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23 janvier 2014
Cour d’appel de Paris
RG n°
12/05621
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 2
ARRÊT DU 23 Janvier 2014
(n° , 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : S 12/05621
Décision déférée à la Cour : arrêt de renvoi après cassation rendu le 19 janvier 2012 par la Chambre Sociale de la Cour de Cassation, sur pourvoi d’un arrêt rendu le 04 février 2010 par le Pôle 6 chambre 7 de la Cour d’Appel de PARIS, sur appel d’un jugement du conseil de prud’hommes de PARIS du 20 février 2008
APPELANT
Monsieur [O] [P]
[Adresse 1]
[Localité 2]
comparant en personne, assisté de Me Pascal ANQUEZ, avocat au barreau de PARIS, toque : D0037
INTIMEE
SARL RAVIER venant aux droits de la SA RUFFIN
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par Me Jean-Philippe MARIANI, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, toque : PN 287
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 28 novembre 2013, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Nicolas BONNAL, Président
Madame Martine CANTAT, Conseiller
Monsieur Christophe ESTEVE, Conseiller
qui en ont délibéré
GREFFIER : Madame FOULON, lors des débats
ARRET :
– contradictoire
– rendu par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Monsieur Nicolas BONNAL, Président et par Madame FOULON, Greffier .
**********
Monsieur [O] [P] était embauché par la société RUFFIN le 08 septembre 1988 par contrat verbal, en qualité de maître ouvrier.
Ayant successivement bénéficié de plusieurs promotions au sein de l’entreprise, le salarié exerçait en dernier lieu et depuis juillet 2002 les fonctions d’ingénieur commis principal, catégorie cadre, coefficient 108, en contrepartie d’une rémunération mensuelle brute de 5 208,43 € pour 169 heures de travail par mois, dont 17,33 heures majorées à 25 %.
Après un rappel à l’ordre le 02 août 2005 puis un avertissement notifié le 07 septembre 2005, Monsieur [O] [P] était mis à pied à titre conservatoire et convoqué par lettre du 05 décembre 2005 à un entretien préalable à son licenciement devant se tenir le 14 décembre mais reporté au 19 décembre.
Par lettre recommandée du 16 janvier 2006, Monsieur [O] [P] était licencié pour faute grave, à raison de divers manquements à ses obligations professionnelles, à savoir une ‘insubordination par contestation radicale et réitérée de l’organisation de l’entreprise, de graves conflits avec d’autres salariés de l’entreprise et un non-respect des procédures internes avec dissimulation de dossiers clients.
C’est dans ces conditions que le salarié a saisi le 30 novembre 2005 le conseil de prud’hommes de Paris.
Par jugement du 20 février 2008, le conseil de prud’hommes de Paris en sa formation de départage a :
– condamné la SARL RAVIER RUFFIN ‘ venant aux droits de la société RUFFIN ‘ à payer à Monsieur [O] [P] les sommes suivantes :
* 6 552,00 € de rappel de salaire (mise à pied),
* 15 624,00 € d’indemnité de préavis,
* 3 518,00 € d’indemnité compensatrice de congés payés,
* 23 453,00 € d’indemnité de licenciement,
avec intérêts au taux légal à compter du 2 décembre 2005 et bénéfice de l’exécution provisoire de droit, en application de l’article R 516-37 du code du travail, dans la limite de neuf mois de salaire (la moyenne des trois derniers mois de salaire étant fixée à 5 208,43 €),
* 1 500,00 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonné l’exécution provisoire,
– ordonné la remise à Monsieur [O] [P] par la SARL RAVIER RUFFIN ‘ venant aux droits de la société RUFFIN ‘ de documents de rupture conformes à la décision,
– rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires,
– condamné la SARL RAVIER RUFFIN ‘ venant aux droits de la société RUFFIN ‘ aux dépens.
Par arrêt du 04 février 2010, la cour d’appel de Paris a :
– jugé le licenciement de Monsieur [O] [P] valablement prononcé pour faute grave,
– infirmé partiellement la décision déférée en ce qu’elle a condamné la SARL RAVIER RUFFIN ‘ venant aux droits de la société RUFFIN ‘ à payer à Monsieur [O] [P] les sommes suivantes :
* 6 552,00 € de rappel de salaire (mise à pied),
* 15 624,00 € d’indemnité de préavis,
* 23 453,00 € d’indemnité de licenciement,
Et statuant à nouveau,
– débouté Monsieur [O] [P] de ces chefs de demande,
– rappelé que la restitution par Monsieur [O] [P] des sommes lui ayant été ainsi versées par la SARL RAVIER RUFFIN ‘ venant aux droits de la société RUFFIN ‘ au titre de l’exécution provisoire attachée au jugement entrepris est acquise de plein droit à cette dernière, par le seul effet et dans les limites de l’infirmation de la décision déférée, et avec intérêts courant eux-mêmes de plein droit à compter du présent arrêt,
– confirmé le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la SARL RAVIER RUFFIN ‘ venant aux droits de la société RUFFIN ‘ à payer à Monsieur [O] [P] la somme de 3 518,00 € à titre d’indemnité compensatrice de congés payés, avec intérêts au taux légal à compter du 2 décembre 2005, et débouté le salarié du surplus de ses demandes principales,
– débouté la SARL RAVIER RUFFIN ‘ venant aux droits de la société RUFFIN ‘ de sa demande aux fins de restitution par Monsieur [O] [P] de la somme nette de 2 751,77 € par lui perçue au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés, parallèlement à la délivrance d’un certificat pour la caisse de congés payés relatif à la même période,
– infirmé derechef la décision querellée quant au sort des dépens et frais irrépétibles de première instance,
Statuant à nouveau,
– dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile en la cause,
– débouté les parties de toutes demandes, fins ou prétentions plus amples ou contraires, infondées,
– dit que les dépens de première instance et d’appel seraient ensemble supportés par Monsieur [O] [P] à hauteur des 9/10èmes, et pour 1/10ème, par la SARL RAVIER RUFFIN venant aux droits de la société RUFFIN.
Par arrêt du 19 janvier 2012, la chambre sociale de la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt rendu le 04 février 2010 par la cour d’appel de Paris, mais seulement en ce qu’il a débouté Monsieur [O] [P] de sa demande en paiement d’heures supplémentaires et repos compensateurs non pris, et remis en conséquence sur ce point la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt en les renvoyant devant la cour d’appel de Paris autrement composée.
Monsieur [O] [P] a formalisé une déclaration de saisine après renvoi de cassation qui a été enregistrée le 07 mai 2012.
Aux termes de ses conclusions transmises à la cour et soutenues à l’audience du 28 novembre 2013, auxquelles il est fait expressément référence pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens, Monsieur [O] [P] demande à la cour de renvoi de :
– condamner la SARL RAVIER RUFFIN venant aux droits de la société RUFFIN à lui verser la somme de 90 164,02 € à titre d’heures supplémentaires réalisées et non rémunérées, avec intérêts au taux légal à compter de la signification de l’arrêt,
– condamner la SARL RAVIER RUFFIN venant aux droits de la société RUFFIN à lui verser la somme de 31 074,40 € à titre de repos compensateur, avec intérêts au taux légal à compter de la signification de l’arrêt,
– condamner la SARL RAVIER RUFFIN venant aux droits de la société RUFFIN à lui verser la somme de 3 500,00 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la SARL RAVIER RUFFIN en tous les dépens.
Aux termes de ses conclusions transmises à la cour et soutenues à l’audience du 28 novembre 2013, auxquelles il est fait expressément référence pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la société RAVIER RUFFIN venant aux droits de la société RUFFIN demande à la cour de renvoi de :
– recevoir Monsieur [O] [P] en son appel mais le déclarer mal fondé,
– écarter des débats les pièces adverses 24, 26 à 30 comme étant des attestations irrégulières en la forme,
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a, appréciant les éléments produits tant par l’employeur que par le salarié, rejeté la demande d’heures supplémentaires, estimant que le salarié ne produisait aucun relevé concret et procédait par voie d’affirmations non corroborées par les éléments constatés lors de l’exécution du contrat,
– subsidiairement, dire et juger que l’horaire de 52h30 revendiqué ne repose sur aucun élément probant et réduire le montant sollicité au 10ème,
– condamner Monsieur [O] [P] au paiement d’une somme de 3 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
MOTIFS
Sur les heures supplémentaires et les repos compensateurs non pris’:
Aux termes de l’article L’3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail effectuées, l’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié’; le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Si la preuve des horaires de travail effectués n’incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l’employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande.
Comme l’a jugé la Cour de cassation par arrêt du 19 janvier 2012, Monsieur [P] avait fourni les éléments préalables de nature à étayer sa demande, à savoir diverses attestations faisant ressortir des heures de prise ou de fin de service non conformes aux horaires collectifs de l’entreprise et un décompte des heures qu’il prétendait avoir réalisées.
Il n’y a pas lieu d’écarter des débats certaines de ces attestations (pièces n° 24, 26 à 30 de l’appelant) au seul motif de leur défaut de conformité aux prescriptions édictées par l’article 202 du code de procédure civile, mais la cour considère néanmoins leur valeur probante insuffisante dans la mesure où ces témoins ne justifient pas de leur identité.
En revanche, l’ensemble des autres attestations communiquées par le salarié, émanant de partenaires de l’entreprise sur les chantiers et de plusieurs architectes, démontre que [O] [P] s’est distingué durant les années considérées par sa grande disponibilité et sa présence régulière à l’entreprise tôt le matin à 7 heures.
Quant au décompte et au calcul de ses heures supplémentaires établis le 28 novembre 2005 par la société fiduciaire nationale d’expertise comptable (FIDUCIAL EXPERTISE agence de Paris – A -), il est fondé sur un horaire de 52 heures 30 minutes par semaine au lieu de la base de 39 heures rémunérée par l’employeur, soit une durée de travail journalière de 10 h 30, pour la période du 1er septembre 2000 au 31 août 2005.
Si la qualité de cadre de Monsieur [P] jouissant d’une certaine autonomie dans la fixation de ses horaires comme dans l’organisation de son travail n’est évidemment pas de nature à exclure la possibilité qu’il ait effectué des heures supplémentaires, en revanche une telle circonstance a nécessairement une incidence sur les éléments de preuve en possession de l’employeur pour justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, dont celui-ci n’avait pas à rendre compte.
Pour autant, la société RAVIER RUFFIN venant aux droits de la société RUFFIN n’est pas dispensée de fournir au juge, conformément aux dispositions légales sus-rappelées, des éléments de nature à justifier des horaires effectivement réalisés par le salarié.
Or, elle ne verse aux débats strictement aucune pièce sur ce point.
Par ailleurs, une des pièces qu’elle a communiquées pour justifier du comportement répréhensible de Monsieur [P] corrobore au contraire les allégations de ce dernier relatives au nombre d’heures supplémentaires effectuées quotidiennement.
En effet, dans un courrier du 24 novembre 2005 adressé au PDG de l’entreprise (pièce n° 6 de l’intimée), le responsable du service dépannage Monsieur [X] [W] écrit, après avoir rappelé que les horaires des dépanneurs sont de 8h à 12h et de 13h à 17h (le vendredi 16h) : « (…) Ces agissements, pourtant, sont l’oeuvre d’une personne de l’entreprise puisqu’ils se produisent après 18h et avant 7h30 ; hors de mes horaires de présence à l’entreprise. (…)’Je procéderai tous les matins à l’ouverture du service à mon arrivée à 7h30 et à la fermeture aux environs de 18h’».
Ce courrier émanant d’un chef de service, au même niveau de responsabilité que [O] [P], est révélateur de la grande amplitude journalière des horaires de travail des chefs de service de la société RUFFIN à l’époque, puisqu’à l’instar de l’appelant, Monsieur [X] [W] y indique que son temps de présence journalier dans l’entreprise s’élève à 10h30.
En outre, l’échange épistolaire entre l’employeur et son salarié, par lettres des 05 août et 07 septembre 2005, révèle qu’il existait un tableau de communication sur lequel Monsieur [O] [P] notait ses rendez-vous à l’intention du président directeur général Monsieur [G], qui n’ignorait donc pas les horaires de son salarié.
Force est aussi de constater que dans sa réponse du 07 septembre 2005 à Monsieur [O] [P], l’employeur n’a pas formellement contesté les horaires journaliers invoqués par ce dernier («’entre 10 et 12 heures de travail quotidiennement’»), se contentant sur ce dernier point de reprocher à [O] [P] de ne pas lui en avoir parlé plus tôt, de lui indiquer qu’en l’absence de contrôle de son temps de travail celui-ci ne pouvait décompter des heures supplémentaires et de conclure : «’Mais en tout état de cause, si vous estimiez devoir bénéficier de journées de compensation, la bonne démarche consiste à m’en parler et, le cas échéant, à prendre ces journées en accord avec moi, plutôt que de disparaître inopinément de l’entreprise’» (pièces n° 41 et 42 de l’appelant).
Enfin, la circonstance que [O] [P] n’a jamais réclamé paiement de ses heures supplémentaires avant le 05 août 2005 est sans emport et il ne peut davantage être tiré argument du fait qu’il ait souhaité maintenir sous son contrôle le service dépannage.
La preuve est dans ces conditions suffisamment rapportée que Monsieur [O] [P] a accompli pour son employeur des journées de travail d’une amplitude de 10 heures et 30 minutes au cours de toute la période considérée, soit du 1er septembre 2000 au 31 août 2005.
Il résulte du décompte précité établi par FIDUCIAL EXPERTISE, non discuté par l’employeur quant à ses modalités de calculs, que pour la période considérée du 1er septembre 2000 au 31 août 2005, le montant non réglé au titre des heures supplémentaires doit être fixé à 90 164,02 € et celui au titre du repos compensateur, à 31 074,40 €.
En conséquence, infirmant le jugement entrepris, la cour condamnera la société RAVIER RUFFIN venant aux droits de la société RUFFIN à payer à Monsieur [O] [P] la somme de
90 164,02 € au titre des heures supplémentaires restant dues pour la période du 1er septembre 2000 au 31 août 2005, ainsi que celle de 31 074,40 € au titre des repos compensateurs non pris.
Ces sommes porteront intérêt au taux légal, dans la limite de la demande, à compter de la signification du présent arrêt.
Sur l’application de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens’
Il apparaît équitable que la société RAVIER RUFFIN contribue à hauteur de 1 300 € aux frais irrépétibles exposés par Monsieur [O] [P] pour la procédure de renvoi.
La société RAVIER RUFFIN qui succombe dans le cadre de la présente instance supportera la charge des dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Infirme le jugement entrepris’en ce qu’il a débouté Monsieur [O] [P] de ses demandes au titre des heures supplémentaires impayées et des repos compensateurs non pris ;
Statuant à nouveau,
Rejette la demande présentée par la SARL RAVIER RUFFIN tendant à voir écarter les pièces n° 24, 26 à 30 de Monsieur [O] [P]’;
Condamne la SARL RAVIER RUFFIN venant aux droits de la société RUFFIN à payer à Monsieur [O] [P] la somme de 90 164,02 € au titre des heures supplémentaires restant dues pour la période du 1er septembre 2000 au 31 août 2005, ainsi que celle de 31 074,40 € au titre des repos compensateurs non pris’;
Dit que ces sommes porteront intérêt au taux légal, dans la limite de la demande, à compter de la signification du présent arrêt’;
Condamne la SARL RAVIER RUFFIN venant aux droits de la société RUFFIN à payer à Monsieur [O] [P] la somme de 1 300 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour de renvoi’;
Condamne la SARL RAVIER RUFFIN venant aux droits de la société RUFFIN aux dépens de la présente instance.
LE GREFFIER LE PRESIDENT