Your cart is currently empty!
24 juin 2022
Cour d’appel de Douai
RG n°
20/00037
ARRÊT DU
24 Juin 2022
N° 1051/22
N° RG 20/00037 – N° Portalis DBVT-V-B7E-S2CW
FB/AA
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Valenciennes
en date du
09 Décembre 2019
(RG -section )
GROSSE :
aux avocats
le 24 Juin 2022
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANT :
M. [X] [U]
[Adresse 6]
[Localité 4]
représenté par Me Eric LAFORCE, avocat au barreau de DOUAI,
Assisté par Me Jean-Philippe LAHORGUE, avocat au luxembourg
INTIMÉS:
Société SARL BOIRAMA PRODUCTION en liquidation judiciaire
non comparante
Me [W] [A] Liquidateur judiciaire de la SARL BOIRAMA PRODUCTIONS
[Adresse 2]
[Localité 5]
représenté par Me Rodolphe HUBER, avocat au barreau de LILLE
Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE [Localité 3]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Thibaut CRASNAULT, avocat au barreau de VALENCIENNES,assisté de Me Cecile HULEUX, avocat au barreau de DOUAI
DÉBATS :à l’audience publique du 01 Février 2022
Tenue par Frédéric BURNIER
magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Séverine STIEVENARD
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Stéphane MEYER
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Béatrice REGNIER
: CONSEILLER
Frédéric BURNIER
: CONSEILLER
Le prononcé de l’arrêt a été prorogé du 29 Avril 2022 au 24 Juin 2022 pour plus ample délibéré
ARRÊT :Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 24 Juin 2022,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Stéphane MEYER, Président et par Nadine BERLY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 11/01/2022
EXPOSÉ DU LITIGE
Monsieur [X] [U] a été engagé par la société Boirama Production à compter du 1er mars 1983.
Il était, par ailleurs, associé minoritaire de cette société.
Par lettre du 10 janvier 2018, Monsieur [U] a été convoqué pour le 22 janvier suivant à un entretien préalable à son licenciement, et mis à pied à titre conservatoire.
Par lettre du 29 janvier 2018, Monsieur [X] [U] a été licencié pour faute grave et insuffisance professionnelle.
Le 26 février 2018, Monsieur [X] [U] a saisi le conseil de prud’hommes de Valenciennes et formé des demandes afférentes à un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par jugement du 8 octobre 2018, le tribunal de commerce de Valenciennes a prononcé la liquidation judiciaire de la société Boirama Production et désigné Maître [W] [E] en qualité de liquidateur judiciaire.
Par jugement du 9 décembre 2019, le conseil de prud’hommes de Valenciennes a débouté Monsieur [X] [U] de ses demandes et l’a condamné à payer, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, les sommes de 1 000 euros à Maître [E], en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Boirama Production, et de 500 euros à l’UNEDIC Délégation AGS CGEA de [Localité 3], ainsi qu’aux dépens.
Monsieur [X] [U] a régulièrement interjeté appel de ce jugement par déclaration du 9 janvier 2020, en visant expressément les dispositions critiquées.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 12 mai 2020, Monsieur [X] [U] demande l’infirmation du jugement en toutes ses dispositions.
Il demande à la cour de :
– dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– condamner solidairement Maître [W] [E] et l’UNEDIC AGS-CGEA de [Localité 3] à lui payer les sommes de:
– 4 627,00 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire,
– 14 614,00 euros à titre d’ indemnité compensatrice de préavis,
– 109 605,00 euros à titre d’indemnité de licenciement,
– 730,70 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés,
– 146 140,00 euros en réparation du préjudice matériel et moral.
A défaut, il demande à la cour de fixer sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société Boirama Production et dire l’arrêt à intervenir opposable au CGEA de [Localité 3].
En tout état de cause, il demande le rejet des demandes formulées par Maître [W] [E] et l’UNEDIC AGS-CGEA de [Localité 3] ainsi que leur condamnation solidaire à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Monsieur [U] fait valoir qu’il a saisi le conseil de prud’hommes le 26 février 2018, avant le jugement du 8 octobre 2018 ouvrant la liquidation judiciaire de la société Boirama Production et fixant au 1er juin 2018 la date de cessation des paiements, que les organes de la procédure ont ensuite été mis dans la cause et ont pu présenter leurs observations, de sorte que son action est recevable.
Il fait observer qu’aucun reproche ne lui a été adressé en 34 années de service. Il relève que les griefs tirés du non-respect de procédures internes ne sont ni circonstanciés ni étayés et ne peuvent donc caractériser une faute rendant impossible la poursuite du contrat de travail. Il produit diverses attestations visant à démentir le grief selon lequel il était à l’origine de clans au sein de l’entreprise. Il note que l’employeur a tardé à prononcer la mise à pied à titre conservatoire et a engagé la procédure de licenciement après la remise, le 13 octobre 2017, d’un rapport qui l’aurait alerté. Il tire de ce délai la preuve que les faits reprochés, à les supposer établis, n’étaient pas d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation de travail. Il fait valoir qu’une faute grave ne saurait être admise lorsque le licenciement est prononcé plus de deux après la connaissance du fait fautif.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 2 avril 2020, Maître [E], en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Boirama Production, demande à la cour de déclarer irrecevables les demandes de Monsieur [U] et, à défaut, de confirmer le jugement déféré et condamner ce dernier au paiement de la somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Le mandataire liquidateur soutient que Monsieur [U] a formé ses demandes alors que la société Boirama Production était déjà en liquidation, qu’elles doivent être déclarées irrecevables en vertu du principe de suspension des poursuites à l’égard d’une société placée en procédure collective. Il ajoute que les demandes visant la condamnation du mandataire liquidateur et de l’AGS sont irrecevables car nouvelles en cause d’appel. Il rappelle que la responsabilité personnelle du mandataire judiciaire ne peut être engagée.
Il souligne que le premier grief retenu à l’encontre de Monsieur [U], le non-respect des procédures internes, relève de l’insuffisance professionnelle. Il estime que le manque de rigueur et de professionnalisme est suffisamment établi, qu’il est à l’origine des difficultés économiques qui ont conduit à la liquidation de l’entreprise. Il précise que, par ailleurs, il est reproché à Monsieur [U] de ne pas avoir respecté les procédures mises en place au niveau de l’entreprise, d’avoir créé un contre-pouvoir en donnant des contre-ordres et d’être à l’origine de clans. Il fait état de manquements importants mettant en péril la sécurité des salariés. Il ajoute la mise en évidence de malversations. Il regarde ces agissements comme constitutifs d’une faute grave.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 16 mars 2020, l’AGS demande à la cour de déclarer les demandes de Monsieur [U] irrecevables et, en tout état de cause, que le jugement soit confirmé, que Monsieur [U] soit débouté de ses prétentions et condamné au versement d’une indemnité pour frais de procédure de 800 euros et qu’enfin il soit fait application des limites légales de sa garantie.
L’AGS fait valoir que toute demande de condamnation à son encontre ou à l’encontre du liquidateur est irrecevable.
A titre subsidiaire, elle regarde l’insuffisance professionnelle comme la faute grave caractérisées.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 11 janvier 2022.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la recevabilité de l’action de Monsieur [U]
L’article L.625-3 du code du commerce dispose que les instances en cours devant la juridiction prud’homale à la date du jugement d’ouverture sont poursuivies en présence du mandataire judiciaire et de l’administrateur lorsqu’il a une mission d’assistance ou ceux-ci dûment appelés.
L’action a été engagée par Monsieur [U] devant le conseil de prud’hommes, le 26 février 2018, avant l’ouverture de la procédure collective concernant la société Boirama Production par jugement du 8 octobre 2018. Cette action doit se poursuivre en cause d’appel, les organes de la procédure étant présents et le salarié étant dispensé de la déclaration de sa créance.
La fin de non recevoir tirée du principe de suspension des poursuites sera donc rejetée.
En revanche, les demandes de condamnation dirigées directement contre le liquidateur sont irrecevables sur le fondement de l’article L.622-21 du code de commerce.
De même, les demandes en paiement directement dirigées contre l’AGS doivent être déclarées irrecevables.
Sur le licenciement
Aux termes de l’article L. 1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.
L’insuffisance professionnelle se définit comme l’incapacité objective et durable d’un salarié à exécuter de façon satisfaisante un emploi correspondant à sa qualification. Elle se caractérise par une mauvaise qualité du travail due soit à une incompétence professionnelle, soit à une inadaptation à l’emploi.
Aux termes de l’article L. 1235-1 du code du travail, le juge, pour apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, et au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles, et, si un doute persiste, il profite au salarié.
Par ailleurs, il résulte des dispositions de l’article L. 1234-1 du code du travail que la faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle nécessite le départ immédiat du salarié, sans indemnité.
La preuve de la faute grave incombe à l’employeur, conformément aux dispositions des articles 1353 du code civil et 9 du code de procédure civile.
Si elle ne retient pas la faute grave, il appartient à la juridiction saisie d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l’employeur, conformément aux dispositions de l’article L. 1232-1 du code du travail.
Il est constant que l’employeur, à condition de respecter les règles applicables à chaque cause de licenciement, peut invoquer dans la lettre de licenciement des motifs différents de rupture inhérents à la personne du salarié, dès lors qu’ils procèdent de faits distincts.
En l’espèce, la lettre de licenciement du 29 janvier 2018 porte mention de deux motifs de licenciement : une insuffisance professionnelle et une faute grave.
Concernant la faute grave, la lettre de licenciement fait grief à Monsieur [U] de ne pas avoir respecté les procédures mises en place au niveau de l’entreprise, d’avoir créé un contre-pouvoir en donnant des contre ordres et d’être à l’origine de clans au sein de l’entreprise.
Elle reprend les propos critiques de salariés relevés par un cabinet ayant réalisé un audit dans la société, notamment en mentionnant : ‘Monsieur [U] a développé au fil des années un leadership négatif voire toxique. Il est pleinement désengagé, mais il a un pouvoir fort dans l’entreprise. Il continue à diviser pour mieux régner. C’est honteux qu’on le laisse faire. En termes d’exemplarité, c’est une catastrophe’.
Elle fait également référence à un rapport de l’organisme de contrôle et de sécurité Qualiconsult Sécurité faisant état d’un manquement grave lié à la sécurité des salariés oeuvrant sur un chantier entraînant un risque de chute. Elle indique notamment: ‘Il est parfaitement inadmissible que les règles de sécurité, la mise en place des équipements de sécurité collective et le port des EPI ne soient pas respectés sur les chantiers dont vous avez la charge’.
Elle évoque un suivi défaillant du SAV entraînant divers préjudices pour l’entreprise: ‘nous avons découvert récemment que les SAV de l’entreprise n’étaient pas suivis alors qu’ils étaient censés être traités techniquement par vous et les équipes de pose dont vous deviez vous occuper’.
Elle fait état de 35 litiges en cours et donne l’exemple de quatre autres chantiers ayant posé difficulté : [Localité 8], [Localité 7], [Localité 9] et Lyreco.
Elle conclut : ‘vos agissements mettent en cause la bonne marche de l’entreprise, la sécurité des salariés et créant des préjudices d’ordre financier, d’image, commercial organisationnel et de sécurité que nous ne pouvons tolérer davantage.
Les explications recueillies auprès de vous au cours de notre entretien du 22 janvier dernier ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet, d’autant plus que vous avez affirmé ne pas souhaiter répondre à la présentation des faits qui vous sont reprochés. Nous vous informons que nous avons, en conséquence, décider de vous licencier pour faute.
Compte tenu de la gravité de celle-ci, votre maintien dans l’entreprise s’avère impossible. Le licenciement prend donc effet immédiatement à la date d’envoi de la présente lettre, sans indemnité de préavis ni de licenciement.’
En préalable, il convient de rappeler que, la lettre de licenciement fixant les limites du litige en application des dispositions de l’article L.1232-6 du code du travail, le grief relatif au détournement des biens et ressources de la société à des fins personnelles, développé en cours d’instance mais non mentionné dans la lettre de licenciement, ne saurait être pris en considération pour apprécier la validité de la mesure contestée.
Les fonctions de Monsieur [U] ne sont pas définies avec précisions. Il n’est communiqué ni contrat de travail, ni fiche de poste, ni organigramme.
Ses dernières fiches de paie portent mention d’un emploi de ‘chef de service technique’ tout en précisant que la convention collective applicable est celle des cadres du bâtiment. Si le coefficient n’est pas indiqué, le salaire de base s’élève à 7 307 euros brut. Il se déduit de ces éléments que Monsieur [U] avait une position de cadre au sein de l’entreprise.
L’audit réalisé en septembre 2017 par un consultant rattaché au Medef du Grand Lille désigne Monsieur [X] [U] comme directeur technique. Il est présenté comme assurant des fonctions de commercial et de chef d’équipe. Un graphique présentant l’organisation de la société le place comme ayant autorité sur les 12 poseurs. Une autre rubrique le présente comme responsable des opérations de pose.
Les attestations de Messieurs [Z], [Y], [L], fournies par Monsieur [U], confirment son rôle dans la mise en oeuvre, l’organisation et le suivi des chantiers.
Dans cette entreprise spécialisée dans la fabrication et l’installation de menuiseries, il peut donc être retenu que Monsieur [U] avait la responsabilité des opérations de pose.
En revanche, l’audit susvisé ne présente pas Monsieur [U] comme étant spécifiquement en charge du service après-vente. Le SAV y est décrit comme non géré, dans une entreprise où les attributions managériales sont jugées peu claires. Quant aux attestations fournies par les parties, elles divergent sur ce point.
Il s’ensuit que la responsabilité de l’intéressé en matière de service après-vente n’est pas suffisamment établie, de sorte que les manquements constatés dans ce domaine ne peuvent lui être imputés.
La lettre de licenciement vise des problèmes de sécurité et de malfaçons sur plusieurs chantiers.
Concernant la mise en danger des salariés, il ressort d’un compte rendu, daté du 13 octobre 2017, rédigé par la société Qualiconsult, chargée d’une mission de coordination en matière de sécurité et de protection de la santé, suite à la visite inopinée d’un chantier situé à [Localité 7], dont le lot menuiserie était attribué à la société Boirama représentée, selon le document, par Monsieur [U], que : ‘Entreprise Boirama – Situation inadmissible, risque de chute. Lors de notre passage ce jour, nous avons constaté un manquement grave lié à la sécurité des salariés ayant à travailler sur le site. Nous vous avons demandé de remettre en place les protections collectives mises en place par le gros oeuvre. Veuillez déposer les protections collectives à l’avancement de la pose de vos menuiseries une à une. Nous vous demandons également de fermer à clefs les ouvrants et d’enlever les poignets afin d’assurer une sécurité totale du balcon’.
Monsieur [U] ne peut déduire du seul fait que le plan particulier de sécurité et de protection de la santé afférent a été communiqué par courriel à la société Qualiconsult par Monsieur [N], directeur commercial, que ce dernier était responsable de ce chantier, alors que, d’une part, plusieurs attestants indiquent que Monsieur [U] ne se servait pas des outils informatiques, et d’autre part, ce plan désigne explicitement Monsieur [U] comme ‘responsable sur le chantier’ et en charge du ‘suivi au siège’.
S’agissant d’un chantier situé à [Localité 7], l’attestation de Monsieur [O], attribuant à Messieurs [N] et [J] le suivi du chantier de [Localité 9], est inopérante pour écarter la responsabilité de Monsieur [U].
Ces manquements à une obligation essentielle de sécurité constatés sur ce chantier peuvent caractériser une faute du cadre responsable de l’organisation et du suivi des opérations de pose de menuiserie.
Toutefois, aucun élément n’indique que l’employeur ait pris connaissance tardivement de ce rapport daté du 13 octobre 2017, de sorte que ce fait fautif se trouvait prescrit, en application des dispositions de l’article L.1332-4 du code du travail, au moment de l’engagement de la procédure disciplinaire le 10 janvier 2018.
Concernant le chantier de [Localité 9], une lettre du maire de cette commune, datée du 22 janvier 2018, signale l’absence d’interventions, malgré des relances, pour faire lever les réserves émises lors de la réception des travaux le 9 février 2017: réglage de portes, mains courantes de l’escalier, câbles non tendus du garde-corps de l’escalier.
Cette récrimination concernant l’achèvement d’un chantier de pose pourrait relever de la responsabilité de Monsieur [U].
Toutefois, celui-ci produit deux attestations concordantes, rédigées par Messieurs [O] et [L] qui certifient que le suivi du chantier de [Localité 9] était assuré par Messieurs [N] et [J]. Monsieur [L], menuisier poseur, déclare ainsi : ‘j’ai travaillé sur le chantier de [Localité 9], un problème s’est posé pour un escalier et des vitrages. Ces problèmes n’ont pas été suivis par Mr [U]. C’est Mr [N] avec Mr [J] qui ont suivi le dossier ainsi que les rendez-vous de suivi chantier’.
Le liquidateur judiciaire n’apporte aucun élément permettant d’apprécier le niveau effectif de responsabilité de Monsieur [U] concernant cette opération.
Il s’ensuit qu’aucune faute imputable à Monsieur [U] dans le suivi de ce chantier n’apparaît suffisamment fondée.
La lettre de licenciement fait état, en outre, de 35 litiges en cours avec des clients insatisfaits.
Dans son attestation, Madame [I], comptable de la société Boirama, mentionne au nombre des ‘chantier mal faits’ celui de Madame [F].
Cette dernière déclare avoir conclu un contrat avec la société Boirama. Elle affirme notamment: ‘Mon interlocuteur technique et commercial était [X] [U]. (…) [X] [U] s’est trompé 2 fois dans la prise de dimension ce qui a occasionné2 décalages de pose (…) [X] [U] a oublié les grilles de ventilation et le chiffrage de la fenêtre de la cuisine. Il m’a fait pression pour signer le dernier devis. 3 mois après la signature, il m’a indiqué qu’il manque des profilés et qu’il ne peut pas livrer à l’heure. En juin 2017, les chassis arrivent mais trop grands (…) Une nouvelle pose a alors été prévue en septembre mais les chassis sont arrivés avec la mauvaise couleur (…) Début octobre, la 3ème version des chassis est trop petite. [X] [U] me dit alors : ‘il faut casser le contrat puis c’est tout, tu me portes la poisse, va voir ailleurs, mets moi à [D] [T]’. J’ai refusé. Finalement, après de nombreux appels et déplacements chez Boirama, le montage a été réalisé les 1/2/3 décembre 2017, soit près d’un an après avoir validé le devis initial. [X] [U] ne m’a jamais appelé et n’a pas supervisé la pose. Les équipes qui essayaient de joindre [X] [U] ont laissé les chassis dégoutants et n’ont pas fait l’étanchéité périphérique. Le chantier n’a pas été nettoyé. [X] [U] m’a finalement appelé pour me mettre la pression pour effectuer le règlement du solde des chassis mais n’a pas pris le temps de faire le tour du chantier avec moi. Il n’y a pas eu réception de fin de chantier. J’ai eu un défaut de conseil de la part de [X] [U] qui se fichait de ce que je pouvais raconter et me donnait l’impression de n’en avoir rien à faire et n’a pas cherché à m’aider. Et à ce jour, je n’ai pas le produit que je souhaitais du triple vitrage mais du double. Ce projet m’a rendu malade, déprimée et déçu à cause de [X] [U] et des équipes de Boirama sous sa direction’.
Ce témoignage met en exergue d’importantes négligences de Monsieur [U] tant dans sa mission d’organisation et de supervision des opérations de pose que dans sa relation avec la cliente. Ces négligences, par leur ampleur et leur récurrence, revêtent un caractère fautif. Elles se sont manifestées à plusieurs reprises, dans le cadre du même chantier, jusqu’au début du mois de décembre 2017. Elles caractérisent un comportement fautif, réitéré, qui n’était pas prescrit au moment de l’engagement de la procédure disciplinaire le 10 janvier 2018.
Par ailleurs, un échange de courriels entre Monsieur [N], dirigeant la société Boirama, et le responsable des services généraux de la société Lyreco, les 18 et 23 janvier 2018, fait état de la découverte à cette période de nombreuses malfaçons suite à la pose de chassis (ensemble des chassis à régler, problèmes d’étanchéité, pièces manquantes au niveau de la crémone de chaque fenêtre …).
Ces pièces traduisent un défaut de maîtrise de ce chantier, livré en dépit de nombreuses non conformités.
Monsieur [B], conseiller technique, et Madame [R], comptable, attestent que les problèmes rencontrés sur le chantier Lyreco résultent du manque d’implication de Monsieur [U] qui n’assurait pas l’encadrement effectif des poseurs placés sous son autorité.
Cette nouvelle marque de négligence, découverte par l’employeur en janvier 2018, caractérise un comportement fautif, non prescrit au moment de l’engagement de la procédure disciplinaire.
Ces négligences managériales, ainsi qu’un défaut de loyauté à l’égard de la direction de l’entreprise, représentent le premier grief visé par la lettre de licenciement au titre de la faute grave.
Elles ont été mises en évidence par l’audit réalisé en septembre 2017 par un consultant extérieur à l’entreprise.
Parmi les diverses difficultés et carences constatées par celui-ci, certaines concernent explicitement Monsieur [U] et la gestion des opérations et équipes de pose.
Ainsi, il est notamment relevé :
– ‘ Les collaborateurs mettent en avant le fait qu’il existe ‘beaucoup trop d’erreurs dans les prises de côtes’ ;
– ‘la phase de réalisation:
– il n’existe pas de mise en route le matin, les collaborateurs prennent connaissance des chantiers/commandes affectés le matin même, sans aucune instruction
– notons que les poseurs partent de l’entrepôt à 8h – 8h15 et reviennent vers 15h30 – 15h45
– les salariés pointent du doigt le fait que ‘pas un chantier ne va’ et ‘qu’on n’analyse pas pourquoi ça ne marche pas’. Ils déplorent que ‘personne ne passe sur chantier’ et qu’ils doivent souvent endosser le rôle de ‘tampon avec la clientèle’
– ‘Monsieur [U] a développé au fil des années un leadership ‘négatif’, voire ‘toxique’. Les collaborateurs s’accordent à dire qu’il est ‘pleinement désengagé’ mais qu’il a toujours un ‘pouvoir fort’ dans l’entreprise et qu’il contribue à ‘diviser pour mieux régner’
– ‘Monsieur [U] fait donc de la résistance dans l’opérationnel’
– ‘une problématique compétence : [X]. Est-il arrivé à ses limites ‘ Est-ce un problème de motivation ”
Cet état des lieux est corroboré par des attestations versées au dossier:
– Monsieur [B], conseiller technique, indique : ‘[X] [U] a à plusieurs reprises arraché les notes de service que j’ai affiché pour organiser des réunions d’organisation d’équipe. J’ai compris rapidement qu’il ne souhaitait pas transmettre les informations en sa possession à l’ensemble des équipes pour conserver sa main mise sur les poseurs. (…) Enfin à ma connaissance, la sécurité des salariés sous la responsabilité de Mr [U] a été mise à mal: pneus lisses sur les camions, problèmes d’entretien divers, problème d’équipements individuels, manque d’échafaudages, poses avec des échelles interdites …’
– Madame [I], comptable, déclare : ‘Mr [U] ne s’intéressait qu’à son train train habituel. Il me disait ouvertement : ‘Je n’en ai rien à foutre, ma carrière est faite’ (…) Il ne faisait que dénigrer la société, il mettait les salariés les uns contre les autres afin de mieux régner comme on se disait entre nous. Ces dernières années on le voyait à peine, il restait 1 à 2 h/jour à l’entreprise. (…) Monsieur [U] ne tenait pas compte de la sécurité des ouvriers (…) Mr [U] ne vérifiait jamais la mise en route de ses chantiers. Il me disait ‘Rien à foutre. [N] se démerde’ (…) Il ne passait pas sur les chantiers, ne donnait pas de consignes, n’exigeait pas à porter les EPI, ne manageait pas les poseurs alors que c’était son rôle.’
– Monsieur [C], dessinateur, affirme: ‘J’ai constaté le comportement de Mr [U] ces derniers mois: planning de pose pas géré du tout, mauvaise organisation, planning à la semaine, aucun suivi (…) Enormément d’erreurs (mauvaise prises de côtes, commandes en doublon voir triple) aucune gestion de la sécurité du personnel, pas de formation, pas d’EPI (il était responsable)’
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que Monsieur [U] s’est notoirement désintéressé des ses missions et responsabilités et s’est montré négligent dans l’exercice de ses fonctions.
Cette attitude a mis en péril la sécurité des salariés placés sous son autorité, occasionné l’insatisfaction de la clientèle et contribué à la désorganisation de l’entreprise.
Ce comportement fautif s’est poursuivi pendant plusieurs mois et s’est encore manifesté au cours des deux mois qui ont précédé l’engagement de la procédure disciplinaire.
Il revêt une gravité suffisante pour être sanctionné par une mesure de licenciement.
Toutefois, il ressort des propos de salariés recueillis lors de l’audit, des attestations versées au dossier comme du nombre de situations litigieuses évoquées dans la lettre de licenciement que ce comportement fautif était connu de longue date, de tous dans l’entreprise, et nécessairement de la direction, compte tenu du statut de Monsieur [U].
Le cabinet d’audit a décrit ‘un chaos organisationnel’ dans lequel ‘personne ne prend ses responsabilités’ et a invité Monsieur [N], dirigeant, à assumer son positionnement.
Cette situation peut expliquer l’absence de sanction, rappel à l’ordre ou recadrage adressés à Monsieur [U] malgré son attitude.
Dès lors, la société Boirama qui a laissé perdurer ce comportement fautif, sans la moindre réaction, et a tardé à engager une action disciplinaire ne peut invoquer utilement l’existence d’une faute grave.
Par réformation du jugement entrepris, le licenciement pour faute grave de Monsieur [U] sera requalifié en licenciement pour cause réelle et sérieuse.
Le licenciement étant fondé sur une cause réelle et sérieuse d’ordre disciplinaire, il n’apparaît pas utile d’analyser les griefs invoqués au titre de l’insuffisance professionnelle.
En application des dispositions de l’article L. 1332-3 du code du travail, en l’absence de faute grave, la mise à pied à titre conservatoire n’était pas justifiée. Monsieur [X] [U] est donc fondé à percevoir le salaire correspondant, soit la somme de 4 627 euros.
A la date de la rupture, Monsieur [X] [U] avait plus de deux années d’ancienneté et est donc fondé à percevoir une indemnité compensatrice de préavis égale à deux mois de salaire sur le fondement des articles L. 1234-1 et L. 1234-5 du code du travail, soit la somme de 14 614 euros.
Monsieur [X] [U] est également fondé à percevoir une indemnité de licenciement sur le fondement des stipulations de l’article 7.5 de la convention collective des cadres du bâtiment, d’un montant de 109 605 euros.
Monsieur [U] qui ne fonde pas sa demande d’indemnité compensatrice de congés payés sera débouté de sa demande à ce titre.
Son licenciement étant fondé sur une cause réelle et sérieuse, il sera également débouté de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice matériel et moral fondée sur l’article L.1235-3 du code du travail.
Sur les autres demandes
Compte tenu de la solution apportée au litige, il y a lieu d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné Monsieur [U] à verser, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, les sommes de 1 000 euros à Maître [E], en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Boirama Production, et de 500 euros à l’AGS, ainsi qu’aux dépens.
Sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, il convient de condamner Maître [E], en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Boirama Production, à payer à Monsieur [U] une indemnité destinée à couvrir les frais non compris dans les dépens qu’il a dû engager pour assurer la défense de ses intérêts et qu’il y a lieu de fixer à 2 000 euros.
La présente décision est déclarée opposable à l’AGS, tenue à garantie dans les limites et plafonds prévus par la loi.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement déféré en ce qu’il a débouté Monsieur [X] [U] de ses demandes de dommages et intérêts pour préjudice matériel et moral et d’indemnité compensatrice de congés payés,
Infirme le jugement pour le surplus ;
Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant:
Requalifie le licenciement pour faute grave de Monsieur [X] [U] en licenciement pour cause réelle et sérieuse,
Rejette la fin de non recevoir tirée du principe de suspension des poursuites,
Déclare irrecevables les demandes de condamnation dirigées directement contre Maître [E] et l’UNEDIC délégation AGS CGEA de [Localité 3],
Fixe la créance de Monsieur [X] [U] au passif de la procédure collective de la SARL Boirama Production aux sommes suivantes :
– 4 627 euros à titre de rappel de salaire sur la période de mise à pied conservatoire,
– 14 614 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– 109 605 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,
Condamne Maître [E], en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Boirama Production, à payer à Monsieur [X] [U] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais engagés en première instance et en cause d’appel,
Déclare le présent arrêt opposable à l’UNEDIC délégation AGS CGEA de [Localité 3], dans les limites de sa garantie légale telle que fixée par les articles L. 3253-6 et suivants du code du travail et des plafonds prévus à l’article D. 3253-5 du même code,
Condamne Maître [E], en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Boirama Production, aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER
Nadine BERLY
LE PRESIDENT
Stéphane MEYER