Mission de contrôle des comptes : Responsabilité et Obligation d’Information de l’expert-comptable

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Mission de contrôle des comptes : Responsabilité et Obligation d’Information de l’expert-comptable

Les sociétés Media line et Samfi invest ont interjeté appel d’un jugement les déboutant de leurs demandes. Dans leurs conclusions, elles demandent à la cour de les déclarer recevables et fondées, d’infirmer le jugement, de reconnaître la responsabilité de la société In extenso Secag pour manquement à ses obligations contractuelles, et de condamner cette dernière à verser des sommes importantes en réparation de divers préjudices. En réponse, la société In extenso Secag demande la confirmation du jugement initial, arguant que Media line et Samfi invest n’ont pas prouvé l’existence d’une faute ou d’un préjudice. Elle réclame également des dommages et intérêts pour procédure abusive. La cour a finalement confirmé le jugement initial, condamnant les sociétés Media line et Samfi invest à verser des frais à In extenso Secag et les déboutant de leurs demandes.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

12 septembre 2024
Cour d’appel de Caen
RG
22/01871
AFFAIRE :N° RG 22/01871 –

ARRÊT N°

NLG

ORIGINE : DECISION en date du 24 Juin 2022 du Tribunal de Commerce de COUTANCES

RG n° 2020001683

COUR D’APPEL DE CAEN

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

ARRÊT DU 12 SEPTEMBRE 2024

APPELANTES :

S.A.S. MEDIA LINE

N° SIRET : 808 538 250

[Adresse 4]

[Localité 1]

prise en la personne de son représentant légal

S.A.S. SAMFI INVEST

N° SIRET : 553 820 838

[Adresse 4]

[Localité 1]

prise en la personne de son représentant légal

Représentées et assistées par Me Stéphane PIEUCHOT, avocat au barreau de CAEN

INTIMEE :

S.A.S. IN EXTENSO SECAG

N° SIRET : 309 847 119

[Adresse 3]

[Localité 2]

prise en la personne de son représentant légal

Représentée par Me France LEVASSEUR, avocat au barreau de CAEN,

Assistée de Me Arnaud PERICARD, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Madame EMILY, Président de Chambre,

Mme COURTADE, Conseillère,

M. GOUARIN, Conseiller,

DÉBATS : A l’audience publique du 23 mai 2024

GREFFIER : Mme LE GALL, greffier

ARRÊT prononcé publiquement le 12 septembre 2024 à 14h00 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Madame EMILY, président, et Mme LE GALL, greffier

*

* *

La SAS Société nouvelle de création et de diffusion publicitaire (CDP) exploite une activité de vente d’espaces publicitaires sur des équipements de mobiliers urbains.

La SAS Media line, filiale du groupe Samfi invest, intervient dans le secteur de la régie publicitaire de médias.

Suivant acte sous seing privé du 15 octobre 2015, la SAS Media line a procédé à l’acquisition de 100% des actions de la SAS CDP, moyennant un prix de 284.720,40 euros.

Cette acquisition de titres de la société CDP a été assortie d’un contrat de garantie d’actif et de passif à hauteur de 100.000 euros, signé le même jour par M. [L] [W] et Mme [H] [W], les principaux cédants, les comptes de référence étant les comptes sociaux, clôturés au 31 décembre 2014, qui faisaient apparaître :

– un chiffre d’affaires net pour 2014 de 2,8 millions euros ;

– un EBITDA de 530.000 euros ;

– un résultat net de 91.000 euros ;

– des capitaux propres de 1,385 millions euros.

Préalablement à l’acquisition, par lettre de mission du 15 septembre 2015, la SAS Samfi invest, société mère de la SAS Media line, a mandaté le cabinet d’expertise comptable In extenso Secag, lui confiant une mission d’examen des comptes de la société CDP au 31 décembre 2014.

La SAS In extenso Secag a remis un projet de rapport non daté et non signé aux termes duquel il était fait état d’une correction négative de résultat et des capitaux propres au 31 décembre 2014 de – 13.000 euros.

Lors de l’arrêté de son exercice clos le 31 décembre 2015, les cessionnaires de la société CDP ont procédé à la correction des comptes sociaux de la société et ont soutenu que ladite société travestissait la réalité de sa situation comptable et financière depuis plusieurs années.

Lors de l’assemblée générale convoquée le 31 janvier 2017, l’associé unique a décidé de ne pas se prononcer sur ces comptes, de prolonger jusqu’au 30 juin 2017 le délai pour statuer sur les comptes 2015, et de confier un audit au cabinet Eight advisory.

A la suite du rapport déposé par le cabine Eight advisory le 20 avril 2017, de nouveaux comptes pour l’exercice 2015 ont été établis, faisant apparaître une perte nette de 5.075.000 euros et des capitaux propres négatifs de 3.690.000 euros.

L’annexe de ces comptes précise que les corrections apportées ont un impact total sur la situation nette de 4.627.248 euros.

Par acte d’huissier de justice du 11 octobre 2017, les sociétés CDP et Media line ont engagé une action à l’encontre du commissaire aux comptes de la société CDP devant le tribunal de grande instance de Strasbourg aux fins de voir condamner ce dernier à indemniser Media line des préjudices résultant des fautes commises entrainant sa responsabilité civile professionnelle en raison de la certification de comptes inexacts.

Par jugement du 12 décembre 2019, le tribunal de grande instance de Strasbourg a débouté les sociétés Media line et CDP de l’ensemble de leurs demandes.

Un appel a été interjeté à l’encontre de ce jugement devant la cour d’appel de Colmar et par arrêt du 6 septembre 2023, la cour d’appel a confirmé le jugement entrepris.

Parallèlement, par acte d’huissier de justice du 29 décembre 2017, les sociétés Media line et CDP ont assigné le commissaire aux comptes de la société CDP devant le tribunal de commerce de Caen aux fins de voir relever ce dernier de ses fonctions de commissaire aux comptes en raison des manquements commis dans l’exercice de ses fonctions.

Par jugement en date du 9 juin 2021, le tribunal de commerce de Caen a débouté les sociétés Media line et CDP de l’ensemble de leurs demandes.

Un appel a été interjeté à l’encontre de ce jugement, mais les fonctions du commissaire aux comptes ayant pris fin le 29 juin 2021, l’appel est devenu sans objet, et cette procédure a fait l’objet d’une ordonnance d’extinction d’instance rendue le 23 septembre 2021.

Compte tenu du rapport dressé par le cabinet Eight advisory, les sociétés CDP et Media line ont reproché au cabinet d’expertise comptable In extenso Secag plusieurs manquements à son obligation contractuelle relevant de la mission qui lui a été confiée, évaluant les préjudices résultant de ces fautes à une somme de de 5,926 millions euros.

Par acte d’huissier de justice du 28 août 2020, les sociétés Media line et Samfi invest, ont assigné la SAS In extenso Secag devant le tribunal de commerce de Coutances aux fins d’indemnisation.

Par jugement avant dire droit en date du 25 mars 2022, le tribunal de commerce de Coutances a ordonné à la société Media line la communication de pièces complémentaires et fixé la réouverture des débats à l’audience du 6 mai 2022.

Par jugement contradictoire du 24 juin 2022, le tribunal de commerce de Coutances a :

– débouté les sociétés Samfi invest et Media line de l’ensemble de leurs demandes ;

– débouté la société In extenso Secag de sa demande de dommages et intérêts ;

– condamné les sociétés Samfi invest et Media line sur le fondement de l’article 700 du code de procédure au paiement à la société In extenso d’une indemnité de 7.500 euros ;

– condamné les sociétés Samfi invest et Media line aux entiers dépens de l’instance dont frais de greffe de la présente décision liquidés à la somme de 80,26 euros TTC.

Par déclaration au greffe de la cour du 25 juillet 2022, les sociétés Media line et Samfi invest ont fait appel de ce jugement.

Par dernières conclusions déposées le 8 janvier 2024, les sociétés Media line et Samfi invest demandent à la cour de :

– Les déclarer recevables et bien fondées en leur appel,

– Infirmer le jugement entrepris, en ce qu’il a débouté les sociétés Samfi invest et Media line de l’ensemble de leurs demandes,

Statuant à nouveau,

– Recevoir l’intégralité des moyens et prétentions des appelantes,

– Dire et juger que la société In extenso Secag a manqué à ses obligations contractuelles à l’égard de la société Samfi invest et, partant, a engagé sa responsabilité civile contractuelle à l’égard de la société Samfi invest et délictuelle à l’égard de la société Media line,

En conséquence,

– Condamner la société In extenso Secag à verser à la société Samfi invest et à la société Media line, unies d’intérêts, les sommes suivantes, en réparation des préjudices subis :

* 285.000,00 euros au titre du coût d’acquisition des titres,

* 15.629,00 euros au titre des frais engagés au titre de cette acquisition,

* 2.852.000,00 euros au titre de l’avance en compte courant que la société Media line a été contrainte de mettre en place en pure perte, celle-ci étant désormais irrécouvrable,

* 2.374.000,00 euros au titre de la perte de chance de réaliser à bonne date des opérations de croissance externe et de percevoir les bénéfices escomptés de ces opérations,

* le montant des frais internes engagés au titre de la procédure en cours, dont le montant est réservé pour mémoire, et évalué à la date de la présente assignation à une somme de 27.906,43 euros, montant à parfaire,

* le coût du rapport Eight advisory, dont le montant est à ce stade réservé pour mémoire,

– Condamner la société In extenso Secag à payer aux sociétés Media line et Samfi invest , unies d’intérêts, une somme de 45.000,00 euros au titre des frais irrépétibles par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– Débouter la société In extenso Secag de l’intégralité de ses demandes,

– Condamner la société In extenso Secag aux entiers dépens de première instance et d’appel,

– Accorder à la SELARL Pieuchot et associes, représentée par Me Stéphane Pieuchot, le bénéfice du droit de recouvrement direct instauré par l’article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions déposées le 9 janvier 2024, la société In extenso Secag demande à la cour de :

– Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Medialine et Samfi invest de l’intégralité de leurs demandes,

En conséquence,

– Juger que Medialine et Samfi invest ne démontrent pas l’existence d’une faute d’In extenso, ni d’un préjudice indemnisable en lien de causalité avec cette faute,

– Débouter en conséquence Medialine et Samfi invest de toutes leurs demandes, fins et prétentions à l’égard d’In extenso,

– Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté In extenso de sa demande indemnitaire pour procédure abusive,

Statuant à nouveau,

– Condamner Medialine et Samfi invest, in solidum, à payer à In extenso la somme de 20.000 euros à titre de dommage et intérêts pour procédure abusive,

– Condamner Medialine et Samfi invest à payer à In extenso la somme de 30.000 euros au titre des frais irrépétibles, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 24 janvier 2024.

Il est expressément renvoyé aux écritures précitées pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

SUR CE, LA COUR

A titre liminaire, il convient de relever que les demandes de ‘dire et juger’ et de ‘juger’ ne sont pas des prétentions sur lequelles il y a lieu de statuer.

Sur la faute

Aux termes de l’article 1147 ancien du code civil applicable au litige, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Les sociétés appelantes soutiennent que la société In extenso a failli dans sa mission d’examen des comptes en s’abstenant de les avertir des risques importants liés aux comptes de la société CDP en omettant de leur signaler que cette dernière:

– ne mentionnait aucun des produits constatés d’avance qui auraient dû diminuer le résultat d’un exercice à raison de la fraction de la prestation non réalisée au cours de cet exercice, mais au cours des deux exercices suivants,

– enregistrait des factures à établir au titre de prestations à réaliser sur les deux exercices postérieurs à la conclusion du contrat correspondant (anticipant une durée de contrat de 3 ans, et alors même que les contrats étaient parfois conclus pour une durée d’un an seulement,

– escomptait massivement les factures dont certaines étaient fictives car non signées par les clients pour les deux années suivantes,

– inscrivait en poste immobilisation, valorisant ainsi le bilan artificiellement, des dépenses présentant le caractère de simples charges d’entretien.

L’intimée fait valoir qu’il lui a été confié une mission d’examen limité et qu’au vu de cette mission aucune faute ne peut lui être reprochée.

Par lettre de mission du 15 septembre 2015 signée par les deux parties, la SAS Samfi invest a confié à la société In extenso une mission de contrôle des comptes de la société CDP au 31 décembre 2014 dans le cadre de l’opération d’acquisition de 100% des titres de la société CDP.

Dans la lettre de mission du 15 septembre 2015, il est précisé qu’il est confié à la société In extenso un examen limité de la société CDP portant notamment sur :

– l’analyse des résultats au 31 décembre 2014

* analyse de l’évolution du chiffre d’affaires

* analyse des frais de structure

* analyse des éléments non récurrents impactant les résultats du groupe

– l’analyse du bilan au 31 décembre 2014

* immobilisations: méthode de valorisation et d’amortissement, analyse des immobilisations financières

* créances clients : évolution des ratios clients. Ananlyse par antréiorité. Evolution de la provision pour clients douteux. Revue d ela méthode de reconnaissance des revenus et de la procédure de cut-off à la clôture

*dettes fournisseurs

* autres actifs et passifs: analyse par grande catégorie, notamment TVA et passifs sociaux. Revue détaillée des provisions pour risques et charges et des litiges éventuels.

* engagements hors bilan : recensement des sûretés éventuelles données aux banques, effets remis à l’escompte ou à l’encaissement, locations financières…

* trésorerie et emprunts bancaires.

Le calendrier des travaux prévoit la remise d’un projet de rapport pour le 30 septembre 2015 au plus tard, un examen limité de la société CDP qui se conclut par une réunion de synthèse au cours de laquelle les résultats significatifs des travaux sont présentés puis la remise d’un rapport d’examen limité couvrant les aspects comptables, financiers et sociaux.

L’expert-comptable engage sa responsabilité civile contractuelle pour les négligences ou les fautes commises dans l’exercice de sa mission que son client subit. Il est à ce titre soumis à une obligation de moyen.

L’expert-comptable à qui est confié une mission de contrôle des comptes est tenu à une obligation d’information et de conseil.

Il n’est pas dispensé de cette obligation du fait des compétences professionnelles de son client.

Selon le code de déontologie des experts-comptables, l’objectif de la mission d’examen limité des comptes consiste pour le professionnel de l’expertise-comptable, sur la base de diligences ne mettant pas en oeuvre toutes les procédures requises pour un audit, à conclure qu’il n’a pas relevé d’éléments le conduisant à considérer que ces comptes ne sont pas établis, dans tous leurs aspects significatifs, conformément au référentiel comptable qui leur est applicable.

Cette mission est une mission d’assurance de niveau modéré aboutissant à une opinion exprimée sous la forme négative portant sur la conformité des comptes au référentiel comptable qui leur est applicable ; le niveau d’assurance est inférieur à celui de l’audit.

Il sera relevé que la lettre de mission qui saisit la société In extenso est datée du 15 septembre 2015, qu’elle prévoit le dépôt d’un projet de rapport pour le 30 septembre 2015 au plus tard, une réunion de synthèse avec présentation des résultats significatifs des travaux et la remise d’un rapport d’examen limité.

L’acquisition des actions de la SAS CDP est intervenue le 15 octobre 2015 sans que la société In extenso ait déposé un rapport définitif puisque le document communiqué est un projet de rapport non daté et non signé.

Sur la comptabilisation du chiffre d’affaires

C’est justement que le tribunal a relevé que la société In extenso avait dans son projet de rapport sous la rubrique ‘Produits constatés d’avance’ indiqué ‘Néant

A noter : Pour les nouvelles implantations et pour les renouvellements la marge de 3 années de contrat est appréhendée l’année de la signature de la commande(Factures à établir).’

En conclusion, il est à nouveau indiqué :’La société comptabilise l’intégralité des produits à la commande. Elle ne constate pas de produits constatés d’avance lors de l’arrêté des comptes. Par conséquent, les capitaux propres de la société sont surévalués. Le montant de cette surévaluation n’a pu être défini de façon fiable.’

Il est en outre noté page 9 du projet de rapport qu’au 31 décembre 2014, 9% des factures à établir ont été contrôlées et il est précisé que le chiffre d’affaires est rattaché à l’exercice de la commande.

Les sociétés appelantes font valoir que si l’absence de comptabilisation de produits constatés d’avance a bien été visée dans le rapport de la société In extenso celle-ci n’en a pas chiffré l’impact et qu’il résulte du rapport du cabinet Eight Advisory que le montant des produits constatés d’avance à enregistrer en 2014 afin de neutraliser les produits enregistrés sur l’exercice mais correspondant à des prestations effectuées sur les exercices ultérieurs s’élève à 3 243 k€ soit 66% du chiffre d’affaires comptabilisé en 2014.( Pièce 10 des appelantes)

Elles précisent par ailleurs concernant les factures à établir que la société In extenso n’a pas tiré les conséquences de ce traitement comptable contraire aux principes de prudence et d’indépendance des exercices et n’évalue pas le chiffre d’affaires corrigé, le cabinet Eight Advisory ayant établi que la correction de cette anomalie dans les comptes annuels 2014 de CDP conduisait à annuler l’intégralité des factures à établir au 31 décembre 2014 pour un montant total de 1.262 k€.(pièce 10 des appelantes)

Les sociétés appelantes n’établissent cependant pas que le mode de comptabilisation du chiffre d’affaires de la société CDP ne répond pas au référentiel comptable applicable.

La société In extenso communique l’avis de M. [X], expert près la cour d’appel de Paris sollicité dans le cadre du litige opposant la société Media Line au commissaire aux comptes de la société CDP, qui précise :

– que le référentiel comptable afférent aux ventes d’espaces publicitaires ne précise pas de méthode préférentielle à appliquer ce qui peut conduire à des pratiques différentes d’une entreprise à l’autre ;

– que l’appréciation juridique et économique de ces contrats de vente avait conduit l’ancienne direction de la société CDP à considérer que l’essentiel de la prestation était réalisé au moment de la signature de la commande, ce qui justifiait dès lors la comptabilisation en une seule fois de la totalité du chiffre d’affaires pluriannuel ;

– qu’en l’absence de référentiel comptable précis, le nouvel actionnaire ne saurait invoquer des corrections d’erreurs s’agissant d’un changement de méthode comptable consécutif à une décision de gestion.

Par ailleurs, comme relevé par le tribunal, il y a lieu de considérer que dans l’hypothèse de l’application permanente de cette méthode, l’impact de la correction sur la situation nette de l’entreprise au 31 décembre 2014 était limité à la différence existant avec le montant déterminé dans les mêmes conditions au 31 décembre 2013 qui n’ a pas été communiqué.

Il n’apparaît pas de surcroît que cette méthode était de nature à fausser les comptes et les résultats de la société dès lors qu’elle a toujours été appliquée.

Il ressort de ces éléments, que la société In extenso a bien alerté sa cliente de la particularité de la méthode utilisée dont il n’est pas établi qu’elle était illicite et de ce qu’elle avait des conséquences sur l’évaluation des capitaux propres qui étaient surévalués précisant bien qu’elle n’avait pas pu définir de façon fiable le montant de cette surévaluation.

La réunion de synthèse finale n’a pas eu lieu et aucun rapport définitif signé n’a été remis par la société In extenso.

La société cliente a quand même décidé de procéder à l’achat des actions de la société CDP en étant informée de ce que les capitaux propres étaient surévalués et en prenant le risque de ne pas faire chiffrer cette surévaluation.

Il sera rappelé la mission d’examen limité de la société In extenso qui supposait l’expression d’une opinion modérée sur la conformité des comptes et qui ne s’étendait pas à une appréciation sur la valorisation de la société.

Il apparaît ainsi que la société In extenso n’a pas manqué sur ce point à son devoir d’information et de conseil.

Sur la production d’immobilisation

Les sociétés appelantes soutiennent que la société CDP enregistrait de façon injustifiée un certain nombre de dépenses au sein de l’actif immobilisé à savoir les dépenses de simple nettoyage des panneaux qui auraient dû être enregistrées en charge et des prestations de fabrication de panneaux surévaluées, soit un actif immobilisé à tort pour un montant total de 1,614 m€ et que la société In extenso qui devait réaliser la revue de la production immobilisée n’a formulé aucune remarque particulière sur ces inadéquations.

La société intimée fait valoir qu’il n’entrait pas dans sa mission d’évaluer le montant des mobiliers immobilisés mais uniquement d’examiner la méthode de valorisation et d’amortissement, qu’elle n’avait aucune compétence pour apprécier la durée de vie des mobiliers publicitaires et que les travaux critiqués étaient des travaux d’entretien de matériels amortis dont la longévité se trouvait ainsi accrue, que les rapports du commissaire aux comptes de 2010 à 2012 ont fait l’objet d’une mention particulière relative à l’inscription du coût des travaux de rénovation des panneaux complètement amortis à l’actif dans le poste immobilisation corporelle de sorte que les appelantes étaient informées de l’immobilisation des coûts d’entretien.

La lettre de mission prévoyait bien une analyse des ‘immobilisations : Méthode de valorisation et d’amortissement. Analyse des immobilisations financières’.

La société In extenso ne peut donc soutenir que l’analyse des immobilisations mobilières n’entrait pas dans sa mission.

La société Eight Advisory missionnée par les sociétés appelantes a évalué la valeur nette comptable des dépenses enregistrées à tort en immobilisation en 2014 à la somme de 1.614 €.

Elle relève que selon le référentiel comptable français concernant les immoilisations, seules les dépenses engagées afin d’augmenter (et non uniquement maintenir) la valeur des immobilisations et donc d’augmenter leurs avantages économiques futurs, peuvent être immobilisées.

Elle précise que l’analyse effectuée sur la nature des dépenses encourues sur les panneaux de 2010 à 2014, sur ‘la base des connaissances de M. [R], directeur technique de CDP depuis 2007″ a conduit à relever que certaines de ces dépenses immobilisées n’avaient pas pour conséquence une augmentation de la durée de vie des panneaux et donc des avantages économiques futurs pour la société, et que sur la base de cette analyse et des dispositions du référentiel comptable français, ces dépenses correspondant à des travaux ‘d’entretien’ devaient donc être enregistrées en charge.

Le référentiel comptable autorise l’immobilisation de dépenses d’entretien quand celles -ci allongent la durée de vie des équipements, en l’espèce des panneaux publicitaires rénovés, et qu’elles constituent des avantages économiques futurs. Dans le cas contraire, ces dépenses constituent des charges d’exploitation.

Dans son projet de rapport, la société In extenso traite de l’actif immobilisé. Elle précise que 99 % de l’actif immobilisé concernent les constructions sur sol d’autrui qui correspondent aux mobiliers urbains, que le mobilier urbain est fabriqué par la société, que, sur l’exercice, la production à soit même a été de 641k€ à savoir 412 k€ pour la rénovation (1013 panneaux) et 229 k€ pour les nouveaux mobiliers.

Il est précisé que c’est l’expert-comptable qui détermine le coût de production, que le calcul est établi selon des fiches de coût qui ont été élaborées pour valoriser les différents types de support, que les mobiliers urbains sont amortis sur 10 ans en linéaire.

Dans son avis produit devant la cour d’appel de Colmar, M. [X] explique qu’à partir de 2010, M. [W] a indiqué au commissaire aux comptes qu’il avait décidé de privilégier la rénovation des panneaux publicitaires existants plutôt que l’achat de panneaux neufs pour des raisons économiques et que c’est dans ce contexte que les travaux de rénovation engagés sur des supports publicitaires de plus de 10 ans et entièrement amortis ont été immobilisés, ces dépenses d’amélioration faisant l’objet d’un amortissement sur 10 ans.

Il considère que ces dépenses de rénovation ne peuvent raisonnablement être assimilées à de simples charges d’entretien courant et qu’il ressort de la documentation comptable mise à disposition du commissaire aux comptes que le coût de ces rénovations était déterminé avec précision ( fournitures et coût de la main d’oeuvre).

C’est par des motifs pertinents que la cour adopte que le tribunal a retenu qu’il ne pouvait être reproché à la société In extenso un manquement à son devoir d’information et de conseil à ce titre dès lors que :

– l’analyse des coûts retenus par la société Eight Advisory qui ne retient en immobilisation que les travaux effectués sur la partie centrale du panneau excluant comme constituant de simples frais d’entretien, les frais de changement de consommables et pièces détachées, les frais de maintenance des panneaux, les changements d’encarts, les frais de démonte, pose de plot, déplacement, n’est justifié que pour ce qui concerne les panneaux détenus depuis moins de 10 ans,

– les sociétés appelantes ne démontrent pas que les travaux de rénovation ne concernaient pas des panneaux détenus depuis plus de 10 ans,

– les sociétés appelantes ne démontrent pas que les supports de plus de 10 ans rénovés ne sont pas loués dans les mêmes conditions tarifaires que les supports neufs et qu’ils ne sont pas générateurs de chiffre d’affaires au-delà de leur période initiale d’amortissement.

Il sera relevé en outre qu’au vu du rapport du cabinet Eight Advisory qu’elles produisent, les sociétés appelantes ne peuvent soutenir que les travaux de rénovation enregistrés en immobilisation sont de simples travaux de ‘nettoyage’ enregistrés à hauteur de 1.516 k€ et aucun élément ne justifie l’assertion selon laquelle les prestations de fabrication de panneaux ont été surévaluées à hauteur de 98.000 euros.

Les sociétés appelantes reconnaissent dans leurs conclusions que la société In extenso a bien procédé à une analyse de la production immobilisée présentée dans son rapport par nature de dépenses et qu’elle a indiqué la méthode de calcul utilisée par la société CDP pour déterminer le coût de production des mobiliers urbains.

Par ailleurs, la comptabilisation en immobilisation des coûts de rénovation sur les panneaux détenus depuis plus de 10 ans était précisée dans les rapports du commissaire aux comptes depuis 2010 et donc connue des sociétés appelantes.

Dès lors au vu de ces éléments, et au vu du cadre de la mission d’examen limité confiée à la société In extenso, il n’est pas démontré que celle-ci a manqué à son obligation de conseil et d’information sur ce point, les anomalies invoquées par les sociétés appelantes n’étant pas établies pas plus qu’il n’est établi que serait contraire au référentiel comptable la méthode de détermination des coûts de rénovation utilisée par la société CDP.

Sur les effets non échus remis à l’escompte

Les sociétés appelantes reprochent à la société In extenso de ne pas avoir mentionné dans son rapport l’existence des engagements hors bilan de la société CDP au titre des effets escomptés non échus à hauteur d’un montant de 2.640.613 euros, ce qui représentait une dette particulièrement significative et était un élément fondamental pour la compréhension du fonctionnement de la société CDP avant son rachat.

La société intimée soutient que la question des effets non échus remis à escompte n’est que la simple contrepartie du principe d’enregistrement du chiffre d’affaires lors de la signature du contrat nonobstant la durée qui peut s’étaler sur plusieurs années, que cette réalité était connue de la société Samfi-Invest tout comme l’était l’existence d’effets escomptés non échus, que comme l’a retenu le tribunal les caractéristiques comptables et financières de la société CDP ont été prises en compte lors de la détermination du prix d’acquisition, qu’au regard de sa mission, aucune faute n’est démontrée.

La lettre de mission prévoyait l’analyse des engagements hors bilan précisant : ‘recensement des sûretés éventuelles données aux banques, effets remis à l’escompte ou à l’encaissement, locations financières …’

Aucune mention relative aux effets escomptés non échus n’apparaît dans le projet de rapport de la société In extenso.

Cependant, il convient de relever que le montant des effets escomptés non échus était indiqué dans l’annexe des comptes de la société CDP clôturé au 31 décembre 2014 et était également rappelé dans une annexe 6 du contrat de garantie conclu le 15 octobre 2015 au profit de la société Media line de telle sorte que cette information était donc connue des sociétés appelantes au moment de l’acquisition des actions de la société CDP.

L’impact de cette situation était connu puisque le projet de rapport de la société In extenso précise dans la rubrique ‘autres charges’ un montant des agios d’escompte à hauteur de 95 k€, ce qui constituait un coût particulièrement élevé qui impactait nécessairement les résultats de la société.

Il sera rappelé que la mission d’examen limité des comptes a pour objectif de déterminer si les comptes sont conformes ou non à la norme comptable applicable et que c’est justement que le tribunal a retenu que l’information relative au montant des effets escomptés non échus apparaissait bien dans l’annexe des comptes clos au 31 décembre 2014, qu’il n’est pas soutenu que ce montant est inexact et qu’il n’est pas non plus soutenu qu’il existait un retour notable d’effets escomptés.

Il en résulte que dès lors que l’information relative aux effets remis à l’escompte figurait bien dans les comptes et qu’aucune anomalie n’est démontrée au vu du référentiel comptable applicable, le tribunal a justement retenu que le manquement de la société In extenso à son devoir d’information et de conseil n’était pas établi.

Le jugement entrepris sera par conséquent confirmé en ce qu’il a débouté les sociétés Media line et Samfi invest de leurs demandes principales.

Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

Le droit d’exercer une action en justice ou une voie de recours ne dégénère en abus que s’il révèle de la part de son auteur une intention maligne, une erreur grossière ou une légèreté blâmable dans l’appréciation de son droit qui ne saurait résulter du seul rejet de ses prétentions.

Faute pour la société In extenso d’établir un tel abus et la mauvaise foi des appelantes, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a rejeté sa demande de dommages et intérêts.

Sur les demandes accessoires

Les dispositions du jugement entrepris relatives à l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens, exactement appréciées, seront confirmées.

Les sociétés Media line et Samfi invest, qui succombent en leur appel, seront condamnées aux dépens d’appel, à payer à la société In extenso la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel et seront déboutées de leur demande formée à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe ;

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne les sociétés Media line et Samfi invest à payer à la société In extenso Secag la somme de 4000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;

Déboute les sociétés Media line et Samfi invest de leur demande formée à ce titre ;

Condamne les sociétés Media line et Samfi invest aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

N. LE GALL F. EMILY


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