Non-respect de l’obligation de sécurité et exécution déloyale du contrat de travail

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Non-respect de l’obligation de sécurité et exécution déloyale du contrat de travail
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Nos Conseils:

– Il est important pour l’employeur de respecter les délais de communication des plannings de travail dans le cadre de l’annualisation du temps de travail, afin de rendre l’accord de modulation opposable au salarié.
– Le salarié doit fournir des éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l’employeur de répondre en fournissant ses propres éléments en cas de litige relatif aux heures supplémentaires.
– En cas de non-respect de l’obligation de sécurité et d’exécution déloyale du contrat de travail, il est essentiel de documenter et de prouver les faits allégués pour obtenir des dommages et intérêts.

Résumé de l’affaire

Madame [X] [F] a été engagée en tant qu’assistante commerciale export par la SARL FERMIERE SAINT MICHEL « E » en août 2019. Après un arrêt de travail en mars et juin 2020, un accord de rupture conventionnelle a été homologué en juillet 2020. Madame [X] [F] a saisi le conseil de prud’hommes de Nancy en juillet 2021 pour réclamer des rappels de salaire, une indemnité pour travail dissimulé, des dommages et intérêts, et d’autres demandes. Le conseil de prud’hommes a rejeté ses demandes en mai 2023. Madame [X] [F] a fait appel de cette décision en juin 2023 et demande maintenant des heures supplémentaires non payées, des dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité, et d’autres demandes. La SARL FERMIERE SAINT MICHEL « E » demande de confirmer la décision initiale du conseil de prud’hommes et de condamner Madame [X] [F] à payer des frais de procédure.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

13 juin 2024
Cour d’appel de Nancy
RG n°
23/01230
ARRÊT N° /2024

PH

DU 13 JUIN 2024

N° RG 23/01230 – N° Portalis DBVR-V-B7H-FF6E

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Nancy

21/00323

12 mai 2023

COUR D’APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE – SECTION 2

APPELANTE :

Madame [X] [F]

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Hélène JUPILLE de la SELARL JURI’ACT, avocat au barreau de NANCY

INTIMÉE :

S.A.R.L. FERMIERE SAINT MICHEL ‘E’ Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Eric SEGAUD de la SELARL FILOR AVOCATS substitué par Me DUMINIL, avocats au barreau de NANCY

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats et du délibéré,

Président : WEISSMANN Raphaël,

Conseillers : BRUNEAU Dominique,

STANEK Stéphane,

Greffier lors des débats : RIVORY Laurène

DÉBATS :

En audience publique du 28 Mars 2024 ;

L’affaire a été mise en délibéré pour l’arrêt être rendu le 13 Juin 2024 ; par mise à disposition au greffe conformément à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;

Le 13 Juin 2024, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l’arrêt dont la teneur suit :

EXPOSÉ DU LITIGE ET PRÉTENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES

Madame [X] [F] a été engagée sous contrat de travail à durée indéterminée, par la SARL FERMIERE SAINT MICHEL « E » à compter du 05 août 2019, en qualité d’assistante commerciale export.

La convention collective nationale du commerce de détails de fruits, légumes, épicerie et produits laitiers s’applique au contrat de travail.

La salariée a été placée en arrêt de travail du 16 au 20 mars 2020 puis du 23 mai au 14 juin 2020.

Une convention de rupture conventionnelle du contrat de travail de Madame [X] [F] a été homologuée le 17 juillet 2020.

Par requête du 09 juillet 2021, Madame [X] [F] a saisi le conseil de prud’hommes de Nancy, aux fins :

– de condamner la SARL FERMIERE SAINT MICHEL « E » à lui verser les sommes suivantes :

– 634,27 euros à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires,

– 15 659,94 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé,

– 5 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral et financier,

– 5 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour mise en danger du salarié,

– 2 500,00 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

– 1 500,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,

– d’ordonner à la SARL FERMIERE SAINT MICHEL « E » à lui remettre les fiches de salaires et documents de fin de contrat rectifiés conformément au jugement à intervenir,

– d’ordonner l’exécution provisoire en application de l’article 515 du code de procédure civile,

– d’appliquer les intérêts au taux légal aux créances contractuelles à compter de la réception de la lettre de convocation à la séance de conciliation devant le conseil de prud’hommes en application de l’article 1231-6 du code civil,

– d’appliquer les intérêts au taux légal aux sommes à caractère indemnitaire à compter de la date du jugement à intervenir en application de l’article 1231-7 du code civil,

– d’ordonner la capitalisation des intérêts échus depuis au moins une année en application de l’article 1343-2 du code civil.

Vu le jugement du conseil de prud’hommes de Nancy rendu le 12 mai 2023, lequel a :

– constaté le caractère mal fondé des demandes de Madame [X] [F]

– débouté Madame [X] [F] de toutes ses demandes,

– laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens,

– débouté la SARL FERMIERE SAINT MICHEL « E » de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Vu l’appel formé par Madame [X] [F] le 09 juin 2023,

Vu l’article 455 du code de procédure civile,

Vu les conclusions de Madame [X] [F] déposées sur le RPVA le 29 janvier 2024, et celles de la SARL FERMIERE SAINT MICHEL « E » déposées sur le RPVA le 23 février 2024,

Vu l’ordonnance de clôture rendue le 13 mars 2024,

Madame [X] [F] demande :

– d’infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Nancy rendu le 12 mai 2023 en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau :

– de condamner la SARL FERMIERE SAINT MICHELE « E » à lui verser les sommes suivantes :

– 1 224,48 euros bruts au titre des heures supplémentaires non payées

– 122,45 euros bruts au titre des congés payés afférents,

– 10 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité et exécution déloyale du contrat de travail,

– 3 000,00 euros en application de l’article 37 de la loi de 1991 sur l’aide juridictionnelle,

– le tout avec intérêts au taux légal à compter de la décision à venir,

– d’ordonner à la SARL FERMIERE SAINT MICHEL « E » de lui remettre les fiches de salaires et documents de fin de contrat rectifiés conformément à la décision à intervenir,

– de condamner la SARL FERMIERE SAINT MICHEL « E » aux entiers frais et dépens à hauteur d’appel et de première instance.

La SARL FERMIERE SAINT MICHEL « E » demande :

– de confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Nancy rendu le 12 mai 2023,

Statuant à nouveau :

– de débouter Madame [X] [F] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

– de condamner Madame [X] [F] à lui verser la somme de 3 000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– de condamner Madame [X] [F] aux entiers dépens des procédures de première instance et d’appel.

SUR CE, LA COUR

Pour plus ample exposé sur les moyens et prétentions des parties, il est expressément renvoyé aux dernières écritures qu’elles ont déposées sur le RPVA, s’agissant de l’employeur le 23 février 2024, et en ce qui concerne la salariée le 29 janvier 2024.

Sur la demande de rappel d’heures supplémentaires

Madame [X] [F] indique que son contrat de travail prévoyait une modulation de la durée du travail, dans le cadre d’une annualisation de son temps de travail, qui était en moyenne de 35 heures.

Elle fait valoir que dans le cadre d’une annualisation, l’employeur est tenu de contrôler le temps de travail et qu’il appartient à la société FERMIERE SAINT MICHEL”E” de prouver qu’elle a respecté les dispositions de l’accord de modulation « ce qui ne semble pas le cas à la lecture du mail en date du 17 février 2020 dans lequel l’employeur de Madame [X] [F] lui indique qu’il ne peur lui accorder le bénéfice de repos au regard d’un enchaînement de difficultés ».

Elle fait également valoir que l’intimée n’apporte pas la preuve de l’élaboration de plannings qu’elle lui aurait remis en début de période de modulation, ni de la mise en place d’une procédure pour modifier ces plannings en respectant un délai de sept jours, ni de la soumission de ces différents éléments à l’avis des représentants du personnel.

Madame [X] [F] renvoie à sa pièce 46 « pièce adverse n°2 ‘ Tableau d’heures ».

Il s’agit d’un tableau de décompte des heures travaillées, par semaine, du 27 octobre 2019 au 13 juillet 2020.

La société FERMIERE SAINT MICHEL”E” indique que Madame [X] [F] a dressé en pièce 19 un tableau de décompte, qui ne comporte aucune référence horaire et pour lequel elle indiquait que le nombre d’heures qui lui a été finalement rémunéré par son employeur était supérieur à celui de son décompte.

L’intimée ajoute qu’à l’analyse du tableau de décompte établi par Madame [X] [F] , il apparaît que pour le mois d’avril 2020 elle a été rémunérée de 110 heures alors que son décompte fait état de 87,30 heures, et que pour le mois de mai 2020 elle a été rémunérée de 82 heures alors que son décompte fait état de 71,80 heures.

Elle estime que le mail en pièce 40 de la salariée ne démontre pas que l’accord de modulation n’aurait pas été respecté ; il lui était indiqué qu’elle aurait la possibilité de récupérer ses heures pour le 31 octobre 2020, la période d’annualisation étant comprise entre le 1ernovembre et le 31 octobre de l’année suivante.

L’employeur précise produire en pièce 5 les tableaux d’annualisation qu’il a pu retrouver dans ses archives et ajoute que les heures réclamées ont fait l’objet d’une compensation dans le cadre de l’accord de modulation, laissant apparaître un compteur à 0 en fin de période.

La société FERMIERE SAINT MICHEL”E” fait valoir à titre subsidiaire que, si l’accord de modulation était considéré inopposable, Madame [X] [F] ne pourrait réclamer que 19,67 heures sur la période comprise entre le 28 octobre 2019 et le 16 mars 2020, soit 1192,90 euros.

Motivation

– sur l’opposabilité de la modulation

Il ne résulte pas des dispositions de l’article L3121-44 du code du travail que l’absence de respect des délais de communication des plannings de travail rendrait inopposable au salarié concerné l’accord de modulation du temps de travail qui s’applique à lui.

Par ailleurs, si aux termes de l’article D3121-27 du même code, le comité social et économique est consulté sur les modifications du programme de la variation de la durée du travail, il ne prévoit pas qu’il soit consulté ou informé de la modification des horaires des salariés.

En conséquence, Madame [X] [F]  sera déboutée de sa demande de lui voir déclarer inopposable l’accord de modulation de son temps de travail.

– sur les heures supplémentaires

L’article L. 3171-4 du code du travail dispose qu’ en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction.

La preuve des heures de travail effectuées n’incombe ainsi spécialement à aucune des parties, mais le salarié doit appuyer sa demande en paiement d’heures supplémentaires par la production d’éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l’employeur de répondre en fournissant ses propres éléments.

Madame [X] [F] renvoie à ses pièces :

– pièce 46 : il s’agit du relevé d’heures tenu par l’employeur, dans le cadre de la modulation du temps de travail, qui fait état au 13 juillet 2020 de 0,39 euros au compteur cumulé

– mail du 17 février 2020 (pièce 40 de son bordereau) ; il s’agit d’un mail de l’employeur lui indiquant qu’elle pourra prendre une semaine de récupération pour le 31 mai 2020, le reste des heures étant récupérées pour le 31 octobre 2020.

La pièce 46 précitée, qui n’indique pas le reliquat du nombre d’heures au 31 octobre, alors qu’il ressort des conclusions des parties que la période de modulation se terminait le 31 octobre de chaque année, ne laisse pas supposer l’existence d’heures supplémentaires, et ne constitue pas une pièce suffisamment précise pour permettre à l’employeur de répondre.

Il en va de même du mail en pièce 40 précitée, étant précisé que ce mail répond à celui de Madame [X] [F] du même jour, produit sur cette même pièce, et qui indique : « Merci pour vos éclaircissements même si j’avais bien compris le sens de moyenne. Toutefois je ne vous ai pas dit non plus que j’avais l’impression de crouler sous les heures, je parlais juste de la possibilité de récupérer celles acquises , et pour lesquelles j’aimerais avoir un horizon clair, ce que nous avons vu ensemble lors de notre échange ».

Dans ces conditions, Madame [X] [F] sera déboutée de sa demande.

Sur la demande de dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité et exécution déloyale du contrat de travail

Madame [X] [F] explique qu’en début d’année 2020, elle a alerté son employeur sur sa fatigue et son besoin de repos. Elle cite le mail de l’employeur du 17 février 2020 (mail précité).

Elle souligne avoir cumulé 55 heures supplémentaires au 16 mars 2020.

Madame [X] [F] fait également valoir avoir bénéficié d’un arrêt de travail du 16 au 20 mars 2020, mais qu’elle a passé des appels chaque jour.

Elle ajoute que lors de la période du premier confinement, ont été mentionnées 41 heures d’activité partielle au mois d’avril et 34 heures au mois de mai, et qu’aucun planning n’a été transmis.

L’appelante explique qu’elle n’a pas travaillé qu’une seule heure par jour lors du chômage partiel.

Elle indique enfin avoir bénéficié d’un arrêt de travail pour épuisement le 23 mai.

La société FERMIERE SAINT MICHEL”E” explique que Mme [S] [N], qui a remplacé Madame [X] [F] à son poste pendant la période de confinement, dans la mesure où elle était une des seules salariées à disposer d’un mode de garde pour ses enfants, a été amenée, avec l’accord de l’appelante, à la contacter pour solliciter des informations sur les procédures à suivre.

Elle affirme qu’aucune prestation de travail ne lui a été demandée.

L’intimée conteste tout lien entre l’arrêt de travail du 23 mai au 14 juin 2020, soulignant notamment qu’il résulte du dossier médical de la salariée que son état anxio-dépressif existait avant son embauche.

Motivation

Madame [X] [F] renvoie à sa pièce 40 précitée (mail du 17 février 2020), dont il ne ressort pas qu’elle serait en surcharge de travail, ou aurait besoin de repos : « Toutefois je ne vous ai pas dit non plus que j’avais l’impression de crouler sous les heures, je parlais juste de la possibilité de récupérer celles acquises , et pour lesquelles j’aimerais avoir un horizon clair, ce que nous avons vu ensemble lors de notre échange ».

Elle renvoie ensuite à ses pièces 11 et 12.

La pièce 11 est constituée d’échanges de sms avec l’employeur, non datés, ayant trait pour l’essentiel à la situation de chômage partiel.

La pièce 12 est un relevé des appels entrants et sortants du « bureau », entre le 16 mars et le 20 mars (année non précisée) : environ 13 minutes cumulées le 16 mars, environ 35 minutes cumulées le 17 mars, environ 28 minutes cumulées le 18 mars, et 8 minutes cumulées le 19 mars.

La société FERMIERE SAINT MICHEL”E” renvoie à sa pièce 4, attestation de Mme [S] [N], comptable, qui explique avoir remplacé Madame [X] [F] à son poste la première semaine de confinement, et « Ne connaissant pas entièrement les particularités du service commercial export, Mme [F] [X], qui s’en occupait, était d’accord pour que je l’appelle pour m’expliquer les tâches à faire pour expédier les marchandises correctement.

Eu égard à la situation de confinement pour épidémie de Covid, imposé avec un préavis court, et compte tenu des explications de l’employeur et de l’attestation précitée les confirmant, sur l’objet des appels à Madame [X] [F], et compte tenu enfin de leur faible nombre et de leur durée limitée, il ne peut être reproché à l’employeur d’avoir sollicité la salariée, avec son accord.

Mme [X] [F] renvoie également à ses pièces 23/3 et suivantes, et 20.

Les pièces 23/3 et suivantes sont des mails adressés à l’employeur pour rendre compte de ses tâches 15 à 21 (avril à mai 2020).

La pièce 20 est un mail de l’employeur du 27 avril 2020, relatif à la semaine 17, par lequel il l’informe de ce que « nous vous avons forfaitairement compté 1 h par jour de travail lors de vos jours de chômage partiel ».

Compte tenu de la liste des tâches réalisées figurant sur le mail de Madame [X] [F] relatif à la semaine 17, et non contesté par l’employeur, le travail n’a pu être réalisé en une heure.

L’arrêt de travail du 23 mai au 14 juin 2020, qu’évoque dans ses écritures Madame [X] [F], n’est pas indiqué dans son bordereau de communication de pièces.

Madame [X] [F] ne vise aucune autre pièce à l’appui de sa demande.

Compte tenu de la sous-évaluation du temps de travail par l’employeur pour la semaine 17 de 2020, l’exécution déloyale du contrat de travail est établie sur ce seul point.

A défaut d’autre élément d’appréciation, il sera fait droit à la demande de Madame [X] [F] à hauteur de 400 euros.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les parties seront déboutées de leurs demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile, et chacune supportera la charge de ses propres dépens.


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