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ARRÊT N°
BUL/SMG
COUR D’APPEL DE BESANÇON
ARRÊT DU 6 JUIN 2023
CHAMBRE SOCIALE
Audience publique
du 25 avril 2023
N° de rôle : N° RG 21/02128 – N° Portalis DBVG-V-B7F-EONB
S/appel d’une décision
du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BESANCON
en date du 16 novembre 2021
Code affaire : 80J
Contestation du motif non économique de la rupture du contrat de travail
APPELANTE
S.A.S. KORIAN VILL’ALIZE sise demeurant [Adresse 4]
représentée par Me Isabelle TOURNIER, Postulante, avocat au barreau de BESANCON présente et substituée par Me Juliette FERRE, Plaidante, avocat au barreau de PARIS, présente
INTIMEE
Madame [Z] [W], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Julie DUFOUR, avocat au barreau de BESANCON absente et substituée par Me Annabelle BAROCHE, avocat au barreau de BESANCON, présente
INTERVENANTE VOLONTAIRE
POLE EMPLOI BOURGOGNE FRANCHE COMTE, sise [Adresse 1]
représenté par Me Marie-Josèphe VANHOUTTE, avocat au barreau de BESANCON, présente
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats du 25 Avril 2023 :
Monsieur Christophe ESTEVE, Président de Chambre
Madame Bénédicte UGUEN-LAITHIER, Conseiller
Mme Florence DOMENEGO, Conseiller
qui en ont délibéré,
Mme MERSON GREDLER, Greffière lors des débats
en présence de Mme Wassila MOKHTATIF, Greffière stagiaire
Les parties ont été avisées de ce que l’arrêt sera rendu le 6 Juin 2023 par mise à disposition au greffe.
**************
FAITS ET PROCEDURE
Mme [Z] [W] a été embauchée le 19 septembre 2011 par la société KORIAN VILL’ALIZE en tant qu’aide-soignante à mi-temps dans un premier temps puis à temps complet à partir du 3 octobre 2011 et exerçait ses fonctions au sein de l’EHPAD de [Localité 3].
Son contrat de travail relevait de la Convention collective de l’hospitalisation privée du 18 Avril 2002.
Le 26 juillet 2019, la directrice de l’établissement a pris attache avec la médecine du travail afin de déposer un dossier auprès de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) en vue d’adapter les conditions de travail de Mme [Z] [W].
Par deux courriers des 30 novembre et 17 décembre 2019 (le second visant, selon l’employeur, à corriger une irrégularité dans les modalités d’assistance par un tiers) le nouveau directeur de l’établissement l’a convoquée à deux entretiens préalables successifs portant mention d’une mise à pied conservatoire fixés au 9 et au 30 décembre 2019, auxquels elle s’est rendue, dûment assistée. L’employeur lui a ensuite notifié un licenciement pour faute grave suivant courrier du 6 janvier 2020, en raison d’agissements inadaptés envers les résidents s`apparentant à de la maltraitance et d’un non respect des règles élémentaires d’hygiène.
Contestant son congédiement, Mme [Z] [W] a, par requête du 2 décembre 2020, saisi le conseil de prud’hommes de Besançon aux fins de voir dire son licenciement nul, à défaut sans cause réelle et sérieuse et à tout le moins exclusif de toute faute grave.
Par jugement du 16 novembre 2021, ce conseil a :
– débouté Mme [Z] [W] de sa demande de nullité de son licenciement en raison d’un motif discriminatoire
– débouté Mme [Z] [W] de sa demande de dommage-intérêts pour licenciement nul
– constaté l’irrégularité de la procédure de licenciement
– dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse et qu’il ne repose pas sur une faute grave
– condamné la SAS KORIAN VILL’ALIZE à payer à Mme [Z] [W] les sommes suivantes :
* 16 353,84 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
* 1 093, 94 € bruts au titre du rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire
* 109, 39 € bruts au titre des congés payés afférents
* 4 412,91 € à titre d’indemnité légale de licenciement
* 4 088, 46 € bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis
* 408, 84 € bruts au titre des congés payés afférents
– débouté Mme [Z] [W] de sa demande de dommages-intérêts pour discrimination
– condamné la SAS KORIAN VILL’ALIZE à verser à Mme [Z] [W] la somme de 1 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– ordonné à la SAS KORLAN VILL’ALlZE de remettre à Mme [Z] [W] un certificat de travail conforme, une attestation Pôle Emploi conforme ainsi qu’un bulletin de paie récapitulatif conforme sous astreinte de 20 euros par jour de retard à compter d’un mois suivant la notification du jugement
– dit que les intérêts au taux légal porteront effet sur l’ensemble des sommes y compris l’article 700 du code de procédure civile à compter du jugement
– ordonné, en application de l’article L.1235-4 du code du travail, le remboursement par la SAS KORIAN VILL’ALlZE à Pôle Emploi des indemnités de chômage que cet organisme a payées à Mme [Z] [W] à hauteur de six mois
– dit n’y avoir lieu à ordonner l’exécution provisoire
– débouté Mme [Z] [W] du surplus de ses demandes
– débouté la SAS KORIAN VILL’ALIZE de l’ensemble de ses demandes
– condamné la SAS KORIAN VILL’ALIZE aux dépens
Les premiers juges ont en substance retenu que si les éléments avancés par la salariée pour prétendre à un licenciement fondé sur une discrimination en raison de son poids sont insuffisants, le licenciement est en revanche sans cause réelle et sérieuse au motif que l’employeur avait épuisé son pouvoir disciplinaire en prononçant une première mise à pied qui n’a pas été annulée par la seconde convocation avec mise à pied conservatoire, de sorte qu’il ne pouvait pas sanctionner les mêmes faits par un licenciement.
Par déclarations respectives des 1er et 13 décembre 2021, la société KORIAN VILL’ALIZE et Mme [Z] [W] ont relevé appel de cette décision et suivant ordonnance du 18 octobre 2022 rendue par le magistrat en charge de la mise en état, les instances ont été jointes.
Par dernières conclusions du 9 août 2022, la société KORIAN VILL’ALIZE demande à la cour de :
– infirmer le jugement déféré sauf en ce qu’il a débouté Madame [Z] [W] de ses demande de nullité du licenciement en raison d’un motif discriminatoire, de dommages-intérêts pour licenciement nul et de dommages-intérêts pour discrimination
Statuant à nouveau :
– débouter Mme [Z] [W] de l’ensemble de ses demandes
– la condamner à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens
Suivants ultimes écrits du 25 mai 2022, Mme [Z] [W] demande à la cour de :
– ordonner la jonction des deux instances
– réformer le jugement déféré en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes de nullité du licenciement pour motif discriminatoire, de dommages-intérêts pour licenciement nul et de dommages-intérêts pour discrimination
– débouter la SAS KORIAN VlLL’ALIZE de ses entières demandes
– dire que son licenciement est nul
– condamner par conséquent la SAS KORIAN VlLL’ALIZE à lui payer les sommes suivantes :
* dommages-intérêts pour licenciement nul : 16 353,84 €
* dommages-intérêts pour discrimination : 10 000 €
* indemnité de procédure d’appel : 2 500 € outre les dépens
– ordonner la remise d’un certificat de travail conforme, d’une attestation destinée à Pôle Emploi conforme ainsi que la remise d’un bulletin de paie récapitulatif conforme, sous astreinte de 50 € par jour de retard et par document à compter de la notification de l’arrét à intervenir, le “conseil” se réservant le droit de liquider l’astreinte
Subsidiairement et pour le surplus, confirmer le jugement en ce qu’il a :
– condamné la SAS KORIAN VlLL’ALIZE à lui payer les sommes suivantes :
* 16 353,84 € nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
* 1 093,94 € bruts à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire ;
* 109,39 € bruts au titre des congés payés afférents
* 4 412,91 € nets à titre d’indemnité légale de licenciement
* 4 088,46 € bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis
* 408,84 € bruts au titre des congés payés afférents
* 1 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– ordonné à la SAS KORIAN VlLL’ALIZE de lui remettre des documents de fin de contrat rectifiés conformés à la décision sous astreinte de 20 € par jour de retard suivant notification du jugement
– dit que les intérêts au taux légal porteront effet sur l’ensemble des sommes
– ordonné le remboursement par la SAS KORIAN VlLL’ALIZE à Pôle Emploi des allocations chômage à hauteur de six mois
– débouté la SAS KORIAN VILL’ALIZE de l’ensemble de ses demandes
– condamné la SAS KORIAN VlLL’ALIZE aux dépens
Par conclusions du 16 mars 2022, le Pôle Emploi de Bourgogne Franche-Comté demande à la cour de :
– accueillir son intervention
– confirmer le jugement entrepris
– pour le cas où le licenciement serait sans cause réelle et sérieuse, condamner la SAS KORIAN VILL’ALIZE à lui rembourser la somme de 7 194,24 euros, outre intérêts ‘de droit’
– condamner la SAS KORIAN VILL’ALIZE à lui verser une indemnité de procédure de 750 euros et statuer ce que de droit sur les dépens
Pour l’exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux dernières conclusions précédemment visées en application de l’article 455 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 9 mars 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
A titre liminaire, la cour relève que dès lors que le magistrat en charge de la mise en état a procédé à la jonction des deux instances enregistrées sous les n°21/2128 et 21/2179 par ordonnance du 18 octobre 2022, la demande formée à cette fin par Mme [Z] [W] est sans objet.
I- Sur la nullité du licenciement pour discrimination
Aux termes de l’article L.1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, en raison notamment de son état de santé ou de son sexe.
Tout licenciement pris à l’égard d’un salarié en méconnaissance des dispositions de l’article L.1132-1 est nul, en application de l’article L.1132-4 du code du travail.
L’article L.1134-1 du même code prévoit que lorsque survient un litige en raison d’une méconnaissance des dispositions de l’article L.1132 précité, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Au cas particulier, la société KORIAN VILL’ALIZE conteste que la mesure de licenciement prononcée à l’encontre de sa salariée constitue une mesure discriminatoire à raison de sa condition physique, à telle enseigne, selon elle, qu’elle est à l’origine de la visite médicale auprès du médecin du travail intervenue le 26 juillet 2019 destinée, dans un souci de sécurité et de prévention, à envisager précisément l’adaptation du poste de l’intéressée compte tenu des difficultés ergonomiques observées dans le cadre de ses fonctions, évoquées lors des entretiens annuels d’évaluation.
Mme [Z] [W] prétend au contraire avoir été licenciée, non pas en raison d’un comportement inapproprié vis à vis des résidents, mais en raison de son surpoids et en déduit que son licenciement est nul au regard de l’article L.1132-1 du code du travail, visant la discrimination à raison de l’état de santé ou du handicap.
A titre liminaire, il convient de relever que si l’obésité ou le surpoids ne figurent pas au nombre des critères de discrimination limitativement énumérés par le texte précité, la situation dénoncée par Mme [Z] [W] entre à l’évidence dans le champ du critère énoncé de l’apparence physique, de celui de l’état de santé ou de celui du handicap, nonobstant le fait que la situation de handicap n’a été officiellement reconnue par la MDPH que le 15 mai 2020.
Pour étayer son moyen, la salariée se prévaut de :
– deux compte-rendus d’entretien des 19 mars 2018 et 24 mai 2019 dans lesquels sont pointées les difficultés liées à son obésité
– l’enchaînement des faits puisque la convocation à l’entretien préalable est intervenue le lendemain du premier contact de Cap Emploi, saisi par le médecin du travail, avec l’employeur en vue d’un aménagement de poste en raison de son handicap
– l’un des motifs du licenciement lié à nouveau à son surpoids (avoir mangé un plateau repas d’appoint),
Elle fait encore grief aux premiers juges d’avoir inversé la charge de la preuve, qui est partagée, et relève que l’employeur ne prouve pas l’absence de discrimination.
Si les premiers juges ont maladroitement utilisé l’expression ‘faute de preuve’, ils ont néanmoins retenu que les éléments avancés par la salariée n’étaient pas suffisants pour laisser supposer l’existence d’une discrimination, et n’ont, ce faisant, pas inversé la charge de la preuve.
Par ailleurs, si la salariée rappelle à juste titre qu’en la matière la preuve est partagée, il doit être souligné que le mécanisme probatoire qui en découle invite le juge à examiner dans un premier temps les éléments présentés par le salarié et que ce n’est qu’à la condition qu’ils soient suffisants à laisser supposer la discrimination invoquée qu’il est appelé à examiner, dans un second temps, les éléments de preuve apportés par l’employeur pour écarter toute discrimination.
La cour, après examen des éléments ainsi présentés, estime que les premiers juges ont à bon droit, après avoir constaté l’insuffisance des éléments avancés pour laisser supposer l’existence d’une discrimination, débouté Mme [Z] [W] de sa demande de nullité du licenciement litigieux.
S’il ressort en effet des deux compte-rendus précités que dans la rubrique ‘Difficultés majeures rencontrées pour accomplir ses missions’, il est mentionné ‘problème de poids’ et ‘problème ergonomique dans les salles de bains’ et si les parties divergent sur le point de savoir qui de la salariée ou de l’infirmière coordonnatrice a évoqué ce point, il apparaît à la cour qu’en tant que telle cette mention n’a aucun caractère discriminant et ne fait que relever un fait objectif.
Il résulte d’ailleurs de l’examen des éléments présentés que la saisine du médecin du travail en vue de l’adaptation du poste de Mme [Z] [W], qui a donné lieu à une rencontre entre l’employeur et le dispositif Cap Emploi puis a conduit ensuite à la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, émane précisément de la société KORIAN VILL’ALIZE, et que rien ne permet de déduire du courriel communiqué par la salariée (pièce n°16) émanant de Mme [I] [S], qui relate la procédure suivie dans le cadre de Cap Emploi et notamment sa rencontre avec l’employeur le 29 novembre 2019, que cet entretien aurait été le déclencheur de la procédure de licenciement.
En effet, il y est indiqué que suite à la présentation du service et des dispositifs existants pour compenser les difficultés liées aux situations de handicap, il avait été convenu que la société KORIAN VILL’ALIZE réfléchissait à la situation de la salariée.
La survenance, le lendemain de cet entretien, de la convocation à un entretien préalable à licenciement, fondé sur des faits en lien avec l’exercice de ses fonctions et étayés par des attestations de collègues antérieures au 29 novembre 2019, n’établit aucune corrélation entre les deux événements.
Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu’il a débouté Mme [Z] [W] de sa demande de nullité de son licenciement et de sa demande de dommages-intérêts formée sur ce fondement.
II- Sur le bien fondé du licenciement
II-1 L’absence de cause réelle et sérieuse en lien avec l’irrégularité de la procédure
La société KORIAN VILL’ALIZE fait grief aux premiers juges d’avoir retenu qu’en vertu de la règle ‘non bis in idem’, elle ne pouvait sanctionner à deux reprises sa salariée pour les mêmes faits et qu’elle a épuisé son pouvoir disciplinaire par la première mise à pied conservatoire, requalifiée en sanction disciplinaire.
Mme [Z] [W] conclut à la confirmation du jugement querellé en ce qu’il a retenu que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse à raison de l’irrégularité de la procédure et revendique une application stricte de l’exigence de concomitance entre la mise à pied conservatoire et l’engagement de la procédure disciplinaire, à défaut de laquelle la mise à pied conservatoire doit être requalifiée en mise à pied disciplinaire, en sorte que le licenciement qui s’en suit fondé sur les mêmes faits est dépourvu de cause réelle et sérieuse (Soc 17 octobre 2018 n°16-28. 773).
Il résulte des dispositions combinées des articles L.1332-2 et L.1232-4 du code du travail et de leur interprétation jurisprudentielle que lorsque l’employeur envisage de prononcer une mesure de licenciement, il convoque le salarié en lui précisant l’objet de la convocation, qu’il peut se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l’entreprise ou, lorsque l’employeur relève d ‘une unité économique et sociale dotée d’institutions représentatives, qu’il peut se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel d ‘une entité de l’unité économique et sociale (Soc. 8 juin 2011 n°10-14.650).
Au cas présent, il apparaît que l’employeur, qui avait omis dans sa première convocation à l’entretien préalable prévu le 9 décembre 2019 d’informer Mme [Z] [W] de sa possibilité d’être assistée au cours de l’entretien d’une personne de son choix appartenant au personnel de l’une des entités appartenant à l’unité économique et sociale de Korian France, puisqu’elle l’avait informée de la possibilité d’être assistée ‘soit par une personne de l’entreprise soit par un conseiller extérieur à l’entreprise choisi sur une liste établie à cet effet par le préfet…’ a corrigé cette erreur d’information par une convocation adressée à l’intéressée le 17 décembre 2019 à un nouvel entretien fixé au 30 décembre suivant.
Il n’est pas contesté que Mme [Z] [W] a été effectivement reçue par l’employeur à ces deux entretiens préalables, au cours desquels elle a été régulièrement assistée, et que son licenciement lui a finalement été notifié par pli recommandé du 6 janvier 2020.
L’article L.1332-3 précise que ‘lorsque les faits reprochés au salarié ont rendu indispensable une mesure conservatoire de mise à pied à effet immédiat, aucune sanction définitive relative à ces faits ne peut être prise sans que la procédure prévue à l’article L. 1332-2 ait été respectée’.
Il est admis que pour que le pouvoir disciplinaire de l’employeur soit épuisé encore faut-il qu’il ait notifié une sanction disciplinaire au salarié (Soc. 14 novembre-2013 n°12-21.495).
Or, en l’espèce, s’il ressort de la première convocation à l’entretien du 9 décembre 2019 en vue d’un éventuel licenciement que la société KORIAN VILL’ALIZE a notifié à Mme [Z] [W] ‘compte tenu de la gravité des agissements reprochés… une mise à pied conservatoire pendant le déroulement de la procédure et dans l’attente de la décision à intervenir’, aucune sanction disciplinaire n’est intervenue avant que n’intervienne la notification du licenciement à l’intéressée.
La concomitance avec la procédure suivie en vue d’un licenciement, le visa de la gravité des faits reprochés dans le cadre de cette même procédure pour en justifier le recours et la référence au caractère conservatoire de la mesure exclut à l’évidence toute mise à pied prononcée à titre disciplinaire en l’espèce dans la première convocation.
La seconde convocation, quant à elle, comporte les mêmes mentions s’agissant de la mise à pied. Etant expressément rectificative de la précédente elle s’incorpore à la première procédure engagée en vue d’un éventuel licenciement, sans pour autant et à aucun moment l’annuler, la seule circonstance que la lettre de licenciement ne vise que l’entretien du 30 décembre 2019 n’étant pas en soi anormale, contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges, dès lors qu’il s’agit du seul entretien observant les prescriptions des textes précités, au regard du droit du salarié d’être assisté par un tiers.
En estimant qu’en raison de la nouvelle convocation à un entretien préalable, qui a été poursuivie jusqu’au licenciement, la mise à pied conservatoire initiale qui n’avait pas été expressément annulée par l’employeur, existait toujours et devait être requalifiée en mise à pied disciplinaire, les premiers juges ont donc fait une application erronée des textes précités.
Si la mise à pied initiale a effectivement été ‘prolongée’ du fait de la convocation du 17 décembre 2019 à un second entretien préalable dans le souci d’observer le droit pour la salariée d’être régulièrement assistée lors de l’entretien, il n’est pas contesté qu’aucune mesure disciplinaire définitive n’a été notifiée à la salariée avant la mesure de licenciement et que la mise à pied a été continue depuis la remise en main propre de la première convocation le 30 novembre 2019 jusqu’au prononcé de la sanction définitive.
Par ailleurs si Mme [Z] [W] se prévaut de la décision rendue par la haute Cour le 17 octobre 2018 (n°16-28773), cette jurisprudence n’est pas transposable au présent litige.
En effet dans cette espèce, l’employeur avait expressément annulé une première convocation à un entretien préalable assorti d’une mesure de mise à pied conservatoire la veille de l’entretien, lequel ne s’était donc pas tenu, et lui avait substitué une nouvelle procédure de licenciement avec convocation à un entretien et notification d’une mise à pied conservatoire.
Dans cette hypothèse la Cour a estimé que l’employeur, qui avait annulé le premier entretien préalable auquel la salariée avait été convoquée en la reconvoquant à un nouvel entretien préalable, avait ainsi mis à néant la première procédure disciplinaire, de sorte que la cour d’appel avait pu en déduire que la mise à pied notifiée lors de la première convocation à entretien préalable et maintenue par la seconde convocation n’était pas concomitante à l’engagement de la procédure disciplinaire issue de la seconde convocation et qu’elle devait, à défaut de tout délai justifié par la nécessité de procéder à des investigations, être requalifiée en mise à pied disciplinaire.
En effet, dans le présent litige, l’employeur n’a ni annulé ni suspendu la procédure disciplinaire initialement engagée mais a simplement prolongé celle-ci en organisant un second entretien préalable, de sorte que la condition de concomitance de la mise à pied notifiée dans la première lettre du 30 novembre 2019 avec l’engagement d’une procédure disciplinaire est parfaitement remplie.
Dans ces conditions, le pouvoir disciplinaire de la société KORIAN VILL’ALIZE n’était pas épuisé lorsqu’elle a notifié la mesure de licenciement et la procédure de licenciement litigieuse ne souffre par conséquent d’aucune irrégularité privant la sanction de toute cause réelle et sérieuse.
Il suit de là que le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a dit sans cause réelle et sérieuse le licenciement pour ce motif.
II-2 Le bien fondé du licenciement pour faute grave
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.
En l’occurrence, aux termes de la lettre de licenciement du 6 janvier 2020, il est reproché à Mme [Z] [W] d’avoir :
– méconnu les règles d’hygiène envers les résidents
– méconnu la toilette définie par le projet de soins avec le consentement de la personne et dans le respect de l’autonomie de celle-ci
– méconnu l’adaptation de sa communication à l’état psychologique des résidents ou à l’endroit des visiteurs de l’établissement
– méconnu les règles applicables en matière de change et de réfection des lits
– méconnu le principe de bienveillance dans la réalisation des soins au quotidien par une interrogation de sa pratique et sa confrontation avec le reste de l’équipe
La société KORIAN VILL’ALIZE fait valoir à l’appui de son appel que Mme [Z] [W] a été à l’origine de négligences graves constituant une forme de maltraitance pour les résidents et d’un comportement fautif, échelonnés entre le 6 septembre et le 26 novembre 2019 et attestés par de nombreux collègues.
Elle souligne que si elle n’a pas précédemment sanctionné la salariée pour des motifs similaires l’attention de celle-ci avait toutefois été appelée sur la nécessité de progresser en matière d’application des règles d’hygiène et de communication avec les résidents.
Mme [Z] [W] estime pour sa part que les attestations de collègues communiquées par la partie adverse sont de pure complaisance et dépourvues de toute force probante et réfute les faits qui y sont relatés. Elle s’étonne de n’avoir reçu, préalablement au licenciement, aucune observation orale ou écrite au sujet des griefs qui lui sont faits, pourtant qualifiés de récurrents et graves, et estime que ces reproches ont été “montés de toute pièce”, mettant en cause la loyauté de l’employeur qui s’est abstenu de l’aviser des difficultés qu’il repérait dans l’exercice de ses fonctions.
Elle considère en tout état de cause que les faits invoqués, à les supposer établis, relèveraient tout au plus d’une simple insuffisance professionnelle mais ne seraient en aucun cas constitutifs d’une faute grave.
Comme le rappelle à juste titre Mme [Z] [W], la charge de la preuve de la réalité des griefs invoqués incombe à l’employeur.
A titre liminaire, la salariée ne peut valablement affirmer qu’aucune observation ne lui avait été faite en lien avec les faits qui lui sont aujourd’hui imputés, dès lors qu’il ressort de ses compte-rendus d’entretien annuels d’évaluation que des difficultés sont pointées et des progrès attendus notamment dans les règles d’hygiène (‘doit davantage être rigoureuse dans les règles d’hygiène’ ) et de communication (‘communication difficile avec les familles’, ‘peut améliorer la prise en charge des résidents en évaluant les capacités préservées’).
Au soutien des griefs articulés à l’encontre de la salariée, la société KORIAN VILL’ALIZA communique six attestations de collègues de Mme [Z] [W], auxiliaires de vie, aide-soignantes ou infirmières, qui relatent avoir été témoin des faits suivants de la part de l’intéressée :
– le 13 novembre 2019, la salariée, qui couchait une résidente ayant souillé son lit, a refusé de changer les draps au motif qu’il était tard, qu’elle était fatiguée et qu’elle voulait rentrer chez elle et n’a pas prévenu lors du changement de service les aide-soignants de nuit, exigeant de sa collègue nouvellement en poste de les aviser elle-même
– la salariée crie régulièrement sur certains résidents comme M. [V], Mme [C]
– le 2 novembre 2019, la salariée a sèchement refusé de donner un morceau de gâteau à l’épouse d’un résident
– le 7 novembre 2019 la salariée a effectué une prise en charge de nursing seule dans la chambre du patient, contrevenant aux consignes visant au bien-être et à la sécurité des résidents, réitérées par l’infirmière qui l’a surprise dans cette situation
– le 26 novembre 2019, la salariée a effectué à nouveau des soins seule dans la chambre d’un résident et lui a notamment coupé les ongles. L’après-midi même l’infirmière qui l’avait surprise quelques heures auparavant a constaté que les dessous des ongles de ce résident étaient maculés de selles sèches
– port non systématique de gants et tablier à usage unique pour la toilette (constaté notamment les 7, 8, 16 et 17 novembre 2019 par Mme [H] [M]), en dépit des observations de ses collègues
– un lavage des mains non systématiquement réalisé lors des soins de nursing
– draps souvent tachés et non changés en cas de reprise de poste après le service de la salariée
La cour observe en revanche que, si le grief tenant à la consommation d’un plateau repas d’appoint le 3 septembre 2019 n’est pas prescrit comme le prétend la salariée, dès lors qu’il repose sur une attestation établie le 27 novembre suivant et que l’employeur, qui indique en avoir eu connaissance le 15 novembre 2019, a convoqué l’intéressée à un entretien préalable par courrier du 30 novembre 2019, il n’est pas établi par le seul témoignage évasif de Mme [P] [N], auxiliaire de vie.
De même, Mme [T] [X] n’a pu constater une absence de change des vêtements de certains résidents, a fortiori imputable à Mme [Z] [W], le 13 novembre 2019 alors qu’elle était en repos ce jour-là, comme en atteste le planning hebdomadaire des soins correspondant.
Les autres arguments avancés par la salariée pour priver de toute efficacité les témoignages susvisés apparaissent enfin inopérants, en particulier celui consistant à souligner qu’en huit ans d’ancienneté elle n’a fait l’objet d’aucune plainte ou récrimination de la part des résidents ou de leurs familles.
Pour autant, et avec ces quelques réserves, le surplus des faits ci-dessus énumérés sont dans leur ensemble, par la récurrence de certains et la gravité d’autres plus ponctuels, incontestablement constitutifs d’une faute grave en ce qu’ils portent atteinte au bien-être et à la sécurité des résidents et sont inconcevables de la part d’une soignante dont l’office est précisément de veiller à l’hygiène et au confort voire au réconfort moral des patients ou résidents sous la responsabilité du personnel infirmier.
L’argument de la salariée consistant à soutenir que Mme [H] [M] ayant débuté son service à 9 heures 30 les 7 et 8 novembre 2019 est inopérant dès lors qu’elle a parfaitement pu observer ce qu’elle relate en cours de matinée, dès lors que la fiche de poste des aide-soignantes du groupe KORIAN, communiquée aux débats prévoit, dans le déroulé des tâches quotidiennes, les toilettes et transferts des résidents dans les salons entre 9 heures 45 et 10 heures 15.
C’est encore en vain que Mme [Z] [W] estime que ces faits seraient tout au plus de nature a caractériser une insuffisance professionnelle, dans la mesure où compte tenu de la formation d’Etat dont elle a bénéficié et des consignes et rappels dont elle a fait l’objet de la part de ses collègues, elle a persévéré dans une pratique non compatible avec les exigences de sa profession, sans que ces manquements ne relèvent d’une inaptitude physique au poste ni d’une difficulté d’assimilation des consignes et process.
Il résulte des développements qui précèdent que le licenciement pour faute grave prononcé à l’encontre de Mme [Z] [W] est justifié, de sorte qu’elle doit être déboutée de ses entières demandes pécuniaires.
III- Sur les demandes accessoires
La cour observe que si Mme [Z] [W] évoque dans ses développements la mauvaise foi de son employeur en ce qu’il ne l’aurait pas alertée sur ses attentes avant de prononcer la mesure de licenciement, elle n’en tire aucune conséquence et ne forme notamment aucune demande de dommages-intérêts au titre d’un quelconque préjudice à ce titre.
Compte tenu de l’issue du présent litige, le Pôle Emploi sera débouté de ses prétentions formulées à l’encontre de la société KORIAN VILL’ALIZE portant sur le remboursement des allocations servies à Mme [Z] [W] et sur les frais irrépétibles.
Le jugement querellé sera infirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens.
L’équité commande de laisser à la charge des parties les frais irrépétibles qu’elles ont exposés en première instance et en appel. En revanche il y a lieu de condamner aux dépens de première instance et d’appel la salariée qui succombe en ses demandes et sa voie de recours.
PAR CES MOTIFS
La cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
INFIRME le jugement entrepris, sauf en ce qu’il déboute la salariée de sa demande de nullité du licenciement et de ses demandes de dommages-intérêts pour discrimination et licenciement nul.
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
DIT que le licenciement prononcé à l’égard de Mme [Z] [W] est fondé sur une faute grave.
DEBOUTE Mme [Z] [W] de ses demandes indemnitaires et en rappel de salaire.
DEBOUTE le Pôle Emploi de ses demandes formées à l’encontre de la SAS KORIAN VILL’ALIZE.
DEBOUTE Mme [Z] [W] et la SAS KORIAN VILL’ALIZE de leurs demandes sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
CONDAMNE Mme [Z] [W] aux dépens de première instance et d’appel.
Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le six juin deux mille vingt trois et signé par Christophe ESTEVE, Président de chambre, et Mme MERSON GREDLER, Greffière.
LA GREFFIÈRE, LE PRÉSIDENT DE CHAMBRE,