Neutralité du net : quelles conséquences pratiques pour les clients des FAI ?

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Neutralité du net : quelles conséquences pratiques pour les clients des FAI ?

Le principe de la neutralité de l’internet est le droit des utilisateurs d’accéder aux informations et aux contenus et de les diffuser, d’utiliser et de fournir des applications et des services et d’utiliser les équipements terminaux de leur choix, quel que soit le lieu où se trouve l’utilisateur final ou le fournisseur, et quels que soient le lieu, l’origine ou la destination de l’information, du contenu, de l’application ou du service, par l’intermédiaire de leur service d’accès à l’internet.

Selon le principe de la neutralité du net, les opérateurs doivent traiter les paquets de données qu’ils acheminent sans discrimination. Les fournisseurs d’accès à internet ne doivent pas, selon ce principe, réduire la vitesse de la bande passante de ces contenus, ou encore faire payer aux fournisseurs de service ou aux utilisateurs finaux un internet plus rapide. Cette égalité de traitement permet l’accès de tous à toutes les informations contenues sur le réseau global.

Très concrètement, l’utilisateur doit avoir l’assurance que le contenu ou les services qu’il requiert sur internet seront traités sans restriction ou interférence. Son libre choix de consommateur entre les contenus ou services disponibles sur internet ne doit pas être contraint par les choix techniques de son fournisseur d’accès à internet. Il doit également être informé en détail sur les débits atteignables par son accès, les mesures de gestion de trafic qui y sont affectées, ou encore l’impact des services spécialisés sur la performance de son accès (qualité de service).

Périmètre de la neutralité du net

La neutralité de l’internet est une notion récente, popularisée en 2003 par Tim Wu, professeur de droit à l’université Columbia à New York. Son principe est de garantir l’égalité de traitement et d’acheminement de tous les flux d’information sur internet, quel que soit leur émetteur ou leur destinataire. Principe fondateur de l’Internet, il garantit la libre circulation, sans discrimination, des contenus sur le web. Cette neutralité peut avoir des conséquences importantes non seulement en matière économique (libre concurrence et régulation des acteurs dominants du marché) mais également en termes de respect de la vie privée des internautes, de garantie de la liberté d’expression et de qualité et continuité des services offerts sur Internet.

Opposabilité juridique du principe

Le règlement européen n° 2015/2120 du 25 novembre 2015 (codifié au code des postes et des communications électroniques) a reconnu le principe de la neutralité du net. Au niveau européen, le Body of European Regulators for Electronic Communications (Berec) est chargé de l’application du principe de neutralité du Net.

La loi pour une République numérique du 7 octobre 2016 a inscrit le principe de neutralité de l’Internet dans le droit français. Le principe interdit aux fournisseurs d’accès à internet (FAI) de discriminer l’accès au réseau en fonction des services (par exemple en offrant un internet plus lent à certains clients et plus rapide à d’autres pour accéder à un service identique à partir d’une même offre).

Ainsi, l’Arcep a pu faire retirer dans les conditions générales de vente de certains FAI des clauses contraires à la neutralité, qui prévoyaient des blocages de services et de type d’usage (comme l’interdiction du peer-to-peer). L’Arcep rappelle également que des pratiques comme le zero-rating (pratique de certains FAI, en général pour les offres mobiles, consistant à ne pas facturer dans le forfait l’accès à certains sites ou applications) sont contraires au règlement européen.

L’obligation des fournisseurs d’accès internet est de traiter « tout le trafic de façon égale et sans discrimination, restriction ou interférence, quels que soient l’expéditeur et le destinataire, les contenus consultés ou diffusés, les applications ou les services utilisés ou fournis ou les équipements terminaux utilisés ».  

Le règlement européen n° 2015/2120 du 25 novembre 2015 a posé les principes suivants :

Les prix, les volumes de données ou le débit, et toutes pratiques commerciales mises en œuvre par les FAI ne peuvent pas limiter le principe de neutralité de l’internet. Les FAI doivent ainsi traiter tout le trafic de façon égale et sans discrimination, restriction ou interférence, quels que soient l’expéditeur et le destinataire, les contenus consultés ou diffusés, les applications ou les services utilisés ou fournis ou les équipements terminaux utilisés.

Les FAI peuvent toutefois mettre en œuvre des mesures raisonnables de gestion du trafic. Pour être réputées raisonnables, les mesures doivent être transparentes, non discriminatoires et proportionnées, et ne pas être fondées sur des considérations commerciales, mais sur des différences objectives entre les exigences techniques en matière de qualité de service de certaines catégories spécifiques de trafic. Ces mesures ne doivent pas concerner la surveillance du contenu particulier et ne sont pas maintenues plus longtemps que nécessaire.

Les FAI ne peuvent pas appliquer de mesures de gestion du trafic qui vont au-delà du nécessaire et ils ont l’obligation de s’abstenir de bloquer, de ralentir, de modifier, de restreindre, de perturber, de dégrader ou de traiter de manière discriminatoire des contenus, des applications ou des services spécifiques ou des catégories spécifiques de contenus, d’applications ou de services, sauf si nécessaire et seulement le temps nécessaire, pour : i) se conformer aux actes de l’Union y compris les décisions d’une juridiction ou d’une autorité publique investie des pouvoirs nécessaires ; ii) préserver l’intégrité et la sûreté du réseau, des services fournis par l’intermédiaire de ce réseau et des équipements terminaux des utilisateurs finals ; iii) prévenir une congestion imminente du réseau et atténuer les effets d’une congestion exceptionnelle ou temporaire du réseau, pour autant que les catégories équivalentes de trafic fassent l’objet d’un traitement égal.

Les FAI restent libres de proposer des services autres que les services d’accès à l’internet qui sont optimisés pour des contenus, des applications ou des services spécifiques, ou une combinaison de ceux-ci, lorsque l’optimisation est nécessaire pour que les contenus, les applications ou les services satisfassent aux exigences correspondant à un niveau de qualité spécifique. Les FAI ne peuvent toutefois proposer ou faciliter ce type de services que si les capacités du réseau sont suffisantes pour les fournir en plus de tous services d’accès à l’internet fournis. Ces services ne sont pas utilisables comme services d’accès à l’internet ni proposés en remplacement de ces derniers, et ils ne sont pas proposés au détriment de la disponibilité ou de la qualité générale des services d’accès à l’internet pour les utilisateurs finals.

Tout contrat d’accès à Internet doit inclure, en ce qui concerne le principe de neutralité, au moins, ce qui suit :

a) des informations sur la manière dont les mesures de gestion du trafic appliquées par le fournisseur concerné peuvent avoir une incidence sur la qualité des services d’accès à l’internet, sur le respect de la vie privée des utilisateurs finals et sur la protection de leurs données à caractère personnel;

b) une explication claire et compréhensible en ce qui concerne la manière dont les éventuelles limitations de volume, le débit et d’autres paramètres de qualité de service peuvent avoir une incidence concrète sur les services d’accès à l’internet, et en particulier sur l’utilisation de contenus, d’applications et de services;

c) une explication claire et compréhensible en ce qui concerne la manière dont les services auxquels l’utilisateur final souscrit, pourraient avoir une incidence concrète sur les services d’accès à l’internet fournis à cet utilisateur final ;

d) une explication claire et compréhensible, pour les réseaux fixes, en ce qui concerne le débit minimal, normalement disponible, maximal et annoncé pour le téléchargement descendant et ascendant des services d’accès à l’internet ou, dans le cas des réseaux mobiles, le débit maximal estimé et annoncé pour le téléchargement descendant et ascendant des services d’accès à l’internet, ainsi que la manière dont des écarts significatifs par rapport aux débits annoncés de téléchargement descendant et ascendant peuvent avoir une incidence sur l’exercice des droits des utilisateurs finals ;

e) une explication claire et compréhensible des voies de recours ouvertes au consommateur conformément au droit national en cas d’écart permanent ou récurrent entre les performances réelles des services d’accès à l’internet en matière de débit ou d’autres paramètres de qualité de service et les performances ;

Tout écart significatif, permanent ou récurrent, entre les performances réelles des services d’accès à l’internet en matière de débit ou d’autres paramètres de qualité de service et les performances indiquées par le FAI est, lorsque les faits pertinents sont établis par un mécanisme de surveillance agréé par l’autorité réglementaire nationale, réputé constituer une performance non conforme aux fins du déclenchement des voies de recours ouvertes au consommateur conformément au droit national.

L’action de l’Arcep

En 2016, la Loi pour une République Numérique a étendu les compétences de l’Arcep à l’application du règlement européen sur l’internet ouvert. L’Arcep a donc désormais pour mission de surveiller les pratiques des fournisseurs d’accès internet (FAI) qui pourraient écorner le principe de neutralité, de conduire des enquêtes ou de prononcer des sanctions pouvant atteindre jusqu’à 3% du chiffre d’affaires des opérateurs.

L’Arcep travaille également au développement de moyens techniques pour améliorer la détection automatique des pratiques préjudiciables, à travers des logiciels de détection des mesures de gestion de trafic par exemple.

Comptant sur l’expérience des utilisateurs, l’Arcep a également mis en place une plateforme de signalement, « J’alerte l’Arcep », sur laquelle les utilisateurs sont invités à lui faire part des entorses à la neutralité du net dont ils pourraient être témoins : ralentissement d’un service ou d’un contenu spécifique, interdiction d’un type d’usage par le fournisseur d’accès…

Enfin, à l’occasion de l’Internet Governance Forum de mi-novembre 2018 à Paris, l’Arcep a lancé la version française de Wehe, une application développée par la Northeastern University aux Etats-Unis. Disponible sur Apple Store et Google Play, cet outil permet à chaque citoyen de contribuer à la neutralité du net en détectant les bridages de flux internet.  

Quid des Etats-Unis ?  

Aux Etats-Unis, la FCC (régulateur américain des télécoms) avait adopté en 2004 une déclaration visant à protéger la neutralité du net, et reconnu en 2015 le réseau internet américain comme « bien public ». Mais en 2017, suite à son changement de présidence, le régulateur a mis un terme à la garantie d’un traitement égal des flux de données par les opérateurs aux Etats-Unis. La neutralité du net n’y est donc plus garantie.

Évolution historique du principe   

Le concept de neutralité de l’Internet régissait initialement le fonctionnement du réseau sans intervention réglementaire, et c’est dans les années 2000, avec la révélation de pratiques de gestion du trafic discriminatoires et anticoncurrentielles par certains fournisseurs d’accès à Internet, que le débat sur l’opportunité de consacrer juridiquement ce principe s’est accéléré. Après une première approche par le droit souple, un mouvement de consécration réglementaire a débuté en 2010 dans plusieurs pays – le Chili a ouvert la voie – et notamment les États-Unis avec l’Open Internet Order de 2010. L’Union européenne a également posé les bases d’un modèle équilibré de protection de la neutralité de l’Internet par son règlement de 2015 (2015/2120) établissant des mesures relatives à l’accès à un Internet ouvert, qui font l’objet d’un contrôle vigilant de la part des autorités de régulation nationales européennes. Ces différentes inscriptions dans le droit dur ont néanmoins un caractère national, ou régional, et il faut souligner que sur le plan international, il n’existe aucune norme juridiquement contraignante concernant la neutralité de l’Internet, dont la définition et la mise en œuvre sont territorialement fragmentées.


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