Motifs de fleurs sur Tissus : l’originalité encore possible

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Motifs de fleurs sur Tissus : l’originalité encore possible
Ce point juridique est utile ?

L’originalité d’un assemblage de fleurs et de feuillages peut être retenue pour peu que les choix qui y président, comme en l’espèce, procèdent de l’arbitraire, et soient le reflet de la personnalité de son auteur.

L’originalité ne saurait cependant se limiter à cette association, même complexe, de fleurs et feuillages. Encore faut-il que ces fleurs et feuillages présentent certaines caractéristiques, que la demanderesse aurait pu prendre soin de décrire, ce dont elle s’est hélas abstenue.

Car en effet, la combinaison dont s’agit, associe principalement deux types de fleurs, d’une part celle d’un plus grand format, qui évoque aisément la pivoine, tant par son volume, la forme et l’agencement de ses pétales ainsi que la forme de ses feuilles, d’autre part, celle d’un plus petit format, composée de cinq pétales répartis autour d’un centre, qui pourrait se rapprocher de l’anémone ou de la fleur de fraisier mais qui évoque davantage un dessin de fleur, faussement enfantin.

D’autres fleurs composent le tableau : des fleurs massives mais plus transparentes, qui ressemblent à des dahlias pompons, d’autres à peine ébauchées qui évoquent la fleur d’hibiscus, d’autres encore, à cinq pétales qui semblent réalisées au pochoir et donnent un rendu volontairement un peu flou, telles des fleurs d’aubépine. Une dernière fleur complète le dessin, qui semble tout droit sortie de l’imagination de son auteur, tant sa forme n’évoque aucune fleur naturelle, lointaine cousine d’un trèfle et dont les pétales peuvent évoquer les ailes d’un papillon.

Agrémentent cet ensemble, comme l’on ferait d’un bouquet, du feuillage composé d’une part d’une tige se séparant en deux tiges dont l’une se courbe en son extrémité, et ornées de feuilles stylisées par une simple amande ou deux amandes concentriques, d’autre part de feuilles nervurées presque amalgamées.

Il ressort de cet ensemble une réelle originalité, tant par les tailles et formes spécifiques des fleurs et des feuillages choisis pour composer le dessin, ainsi que leur agencement les uns par rapport aux autres.

Pour rappel, l’article L. 111-1 alinéa 1 et 2 du Code de la propriété intellectuelle dispose que “l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres I et III du présent code”.

L’article L. 112-1 du même Code prévoit quant à lui que “les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les oeuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination”.

Une oeuvre peut dès lors bénéficier d’une protection au titre du droit d’auteur quels que soient le genre auquel elle appartient, sa forme d’expression ou sa destination, dès lors qu’elle présente un caractère original, fruit de l’effort créateur de son auteur, expression de ses choix libres et créatifs et empreinte de sa personnalité.

Surtout, il revient au juge de vérifier dans chaque cas d’espèce, que l’oeuvre est bien une création intellectuelle de l’auteur répondant à ces critères, mais il appartient aussi et d’abord à celui qui revendique la protection du droit d’auteur, de démontrer l’originalité de l’oeuvre.

Résumé de l’affaire : La société TEINTURERIES DE LA TURDINE, spécialisée dans l’ennoblissement textile, a acquis en 2006 un dessin textile d’une société italienne. Un échantillon basé sur ce dessin a été proposé à la société GROUPE MULLIEZ FLORY, qui n’a pas donné suite. Lors d’une liquidation judiciaire de la société TAM, TEINTURERIES DE LA TURDINE a découvert des commandes de ce dessin par GROUPE MULLIEZ FLORY. Après avoir obtenu une autorisation judiciaire, TEINTURERIES DE LA TURDINE a effectué une saisie-contrefaçon dans les locaux de GROUPE MULLIEZ FLORY en février 2021 et a ensuite assigné cette dernière pour contrefaçon.

La juge de la mise en état a déclaré l’action de TEINTURERIES DE LA TURDINE irrecevable, mais la cour d’appel a infirmé cette décision. TEINTURERIES DE LA TURDINE demande maintenant la reconnaissance de la contrefaçon, des indemnités pour préjudice, ainsi que la publication du jugement. En réponse, GROUPE MULLIEZ FLORY conteste la recevabilité de l’action, l’originalité du dessin, et nie avoir commis des actes de contrefaçon, tout en demandant l’annulation de la saisie-contrefaçon. Les deux parties avancent des arguments sur l’originalité du dessin, la matérialité de la contrefaçon, et le préjudice subi. L’instruction a été clôturée et l’affaire est en attente de jugement.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

7 octobre 2024
Tribunal judiciaire de Rennes
RG n°
21/01974
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE RENNES

07 Octobre 2024

2ème Chambre civile
3EB

N° RG 21/01974 –
N° Portalis DBYC-W-B7F-JFRM

AFFAIRE :

S.A. TEINTURERIES DE LA TURDINE,

C/

S.A.S. GROUPE MULLIEZ FLORY – GMF,

copie exécutoire délivrée
le :
à :

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE

PRESIDENT : Sabine MORVAN, Vice-présidente

ASSESSEUR : Jennifer KERMARREC, Vice-Présidente,

ASSESSEUR : André ROLLAND, Magistrat à titre temporaire

GREFFIER : Fabienne LEFRANC lors des débats et lors de la mise à disposition qui a signé la présente décision.

DEBATS

A l’audience publique du 09 Septembre 2024

JUGEMENT

En premier ressort, contradictoire,
prononcé par Madame Sabine MORVAN, vice-présidente
par sa mise à disposition au Greffe le 07 Octobre 2024,
date indiquée à l’issue des débats.
Jugement rédigé par Madame Sabine MORVAN,

ENTRE :

DEMANDERESSE :

S.A. TEINTURERIES DE LA TURDINE, immatriculée au RCS de VILLEFRANCHE-TARARE sous le n° 725 580 013, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 2]
représentée par Maître Alban JARS de la SELARL JARS PAPPINI & ASSOCIES, avocats au barreau de LYON, avocats plaidant, Me Stéphanie PRENEUX, avocat au barreau de RENNES, avocat postulant

ET :

DEFENDERESSE :

S.A.S. GROUPE MULLIEZ FLORY – GMF, immatriculée au RCS d’Angers sous le numéro 308.054.410, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 1]
représentée par Maître Marc DIZIER de la SELARL DIZIER ET ASSOCIES, avocats au barreau de NANTES, avocats plaidant, Maître Anne TREMOUREUX de la SELAS GUERIN TREMOUREUX MARTIN, avocats au barreau de RENNES, avocats postulant

FAITS ET PRÉTENTIONS

La société TEINTURERIES DE LA TURDINE est spécialisée dans l’ennoblissement textile.

La société GROUPE MULLIEZ FLORY est quant à elle spécialisée dans la confection de vêtements de travail et de tenues professionnelles.

En 2006, la société SERVICE DE LA TURDINE, société soeur des TEINTURERIES DE LA TURDINE, s’est rapprochée de la société italienne STUDIO PIU, auteur d’un dessin n° 61NA27.
Suivant facture du 14 février 2006, elle a acquis ledit dessin, qui a été renuméroté 11584T.

Un échantillon produit sur la base du dessin a été proposé à la société GROUPE MULLIEZ FLORY, qui n’a pas donné suite.
Sollicitée par la société TAM, alors en liquidation judiciaire, pour poursuivre l’exécution des contrats en cours, la société TEINTURERIES DE LA TURDINE aurait découvert dans le fichier clients de cette société, des commandes d’impression de son dessin par la société GROUPE MULLIEZ FLORY.

Après y avoir été dûment autorisée par ordonnance du 21 janvier 2021, la société TEINTURERIES DE LA TURDINE a fait procéder à une opération de saisie-contrefaçon dans les locaux de la société GROUPE MULLIEZ FLORY, le 24 février 2021.

Par acte du 26 mars 2021, la société TEINTURERIES DE LA TURDINE a fait assigner la société GROUPE MULLIEZ FLORY aux fins de voir constater des actes de contrefaçon et obtenir réparation du préjudice en découlant.

***

Saisie par la société GROUPE MULLIEZ FLORY, la juge de la mise en état a, notamment, suivant ordonnance du 19 mai 2022, déclaré irrecevable l’action en contrefaçon de la société TEINTURERIE DE LA TURDINE faute de qualité à agir.

Par arrêt du 6 décembre 2022, la cour d’appel de Rennes a infirmé l’ordonnance en ce qu’elle avait déclaré l’action irrecevable.

***

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 19 février 2024, la société TEINTURERIE DE LA TURDINE demande au tribunal, au visa des articles L .111-1, L. 131-3 et suivants, L. 332-1 et suivants, L. 331-1-3 alinéa 1er, L. 335-2, L. 716-7 et L. 716-15 du Code de la propriété intellectuelle et L. 642-1 à L. 642-24 du Code de commerce, de :
– Juger que la société MULLIEZ-FLORY a commis des actes de contrefaçon du dessin 11584T.
– Condamner la société MULLIEZ-FLORY à lui payer les sommes de :
* 83.520 € à titre d’indemnisation des conséquences négatives de la contrefaçon,
* 45.556 € à titre de dommages-intérêts résultant des bénéfices tirés de la contrefaçon du dessin 11584T,
* 20.000 € à titre d’indemnisation du préjudice d’image résultant de la contrefaçon.
– Ordonner la publication du jugement à intervenir aux frais de la société MULLIEZ-FLORY :
* dans deux journaux ou revues spécialisées au choix de la société MULLIEZ-FLORY (sic),
* sur la page d’accueil du site internet www.mulliez-flory.fr,
* sur la page d’accueil du site internet www.laturdine.fr.
– Condamner la société MULLIEZ-FLORY à lui payer la somme de 10.000 € en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
– Condamner la société MULLIEZ-FLORY aux entiers dépens.

Aux termes de propos préliminaires, la société TEINTURERIES DE LA TURDINE indique que la défenderesse n’est plus, dans les suites de l’arrêt de la cour, fondée à contester la recevabilité de l’action en contrefaçon.

Afin de défendre l’originalité du dessin querellé, la société TEINTURERIES DE LA TURDINE conteste en premier lieu la pertinence des dessins présentés en défense à titre comparatif. Elle soutient que l’équilibre adopté entre les différents motifs, l’alternance de pleins et de vides entre eux, leurs positionnement et rapport conféreraient à l’ensemble du dessin une impression singulière, démontrant un effort créatif et donc son originalité.

Sur la matérialité de la contrefaçon, la demanderesse fait valoir qu’il n’est pas nécessaire que la reproduction critiquée soit identique, mais qu’il suffit d’une ressemblance d’ensemble, laquelle ressortirait ici d’une comparaison entre son dessin et celui imprimé par la société TAM pour le compte de la défenderesse. Notamment, il y aurait lieu de relever un fonds coloré avec motifs de fleurs et feuillages contrastant en clair-foncé, ainsi que des motifs de formes et de tailles unitaires identiques.

En réponse à la défenderesse qui invoque l’irrégularité de la production de pièces afférentes à la société TAM, la société TEINTURERIES DE LA TURDINE affirme que les règles applicables aux liquidations judiciaires ne lui imposaient pas d’obtenir une décision de l’autorité compétente aux fins de poursuivre valablement l’exécution des contrats en cours, en sorte que la recevabilité des pièces produites par elle ne peut souffrir la moindre contestation.

Toujours en réplique à la défenderesse, elle avance que le simple fait qu’elle ait – pour cette dernière – produit, un temps, le dessin litigieux, ne peut conduire à retenir qu’elle a renoncé à se prévaloir d’une quelconque contrefaçon.

Sur le préjudice, après avoir évoqué des difficultés tenant à l’obtention d’éléments comptables, la société TEINTURERIES DE LA TURDINE expose son calcul aux fins de justifier le chiffrage de sa demande au titre du préjudice économique. Elle procède de la même manière concernant la demande fondée sur les bénéfices réalisés par la défenderesse. Elle souligne en sus que les actes de contrefaçon seraient de nature à déprécier l’exploitation commerciale qu’elle fait du dessin, de telle sorte qu’il en résulterait un préjudice d’image dont elle réclame l’indemnisation.

Elle sollicite enfin la publication de la décision à intervenir, cette mesure lui permettant de rétablir ses droits vis-à-vis des tiers.

***

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 16 mai 2024, la société GROUPE MULLIEZ FLORY demande au tribunal, au visa des articles 1104 et suivants du Code civil, L. 642-1 à L. 642-24 du Code de commerce, L. 111-1 et suivants, L. 131-3 et suivants, L. 332-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle, de :
– Rejeter des débats les pièces n° 13, 13-1, 13-2, 13-3 à savoir les pièces concernant la société TAM.
– Juger irrecevable la société TEINTURERIES DE LA TURDINE en toutes ses demandes.
– Annuler la saisie contrefaçon du 24 février 2021.
A titre subsidiaire
– Juger que la société TEINTURERIES DE LA TURDINE a renoncé à invoquer la moindre contrefaçon.
– Juger que le dessin 11584 T ne bénéficie pas de la protection au titre des droits d’auteurs.
– Juger qu’elle-même n’a pas contrefait le dessin 11584 T.
– Juger non fondée la société TEINTURERIES DE LA TURDINE en toutes ses demandes.
– Annuler la saisie contrefaçon du 24 février 2021.
– Débouter la société TEINTURERIES DE LA TURDINE de l’intégralité de ses demandes.
En tout état de cause
– Condamner la société TEINTURERIES DE LA TURDINE à lui payer une somme de 4.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

En vue de faire échec aux prétentions adverses, la société GROUPE MULLIEZ FLORY invoque en premier lieu l’absence d’originalité du dessin litigieux. Après avoir fait observer que la demanderesse n’est pas l’auteur du dessin, pas plus que de l’interprétation alléguée, elle n’expliquerait en quoi le dessin serait original.

En second lieu, elle réfute tout acte de contrefaçon. Elle soutient en préambule que, faute pour la demanderesse de justifier des droits acquis via la poursuite des contrats conclus par la société TAM dans les suites de la liquidation judiciaire, les pièces ainsi produites par elle devraient être écartées des débats.

La société GROUPE MULLIEZ FLORY allègue ensuite que les tissus découverts à l’occasion de la saisie-contrefaçon ont été produits par la demanderesse elle-même, aucun produit résultant de sa production n’ayant été saisi, en sorte que contrefaçon il ne peut y avoir.

Elle ajoute que la société TEINTURERIES DE LA TURDINE a continué à la fournir après délivrance de l’assignation, ce qui devrait conduire à considérer qu’elle a renoncé à se prévaloir d’une quelconque contrefaçon mais qu’elle est également de mauvaise foi. Elle ne pourrait davantage se fonder sur le procès-verbal de saisie-contrefaçon qui, par application du principe selon lequel nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude, encourrait la nullité.

Elle poursuit en rappelant que l’originalité fait défaut et que l’exercice de comparaison auquel s’est prêtée la demanderesse est incorrect, puisque effectué sur la base d’éléments dont la recevabilité est contestée (les fichiers de la société TAM), outre le fait que la dite comparaison ne pourrait se faire qu’avec le catalogue objet du procès-verbal.

La société GROUPE MULLIEZ FLORY dénie de même tout préjudice. Concernant son aspect matériel, elle soutient qu’il n’est justifié de rien, les chiffres d’affaires présentés incluant des éléments sans rapport avec l’objet de la demande, aucune pièce comptable n’étant au demeurant produite aux fins de prouver les taux de marge exposés. Concernant l’aspect moral, elle fait valoir que la demanderesse n’a pas acquis le dessin, qu’elle n’était pas l’auteur de son interprétation et ne peut donc se prévaloir d’aucun savoir-faire, de sorte que le débouté s’imposerait.

Enfin, le même sort devrait être réservé à la demande de publication du jugement.

***

La clôture de l’instruction a été ordonnée le 6 juin 2024.

L’affaire a été appelée à l’audience de plaidoirie du 9 septembre 2024 et la décision mise en délibéré au 7 octobre 2024.

MOTIFS

Au titre des prolégomènes, le tribunal tient à préciser que les considérations relatives à la recevabilité des demandes et à la titularité des droits d’auteur est révolue, dès lors qu’elles ont été définitivement tranchées par arrêt de la cour d’appel de Rennes du 06 décembre 2022. En conséquence, il n’y sera pas revenu.

1/ Sur la contrefaçon

A. L’originalité

L’article L. 111-1 alinéa 1 et 2 du Code de la propriété intellectuelle dispose que “l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres I et III du présent code”.

L’article L. 112-1 du même Code prévoit quant à lui que “les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les oeuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination”.

Une oeuvre peut dès lors bénéficier d’une protection au titre du droit d’auteur quels que soient le genre auquel elle appartient, sa forme d’expression ou sa destination, dès lors qu’elle présente un caractère original, fruit de l’effort créateur de son auteur, expression de ses choix libres et créatifs et empreinte de sa personnalité.

Surtout, il revient au juge de vérifier dans chaque cas d’espèce, que l’oeuvre est bien une création intellectuelle de l’auteur répondant à ces critères, mais il appartient aussi et d’abord à celui qui revendique la protection du droit d’auteur, de démontrer l’originalité de l’oeuvre.

L’originalité querellée concerne le dessin n° 11584 T.

La société TEINTURERIES DE LA TURDINE tire argument de la taille et disposition des motifs, supposées donner au dessin une impression singulière et caractériser l’originalité. La société GROUPE MULLIEZ FLORY dénie toute originalité, le dessin étant d’après elle banal.

Le dessin original n° 61NA27 issu de la société italienne STUDIO PIU, a été par la suite réinterprété par la demanderesse en plusieurs coloris du dessin 11584T, dont exemples ci-dessous :

puis a donné lieu aux “rebracks” suivants (NB : rebrack = support de présentation d’échantillons de tissu, indiquant leurs caractéristiques commerciales) :

La société TEINTURERIES DE LA TURDINE prétend que son dessin présente une originalité en ce qu’il constitue “une combinaison originale de fleurs et feuillages de différentes formes”.

Elle semble pour le reste, renvoyer à sa requête en saisie-contrefaçon dans laquelle elle indiquerait “précisément la combinaison de caractéristiques révélant l’effort créatif réalisé sur le dessin”.

L’on retrouve dans ce document peu ou prou les mêmes éléments, dans la périssologie suivante : “ce dessin, de style japonisant, est une composition et une association complexe de fleurs et feuillages. Il est effectivement caractérisé par une combinaison de fleurs et de feuillages de différentes formes et tailles contrastant sur un fond uni”.

L’originalité ne saurait cependant se limiter à cette association, même complexe, de fleurs et feuillages. Encore faut-il que ces fleurs et feuillages présentent certaines caractéristiques, que la demanderesse aurait pu prendre soin de décrire, ce dont elle s’est hélas abstenue.

Car en effet, la combinaison dont s’agit, associe principalement deux types de fleurs, d’une part celle d’un plus grand format, qui évoque aisément la pivoine, tant par son volume, la forme et l’agencement de ses pétales ainsi que la forme de ses feuilles, d’autre part, celle d’un plus petit format, composée de cinq pétales répartis autour d’un centre, qui pourrait se rapprocher de l’anémone ou de la fleur de fraisier mais qui évoque davantage un dessin de fleur, faussement enfantin.

D’autres fleurs composent le tableau : des fleurs massives mais plus transparentes, qui ressemblent à des dahlias pompons, d’autres à peine ébauchées qui évoquent la fleur d’hibiscus, d’autres encore, à cinq pétales qui semblent réalisées au pochoir et donnent un rendu volontairement un peu flou, telles des fleurs d’aubépine. Une dernière fleur complète le dessin, qui semble tout droit sortie de l’imagination de son auteur, tant sa forme n’évoque aucune fleur naturelle, lointaine cousine d’un trèfle et dont les pétales peuvent évoquer les ailes d’un papillon.

Agrémentent cet ensemble, comme l’on ferait d’un bouquet, du feuillage composé d’une part d’une tige se séparant en deux tiges dont l’une se courbe en son extrémité, et ornées de feuilles stylisées par une simple amande ou deux amandes concentriques, d’autre part de feuilles nervurées presque amalgamées.

Il ressort de cet ensemble une réelle originalité, tant par les tailles et formes spécifiques des fleurs et des feuillages choisis pour composer le dessin, ainsi que leur agencement les uns par rapport aux autres.

Il suffit d’ailleurs pour s’en convaincre de se livrer à une comparaison avec les motifs japonisants pourtant proposés par la défenderesse pour combattre l’originalité.

Le premier, tiré du site isidoreleroy.com, dans un camaïeu de gris/vert, montre des fleurs enroulées sur elles-mêmes agrémentées de larges feuilles.
Le second, présente plusieurs type de fleurs dont ce qui peut ressembler en effet à des pivoines, mais d’autres encore totalement différentes et alors que certaines sont en fleurs et d’autres en boutons.
Le troisième, dans une déclinaison de couleurs rouge, rose et blanche, sur fond noir, évoque davantage un paysage composé d’arbres ou arbustes dont les troncs ou tiges serpentent vers les hauteurs.
Le quatrième représente aussi des fleurs, dont le fameux “pivoine” mais également d’autres, aux formes très différentes, dont certaines dessinées en grappes longilignes et non en “nappe”, le tout sur fond de motifs géométriques et linéaires.
Sur le cinquième, si l’on retrouve le motif pivoine, l’on distingue également nettement des marguerites et des gerberas qui donnent un tout autre effet d’ensemble.

Il en va de même des motifs proposés par la société TEINTURERIES DE LA TURDINE.
Le premier dessin représente plusieurs fleurs de formes et couleurs différentes, mais dénues de toute tige et feuillage, entre lesquels sont ajoutées des formes sinueuses pouvant évoquer des rubans.
Le second reproduit différentes fleurs et feuillages mais certaines fleurs dessinées tiennent davantage de la figure géométrique que d’une fleur naturelle.

Enfin, le troisième représente moult fleurs, principalement de la même taille, dans des coloris différents, agrémentées de quelques tiges, sans feuilles, le tout donnant une impression de masse.

Ces quelques exemples renforcent donc l’originalité du dessin en cause, en montrant qu’un assemblage de fleurs et de feuillages, peut être très différent d’un autre, pour peu que les choix qui y président, comme en l’espèce, procèdent de l’arbitraire, et soient le reflet de la personnalité de son auteur.

Le tribunal retient donc l’originalité du dessin n° 11584 T.

B. Les actes de contrefaçon

1. Sur la preuve de la contrefaçon

a) La recevabilité des pièces

La société GROUPE MULLIEZ FLORY conteste la recevabilité des pièces produites en demande n°13 (captures d’écran contenant les fichiers imprimés par la société TAM pour le compte de la société GROUPE MULLIEZ FLORY transférés à la société TEINTURERIES DE LA TURDINE), 13-1 (fichiers imprimés par la société TAM pour le compte de la société GROUPE MULLIEZ FLORY), 13-2 (impressions sur tissu par la société TEINTURERIES DE LA TURDINE des dits fichiers et déclinaisons en différents coloris) et 13-3 (impressions sur tissu des dessin TAM et TEINTURERIES DE LA TURDINE “dans le même développement coloris tique”).
Selon elles, ces pièces n’ont pas été obtenues de façon régulière, la demanderesse ne justifiant pas des droits acquis sur les contrats de la société TAM, faute de justifier en quelle qualité elle les aurait obtenus.

La société TEINTURERIES DE LA TURDINE réplique qu’elle n’était pas légalement tenue de se plier aux démarches exposées en demande, de sorte que les pièces sont recevables. Elle développe longuement les éléments relatifs à la poursuite des relations contractuelles entre la défenderesse et la société TAM, avec elle-même après la liquidation de celle-ci.

Au cas présent, il y a lieu de constater que c’est dans le cadre de ses relations avec la société TAM que la société TEINTURERIES DE LA TURDINE a eu connaissance des fichiers en question, que celle-là lui a transmis.
Au demeurant, la société GROUPE MULLIEZ FLORY ne conteste pas que les fichiers en question proviennent bien de la société TAM.

Dès l’abord, il convient de relever que le débat ne porte pas, ici, sur la licéité de la poursuite du contrat liant la société TAM à GROUPE MULLIEZ FLORY mais sur celle des pièces de la société TAM, en possession actuelle de la société TEINTURERIES DE LA TURDINE.

Ensuite, la société GROUPE MULLIEZ FLORY ne fonde pas sa demande, autrement qu’en invoquant les articles L. 642-1 à L. 642-24 du Code de commerce relatifs à la cession d’entreprise ou d’actifs de l’entreprise, TAM en l’occurrence, arguant que la demanderesse devrait produire un jugement de cession portant sur les fichiers issus des clés USB et impressions qui en découlent, ou une autorisation du juge commissaire.

Cependant, elle ne précise pas en quoi l’illicéité, à la supposer avérée, devraient entraîner le rejet des dites pièces des débats, le rapport entre ces deux occurrences n’allant en effet, pas de soi.

L’admissibilité d’un moyen de preuve doit faire l’objet d’une double analyse, celle de son caractère indispensable pour prouver les faits allégués, celle du caractère proportionné ou disproportionné de son utilisation, par rapport aux droits susceptibles d’être atteints.

Or, la défenderesse ne se prononce ni sur l’une ni sur l’autre. En particulier, elle ne prétend pas que l’utilisation des pièces dans le cadre de la présente affaire, porte une quelconque atteinte à ses droits, les droits concernés par les textes qu’elle invoque, étant ceux de la société TAM elle-même ou éventuellement ceux de ses créanciers. Elle ne précise d’ailleurs pas quels droits précisément, elle estimerait atteints.

Dès lors que la société TEINTURERIES DE LA TURDINE n’a eu connaissance de ce qu’elle considère comme des actes de contrefaçon, que par le biais des fichiers que lui a transmis la société TAM, connaissance qui seule lui a permis de solliciter ensuite l’autorisation de procéder à une saisie-contrefaçon, l’utilisation des pièces afférentes lui était indispensable pour prouver les faits qu’elle dénonce dans le cadre de la présente instance.

Cette utilisation ne présente pas un caractère disproportionné au regard des droits qui pourraient en être atteints, ce d’autant que la défenderesse n’explique nullement quels seraient ces droits, à supposer qu’il s’agisse effectivement des siens.

En conséquence, les pièces querellées sont admises au débat.

b) La régularité de la saisie-contrefaçon

La société GROUPE MULLIEZ FLORY sollicite également l’annulation des opérations de saisie-contrefaçon au motif que la demanderesse serait de mauvaise foi dès lors qu’elle aurait elle-même fourni les tissus saisis et aurait continué à le faire après la saisie opérée, renonçant ce faisant à se prévaloir d’une quelconque contrefaçon.

La société TEINTURERIES DE LA TURDINE désapprouve le propos, avançant qu’il ne peut être déduit des circonstances de l’espèce une quelconque renonciation de sa part.

La nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon ressort de la compétence du juge du fond.

Cependant, aucun moyen n’est soulevé qui soutienne une quelconque nullité qu’elle soit de plein droit, de fond ou de forme.

Seuls sont critiqués les produits saisis, comme excluant toute contrefaçon.

Ce moyen ressortit d’une défense au fond, comme concernant la preuve des actes de contrefaçon et en aucune manière d’une exception de nullité qui affecterait les opérations de saisie-contrefaçon.

Par ailleurs, la prétendue renonciation par la demanderesse, à se prévaloir de la contrefaçon, ne concerne nullement les opérations de saisie-contrefaçon puisque c’est précisément son comportement postérieur qui est critiqué.

En conséquence, il n’y a pas lieu à prononcer la nullité des opérations de saisie-contrefaçon.

c) La renonciation

La défenderesse prétend que la société TEINTURERIES DE LA TURDINE a continué à la fournir en tissu litigieux, après les opérations de saisie-contrefaçon du 24 février 2021.

La demanderesse écrit de son côté “la société GROUPE MULLIEZ FLORY n’a plus passé commandes auprès de la société TEINTURERIES depuis le 25 mai 2021”.

Il peut en être conclu en effet, que la dernière commande remonte au mois de mai 2021 et aucune des parties ne prétend qu’elle n’aurait pas été honorée.

Cependant, la renonciation que la défenderesse en déduit, qui s’analyse en réalité davantage en une tolérance, ne saurait remplacer une autorisation, la renonciation à un droit ne se présumant jamais.

La tolérance de l’auteur ne prouve rien contre lui, si ce n’est peut-être son indifférence voire sa légèreté. La tolérance n’a aucun effet en droit d’auteur, l’auteur pouvant mettre fin à tout instant à l’utilisation de ses oeuvres, même tolérée par lui un temps.

Le prétendu contrefacteur ne saurait en tirer aucun argument qui soit de nature à empêcher l’action à son encontre. Tout au plus cette tolérance peut-elle influer sur l’appréciation des dommages-intérêts.

Le moyen sera par conséquent écarté.

2. Sur la matérialité de la contrefaçon

L’article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle dispose que “toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque”.

Il résulte des opérations de saisie-contrefaçon que le dessin argué de contrefaçon, commercialisé par la société GROUPE MULLIEZ FLORY, concerne six produits référencés par elle comme suit :
– 029175 W02P2
– 029175 W01P2
– 029175 W03P2
– 029176 B02P2
– 029176 R0P2
– 029176 V01P2
selon les coloris.

L’huissier instrumentaire a saisi deux exemplaires des six références.

Il a en outre indiqué distinguer ses constatations selon que le tissu émanait des relations commerciales avec la société TAM (éléments chiffrés 2017 à 2020) ou de celles avec la société TEINTURERIES DE LA TURDINE, ce précisément depuis le 28 octobre 2020.

Il s’en évince qu’en effet, les tissus saisis ne sont probablement pas issus d’actes de contrefaçons, mais des relations commerciales entre les parties, dont le début remontait à quelque quatre mois avant les opérations.

Cependant, il résulte des mentions du procès-verbal que les tissus achetés avant le 28 octobre 2020 et commercialisés par la société GROUPE MULLIEZ FLORY provenaient bien de la société TAM et il n’est pas contesté que ces ventes/achats n’avaient pas été autorisés par la société TEINTURERIES DE LA TURDINE.

Il est également constant que les tissus sont les mêmes ou à tout le moins très ressemblants, avant et après le 28 octobre 2020, figurant d’ailleurs au catalogue de la société GROUPE MULLIEZ FLORY.

Le tribunal relève d’ailleurs que les tissus saisis, tels que présentés par la demanderesse à l’audience, et ceux issus des fichiers de la société TAM, sont très similaires si ce n’est identiques.

Somme toute, il convient de rappeler que la preuve de la contrefaçon peut résulter des déclarations faites spontanément à l’huissier instrumentaire dans le cadre d’une saisie-contrefaçon. Et d’observer que [C] [R], président de la S.A.S. GROUPE MULLIEZ FLORY, a expliqué au cours des opérations de saisie-contrefaçon que depuis l’arrêt d’activité de la société TAM, les commandes pour le tissu litigieux, avaient été passées auprès de la société TEINTURERIES DE LA TURDINE.

Il s’en déduit que le tissu litigieux, avant l’arrêt d’activité de la société TAM, lui était bien commandé.

S’agissant de la contrefaçon en elle-même, c’est par rapport aux tissus issus des fichiers de la société TAM que la demanderesse le livre à une comparaison.

Sur cette même base, la défenderesse met en avant trois discordances, d’une part la taille plus importante de la fleur principale et l’aspect différent des feuilles et fleurs plus petites autour, d’autre part les pétales et le “style” de la seconde fleur principale, enfin, la forme des pétales des petites fleurs et les feuilles.

Cependant, la contrefaçon s’apprécie par les ressemblances entre les créations, et non leurs différences et c’est l’impression d’ensemble dégagée par les deux oeuvres qui doit conduire l’analyse, non les différences de détails telles que celles pointées par la défenderesse pour réfuter la contrefaçon.
A ce titre, la reproduction ou la représentation d’une partie de la composition et/ou de l’expression de l’œuvre première, peut constituer une contrefaçon.

En l’espèce, il convient de relever que l’ensemble des fleurs caractérisant l’originalité du dessin premier, ainsi que détaillé supra, se retrouve sur le dessin utilisé par la défenderesse : les pivoines, avec les mêmes volumes, formes, présentés avec leurs feuilles et dans le même effet de contraste au niveau du coloris, les petites fleurs à cinq pétales avec le même centre nervuré et disposées en grappes, les dahlias pompons transparents, les fleurs d’hibiscus avec le même caractère évanescent, les fleurs d’aubépine avec la même impression “pochoir”, jusqu’aux fleurs plus stylisées pouvant évoquer tout à la fois un trèfle ou les ailes d’un papillon, dont le dessin est strictement identique.

Les feuillages, n’en déplaise à la société GROUPE MULLIEZ FLORY, sont également très semblables que ce soit les feuilles nervurées, ou particulièrement la tige se séparant en deux tiges dont l’une se courbe pareillement en son extrémité, et ornées des mêmes dix feuilles qui sont exactement les mêmes selon qu’elles sont stylisées soit par une simple amande soit par deux amandes concentriques, ce qui ne saurait être le fruit du hasard.

Que certaines fleurs aient pu être repositionnées par pivotement ou en “négatif” par rapport à l’original, que l’agencement ait pu être légèrement modifié les unes par rapport aux autres, au-delà de ces différences qui peuvent être jugées insignifiantes, il n’en demeure pas moins que le dessin litigieux reprend toutes les caractéristiques originales du dessin premier et donne une impression d’ensemble identique, à tout le moins très ressemblante.

La contrefaçon est avérée.

2/ Sur le préjudice

L’article L. 331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle, pris en son alinéa 1er, énonce : “Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1° Les conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3° Et les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l’atteinte aux droits”.

La société TEINTURERIES DE LA TURDINE affirme subir un préjudice d’ordre économique, constitué d’une perte de chiffre d’affaires et du bénéfice tiré par la défenderesse des actes de contrefaçon, ainsi qu’un préjudice d’image.
La société GROUPE MULLIEZ FLORY estime que le préjudice économique n’est nullement démontré et que, faute d’être l’auteur du dessin et de ne pouvoir prétendre à aucun savoir-faire particulier, la demanderesse ne peut alléguer subir un préjudice d’image.

1. Le préjudice économique

La demanderesse sollicite une indemnisation à hauteur de 83.520 € s’agissant des “conséquences négatives de la contrefaçon” et de 45.556 € s’agissant des bénéfices réalisés.

Cependant, si le juge doit tenir compte de ces deux occurrences, pour évaluer le préjudice, ce dernier ne saurait équivaloir à un cumul entre les conséquences économiques négatives et les bénéfices réalisés par le contrefacteur.
Le titulaire des droits ne peut prétendre subir un double préjudice qui serait constitué de la perte des ventes et des bénéfices réalisés par le contrefacteur, sauf à solliciter une indemnité qui serait alors sans lien avec le préjudice réellement subi, mais encore serait par nature punitive.

La société TEINTURERIES DE LA TURDINE indique subir un manque à gagner du fait des actes de contrefaçon, lesquels peuvent être circonscrits à la période 2014/2020 (28 octobre).

Elle se base sur les données recueillies par l’huissier instrumentaire pour retenir un chiffre d’affaires réalisé par la contrefactrice, de 151.855 € et y applique sa propre marge brute, qu’elle affirme être de 55%.

Ce faisant, elle chiffre précisément sa demande et ne sollicite pas une évaluation forfaitaire, à laquelle le tribunal ne peut donc procéder.

En outre, si elle déplore – s’agissant des bénéfices réalisés – ne pas connaître la marge brute de la défenderesse, force est de constater qu’elle allègue que la sienne serait de 55% sans daigner en justifier. La société TEINTURERIES DE LA TURDINE ne verse d’ailleurs aux débats aucune pièce comptable ou financière.

Si le tribunal dispose donc des chiffres d’affaires réalisés par la contrefactrice, en revanche la carence probatoire de la demanderesse l’empêche d’évaluer le gain manqué.

S’agissant des bénéfices réalisés, les dernières conclusions de la société TEINTURERIES DE LA TURDINE semblent déplorer l’absence d’information sur le montant de la marge brute réalisée par la société GROUPE MULLIEZ FLORY, l’empêchant de “connaître précisément le montant des bénéfices réalisés”. Elle indique se réserver la possibilité de saisir le juge de la mise en état d’une demande de communication, demande qui n’a jamais été présentée et qui ne l’est toujours pas, puisque non reprise au dispositif, la demanderesse ayant manifestement surmonté l’obstacle.

La demanderesse se base en effet sur une marge brute de 30%, dont elle n’explicite cependant nullement le calcul ou la supputation. Il est toutefois possible de constater que ce nombre n’est pas disproportionné par rapport à l’activité de fabrication des vêtements de travail.

Le chiffre d’affaires 2014/2020 relatif au dessin, représente en effet un total de 151.855 € (dont 23.953 € pour 2020).
Il convient néanmoins de faire le départ, pour l’année 2020, entre le chiffre engendré par la relation d’affaires avec la société TAM et celui engendré par la relation d’affaire avec la société TEINTURERIES DE LA TURDINE, qui n’est pas concerné par la contrefaçon.

Compte tenu des chiffres d’affaires facturés différenciés par l’huissier pour l’année 2020 (2.582 € pour la société TAM, 2.730 € pour la société TEINTURERIES DE LA TURDINE), par application d’une règle de trois, il est possible de retenir un chiffre d’affaire total de 139.544 €.
Par application d’un taux de marge brute de 30%, le bénéfice réalisé peur être évalué à la somme de 41.863,20 €.

Etant encore précisé que par suite de la liquidation judiciaire de la société TAM, la société GROUPE MULLIEZ FLORY s’est approvisionnée, sans discontinuité, auprès de la société TEINTURERIES DE LA TURDINE si bien que des bénéfices auraient été réalisés si la défenderesse s’était tournée dès l’abord vers la demanderesse, mais sans qu’aucune des parties permette au tribunal d’apprécier les différences qui en seraient résultées, puisqu’aucune donnée chiffrée n’est produite. Le préjudice s’en trouve nécessairement et sensiblement diminué, à hauteur de moitié du bénéfice réalisé.

Etant enfin rappelé qu’en effet, postérieurement aux opérations de saisie-contrefaçon de février 2021, la société TEINTURERIES DE LA TURDINE a continué sa relation commerciale avec la société GROUPE MULLIEZ FLORY alors qu’elle avait connaissance et même confirmation des actes de contrefaçon qu’elle lui reproche aujourd’hui, ce qui vient consacrer une forme de tolérance, au moins temporaire, qui vient relativiser le préjudice allégué, à nouveau à hauteur de moitié du bénéfice réalisé résiduel.

L’ensemble de ces éléments conduit à évaluer le préjudice économique subi par la société TEINTURERIES DE LA TURDINE à la somme de 10.465 € arrondie à 10.500 €.

2. Le préjudice d’image

La société TEINTURERIES DE LA TURDINE sollicite l’allocation d’une indemnité de 20.000 € au titre d’un préjudice d’image.

Elle se targue d’un réel savoir-faire en matière d’échantillonnage des dessins qui lui appartiennent et développe surtout des arguments relatifs à sa titularité, qui n’ont que peu à avoir avec la démonstration du préjudice dont s’agit.

En effet, la défenderesse lui dénie tout savoir-faire parce qu’elle n’est l’auteur ni du dessin ni de son interprétation, se contentant d’en commercialiser le produit.

Il doit être manifestement rappelé qu’en matière de contrefaçon du droit d’auteur, le préjudice moral ne se réduit pas aux conséquences de l’atteinte au droit moral de l’auteur, mais peut également découler d’une atteinte à un droit patrimonial.

Cependant, force est d’admettre que le savoir-faire allégué en demande, n’est étayé par aucune pièce et que l’on peine à discerner ce qui constituerait le préjudice d’image invoqué, dès lors qu’en outre, l’image, la réputation ou la notoriété de la société TEINTURERIES DE LA TURDINE ne sont nullement justifiées pas davantage que les atteintes qui y auraient été portées.

Il est toutefois possible de retenir un préjudice moral découlant de la banalisation de l’oeuvre, dès l’instant que la société GROUPE MULLIEZ FLORY a commercialisé des produits reproduisant le dessin original mais auquel étaient toutefois apportées quelques modifications ainsi qu’il a été vu supra.
Il faut également souligner que la commercialisation des produits s’est poursuivie au-delà de la période concernée par la contrefaçon, avec la demanderesse elle-même et en connaissance de cause, de sa part, au moins pour partie. Au demeurant, la qualité des produits commercialisés par la société GROUPE MULLIEZ FLORY avant octobre 2020 n’est pas particulièrement critiquée par la société TEINTURERIES DE LA TURDINE.

Le préjudice moral qui en a découlé peut ainsi congrûment être évalué à la somme de 3.000 €.

3/ la mesure de publicité

Il y a lieu de considérer que les préjudices ont été intégralement réparés par les mesures indemnitaires si bien que la demande de publication sera rejetée.
***

3/ Sur les demandes accessoires

Aux termes de l’article 696 du Code de procédure civile, “la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie”.

La société GROUPE MULLIEZ FLORY succombant à l’instance, en supportera par conséquent les dépens.

L’article 700 du même code dispose “Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :
1° A l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
2° Et, le cas échéant, à l’avocat du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l’aide aurait exposés s’il n’avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent. La somme allouée au titre du 2° ne peut être inférieure à la part contributive de l’État majorée de 50 %”.

L’équité commande de condamner la société GROUPE MULLIEZ FLORY à payer à la société TEINTURERIES DE LA TURDINE la somme de 3.000 € au titre des frais non répétibles qu’elle a exposés pour faire valoir ses droits.

Enfin, l’article 514 du Code de procédure civile prévoit que “les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement”.

Il n’y a pas lieu de déroger à cette disposition.

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