Nom de domaine c/ Nom commercial : la coexistence « pacifique » possible

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Nom de domaine c/ Nom commercial : la coexistence « pacifique » possible

La société Arobase Immobilier a échoué à démontrer les manoeuvres déloyales des sociétés Arobazimmo, qui utilisent la même dénomination sociale et le site éponyme créé par leur gérant antérieurement à la création de la société Arobase Immobilier et à la création de son site internet arobase-immobilier.fr.

Le primo créateur du site internet n’a pas cherché à créer une confusion auprès de la clientèle, ainsi qu’il résulte de leur coexistence sur le marché immobilier parisien depuis plus de 8 ans au moment des faits incriminés, les deux emails de clients s’étant adressés par erreur à la société Arobase Immobilier, étant insuffisants à établir un risque de confusion caractérisant une faute dommageable imputable aux sociétés Arobazimmo, seule de nature à engager leur responsabilité civile délictuelle sur le fondement de la concurrence déloyale.

De façon générale, la création du site éponyme créé antérieurement par leur gérant s’est s’inscrit dans le cadre de la liberté du commerce et de la libre concurrence et respecte les usages loyaux du commerce, insusceptible en conséquence de caractériser des agissements relevant du parasitisme économique.

Par ailleurs, le seul fait de copier ou d’imiter un concurrent, qui ne bénéficie pas de droits privatifs de propriété intellectuelle, relève de la liberté du commerce et n’est pas fautif, dès lors que cela n’est pas accompagné de manoeuvres déloyales constitutives d’une faute telle que la création d’un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine du produit ou du service, circonstance attentatoire à l’exercice paisible et loyal du commerce.

Le parasitisme consiste à capter une valeur économique d’autrui individualisée, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements et à se placer ainsi intentionnellement dans son sillage pour tirer indûment parti des investissements consentis ou de la notoriété acquise.

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 1

ARRÊT DU 16 NOVEMBRE 2021

Numéro d’inscription au répertoire général : 18/05442 –��N° Portalis 35L7-V-B7C-B5IVE

Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Janvier 2018 -Tribunal de Commerce de PARIS – 15e chambre – RG n° 2014000726

APPELANTE

SARL AROBASE IMMOBILIER

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés sous le numéro 488 674 045

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[…]

[…]

Représentée par Me Stephen CHAUVET, avocat au barreau de PARIS, toque : D1235

INTIMÉES

SARL AROBAZIMMO

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 502 713 845

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[…]

[…]

Représentée par Me Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D2090

Assistée de Me Guillaume QUERUEL du cabinet Chritian TOURRET, avocat au barreau de PARIS, toque : C0426

SARL AROBAZIMMO GESTION

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 511 338 063

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[…]

[…]

Représentée par Me Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D2090

Assistée de Me Guillaume QUERUEL du cabinet Chritian TOURRET, avocat au barreau de PARIS, toque : C0426

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 05 octobre 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et Mme Françoise BARUTEL, conseillère, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Isabelle DOUILLET, présidente

Mme Françoise BARUTEL, conseillère,

Mme Déborah BOHÉE, conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON

ARRÊT :

• Contradictoire

• par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

• signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et par Karine ABELKALON, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Vu le jugement du tribunal de commerce de Paris du 29 janvier 2018′;

Vu l’appel interjeté le 13 mars 2018 par la société Arobase Immobilier ;

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 10 janvier 2020 par la société Arobase Immobilier, appelante’;

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées, par voie électronique, le 20 janvier 2020 par les sociétés Arobazimmo et Arobazimmo Gestion, intimées ;

Vu l’ordonnance de clôture du 18 février 2020,

SUR CE, LA COUR,

Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.

Il sera simplement rappelé que la société Arobase Immobilier, immatriculée le 16 février 2006, exerce depuis le 2 mars 2006 une activité d’agent immobilier à Paris et dans la région parisienne, notamment via son site internet arobaseimmobilier.fr créé le 17 septembre 2011.

M. Y X exerçait à titre personnel l’activité d’agent immobilier sous le nom commercial Arobazimmo, et a réservé le nom de domaine arobasimmo.fr le 2 février 2006, puis le nom de domaine Arobazimmo.fr le 3 juillet 2007.

M. X a constitué la société Arobazimmo le 14 février 2008, puis la société Arobazimmo Gestion immatriculée le 1er avril 2009, les deux sociétés exerçant des activités de transaction et de gestion dans l’immobilier.

Exposant avoir découvert en janvier 2014 par l’apposition d’un panneau sur un appartement situé rue Raymond Losserand dans le 14e arrondissement, l’existence de la société Arobazimmo, et avoir réceptionné des appels de clients de la dite société, après l’avoir mise vainement en demeure par lettres des 5 et 20 février 2014, la société Arobase Immobilier a fait assigner la société Arobazimmo devant le tribunal de commerce de Paris le 17 avril 2014 sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire.

Elle a ensuite fait assigner la société Arobazimmo Gestion devant le même tribunal et sur le même fondement le 22 juillet 2014. Les deux instances ont été jointes.

Par jugement en date du 30 mars 2015, le tribunal de commerce de Paris a rejeté l’exception d’incompétence soulevée par les sociétés Arobazimmo et Arobazimmo Gestion. Cette décision a été confirmée par un arrêt de la cour d’appel de Paris du 3 novembre 2015.

Par jugement prononcé le 29 janvier 2018 dont appel, le tribunal de commerce de Paris a statué en ces termes’:

Dit les demandes d’Arobase Immobilier prescrites’; l’en déboute’;

Condamne la SARL Arobase Immobilier à payer à la SARL Arobazimmo et SARL Arobazimmo Gestion la somme de 2 000 euros chacune au titre de l’article 700 du code de procédure civile’;

Déboute la SARL Arobazimmo et SARL Arobazimmo Gestion du surplus de leurs demandes’;

Condamne la SARL Arobase Immobilier aux dépens dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 78, 90’euros dont 12,94 euros de TVA.

Sur la prescription

L e s s o c i é t é s A r o b a z i m m o f o n t v a l o i r q u e M . C o l l i n u t i l i s a i t l ‘ a d r e s s e e – m a i l [email protected] dès janvier 2006, que le nom de domaine arobasimmo.fr a été enregistré le 2 février 2006 et que le lancement du site internet Arobazimmo.com est intervenu en avril 2008 à la suite de l’immatriculation de la société Arobazimmo le 14 février 2008, de sorte que la société Arobase Immobilier, qui est un professionnel, aurait dû connaître les faits reprochés dès cette date, et que son action est donc prescrite.

La société Arobase Immobilier soutient que le tribunal a procédé à une inversion de la charge de la preuve, en lui demandant de prouver un fait négatif, c’est à dire qu’elle ne connaissait pas, avant janvier 2014, les sociétés Arobazimmo et Arobazimmo Gestion. Elle soutient que si la création des sociétés intimées date de 2008, rien ne permet d’affirmer que ces sociétés avaient une réelle activité dans le domaine de l’immobilier antérieurement à l’année 2014, date de la pose du panneau et de la découverte de l’activité des intimées.

La cour rappelle qu’une action en concurrence déloyale est soumise au régime de la prescription de l’article 2224 du code civil, de sorte que le délai quinquennal court du jour où le demandeur à l’action a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

En l’espèce, les sociétés Arobazimmo et Arobazimmo Gestion justifient de l’enregistrement du nom de domaine arobasimmo.fr le 2 février 2006 et le lancement du site internet Arobazimmo.com en avril 2008 suite à l’immatriculation de la société Arobazimmo le 14 février 2008, mais ne démontrent pas que la société Arobase Immobilier a connu ou aurait dû nécessairement connaître, à compter de ces dates, ou à tout le moins cinq années avant l’assignation introductive du 22 juillet 2014, leur existence et leur activité incriminée dans l’immobilier, sur le fondement desquelles elle agit à leur encontre en concurrence déloyale. La fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action sera donc rejetée, et le jugement entrepris infirmé sur ce point.

Sur la concurrence déloyale et parasitaire

La société Arobase Immobilier soutient s’être constituée en 2006, antérieurement à la société Arobazimmo immatriculée en 2008, et considère que le dépôt par le gérant de la société Arobazimmo du nom de domaine le 24 janvier 2006 ne démontre pas une utilisation commerciale.

Elle fait valoir que la similitude des dénominations sociales des entreprises, l’antériorité de l’activité de la société Arobase Immobilier, la mise en place d’un panneau publicitaire non loin de son siège social, la confusion entre les deux entités par les clients, suffisent à démontrer que les sociétés Arobazimmo et Arobazimmo Gestion ont commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme à son encontre.

Les intimées soutiennent que l’usage du signe ‘arobase’ ou ‘arobaze’ adjoint au terme descriptif d’une activité professionnelle et notamment l’immobilier est très répandu, et qu’elles démontrent l’antériorité sur le choix de la dénomination arobasimmo depuis le 24 janvier 2006, cet usage à titre de nom commercial par M. Y X précédant l’immatriculation des intimées. Elles soutiennent qu’elles n’ont commis aucune faute, et qu’il n’est pas davantage démontré ni le lien de causalité ni le préjudice.

La cour rappelle que le seul fait de copier ou d’imiter un concurrent, qui ne bénéficie pas de droits privatifs de propriété intellectuelle, relève de la liberté du commerce et n’est pas fautif, dès lors que cela n’est pas accompagné de manoeuvres déloyales constitutives d’une faute telle que la création d’un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine du produit ou du service, circonstance attentatoire à l’exercice paisible et loyal du commerce.

La cour rappelle également que le parasitisme consiste à capter une valeur économique d’autrui individualisée, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements et à se placer ainsi intentionnellement dans son sillage pour tirer indûment parti des investissements consentis ou de la notoriété acquise.

En l’espèce, il est démontré que M. Y X, exerçant une activité d’agent immobilier, a créé les noms de domaine arobasimmo.fr et Arobazimmo.com respectivement les 2 février 2006 et 3 juillet 2007, lesquels ont été renouvelés les 30 janvier 2012 et 20 janvier 2014 ainsi qu’il résulte de l’email de confirmation de la société Nordnet et des registre Whois produits. Il est également établi que M. X utilisait à titre professionnel l’adresse email [email protected] depuis le 21 avril 2006, puis l’adresse email [email protected] à compter du 17 avril 2007 ainsi qu’il résulte de l’email du conseiller ‘clients professionnels’ de la société Orange, et qu’il a créé la société Arobazimmo le 14 février 2008, exerçant depuis cette date une activité de transaction et locations immobilières, puis la société Arobazimmo Gestion le 1er avril 2009, ainsi qu’il ressort des extraits Kbis versés au débat.

Il est également justifié que la société Arobazimmo, selon facture du 9 avril 2008, a réglé à la société Nwerag un montant HT de 4 100 euros pour la création du site internet Arobazimmo.com.

Il résulte enfin de deux attestations circonstanciées, respectant les prescriptions de l’article 202 du code de procédure civile, que les sociétés Arobazimmo et Arobazimmo Gestion exercent leurs activités dans l’immobilier dans leurs bureaux implantés dans le 17e arrondissement de Paris depuis les 1er octobre 2008 et 1er juillet 2009.

La société Arobase Immobilier échoue à démontrer les manoeuvres déloyales des sociétés Arobazimmo, qui utilisent cette dénomination sociale et le site éponyme créé par leur gérant le 2 février 2006, antérieurement à la création de la société Arobase Immobilier le 16 février 2006, et à la création de son site internet arobase-immobilier .fr le 17 septembre 2011, sans chercher à créer une confusion auprès de la clientèle, ainsi qu’il résulte de leur coexistence sur le marché immobilier parisien depuis plus de 8 ans au moment des faits incriminés, les deux emails de clients s’étant adressés par erreur à la société Arobase Immobilier, étant insuffisants à établir un risque de confusion caractérisant une faute dommageable imputable aux sociétés Arobazimmo, seule de nature à engager leur responsabilité civile délictuelle sur le fondement de la concurrence déloyale.

Elles ne démontrent pas davantage la valeur individualisée qui aurait été captée par les sociétés Arobazimmo, dont l’exploitation depuis 2008 du site éponyme créé antérieurement par leur gérant le 2 février 2006, s’inscrit dans le cadre de la liberté du commerce et de la libre concurrence et respecte les usages loyaux du commerce, insusceptible en conséquence de caractériser des agissements relevant du parasitisme économique.

Les demandes de la société Arobase Immobilier formées sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire seront donc rejetées.

Sur les demandes au titre de la résistance abusive et de la procédure abusive

La société Arobase Immobilier, qui succombe dans son action, sera également déboutée de sa demande au titre de la résistance abusive des sociétés Arobazimmo.

Les sociétés Arobazimmo soutiennent de leur côté que la présente action est motivée par la volonté de battre monnaie en instrumentalisant la juridiction en vue de les intimider, et considèrent que l’action doit être qualifiée d’abusive et sanctionnée par l’octroi à chacune d’elle d’une somme de 5.000 euros de dommages et intérêts.

Cependant, l’accès au juge étant un droit fondamental et un principe général garantissant le respect du droit, ce n’est que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que le fait d’agir en justice ou d’exercer une voie de recours légalement ouverte est susceptible de constituer un abus.

Or, les sociétés Arobazimmo ne démontrent pas la faute commise par la société Arobase Immobilier qui aurait fait dégénérer en abus son droit d’agir en justice, l’intéressée ayant pu légitimement se méprendre sur l’étendue de ses droits. Elles ne démontrent pas en outre l’existence d’un préjudice distinct de celui causé par la nécessité de se défendre en justice qui sera réparé par l’allocation d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a dit que les demandes de la société Arobase Immobilier étaient prescrites ;

Statuant à nouveau, et y ajoutant ;

Rejette la fin de non-recevoir opposée par les sociétés Arobazimmo et Arobazimmo Gestion au titre de la prescription ;

Déboute la société Arobase Immobilier de toutes ses demandes sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire, et de la résistance abusive ;

Déboute les sociétés Arobazimmo et Arobazimmo gestion de leur demande sur le fondement de la procédure abusive ;

Condamne la société Arobase Immobilier aux dépens d’appel et, vu l’article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à ce titre, aux sociétés Arobazimmo et Arobazimmo Gestion, pour les frais irrépétibles d’appel, une somme de 2 000 euros à chacune.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


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