenu des circonstances de la rupture, de l’âge, de l’ancienneté du salarié, la cour dispose des éléments suffisants pour évaluer à la somme de 13 258 euros le montant de l’indemnisation due au salarié au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, par voie de confirmation du jugement.
Sur les dommages-intérêts pour préjudice moral
M. [T] ne rapporte pas la preuve de circonstances de fait particulièrement abusives ou vexatoires dans lesquelles la relation de travail s’est exécutée ou a pris fin et ne justifie pas de l’existence d’un préjudice distinct de celui résultant de la perte de son emploi.
Il sera en conséquence débouté de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral, par voie d’infirmation du jugement.
Sur les autres demandes et les dépens
Les conditions d’application de l’article L 1235-4 du code du travail étant réunies, il convient d’ordonne r le remboursement par l’employeur des indemnités de chômage payées au salarié et ce à concurrence de quatre mois.
Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de l’appelante les frais non compris dans les dépens. L’employeur sera débouté de sa demande au titre des frais irrépétibles d’appel, le jugement déféré étant confirmé en ses dispositions relatives de l’article 700 du code de procédure civile
L’employeur sera condamné aux entiers dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
– CONFIRME les dispositions du jugement entrepris sauf en ce qu’il a condamné la société LVL Médical Ouest à verser à Monsieur [T] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral.
Statuant de nouveau du chef infirmé et y ajoutant :
– Rejette la demande de M.[T] de dommages-intérêts pour préjudice moral,
– Condamne la SAS LVL Médical Ouest à rembourser aux organismes intéressés comme Pôle Emploi , organisme les ayant servies les éventuelles indemnités de chômage versées au salarié, et ce dans la proportion de quatre mois d’indemnités de chômage.
– Déboute la SAS LVL Médical Ouest de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
– Condamne la SAS LVL Médical Ouest aux dépens de l’appel.
Le Greffier Le Président