Motif antidérapant de semelle : Gold Star c/ Birkenstock
Motif antidérapant de semelle : Gold Star c/ Birkenstock
Ce point juridique est utile ?

Le dessin d’un motif antidérapant de la société Birkenstock a été refusé au dépôt car ne comportant pas d’élément permettant de distinguer la semelle qu’elle représente de celles utilisées par d’autres opérateurs du secteur de la chaussure.

A l’origine de l’opposition, la société GOLD STAR a fait valoir avec succès que l’enregistrement de ce signe perturbait l’exercice de son activité, en ce qu’elle commercialise depuis plusieurs années sur le territoire français des chaussures dont la semelle présente ce même motif (dessin composé de vagues formées d’arcs de cercle qui se croisent à un angle de 90 degrés, les zones ainsi délimitées sur la surface de la semelle donnant une impression visuelle semblable à un os).

La société GOLD STAR a exposé que pour assurer l’adhérence d’une chaussure et son amorti, les fabricants recourent habituellement à des « motifs d’adhérence » définis selon le type de sol concerné et qu’il est usuel d’espacer pour limiter les quantités de débris pouvant se coincer dans les rainures. Or, la sandale de BIRKENSTOCK présente ainsi une semelle épousant la forme du pied et dont les vagues en arc de cercle assurent une adhérence au sol.

Marque intrinsèquement distinctive

La marque en cause n’a pas été considérée comme intrinsèquement distinctive au regard des produits qu’elle désigne dans les classes 10 et 25 (produits chaussants).

Caractère exclusivement fonctionnel d’un signe

En ce qui concerne le caractère exclusivement fonctionnel d’un signe, l’impossibilité d’enregistrer un signe constitué exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit vise à éviter de conférer un monopole sur des caractéristiques utilitaires.

Au regard de cette finalité, la règle précitée n’a pas vocation à s’appliquer à toute forme fonctionnelle mais aux signes constitués exclusivement par la forme du produit et nécessaire à l’obtention d’un résultat technique (TUE 24 sept. 2019, T261/18, ROXTEC AB c/ EUIPO, points 26 à 29 et jurisprudence citée).

Dans le cadre de l’examen du caractère fonctionnel, cette condition est remplie lorsque toutes les caractéristiques essentielles de la forme répondent à la fonction technique, l’argument tiré de la présence de caractéristiques non essentielles sans fonction technique étant à cet égard inopérant.

L’expression « caractéristiques essentielles »

L’expression « caractéristiques essentielles » doit être comprise comme visant les éléments les plus importants du signe, dont l’identification peut résulter d’un simple examen visuel ou au contraire, reposer sur une analyse approfondie alimentée par des enquêtes ou des expertises, étant souligné que la circonstance que des formes alternatives – présentant par exemple d’autres proportions ou dimensions, ou un autre dessin – permettent d’aboutir au même résultat ne suffit pas en soi à justifier le monopole revendiqué (CJUE 14 sept.2010, Lego Juris/OHIM ? Mega Brands Inc. C-48/09 P, points 51, 54, 69 et 71).

Refus de dépôt

L’article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle dans sa version applicable au litige dispose que le caractère distinctif d’un signe de nature à constituer une marque s’apprécie à l’égard des produits ou services désignés et que « sont dépourvus de caractère distinctif :

a) Les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service ;

b) Les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, et notamment l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l’époque de la production du bien ou de la prestation de service ;

c) Les signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit, ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle.

Le caractère distinctif peut, sauf dans le cas prévu au c, être acquis par l’usage ».

Ce texte prévoit désormais que « ne peuvent être valablement enregistrés et, s’ils sont enregistrés, sont susceptibles d’être déclaré nuls :

1o Un signe qui ne peut constituer une marque au sens de l’article L.711-1 ;

2o Une marque dépourvue de caractère distinctif ;

3o Une marque composée exclusivement d’éléments ou d’indications pouvant servir à désigner, dans le commerce, une caractéristique du produit ou du service, et notamment l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l’époque de la production du bien ou de la prestation du service ;

4o Une marque composée exclusivement d’éléments ou d’indications devenus usuels dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constantes du commerce ;

5o Un signe constitué exclusivement par la forme ou une autre caractéristique du produit imposée par la nature même de ce produit, nécessaire à l’obtention d’un résultat technique ou qui confère à ce produit une valeur substantielle ;

(…)

Dans les cas prévus aux 2o, 3o et 4o, le caractère distinctif d’une marque peut être acquis à la suite de l’usage qui en a été fait ».

_____________________________________________________________________

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS  

TRIBUNAL

JUDICIAIRE

DE PARIS

3e chambre 2e section

No RG 19/07389

No Portalis 352J-W-B7D-CQEIJ

No MINUTE :

Assignation du :

25 juin 2019

JUGEMENT rendu le 29 janvier 2021

DEMANDERESSE

SOCIÉTÉ GOLD STAR SRL

[Adresse 1]

[Adresse 1]

ITALIE

représentée par Maître Martine KARSENTY RICARD de la SELARL JP KARSENTY ET ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #R0156

DÉFENDERESSE

SOCIÉTÉ BIRKENSTOCK SALES GMBH

[Adresse 2]

[Adresse 2]

ALLEMAGNE

représentée par Maître Stéphane GUERLAIN de la SEP ARMENGAUD – GUERLAIN, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #W0007

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Florence BUTIN, Vice-Présidente

Catherine OSTENGO, Vice-présidente

Emilie CHAMPS, Vice-Présidente

assistées de Géraldine CARRION, greffier

DÉBATS

A l’audience du 11 décembre 2020

tenue en audience publique

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe

Contradictoire

en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

La société de droit italien GOLD STAR Srl, constituée en 1987, se présente comme spécialisée dans la création, la fabrication et la vente de chaussures.

La société allemande BIRKENSTOCK SALES GmbH, fondée en 1774, a pour activité la commercialisation des modèles de chaussures qu’elle décrit comme réputées pour leur confort.

Le 27 juin 2012, la société BIRKENSTOCK ORTHOPADIE, société du groupe BIRKENSTOCK, a déposé une marque internationale figurative désignant l’Union européenne qui a fait l’objet d’un refus provisoire d’enregistrement par l’EUIPO confirmé le 29 août 2013 par la division d’examen et le 15 mai 2014 par la chambre de recours :

Cette décision a ensuite été confirmée par le Tribunal de l’Union européenne, puis par la Cour de justice de l’Union européenne selon un arrêt rendu le 13 septembre 2018.

Une autre demande d’enregistrement a été déposée par la société BIRKENSTOCK le 16 septembre 2015, portant sur un signe représentant une semelle aux mêmes motifs munie de lanières, lequel a été refusé selon une décision confirmée le 19 mars 2020 par la chambre de recours de l’EUIPO pour une série de produits des classes 10 et 25 :

Le 9 septembre 2014, la société BIRKENSTOCK SALES procédait parallèlement au dépôt auprès de l’INPI de la marque française figurative no4116654 reproduite ci-dessous :

pour désigner en classes 10 et 25 les produits suivants :

En classe 10 : « Articles chaussants orthopédiques, y compris articles chaussants orthopédiques pour la rééducation, pour la physiothérapie du pied, à usage thérapeutique et pour d’autres applications médicales, ainsi que leurs parties, y compris chaussures orthopédiques, y compris chaussures orthopédiques dotées de semelles intérieures en contact avec le pied (premières de propreté) ou de dispositifs orthopédiques pour le maintien du pied ainsi que de garnitures intérieures orthopédiques plantaires et pour chaussures, y compris dispositifs orthopédiques pour le maintien du pied et garnitures intérieures orthopédiques plantaires et pour chaussures ainsi que leurs parties, y compris garnitures intérieures thermoplastiques rigides ; éléments de chaussures et garnitures de chaussures pour l’adaptation de chaussures orthopédiques, en particulier garnitures, semelles compensées, coussinets, semelles intérieures, semelles intercalaires, rembourrages en mousse, coussinets en mousse et semelles de chaussures moulées, y compris en tant que garnitures intérieures entièrement en matières plastiques avec semelles orthopédiques intérieures en contact avec le pied (premières de propreté) en liège naturel, liège thermique, matières plastiques, caoutchouc ou matières plastiques expansées, y compris en tant qu’éléments élastiques en liège et caoutchouc ou en plastique et liège ; garnitures intérieures orthopédiques plantaires et pour chaussures ; dispositifs orthopédiques pour le maintien du pied et de la chaussure ; articles chaussants orthopédiques, en particulier chaussons, sandales et mules orthopédiques ; semelles intérieures orthopédiques ; garnitures intérieures, y compris garnitures intérieures en matières plastiques, caoutchouc ou matières plastiques expansées, y compris en tant qu’éléments élastiques en liège et caoutchouc ou en plastique et liège ; parties, éléments et garnitures de tous les produits précités tels que notamment supports de voûte plantaire pour chaussures orthopédiques, inserts d’orteils pour chaussures orthopédiques. »

— En classe 25 : « Articles chaussants, y compris chaussures de confort et chaussures de travail, de loisirs, de santé et de sport, y compris sandales et mules, sandales et mules pour tonifier les muscles inférieurs, tongs, chaussons, sabots, y compris ceux dotés de semelles intérieures en contact avec le pied (premières de propreté), en particulier avec semelles intérieures épaisses moulées et anatomiques en contact avec le pied (premières de propreté), dispositifs de maintien du pied ainsi que garnitures intérieures plantaires et pour chaussures, garnitures intérieures de protection ; parties et garnitures ou accessoires des articles chaussants précités, à savoir empeignes, talonnettes, semelles, semelles intérieures, semelles intercalaires, parties de dessous de chaussures, y compris semelles intérieures en contact avec le pied (premières de propreté), dispositifs de maintien du pied, garnitures intérieures plantaires et pour chaussures, en particulier semelles intérieures en contact avec le pied (premières de propreté) ou semelles intérieures épaisses moulées et anatomiques en contact avec le pied (premières de propreté) en liège naturel, liège thermique, matières plastiques, caoutchouc ou matières plastiques expansées, y compris en tant qu’éléments élastiques en liège et caoutchouc ou en plastique et liège ; semelles intérieures, semelles intercalaires ; articles chaussants, à savoir chaussures, sandales et mules ; chaussons ; bottes, chaussures, sandales et mules ; parties, éléments et garnitures de tous les produits précités tels que notamment antidérapants pour chaussures, ferrures de chaussures, trépointes de chaussures. »

Par décision du 11 octobre 2016, l’INPI refusait cet enregistrement pour l’intégralité des produits visés en estimant que le signe était « dépourvu de caractère distinctif à l’égard des produits désignés ».

Cette décision a été annulée par arrêt de la cour d’appel de Paris en date du 6 avril 2018, aux termes duquel il est notamment considéré que le public pertinent percevra le motif de semelle en cause comme « une indication de l’origine commerciale du produit », et que le signe a acquis un caractère distinctif par l’usage.

La marque française no4116654 a en conséquence été enregistrée le 14 septembre 2018 pour désigner notamment des « articles chaussants orthopédiques » en classe 10 et des « articles chaussants y compris chaussures de confort et chaussures de travail, de loisirs, de santé et de sport » en classe 25.

La société GOLD STAR estimant que l’enregistrement de ce signe perturbait l’exercice de son activité, en ce qu’elle commercialise depuis plusieurs années sur le territoire français des chaussures dont la semelle présente ce même motif, elle a par acte d’huissier en date du 21 juin 2019, fait assigner la société BIRKENSTOCK SALES devant ce tribunal pour voir prononcer la nullité de la marque litigieuse, présentant aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 2 juin 2020 les demandes suivantes :

Vu les articles L.711-1, L.711-2 et L.714-3 du code de la propriété intellectuelle,

DIRE la société GOLD STAR Srl recevable et bien fondée en toutes ses demandes, fins et prétentions ;

PRONONCER LA NULLITE de la marque française enregistrée sous le numéro 4116654 pour l’ensemble des produits visés en classes 10 et 25 ;

ORDONNER la transmission de la décision, une fois devenue définitive, et par la partie la plus diligente, à l’Institut National de la Propriété Intellectuelle aux fins d’inscription au Registre national des marques ;

DEBOUTER la société BIRKENSTOCK SALES GmbH de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

CONDAMNER la société BIRKENSTOCK SALES GmbH à verser à la société GOLD STAR Srl la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens ;

ORDONNER l’exécution provisoire du jugement ;

La société BIRKENSTOCK SALES GmbH présente, aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 1er octobre 2020, les demandes suivantes :

Vu les articles L.711-1, L.711-2 et suivants du code de la propriété intellectuelle,

Vu l’article 6 quinquies C1 de la Convention d’Union de Paris,

Vu la jurisprudence citée,

DEBOUTER la société GOLD STAR de l’ensemble de ses demandes ;

CONDAMNER celle-ci à payer à la société BIRKENSTOCK SALES la somme de 15 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l’instance.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 15 octobre 2020 et l’affaire plaidée le 11 décembre 2020.

Pour un exposé complet de l’argumentation des parties il est, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, renvoyé à leurs dernières conclusions précitées.

MOTIFS DE LA DECISION:

1- sur l’objet et la portée de la décision rendue par la cour d’appel de Paris :

Il est à titre liminaire observé par la société GOLD STAR que l’arrêt précité rendu le 6 avril 2018 ne saurait être considéré comme conditionnant la solution du présent litige, rappelant que les parties ne sont pas les mêmes, qu’il s’agissait d’une instance en réformation de la décision du directeur de l’INPI alors que la présente juridiction est saisie d’une demande d’annulation d’une marque enregistrée et enfin, que la cour d’appel a statué dans les mêmes conditions et au vu des mêmes éléments que ceux dont disposait l’instance administrative à savoir, ceux exclusivement produits par la société BIRKENSTOCK au soutien de ses intérêts.

La société BIRKENSTOCK SALES estime que l’action de la société GOLD STAR revient à soumettre au tribunal les mêmes demandes que celles portées devant la cour d’appel puisqu’il s’agit de trancher la question de la validité de la marque dont le caractère distinctif est discuté. Elle indique que dans les précédentes procédures initiées devant le TUE et l’EUIPO, l’acquisition de ce caractère distinctif du signe par l’usage n’avait pas été évoqué.

Ces arguments n’ont pas lieu d’être considérés isolément, dès lors qu’aucune des parties nonobstant ces divergences d’interprétation, ne discute l’absence d’autorité de chose jugée de la décision du 6 avril 2018 dans le cadre de la présente instance.

2- sur le bien-fondé de la demande de nullité de la marque no4116654 :

La société GOLD STAR expose que pour assurer l’adhérence d’une chaussure et son amorti, les fabricants recourent habituellement à des « motifs d’adhérence » définis selon le type de sol concerné et qu’il est usuel d’espacer pour limiter les quantités de débris pouvant se coincer dans les rainures. Elle affirme que la sandale de BIRKENSTOCK présente ainsi une semelle épousant la forme du pied et dont les vagues en arc de cercle assurent une adhérence au sol, précisant que cette fonction n’est obtenue par aucun autre élément de la chaussure et que le point de savoir si cette caractéristique contribue à l’image ornementale du produit est indifférent.

Elle rappelle que la forme exclusivement imposée par une fonction technique ne peut acquérir de caractère distinctif par l’usage.

La demanderesse conteste également le caractère intrinsèquement distinctif de la marque en cause, exposant que la jurisprudence relative aux marques tridimensionnelles a vocation à s’appliquer aux marques bidimensionnelles qui lorsqu’elles sont constituées par tout ou partie de la forme d’un produit, sont perçues comme un détail attrayant de celui-ci plutôt que comme une indication de son origine commerciale sauf si elles se démarquent significativement de la norme ou des habitudes du secteur concerné.

Elle soutient enfin que la société BIRKENSTOCK échoue à établir que sa marque figurative aurait acquis avant son dépôt une distinctivité par l’usage qui en a été fait, estimant qu’aucune des pièces versées aux débats – dont notamment le sondage dont elle se prévaut – ne permet en effet de démontrer que le signe a été utilisé à titre de marque de manière continue, intensive et durable en permettant ainsi à une fraction significative du public de l’identifier immédiatement comme un signe distinctif et de ralliement.

La société BIRKENSTOCK répond que les décisions sur lesquelles s’appuie la société GOLD STAR soit sont antérieures à celle de la cour d’appel de Paris, soit ne tiennent pas compte d’une distinctivité acquise par l’usage du signe revendiqué.

Sur le premier argument tiré de la fonction technique d’adhérence imposant la forme du motif, elle fait valoir que les produits visés à l’enregistrement ont une finalité plus générale de confort orthopédique obtenu par différents moyens liés aux matériaux et à la coque interne de la semelle. Elle ajoute que même s’il participe à ce résultat, le signe peut en même temps être perçu comme indiquant une origine commerciale.

Elle soutient ensuite que la marque a un caractère intrinsèquement distinctif en exposant que le public pertinent – ici des professionnels de la santé et consommateurs de produits s’y rapportant – aura un degré d’attention élevé, que le caractère prétendument répandu du motif au-delà du territoire français et notamment en Italie pour autant qu’il soit démontré est un argument inopérant, que contrairement aux affirmations de la société GOLD STAR, le motif litigieux diverge significativement des habitudes du secteur comme le démontrent par comparaison les exemples de semelles invoqués en défense et le résultat d’un sondage réalisé en 2014 – montrant que pour les consommateurs, le dessin « qui évoque un os » caractérise et se trouve donc associé aux chaussures BIRKENSTOCK – et enfin, que la fonction décorative d’un motif n’est pas incompatible avec celle d’indication d’origine devant être remplie par la marque.

Elle affirme qu’en tout état de cause, le caractère distinctif du signe a été acquis par son usage ancien, constant et étendu, soulignant que son modèle « Arizona » équipé de la semelle revendiquée était commercialisé depuis 1973, que la présentation des produits en vue de leur promotion met en évidence cette caractéristique, et que la notoriété du motif est établie par un sondage dont les enseignements sont corroborés par de nombreuses pièces.

Sur ce,

L’article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle dans sa version applicable au litige dispose que le caractère distinctif d’un signe de nature à constituer une marque s’apprécie à l’égard des produits ou services désignés et que « sont dépourvus de caractère distinctif :

a) Les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service ;

b) Les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, et notamment l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l’époque de la production du bien ou de la prestation de service ;

c) Les signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit, ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle.

Le caractère distinctif peut, sauf dans le cas prévu au c, être acquis par l’usage ».

Ce texte prévoit désormais que « ne peuvent être valablement enregistrés et, s’ils sont enregistrés, sont susceptibles d’être déclaré nuls :

1o Un signe qui ne peut constituer une marque au sens de l’article L.711-1 ;

2o Une marque dépourvue de caractère distinctif ;

3o Une marque composée exclusivement d’éléments ou d’indications pouvant servir à désigner, dans le commerce, une caractéristique du produit ou du service, et notamment l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l’époque de la production du bien ou de la prestation du service ;

4o Une marque composée exclusivement d’éléments ou d’indications devenus usuels dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constantes du commerce ;

5o Un signe constitué exclusivement par la forme ou une autre caractéristique du produit imposée par la nature même de ce produit, nécessaire à l’obtention d’un résultat technique ou qui confère à ce produit une valeur substantielle ;

(…)

Dans les cas prévus aux 2o, 3o et 4o, le caractère distinctif d’une marque peut être acquis à la suite de l’usage qui en a été fait ».

1o- la question du caractère exclusivement fonctionnel du signe :

L’impossibilité d’enregistrer un signe constitué exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit vise à éviter de conférer un monopole sur des caractéristiques utilitaires. Au regard de cette finalité, la règle précitée n’a pas vocation à s’appliquer à toute forme fonctionnelle mais aux signes constitués exclusivement par la forme du produit et nécessaire à l’obtention d’un résultat technique (TUE 24 sept. 2019, T261/18, ROXTEC AB c/ EUIPO, points 26 à 29 et jurisprudence citée).

Dans le cadre de l’examen du caractère fonctionnel, cette condition est remplie lorsque toutes les caractéristiques essentielles de la forme répondent à la fonction technique, l’argument tiré de la présence de caractéristiques non essentielles sans fonction technique étant à cet égard inopérant. L’expression « caractéristiques essentielles » doit être comprise comme visant les éléments les plus importants du signe, dont l’identification peut résulter d’un simple examen visuel ou au contraire, reposer sur une analyse approfondie alimentée par des enquêtes ou des expertises, étant souligné que la circonstance que des formes alternatives – présentant par exemple d’autres proportions ou dimensions, ou un autre dessin – permettent d’aboutir au même résultat ne suffit pas en soi à justifier le monopole revendiqué (CJUE 14 sept.2010, Lego Juris/OHIM ? Mega Brands Inc. C-48/09 P, points 51, 54, 69 et 71).

Appliquant ces principes au cas d’espèce, c’est à juste titre que la société BIRKENSTOCK fait observer que la recherche d’adhérence ou plus généralement d’ergonomie ayant justifié l’adoption du motif litigieux – décrit comme un « dessin composé de vagues formées d’arcs de cercle qui se croisent à un angle de 90 degrés, les zones ainsi délimitées sur la surface de la semelle donnant une impression visuelle semblable à un os » – non seulement n’est pas objectivement démontrée, mais est également susceptible d’être contredite par l’existence de multiples exemples de semelles poursuivant également un objectif de confort (pièces GS 9 à 12). Par ailleurs comme le souligne la défenderesse, la chaussure qu’elle commercialise présente d’autres caractéristiques spécifiques retrouvées de façon constante dans l’ensemble de ses modèles – tenant à la qualité des matériaux, à la forme de la coque et à ses reliefs – qui contribuent manifestement ensemble au résultat recherché.

Le caractère exclusivement fonctionnel du signe en cause n’est dans ces conditions pas établi.

2o-le caractère intrinsèquement distinctif du signe :

Les parties ne sont pas en désaccord sur le fait que les règles d’appréciation de la distinctivité des marques tridimensionnelles doivent s’appliquer lorsqu’une partie seulement du produit est représentée par le signe en cause puisque de la même façon, celui-ci n’est plus indépendant de son aspect et peut donc être perçu spontanément comme la représentation d’un détail intéressant ou attractif de celui-ci, plutôt que comme un indicateur de son origine commerciale (CJUE 15 mai 2014, Louis Vuitton Malletier/ OHMI Friis Group International ApS, C-97/12 P, points 54 et 55).

Dans ce cadre, il est admis que seule une marque divergeant de manière significative de la norme ou des habitudes du secteur apparaît susceptible de remplir sa fonction essentielle d’identification (CJUE 25 oct. 2007 -Develey Holding & Co. Beteiligungs/OHMI, C 238/06 P, point 81).

Or même si comme il est observé plus haut et l’a également relevé l’INPI dans le cadre de son examen, la société BIRKENSTOCK ne se voit opposer aucun motif identique ni même similaire à l’exception de celui précisément adopté par la société GOLD STAR – laquelle ainsi que l’observe la défenderesse, ne démontre pas une présence significative sur le marché français – il ne s’en déduit pas pour autant que cette particularité de semelle, qui fait partie d’un ensemble appréhendé globalement par le public pertinent lorsqu’il s’intéresse à une chaussure spécifiquement étudiée pour le confort du pied, serait un élément apte à identifier son origine commerciale. Il est à cet égard permis de relever que contrairement à ce que suggère la société BIRKENSTOCK, et comme l’a souligné l’INPI, la nature et la destination des produits concernés – soit des articles chaussants orthopédiques de qualité orientés vers la position et le confort du pied – ne permettent pas de considérer que ce public serait pour cette raison particulièrement vigilant puisque les produits destinés à améliorer la santé ou le bien-être restent de consommation courante.

Les pièces versées aux débats par la société BIRKENSTOCK ne remettent pas en cause ces observations, montrant que sa communication commerciale est axée notamment sur la structure de la face intérieure de la semelle (pièce B 15) et que la présentation du motif, qui ressort de 3 extraits de sites marchands proposant ses produits (pièce B 21), du positionnement des chaussures sur le visuel de son propre site, reproduit ci-dessous (pièce B 28) et de 4 extraits de vidéos YouTube d’influenceuses exhibant le dessous de leurs chaussures (pièce B 25), témoigne certes de l’intérêt que présente ce dessin en tant que détail de conception – susceptible d’être perçu comme à vocation technique et/ou ornementale – mais n’établit pas que cette caractéristique serait apte à assurer une indication d’origine, s’agissant d’une semelle sans talon présentant un motif d’adhérence dont l’uniformité sur l’ensemble de sa surface et l’élément graphique ne suffisent pas à considérer qu’il s’écarte significativement des habitudes du secteur, au sens de la jurisprudence précitée.

La société BIRKENSTOCK s’appuie ensuite sur un sondage dit « online study in 13 regions » daté du 12 mai 2014. Le groupe ciblé est défini comme des consommateurs ayant acheté pour eux-mêmes des chaussures au cours des 12 mois précédents, et qui attachent une grande importance au confort et au bien-être du pied. Il concerne un échantillon de 13 283 répondants au total. La méthode est celle d’un questionnaire en ligne.

L’extrait versé aux débats montre qu’à la question 25, point 7 du document « selon vous, quelles sont les caractéristiques du produit décrivant le mieux une sandale ou une chaussure BIRKENSTOCK ? » ( « what do you think,what product characteristics describe a BIRKENSTOCK sandal or a BIRKENSTOCK shoe best » ) 53% des sondés français répondent « le motif spécial de la semelle » (pièce B 16).

Il est cependant observé que comme le souligne à juste titre la société GOLDSTAR, ce pourcentage ne s’applique qu’à un groupe de 198 personnes sur le territoire français, et la question posée n’est pas ouverte ni la réponse spontanée puisque les sondés sont invités à se prononcer à partir de la marque citée et du motif en cause parmi une liste de 11 caractéristiques, ce qui conduit à ne reconnaître à cette enquête qu’une valeur très relative. D’autres éléments sont en outre cités comme plus représentatifs des produits de BIRKENSTOCK tels que le design simple (68%), la silhouette distinctive (64%) le lit de pied (68%) et la durabilité (73%).

Il se déduit de ce qui précède que la marque en cause, qui ne contient pas d’élément permettant de distinguer la semelle qu’elle représente de celles utilisées par d’autres opérateurs du secteur de la chaussure, ne peut être considérée comme intrinsèquement distinctive au regard des produits qu’elle désigne dans les classes 10 et 25.

3o-l’acquisition du caractère distinctif par l’usage :

La reconnaissance de l’acquisition d’un caractère distinctif par l’usage exige qu’au moins une fraction significative du public pertinent identifie, grâce à la marque, les produits ou les services concernés comme provenant d’une entreprise déterminée, ce qui ne peut résulter de données générales et abstraites mais doit se déduire de facteurs tels que la part de marché détenue par la marque, l’intensité, l’étendue géographique et la durée de l’usage de celle-ci, l’importance des investissements faits par l’entreprise pour la promouvoir, ou encore la proportion des milieux intéressés qui identifient le produit comme provenant d’une entreprise déterminée (TUE 14 déc. 2017, Bet 365 Group Ltd/EUIPO Robert Hansen, T-304/16, point 27).

Le caractère distinctif doit avoir été acquis au moment du dépôt de la demande d’enregistrement.

Pour démontrer l’usage intensif de la marque, la société BIRKENSTOCK se fonde sur des articles datés de 2015 évoquant en particulier le « retour de la Birkenstock » mais dont une seule photo sur deux séries de 29 et 31 pages montre le dessous des semelles (pièces 22 et 23). C’est donc uniquement sur les vidéos d’influenceuses et extraits de sites de vente en ligne précités ainsi que sur le site officiel de la demanderesse – dont la version communiquée résulte d’une capture d’écran réalisée en 2017 soit postérieurement au dépôt du titre – que le motif est finalement présenté comme un élément notable de la chaussure (pièces 25 et 28).

La société BIRKENSTOCK invoque ensuite la durée d’exploitation du signe par une commercialisation dès 1973 du modèle « Arizona » ainsi que le résultat du sondage précité, qui pour les raisons mentionnées plus haut ne peut cependant être considéré comme un indicateur pertinent au regard tant de la formulation de la question posée que du nombre très réduit de personnes sondées sur le territoire français.

Ces éléments considérés ensemble, qui témoignent tout au plus d’une certaine importance et ancienneté de l’usage du motif invoqué, n’établissent pas pour autant l’incidence de cet usage sur le caractère distinctif du signe, autrement dit, le résultat objectif de cette exploitation en termes de perception de celui-ci par une fraction suffisamment significative du public pertinent.

La marque no4116654 doit en conséquence être annulée pour l’ensemble des produits des classes 10 et 25 visés à son enregistrement.

La société BIRKENSTOCK SALES, partie perdante, supportera la charge des dépens. Elle sera en outre condamnée à verser à la société GOLD STAR Srl, qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile qu’il est équitable de fixer à la somme de 8 000 euros.

L’exécution provisoire n’étant pas adaptée à la solution du litige, elle n’a pas lieu d’être ordonnée.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par jugement mis à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort,

PRONONCE la nullité de la marque française enregistrée sous le numéro 4116654 pour l’ensemble des produits visés en classes 10 et 25 ;

DIT que la décision une fois devenue définitive sera communiquée à l’Institut National de la Propriété Intellectuelle (INPI) par la partie la plus diligente aux fins d’inscription au Registre national des marques ;

CONDAMNE la société BIRKENSTOCK SALES GmbH à verser à la société GOLD STAR Srl la somme de 8.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société BIRKENSTOCK SALES GmbH aux dépens ;

DIT n’y avoir lieu d’ordonner l’exécution provisoire.

Fait et jugé à Paris le 29 janvier 2021.

Le Greffier

Le Président


Chat Icon