En s’abstenant, de manière répétée, de répondre à la demande d’informations envoyée par l’Autorité, la société Nixon Europe SARL, a fait obstruction à une mesure d’investigation des services d’instruction. L’Autorité a également considéré que cette pratique était imputable à la société mère de Nixon Europe SARL, Nixon Inc (5 000 euros d’amende).
Sommaire
Cas passés d’obstruction
Par le passé, l’Autorité a déjà sanctionné à trois reprises des cas d’obstruction i) Décision n° 21-D-10 du 3 mai 2021 relative à des pratiques d’obstruction mises en œuvre par le groupe Fleury Michon (sanctionné à 100 000 euros) ; ii) Décision n° 17-D-27 du 21 décembre 2017 relative à des pratiques d’obstruction mises en œuvre par Brenntag (sanctionné à 30 millions d’euros) ; iii) Décision n° 19-D-09 relative à des pratiques d’obstruction mises en œuvre par le groupe Akka (sanctionné à 900 000 euros).
Exemples d’obstruction
L’obstruction peut, « notamment », résulter de la fourniture par l’entreprise de renseignements incomplets ou inexacts, ou de la communication de pièces incomplètes ou dénaturées (L. 464-2). L’obstruction, dont les formes ne sont pas limitativement définies recouvre plus largement tout comportement de l’entreprise tendant, de propos délibéré ou par négligence, à faire obstacle ou à retarder, par quelque moyen que ce soit, le déroulement de l’enquête ou de l’instruction.
Ainsi, le refus de communiquer les renseignements ou les documents demandés dans le délai prescrit, de même que l’omission de rectifier une réponse incorrecte ou incomplète, peuvent constituer une obstruction, dès lors qu’ils font obstacle aux pouvoirs d’enquête dévolus aux agents de l’Autorité.
Dans sa décision n° 2021-892 QPC du 26 mars 2021 société Akka technologies et autres, le
Conseil constitutionnel a confirmé l’interprétation donnée par l’Autorité à la notion d’obstruction au sens de l’alinéa 2 du paragraphe V de l’article L. 464-2 : « […] l’obstruction aux mesures d’investigation ou d’instruction s’entend de toute entrave au déroulement de ces mesures, imputable à l’entreprise, qu’elle soit intentionnelle ou résulte d’une négligence ».
Il en est de même en droit de l’Union qui, conformément au I de l’article 23 du Règlement n° 1/2003, sanctionne les infractions d’obstruction commises délibérément ou par négligence.
Ce n’est pas seulement « la volonté d’induire en erreur les enquêteurs » qui est sanctionnée au titre de l’obstruction dans les espèces citées. La négligence de l’entreprise, ou sa passivité, qui a compromis l’efficacité de l’action des enquêteurs, peut constituer, à elle seule, l’infraction. Ainsi, le Tribunal de l’Union a jugé que : « En raison de l’obligation de collaboration active imposée aux particuliers concernés au cours de la procédure d’enquête préalable, une réaction passive peut justifier, à elle seule, l’adoption d’une décision formelle au titre de l’article 11, paragraphe 5, du règlement n° 17 »
Plainte d’un détaillant de montres
La Commission de la concurrence hellénique a reçu une plainte d’un détaillant de montres à l’encontre de plusieurs grossistes/importateurs et fabricants de montres bracelets. Le plaignant faisait état de pratiques visant à restreindre la capacité des détaillants à fixer les prix de revente de manière indépendante et à empêcher les ventes transfrontalières. Il soutenait, en outre, que les grossistes/importateurs avaient conclu un accord visant à maintenir des prix de détail élevés.
Pour les besoins de son enquête, l’autorité grecque de la concurrence, a formulé, comme le permet l’article 22 du règlement n° 1/2003, une demande d’assistance auprès de l’Autorité afin qu’elle envoie un questionnaire au siège de la société Nixon Europe SARL, situé en France.
Absences répétées de réponses
Nixon n’a pas répondu au questionnaire envoyé par l’Autorité de la concurrence malgré de multiples relances. Sur ce fondement, l’Autorité a, sur une période de 5 mois, envoyé, à de multiples reprises, ledit questionnaire, sans obtenir aucune réponse de la part de la société.
Si la société, comme elle l’a avancé, a connu des mesures de restructuration, cette situation ne saurait justifier à elle seule l’absence totale de réponse à une demande de renseignements de l’Autorité.
Obligation de collaboration active et loyale
Pour rappel, les entreprises faisant l’objet d’une mesure d’investigation ont une obligation de collaboration active et loyale avec l’Autorité de la concurrence qui implique notamment de répondre aux demandes d’informations communiquées par l’Autorité.
Les agents des services d’instruction de l’Autorité de la concurrence habilités à cet effet par le rapporteur général peuvent procéder à toute enquête nécessaire (L. 450-3 du code de commerce).
Les agents peuvent exiger la communication des livres, factures et autres documents professionnels et obtenir ou prendre copie de ces documents par tout moyen et sur tout support. Ils peuvent également recueillir, sur place ou sur convocation, tout renseignement, document ou toute justification nécessaire au contrôle (L. 450-3 du code de commerce)
Lorsqu’une entreprise ou une association d’entreprises a fait obstruction à l’investigation ou à l’instruction, notamment en fournissant des renseignements incomplets ou inexacts, ou en communiquant des pièces incomplètes ou dénaturées, l’Autorité peut, à la demande du rapporteur général, et après avoir entendu l’entreprise en cause et le commissaire du Gouvernement, décider de lui infliger une sanction pécuniaire (L. 464-2 du code de commerce).
L’entreprise faisant l’objet d’une mesure d’investigation est ainsi soumise à une obligation de collaboration active et loyale, qui implique de sa part qu’elle tienne à la disposition des services d’instruction tous éléments d’information et justificatifs répondant à l’objet des demandes. Ainsi, les représentants d’une entreprise, par le truchement, le cas échéant, de leurs conseils dûment mandatés, sont tenus de communiquer avec diligence les renseignements et les documents, complets, exacts et non dénaturés, qui leur sont demandés.
Cette obligation est également mise en place au niveau européen. L’article 18 du Règlement n° 1/2003 édicte de manière similaire que les entreprises « sont tenues de fournir les renseignements demandés » par la Commission européenne.
La jurisprudence de l’Union rappelle régulièrement que l’entreprise faisant l’objet d’une mesure d’instruction est soumise à une obligation de collaboration active, qui implique qu’elle tienne à la disposition de la Commission européenne tous les éléments d’information relatifs à l’objet de l’enquête.
C’est au regard de l’obligation de répondre activement, diligemment et de bonne foi aux demandes de renseignements qui pèse sur toute entreprise faisant l’objet d’une instruction menée par l’Autorité, qu’il convient d’apprécier les manquements qui lui sont reprochés.
Cas des groupes de sociétés
A noter qu’au sein d’un groupe de sociétés, le comportement d’une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques.
Dans le cas particulier où une société mère détient, directement ou indirectement par le biais d’une société interposée, la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale auteure d’un comportement infractionnel, il existe une présomption selon laquelle cette société mère exerce une influence déterminante sur le comportement de sa filiale, présomption compatible avec les principes de responsabilité personnelle et d’individualisation des peines.
Dans cette hypothèse, il suffit pour l’autorité de concurrence de rapporter la preuve de cette détention capitalistique pour imputer le comportement de la filiale auteure des pratiques à la société mère. La société mère peut renverser cette présomption en apportant des éléments de preuve susceptibles de démontrer que sa filiale détermine de façon autonome sa ligne d’action sur le marché. Si la présomption n’est pas renversée, l’autorité de concurrence sera en mesure de tenir la société mère pour solidairement responsable pour le paiement de la sanction infligée à sa filiale.