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18 octobre 2023
Cour d’appel de Montpellier
RG n°
20/02561
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
2e chambre sociale
ARRET DU 18 OCTOBRE 2023
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 20/02561 – N° Portalis DBVK-V-B7E-OTPZ
ARRÊT n°
Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 MAI 2020
CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER – N° RG F 18/00502
APPELANTE :
Me [O] [U], ès qualités de mandataire liquidateur de S.A.R.L. NESSIMA
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 5]
Représenté par Me Gilles ARGELLIES de la SCP GILLES ARGELLIES, EMILY APOLLIS – AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIME :
Monsieur [L] [D]
né le 27 Mars 1984 à [Localité 8] (26)
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Guilhem DEPLAIX, avocat au barreau de MONTPELLIER
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Partielle numéro 2020/012799 du 12/11/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de MONTPELLIER)
INTERVENANTE FORCEE :
Association AGS CGEA DE [Localité 3]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Défaillant
Ordonnance de clôture du 14 Mars 2023
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 04 SEPTEMBRE 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Jacques FRION, Conseiller et Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre, chargé du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre
Monsieur Jean-Jacques FRION, Conseiller
Madame Véronique DUCHARNE, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Marie-Lydia VIGINIER
ARRET :
– arrêt réputée contradictoire ;
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président de chambre, et par Madame Marie-Lydia VIGINIER, Greffier.
*
* *
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
M. [L] [D] a été engagé le 7 mai 2013 par la Sarl 3F, exploitant le magasin à l’enseigne GIFI de [Adresse 7] à [Localité 4] (34), en qualité d’employé polyvalent, niveau 1 coefficient 130, dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée à temps complet régi par la convention collective nationale des commerces de détails non alimentaires.
Le contrat de travail du salarié a été transféré à divers employeurs en application des dispositions de l’article L.1244-1 du code du travail le 1er février 2014 puis le 1er décembre 2015 et, en dernier lieu, au profit de la société Nessima, le 1er janvier 2018.
Convoqué le 12 février 2018 à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 19 février suivant et mis à pied à titre conservatoire, M. [D] a été licencié pour faute grave par courrier daté du 9 mars 2018.
Contestant cette décision, M. [D] a saisi le 23 mai 2018 le conseil de prud’hommes de Montpellier aux fins d’entendre juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner la société Nessima à lui payer les indemnités de rupture et une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par jugement du 27 mai 2020, le conseil a statué comme suit :
Ne fait pas droit à la demande de sursis à statuer,
Dit que le licenciement de M. [D] est sans cause réelle et sérieuse ;
Condamne la société Nessima à verser à M. [D] :
– 2 749,29 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 3 665,71 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 366,55 euros bruts au titre des congés payés y afférents,
– 2 214,70 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement,
– 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Déboute M. [D] du surplus de ses prétentions ;
Ordonne la remise des documents sociaux et la régularisation de la situation du salarié auprès des organismes sociaux compétents ;
Déboute la société Nessima de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,
Dit qu’il y a lieu de faire application des dispositions de l’article 456 du code de procédure civile,
Condamne la société Nessima aux dépens.
Le 29 juin 2020, la société Nessima a relevé appel de cette décision.
Par jugement en date du 27 avril 2022 le tribunal de commerce de Perpignan a prononcé la liquidation judiciaire de la société Nessima et désigné la Selarl MJSA, prise en la personne de Maître [O] [U], en qualité de mandataire liquidateur.
‘ Suivant conclusions n°3, remises au greffe le 10 juin 2022, Maître [U], ès qualités, demande à la cour de :
Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il :
. Ne fait pas droit à la demande de sursis à statuer,
. Dit que le licenciement de M. [D] est sans cause réelle et sérieuse,
. Condamne la société Nessima à payer à M. [D] les sommes de 2 749,29 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 3 665,71 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 366,55 euros bruts au titre des congés payés y afférents, 2 214,70 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement et 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
. Ordonne à la société Nessima de délivrer à M. [D] des bulletins de paie, un certificat de travail ainsi qu’une attestation pôle emploi conformes à la présente décision, et de régulariser la situation de M. [D] auprès des organismes sociaux compétents,
. Déboute la société Nessima de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
. Condamne la société aux entiers dépens.
Débouter M. [D] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
Dire et juger que les griefs invoqués dans la lettre de licenciement sont constitutifs d’infractions pénales pour lesquelles M. [R] a déposé plusieurs plaintes ;
Dire et juger que le 17 septembre 2019, la société Nessima a réitéré les différentes plaintes simples qu’elle avait déposées en gendarmerie à l’encontre de M. [D] et de M. [X] par une plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d’instruction ;
Relever que la doyenne des juges d’instruction du Tribunal judiciaire de Montpellier a bien relevé dans son ordonnance du 27 octobre 2020 l’existence d’infractions pénales commises par MM. [D] et [X], qu’elle a estimé que le dossier pénal communiqué par le procureur de la République suite à l’enquête était suffisant pour caractériser l’existence des infractions pénales commises par MM. [D] et [X] et invitait donc la société Nessima et son gérant M. [R] a procédé par voie de citation directe ;
Dire et juger que les infractions pénales caractérisées commises par M. [D] justifient, à elles seules, son licenciement pour faute grave ;
Dire et juger que les faits reprochés à M. [D] dans la lettre de licenciement relèvent de la qualification de faute grave ;
Dire et juger qu’il ressort de la lecture des attestations des collègues de travail de M. [D] que les manquements visés dans la lettre de licenciement relatifs à la participation à un réseau de vol en réunion avec M. [X] et M. [F], le non-respect des procédures et l’intimidation des salariés de la société Nessima, menaces et harcèlement moral sont avérés ;
Dire et juger que les manquements visés dans la lettre de licenciement de M. [D] relatifs à la participation à un réseau de vol en réunion avec M. [X] et M. [F] et au non-respect des procédures internes sont avérés et vérifiés via l’audit effectué et l’attestation du prestataire d’enlèvement des palettes EUROPE ;
Dire et juger que les faits d’une gravité extrême relatifs à des menaces, provocations et intimidations à l’encontre de M. et Mme [R] reprochés dans la lettre de licenciement sont avérés ;
Dire et juger que le licenciement est fondé sur une faute grave ;
Dès lors, débouter M. [D] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de ses demandes afférentes : indemnité compensatrice de préavis set congés payés afférents, indemnité légale de licenciement.
Dire et juger que l’article L. 1235-3 du code du travail s’applique ;
Dire et juger que M. [D] ne rapporte pas la preuve ni de la réalité ni l’étendue du préjudice qu’il prétend avoir subi : Il ne verse aux débats aucune pièce justifiant de sa situation financière et professionnelle ; Dès lors, le débouter de ses demandes infondées et largement surévaluées ;
Dire et juger que la demande de dommages-intérêts formulée par M. [D] au titre d’un licenciement prétendument vexatoire est fantaisiste et relève d’une nouvelle provocation à l’égard de la société Nessima ; Débouter M. [D] de sa demande au titre d’un licenciement prétendument vexatoire ;
Dire et juger que M. [D] ne justifie pas d’un prétendu refus de prise en charge par pôle emploi ;
‘ suivant ses conclusions n°2, remises au greffe le 18 octobre 2022, M. [D] demande à la cour de :
1/ Sur la demande de sursis à statuer sollicitée, débouter la société Nessima de sa demande aux fins de sursis à statuer,
2/ Sur l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement intervenu,
Confirmer le jugement querellé en ce qu’il a jugé que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse,
Juger que le licenciement intervenu s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Juger que l’article 2 de l’ordonnance « Macron » n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 s’avère contraire aux normes conventionnelles et plus particulièrement à la charte sociale européenne de sorte que ces dispositions doivent être écartées du présent litige,
Infirmer le jugement querellé en ce qu’il a limité la condamnation de la société Nessima à lui payer la somme de 2 749,29 euros nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et statuant à nouveau,
Fixer sa créance au passif de la société Nessima à la somme de 20 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Confirmer le jugement querellé en ce qu’il a condamné la société Nessima à lui payer la somme de 3 665,71 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 366,57 euros bruts à titre de congés payés afférents, et fixer ces sommes au passif de la société,
Confirmer le jugement querellé en ce qu’il a condamné la société Nessima à lui payer la somme de 2 214,70 euros nets à titre d’indemnité légale de licenciement, et fixer cette somme au passif de la société,
3/ Sur les dommages-intérêts afférents au préjudice résultant du retard dans la délivrance des documents de fin contrat,
Infirmer le jugement querellé sur ce chef de demande, et statuant à nouveau,
Fixer sa créance au passif de la société Nessima à la somme de 3 000 euros nets à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi résultant du retard dans la délivrance de ses documents de fin de contrat,
4/ Sur les dommages-intérêts pour rupture brutale et vexatoire du contrat de travail,
Infirmer le jugement querellé sur ce chef de demande, et statuant à nouveau,
Fixer sa créance au passif de la société Nessima à la somme de 5 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale et vexatoire du contrat de travail,
5/ Sur la délivrance de bulletins de paie, certificat de travail et attestation pôle emploi conformes,
Ordonner à la société Nessima de lui délivrer des bulletins de paie, un certificat de travail, ainsi qu’une attestation pôle emploi conformes sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir ; la Cour se réservant expressément le droit de liquider ladite astreinte,
6/ Sur la régularisation de la situation auprès des organismes sociaux,
Ordonner à la société Nessima de régulariser la situation de M. [D] auprès des organismes sociaux compétents sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir ; la Cour se réservant expressément le droit de liquider ladite astreinte,
7/ Sur les frais irrépétibles et les dépens,
Infirmer le jugement querellé en ce qu’il a limité la condamnation de la société Nessima à lui la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile afférente à la première instance, et statuant à nouveau, fixer sa créance au passif de la société à la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance,
Fixer sa créance au passif de la société Nessima à la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la présente procédure d’appel,
Condamner la société Nessima aux entiers dépens.
‘ L’Unedic AGS – CGEA de [Localité 3], assignée en intervention forcée par acte d’huissier du 21 octobre 2022 à la demande de M. [D], et à qui ce dernier a fait signifier ses dernières conclusions et pièces, n’a pas constitué avocat en cause d’appel.
Par ordonnance rendue le 14 mars 2023, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction.
Suivant arrêt avant dire droit, en date du 31 mai 2023, la cour a ordonné la réouverture des débats à l’audience du lundi 4 septembre 2023 à 9h00, sans révocation de la clôture, pour permettre à l’appelante de produire aux débats le jugement ayant prononcé sa liquidation judiciaire et désigné Maître [U] ès qualités de liquidateur judiciaire.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs écritures déposées et soutenues oralement à l’audience.
MOTIFS
Sur l’étendue de la saisine de la cour :
Aux termes de l’article 954 du code de procédure civile, les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif et la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.
Il en découle que nonobstant les moyens et, le cas échéant, les demandes formulées dans le corps des conclusions de chacune des parties, telle celle visant un sursis à statuer, que les juges de première instance ont rejetée, la cour n’est saisie que des demandes figurant dans le dispositif des conclusions et pas de celles qui n’auraient pas été reprises dans ce dispositif.
Sur la cause du licenciement :
La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, énonce les motifs suivants :
« Nous avons découvert depuis la prise de nos fonctions au magasin GIFI du [Adresse 7] à [Localité 4] que vous êtes en défaut par rapport à ces procédures de fonctionnement. Nous avons identifié des anomalies importantes dans des opérations pour lesquelles vous avez participé activement dans le cadre d’un déstockage important de marchandises et de palettes qui ont disparues sans que l’on puisse identifier les causes de ce déstockage qui s’est déroulé juste avant la prise de nos fonctions en janvier 2018 sur le magasin GIFI du [Adresse 7] à [Localité 4].
Nous avons, dans le cadre de nos fonctions de directeur de magasin, été alertés sur les anomalies relevées par la Centrale GIFI à la suite du visionnage de vidéos où vous apparaissez avec votre collègue M. [N] [X] entre le 11 et 26 décembre 2017. Nous en avons été informés le 15 janvier 2018 par la Centrale GIFI, qui a découvert un réseau de trafic sur la marchandise mise au rebut à tort ainsi que des opérations de revente de palette à des tiers dans lequel vous êtes acteur suite à des doutes que la centrale GIFI avait, cette dernière détenant les vidéos.
La Centrale GIFI nous a remis des extraits de ces vidéos puisque ces dernières ont été mises sous scellées ; ayant pu visualiser les vidéos, le 15 janvier 2018, nous avons porté plainte auprès de la Police nationale qui a eu entre ses mains les vidéos et ouvert une enquête.
Ceci étant précisé, nous revenons sur les termes de l’entretien préalable de licenciement du 19 février 2018 au cours duquel nous avons exposé les faits et griefs reprochés et par ailleurs recueilli vos observations. Lors de cet entretien, vous m’avez adressé des regards menaçants et je me suis senti menacé puisque par la suite mon véhicule a été vandalisé et j’ai trouvé une bonbonne de gaz posée à l’entrée de l’entrepôt quelques jours après l’entretien.
1/ Nous vous reprochons :
‘ D’avoir laissé entrer dans l’entrepôt des personnes tierces et inconnues de notre enseigne au mépris des règles de sécurité,
‘ D’avoir laissé entrer une camionnette munie d’un plateau, non habilitée à se trouver dans l’entrepôt aux fins de charger des palettes Europe stockées dans la réserve,
‘ D’avoir participé de manière active à la cession de ces palettes Europe en grosse quantités à des personnes non habilitées à en prendre possession et ce de manière importante et sur une longue période,
‘ De ne pas avoir enregistré et signalé que vous vous étiez démuni de ces palettes consignées à notre arrivée au 1er janvier 2018 sur une période de plus de quatre mois,
‘ D’avoir participé aux opérations de chargement des palettes avec votre collègue M. [X] entre le 11 et le 26 décembre 2017,
‘ D’avoir mis à la casse et au rebus des marchandises sorties du stock sans vérifier si elles étaient impropres à la vente et ce de manière massive et répétitive juste avant de faire les opérations d’inventaire et notre arrivée au 1er janvier 2018,
‘ D’avoir mis de la marchandise dans des bennes dont nous ignorions la destination et qui ont disparues de manière massive,
‘ D’avoir prélevé de la marchandise du stock et de la réserve sans respecter les règles de déstockage,
Vous travaillez sur le magasin GIFI au [Adresse 7] depuis le 7 mai 2013 en qualité d’employé libre-service niveau 2. Vous connaissez parfaitement les procédures à respecter s’agissant de la gestion des marchandises stockées, les zones d’accès réservées au personnel, les procédures de déstockage et mise au rebus ainsi que les procédures relatives à la gestion des palettes d’une part du fait de votre ancienneté et connaissances des pratiques de GIFI qui sont de surcroît répertoriées et d’autre part des formations que vous avez reçues. Il vous appartient de veiller à respecter ces procédures afin de conserver la traçabilité des opérations afférentes à la gestion des stocks de marchandises. Nous vous reprochons d’avoir sciemment à de multiples reprises, pas respecté ces procédures afin de sortir de la marchandise de notre stock ainsi que des palettes et ce sur plus de quatre mois, puisque ces opérations auxquelles vous avez participées, se sont arrêtées à compter du 26 décembre 2017, c’est-à-dire quelques jours avant notre arrivée, d’après les éléments en notre possession à la suite de l’enquête que nous avons menée en interne et aux investigations faites. Nous avons découvert que vous avez profité des absences de Mme [H], votre ancienne directrice d’établissement, pour vous livrer à ces agissements avec le concours de M. [X] et la complicité de M. [F]. Ceci constitue un manquement grave à vos obligations professionnelles.
De plus, dans le cadre de vos attributions et des missions qui vous sont confiées, vous êtes autorisé et amené à circuler dans les zones où sont stockés nos produits destinés à la vente en magasin. Il s’agit de la zone entrepôt qui pour des raisons générales de sécurité est équipée de caméras et dont l’accès est interdit à des personnes tierces ou non autorisées, ce que vous avez convenu lors de l’entretien.
Ces mesures restrictives d’accès et de surveillance ont pour finalité d’assurer la sécurité des personnes et biens entreposés dans notre magasin et plus particulièrement la zone entrepôt. En effet, nous vous rappelons que nous jouxtons la zone où régulièrement des gens du voyage s’installent et sont de passage ; au surplus, nous sommes situés à proximité de l’autoroute.
Ainsi, la caméra installée à l’entrée de l’entrepôt est visuelle et le personnel, à l’époque de son installation a été informé de son positionnement et du fait qu’elle était en position marche 24/24 h et gérée par la Centrale GIFI. Son emplacement est donc connu de l’ensemble du personnel dont vous faites partie. Par ailleurs, ce n’est pas nous qui avons apposé le système de vidéosurveillance, déclarée à la CNIL, mais la Centrale GIFI avec les directions précédentes du magasin GIFI du [Adresse 7] à [Localité 4].
Le système de vidéosurveillance poursuit un objectif de dissuasion à l’égard des personnes qui pourraient être tentées d’entrer dans des zones non ouvertes au public et réservées à des personnes habilitées à y pénétrer ; elle est pointée sur la zone entrée de l’entrepôt. Elle n’a pas pour objet de contrôler les salariés dans l’exercice de leurs fonctions mais vise à assurer la sécurité de l’entrepôt, des marchandises et des personnes qui travaillent au sein de notre enseigne.
Vous faites partie des personnes qui peuvent avoir librement accès à cette zone, dont l’accès est interdit à des tiers à l’entreprise pour des raisons de sécurité des biens entreposés dans cette zone puisque vous manipulez les stocks.
Il vous appartient de respecter les procédures relatives aux restrictions d’accès des zones entrepôt et de conserver la traçabilité des opérations afférentes à la gestion des stocks de palettes consignées et qui sont récupérées par la SARL SMB toutes les 2 semaines vu le volume et le nombre conséquent de ces dernières. Vous l’avez également admis lors de l’entretien préalable mais avait refusé de donner votre accord pour visionner les vidéos, qui ont été mises sous scellés et où vous apparaissez en train de charger les palettes dans la camionnette appartenant à des personnes étrangères dans la zone entrepôt et en train de participer à un trafic de cession de palettes.
Vos propos consistant à nier cette situation sont en contradiction avec, d’une part les images auxquelles nous avons eu accès en tant qu’employeur suite aux transmissions faites par la Centrale Gifi et pu visionner lors de nos différentes auditions devant la police judiciaire ; de plus, il résulte de la lecture des procès-verbaux rédigés lors de notre dépôt de plainte le 15 janvier 2018 puis le 23 février 2018, au visionnage des vidéos, que vous êtes bien présent lors des opérations de chargement des palettes Europe et que vous participez de manière active à ce trafic pendant vos heures de travail ; Nous l’avons vu de notre propres yeux ainsi que l’officier de police qui a dressé procès- verbal et ouvert une enquête ; enfin nous avons mené une enquête en interne et ces actes délictueux relevés qui vous sont reprochés nous ont été confirmés par le personnel en poste via des attestations de témoignages. Plusieurs personnes en poste et travaillant au magasin GIFI de [Adresse 7] vous ont vu et ont qualifié vos actes de « commerce de palettes » et ont dénoncé vos pratiques consistant à faire les « chefs » et intimider le personnel affecté à la vente lorsque de la marchandise disparaissait ainsi que les palettes consignées ; certains ont même qualifiés vos pratiques de « vol » et ont confirmé avoir reçu de votre part ainsi que de M. [X] des menaces d’intimidations et être victime de harcèlement moral. Nous considérons qu’en agissant de la sorte vous avez commis des fautes graves qui ne permettent plus le maintien de votre contrat de travail. Vous avez commis un abus de confiance en procédant aux détournements de palettes Europe qui étaient consignées ; le préjudice est important puisque cela fait 4 mois qu’apparemment, la société SMB n’est pas venu charger les palettes et que chaque palette se revend entre 5 € et 7 € selon l’état.
De plus, nous vous reprochons l’intrusion en votre présence de personnes étrangères à l’enseigne GIFI et à notre personnel au sein de l’entrepôt et notamment dans la partie réserve. Nous avons pu voir lors de notre 2ème audition le 23 février 2018, sur les vidéos, une personne qui ne fait pas partie de notre personnel et inconnue, provenant du parking client à la hauteur des containers, se dirigeait à l’intérieur de l’entrepôt ; vous étiez avec M. [X], votre collègue de travail, en train de guetter son arrivée ; vous avez échangé tous les trois ensemble. Puis cette personne est ressortie et s’est dirigée vers le camion ; vous avez regardé M. [X] charger au moyen d’un transpalette le camion à deux reprises pour y déposer plus de 25 palettes le 11 décembre 2017. Ces images filmées par notre système de vidéosurveillance apposée à l’entrée de l’entrepôt, ont été portées à notre connaissance une première fois le 15 janvier 2018 puis lors de notre dernière audition ; l’officier de police judiciaire qui nous a reçu le 23 février 2018 une seconde fois, nous a confirmé que ces faits se sont déroulés le 11 décembre 2017. Il semblerait d’après la Centrale GIFI qu’il y en ait d’autres. L’instruction pénale nous le révélera peut-être. En tout état de cause, il ne s’agit pas d’un fait isolé. Comme nous vous l’indiquions en amont cela fait plus de quatre mois que vous n’avez pas remis à la personne habilitée à récupérer les palettes, ces dernières. Nous avons remis d’ailleurs à la police judiciaire les coordonnées de cette personne ; il s’agit de M. [G] de la SARL SMB.
Enfin, il ressort des témoignages recueillis que vous semblez connaître parfaitement les personnes étrangères à notre entreprise sous enseigne GIFI qui prennent possession de palettes consignées sur lesquelles sont entreposées nos marchandises. Or ces personnes qui nous sont inconnues, ne sont en aucun cas habilitées à récupérer les palettes ; en effet, ces palettes sont consignées et ne nous appartiennent pas. Vous ne pouvez pas donner l’autorisation à des tiers de les récupérer.
M. [P], prestataire de la Centrale GIFI vous a vu également en train de participer à l’aide du transpalette au chargement des palettes dans une camionnette munie d’un plateau. Celui-ci a apparemment dénoncé la situation auprès de M. [F], le directeur adjoint, en l’absence de Mme [H], la directrice. Il s’avère que celui-ci est complice de ce trafic de palette Europe qui a cessé juste avant notre arrivée sur site puisqu’il a couvert le trafic auquel vous vous êtes prêté avec M. [X].
Devant l’ampleur de ce trafic, nous avons déposé plainte contre vous et M. [X] le 15 janvier 2018. Une enquête pénale est en cours comme nous vous l’indiquions en amont.
Le fait de laisser entrer des personnes étrangères dans l’entrepôt constitue un manquement grave à vos obligations professionnelles et une violation des règles de sécurités.
2/Depuis que nous avons dénoncé ce trafic à la police nationale le 15 janvier 2018, nous avons reçu des menaces puis vécu des actes d’intimidation divers.
Une grande partie du personnel, qui jusqu’ici était resté silencieuse par peur de représailles sur le magasin où vous travaillez, nous a confirmé, par voie d’attestation de témoignage, datée du 13 janvier 2018 que vous étiez un acteur de ce trafic de palette et que vous en faisiez le commerce avec M. [X] et la complicité de M. [F], le directeur adjoint.
Une personne dont nous tairons l’identité nous a même écrit dans son témoignage qu’elle avait reçu des menaces de votre part et que vous-même qui lui aurait fait comprendre que les gens du voyage étaient vos amis et que ces derniers pouvaient être violents. Celle-ci nous a écrit qu’elle en a tenu informée M. [F] et que depuis elle vit dans la peur.
D’ailleurs le personnel nous a signalé que c’est vous et M. [X] qui auriez mis en place avec les gens du voyage ce mécanisme de cession de palettes Europe, contraire à no procédures. Ceci ressort e plusieurs témoignages écrits en date du 13 janvier 2018 avec des personnes qui ont peur de subir des représailles comme nous vous l’avons signalé.
Plusieurs personnes occupant le poste de caissière ou affecté à la vente se sont plaints également de votre comportement s’apparentant à des violences verbales et des actes de harcèlement moral. Dernièrement, le personnel féminin, nous ont dit qu’elle se sentaient en insécurité car guettées et suivies lors de leur trajet travail domicile le soir. Nous venons de le dénoncer auprès de la Police qui vous a adressé un rappel à l’ordre et vous a convoqué à la suite de ces nouveaux faits portés à leur connaissance. Nous considérons que ces faits qui sont ressortis à l’occasion de l’enquête en interne que nous avons mené depuis le 10 janvier 2018 sont des fautes professionnelles d’une extrême gravité et ne nous permettent pas de vous conserver dans notre effectif salarié pour des raisons de sécurité de notre personnel.
3/ De plus, les vidéos conservées par la Centrale GIFI, et qui viennent d’être transmises à la police judiciaire, ont été visionnées à leur demande, par ces derniers, en notre présence. Nous avons vu de nos propres yeux de surcroît que vous avez mis au « rebut » de la marchandise au mépris du respect des règles et procédure sur le déstockage. L’enquête pénale en cours permettra d’avoir une précision s’agissant de ce manquement professionnel supplémentaire que nous avons identifié. En effet, nous avons averti les services de la police nationale estimant être victime d’actes malveillants de la part de personnes extérieures au magasin dans l’enceinte de notre magasin avec la complicité d’une partie de notre personnel.
En effet, la centrale GIFI qui gère le dispositif de sécurité dans les magasins sous enseigne GIFI nous a alerté dans la première semaine de 2018 qu’elle avait en sa possession des vidéos suspectes où l’on vous voit avec M. [X] jeter des quantités importantes et massives de marchandises dans la benne à l’extérieur du magasin ; marchandises qui ont disparues des bennes par la suite.
Vous pourrez comprendre que nous ne pouvons pas tolérer des tels agissements déloyaux à notre égard et contraires à la probité.
Vos agissements inadmissibles ont nui au bon fonctionnement de notre entreprise et engendré une perte de confiance à votre égard. Vous comprendrez aisément que dans ce contexte-là notre relation professionnelle n’est plus envisageable.
En l’état des agissements reprochés ci-dessus développés et ayant la preuve que vous êtes à l’initiative avec votre collègue de travail M. [X] de ces manoeuvres déloyales et délictueuses, nous avons pris la décision de mettre un terme avec effet immédiat à votre contrat de travail.
Nous vous notifions pour l’ensemble des faits ci-dessus énoncés votre licenciement. La rupture de votre contrat de travail sera effective et immédiat à compter de la première présentation de la présente lettre recommandée. La mise à pied conservatoire que nous vous avons notifiée devient définitive. »
M. [U], ès qualités, critique la décision entreprise en reprochant au conseil d’avoir fait une mauvaise appréciation des éléments de preuve versés aux débats, dont il estime qu’ils établissent les griefs reprochés, lesquels rendaient impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.
M. [D], qui indique n’avoir fait l’objet d’aucune poursuite pénale à l’issue des 48 heures de garde à vue qu’il indique avoir subie consécutivement à la plainte déposée par l’employeur, conteste l’ensemble des faits reprochés. Il relève que l’appelant ne communique pas les images de la vidéo-surveillance qui établiraient prétendument les griefs. Il considère que les éléments communiqués par l’appelant sont dépourvus de force probante et que les attestations sont mensongères et ou imprécises, soulignant à ce dernier titre qu’une des témoins dont l’employeur verse aux débats l’attestation, Mme [Z], a déposé plainte contre ce dernier des chefs de chantage et harcèlement moral pour lui avoir extorquer une attestation mensongère mettant en cause M. [D] au sujet du vol imaginaire d’une perceuse.
En vertu de l’article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. Selon l’article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
La faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et la poursuite du contrat. Il incombe à l’employeur qui l’invoque d’en apporter la preuve.
En l’espèce, pour preuve de la faute grave reprochée au salarié, la société Nessima représentée par son liquidateur produit outre un un procès-verbal de constat d’huissier, diverses plaintes ou main-courante déposées au commissariat de police, une ordonnance de refus d’informer rendue par le doyen des juges d’instruction, diverses attestations rédigées par des salariés et un prestataire de l’entreprise, les procédures internes applicables à la mise au rebut et la gestion des palettes, ainsi que des éléments chiffrés sur ces rebuts.
Nonobstant, les explications fournies par l’employeur dans la lettre de licenciement sur les conditions d’emploi de la vidéosurveillance, qui est gérée par la centrale Gifi et est destinée à garantir la sécurité des biens stockés dans l’entrepôt, dont il n’est pas contesté par le salarié qu’elle avait été mise en place au vu et au su de tous, l’employeur s’abstient de communiquer les images issues de ce système lesquelles établiraient la responsabilité du salarié dans les agissements reprochés consistant en un trafic de palettes Europe et de marchandises mises au rebut à tort.
Le procès-verbal de constat se borne à acter l’enregistrement sur disque de fichiers vidéos dont le contenu est décrit de manière sommaire : ‘deux employés de la société requérante discutent avec une personne inconnue dans la réserve […] et chargent 3 piles de palettes […]’.
Alors qu’une plainte pénale a été déposée, aucun élément de nature à caractériser les faits reprochés émanant de l’enquête de police n’est versé aux débats avec l’autorisation du procureur de la République.
L’enquête pénale a d’ailleurs été classée par le procureur de la République pour “infraction insuffisamment caractérisée”.
Le doyen des juges d’instruction, saisi de la plainte avec constitution de partie civile a rendu une ordonnance de refus d’informer aux termes de laquelle il relève qu’il ‘ressort des pièces transmises par M. le procureur de la République que les investigations réalisées au cours de l’enquête effectuée à la suite de la plainte déposée conformément au 2ème alinéa de l’article 85 ont permis d’établir que des personnes majeures mises en cause pour les faits de nature délictuelle reprochés par la victime pourrait faire l’objet de poursuites mais que l’action publique n’a pas été mise en mouvement par le procureur de la République’.
Cette décision rendue par cette juridiction d’instruction et non de jugement ne lie pas la présente juridiction. Elle ne permet pas de caractériser l’existence des infractions reprochées, ni à les imputer précisément aux 3 salariés visés par la plainte avec constitution de partie civile.
En l’absence de témoin visuel direct des faits reprochés au salarié et de production aux débats des enregistrements issus du système de vidéosurveillance, l’huissier de justice mandaté par l’employeur s’étant contenté de les placer ‘sous scellés’, ou d’un élément probant ressortant de l’enquête de police diligentée suite au dépôt de plainte, ces griefs ne sont pas établis.
Les autres éléments versés aux débats par l’employeur n’établissent pas les faits reprochés.
C’est ainsi que le taux de démarque du magasin de [Localité 4] (2.14% selon la note de M. [P], auditeur contrôle interne et sûreté), supérieur au taux national (1,83%) est insuffisant pour caractériser le grief reproché de mise de marchandises au rebut à tort et son imputation à M. [D].
En raison de son imprécision, l’attestation rédigée par M. [G], responsable de la société SMB Palettes, à qui la centrale Gifi avait confié la récupération des palettes consignées dites ‘Europe’, aux termes de laquelle il indique qu’il se déplaçait toutes les 2 semaines à Gifi [Localité 4] pour l’enlèvement des palettes perdues sans y trouver aucune palette Europe’ sur une période qu’il ne précise pas, retire toute pertinence à ce témoignage.
Il en va de même des griefs subséquents ou en lien avec ces agissements, à savoir le fait d’avoir laissé entrer dans l’entrepôt des personnes tierces et inconnues de l’enseigne au mépris des règles de sécurité, d’avoir laissé entrer une camionnette munie d’un plateau, non habilitée à se trouver dans l’entrepôt aux fins de charger des palettes Europe stockées dans la réserve, d’avoir chargé dans la camionnette munie d’un plateau appartenant à ce tiers inconnu du personnel de l’enseigne GIFI à l’aide d’un transpalette appartenant à la société des quantités importantes de palettes consignées le 11 décembre 2017 (25 palettes) avec l’aide de son collègue M. [X], et de ne pas avoir enregistré et signalé qu’il se serait démuni de ces palettes consignées à l’arrivée des nouveaux dirigeants au 1er janvier 2018.
S’agissant des attestations rédigées par les collègues du salarié, force est de constater en premier lieu que Mme [B] [C] se borne à rapporter des faits auxquels elle n’a pas personnellement assisté.
En ce qui concerne l’attestation de Mme [A], directrice adjointe, il convient de relever qu’après avoir déclaré n’avoir ‘assisté à rien’, ce témoin affirme que MM. [D] et [X] avaient obtenu l’autorisation d'[Y] [F], directeur, de revendre des palettes ‘afin de pouvoir acheter du café, coca, cigarettes’. Elle affirme avoir su ‘par la suite que cette autorisation lui avait été donnée puisque les palettes mises de côté avaient disparu’. Ce même témoin indique encore avoir fait le lien entre la disparition d’un salon de jardin, constaté lors de l’inventaire et le salon qui se trouvait dans la réserve avec un mot ‘réservé [N]’. Un tel témoignage qui pour l’essentiel ne repose pas sur des constatations personnelles mais sur des déductions, est insuffisant pour imputer la disparition de cette marchandise au salarié et sa participation au trafic de palettes consignées.
Mme [I] affirme avoir été informée de la cession de ces palettes consignées directement par M. [D], avec instruction de ce dernier de ne pas le répéter auprès de la Centrale.
Ces deux témoins indiquent avoir su que les ventes des palettes avaient continué par la suite sans achat au bénéfice des équipes en pause, ce qu’elles n’indiquent pas cependant avoir personnellement constaté, et affirment avoir été menacées par [N] et [L] lorsqu’elles ont tenté de leur en parler.
Toutefois, dans le contexte où il est justifié que la quatrième salariée ayant témoigné pour le compte de l’employeur, Mme [V], a déposé plainte dès le mois de mars 2018, soit avant même que le salarié ne saisisse le conseil de prud’hommes, contre le dirigeant de l’entreprise pour chantage et pressions exercées sur elle afin qu’elle établisse une attestation mettant en cause M. [D] relativement à un prétendu vol de perceuse, la force probante de ces témoignages ne sera pas retenue.
Le gérant de l’entreprise justifie avoir déposé plainte contre M. [X] pour menaces de mort réitérées le 9 février 2018 ainsi qu’une main courante contre MM. [D] et [X] le 10 février 2018 auprès des services de police pour les pressions et menaces contre son personnel et lui-même.
S’agissant de la dégradation de son véhicule et la pose d’une bonbonne de gaz devant l’établissement aucun élément objectif versé aux débats ne permet de les imputer à M. [D].
De même, si M. [R] a déposé plainte le 12 février 2018 contre M. [X] pour des menaces de mort dont M. [M], responsable de secteur de la société Agence Europe Sécurité mandaté par Gifi depuis le 15 janvier pour la surveillance du magasin [Adresse 7] et des responsables en place, aurait été témoin, force est de relever que dans une déclaration de main courante cette personne se borne pour l’essentiel à faire état d’un ‘climat très agité avec 3 ex-employés dont l’ancien directeur’, et à rapporter des faits dont il n’indique pas avoir été témoin, à savoir que « les agents sont très régulièrement provoqués par ces personnes avec des cutters (ils jouent avec), ils les insultent en arabe, crachent par terre, ils leur disent ‘dis-moi à quelle heure tu finis’, ils ont même dit à mes agents qu’ils collaboraient avec l’ennemi. ». Le seul fait dont il indique avoir été personnellement témoin (‘ j’ai même assisté à des menaces à l’encontre de la responsable’) et (‘nous sommes obligés d’escorter les responsables sur le parking et une partie du trajet car des personnes les attendent régulièrement’) ne permettent pas d’identifier les auteurs des menaces dont il indique avoir été personnellement témoin.
S’il en ressort que l’employeur établit le climat délétère dans lequel M. [R], gérant de la société Nessima, a pris la direction du magasin au début du mois de janvier 2018, ce témoignage ne permet pas d’imputer à M. [D] un comportement menaçant à l’égard de M. [R] ou de son épouse.
Il ne résulte donc pas des éléments qui précèdent que la preuve est rapportée d’une faute grave. En toute hypothèse, le doute profitant au salarié, le jugement sera confirmé en ce qu’il a jugé le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Sur l’indemnisation du licenciement :
Au jour de la rupture, M. [D] âgé de près de 34 ans bénéficiait d’une ancienneté de 4 ans et 10 mois au sein de la société Nessima qui employait moins de onze salariés. Il percevait un salaire mensuel brut de 1 549,43 euros, prime d’ancienneté comprise. Le salaire de référence, calculé sur la moyenne des 3 derniers mois travaillés précédant son licenciement, s’élève à 1 832,86 euros bruts.
Sur l’indemnité compensatrice de préavis :
Le salarié peut prétendre au paiement d’une indemnité compensatrice de préavis, correspondant, conformément à l’article L. 1234-5 du code du travail, à la rémunération brute qu’il aurait perçue s’il avait travaillé pendant la période du délai-congé.
Au vu de la durée du préavis, fixée à deux mois tenant son ancienneté, et du montant du salaire qu’il aurait perçu, le jugement sera réformé sur le montant. Il sera fixé au passif de la société Nessima une somme de 3 098,86 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 309,88 euros bruts au titre des congés payés afférents.
Sur l’indemnité légale/conventionnelle de licenciement :
Calculée sur la base d’une ancienneté au terme du préavis auquel il avait droit, de 5 ans, du salaire de référence, calculé sur la moyenne la plus favorable pour le salarié des 3 mois derniers mois travaillés, conformément aux dispositions de l’article R 1234-2 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, l’indemnité de licenciement a été justement évaluée à la somme de 2 214,70 euros, créance qui sera fixée au passif de la société.
Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
Le salarié est fondé en sa demande de dommages-intérêts au titre de la perte injustifiée de son licenciement.
Il ressort des éléments communiqués qu’il a été indemnisé par pôle emploi du juin au 6 août 2018 et qu’il a retrouvé en emploi à compter du 3 août 2018 au sein de la société Grand Fuit Distribution.
En vertu de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, le salarié peut prétendre au paiement d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre un montant minimal de 1 mois de salaire brut et un montant maximal de 5 mois de salaire brut.
Les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée ne sont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.
Les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail. Elles ne sont pas non plus contraires aux dispositions de l’article 4 de cette même Convention, qui prévoit qu’un travailleur ne devra pas être licencié sans qu’il existe un motif valable de licenciement lié à l’aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service, puisque précisément l’article L.1253-3 sanctionne l’absence de motif valable de licenciement.
En conséquence, il n’y a pas lieu d’écarter l’application de l’article L. 1235-3 du code du travail.
Compte tenu des éléments dont dispose la cour, et notamment de l’âge du salarié au moment du licenciement, et des perspectives professionnelles qui en découlent, le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sera plus justement évalué à la somme de 5 500 euros bruts.
Sur les dommages-intérêts afférents au préjudice résultant du retard dans la délivrance des documents de fin contrat :
M. [D] reproche à la société de ne lui avoir remis les documents de fin de contrat que par un courrier reçu le 11 avril 2018, et de lui avoir adressé une attestation pôle emploi incomplète ne visant que les 3 derniers mois précédents la rupture ce qui l’a placé dans l’impossibilité de faire valoir ses droits à pôle emploi.
La société Nessima objecte que ces documents étaient à sa disposition au siège de l’entreprise et qu’à défaut pour le salarié de s’y présenter pour les récupérer, elle les lui a adressés. La société appelante fait en outre valoir que le salarié ne justifie d’aucun préjudice allégué.
Selon l’article L 1234-19 du code du travail, à l’expiration du contrat de travail, l’employeur délivre au salarié un certificat dont le contenu est déterminé par voie réglementaire.
En ce qui concerne plus particulièrement l’attestation dite pôle emploi, selon les dispositions de l’article R 1234-9 du code du travail, l’employeur délivre au salarié, au moment de l’expiration ou de la rupture du contrat de travail, les attestations et justifications qui lui permettent d’exercer ses droits aux prestations à l’assurance chômage. Selon l’article D. 1234-7 du code du travail, le reçu pour solde de tout compte est établi en double exemplaire. Mention en est faite sur le reçu, et l’un des exemplaires est remis au salarié. Le certificat de travail et l’attestation pôle emploi sont quérables.
En l’espèce, il n’est pas justifié par M. [D] qu’il ait mandaté un proche pour aller récupérer ces documents et que celui-ci se soit heurté à un refus de les délivrer au motif qu’ils n’étaient pas prêts.
En revanche, il ressort de l’attestation pôle emploi que celle-ci ne vise que les 3 derniers mois nonobstant le transfert de plein droit du contrat de travail, ce qui était de nature à nuire à sa prise en charge par pôle emploi.
Il ressort de l’attestation de paiement de l’allocation de retour à l’emploi, pour la période du 1 er janvier au 31 août 2018 que M. [D] a été pris en charge à compter du 5 juin 2018 à hauteur de 637,60, 956,40 euros au 2 juillet et 995,10 euros au 6 août 2018.
Toutefois, ce seul élément n’établit pas le préjudice allégué en lien avec ce dernier manquement.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a débouté M. [D] de sa demande d’indemnisation sur ce point.
Sur la demande de dommages-intérêts pour licenciement brutal et vexatoire :
Au soutien de sa demande indemnitaire présentée de ce chef, M. [D] expose avoir fait l’objet d’une compagne de calomnies, de nombreuses pressions dès la prise de fonction des nouveaux gérants, qu’il a été convoqué à trois reprises le 9 janvier dans le bureau de Mme [R] qui l’a accusé de ‘vol de palettes’, qu’il a fait l’objet d’une véritable filature lors de l’exécution de sa prestation de travail par des agents de sécurité, ce qui a provoqué une dégradation de son état de santé à compter du 26 janvier 2018.
Tout salarié licencié dans des conditions vexatoires ou brutales peut prétendre à des dommages et intérêts en réparation du préjudice distinct de celui résultant de la perte de l’emploi. Il en est ainsi alors même que le licenciement lui-même serait fondé, dès lors que le salarié justifie d’une faute et d’un préjudice spécifique résultant de cette faute.
Faute pour le salarié de démontrer les agissements fautifs de l’employeur qu’il allègue, que ne saurait caractériser le témoignage de M. [F], licencié concomitamment à l’intimé, aux termes duquel l’ancien directeur affirme que ‘MM. [X] et [D] ont fait un travail remarquable et ce n’est qu’à l’arrivée de M. [R] que les problèmes ont commencé pour but de les licencier’, le jugement sera confirmé en ce qu’il l’a débouté de la demande formée de ce chef.
L’astreinte n’est pas nécessaire à l’exécution par le mandataire liquidateur de la société de l’obligation de délivrance des documents de fin de contrat.
La demande de condamnation de l’employeur à régulariser sa situation auprès des organismes sociaux ne saurait prospérer en l’état de la liquidation judiciaire, les obligations salariales de l’employeur devant être garanties par l’ AGS, conformément aux dispositions de l’article L. 3253-8 du code du travail in fine.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions soumises à la cour sauf, d’une part, sur les montants de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents et de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et, d’autre part, à préciser que les sommes allouées par le conseil de prud’hommes à M. [D] seront fixées au passif de la société Nessima,
Statuant des chefs infirmés,
Fixe au passif de la société Nessima les sommes suivantes :
– 3 098,86 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 309,88 euros bruts au titre des congés payés afférents,
– 5 500 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Y ajoutant,
Rejette la demande d’astreinte visant l’injonction de délivrer les documents de fin de contrat rectifiés,
Déboute M. [D] de sa demande de condamnation de la société Nessima à régulariser sa situation auprès des organismes sociaux, et rappelle que la garantie des sommes et créances mentionnées aux 1°, 2° et 5° de l’article L. 3253-8 du code du travail inclut les cotisations et contributions sociales et salariales d’origine légale ou d’origine conventionnelle imposée par la loi, ainsi que la retenue à la source prévue à l’article 204A du code général des impôts.
Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,
Dit que les dépens seront considérés comme frais privilégiés dans le cadre de la procédure collective.
LE GREFFIER LE PRESIDENT