Mise à pied disciplinaire : 6 juillet 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/02436

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Mise à pied disciplinaire : 6 juillet 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 21/02436
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N° RG 21/02436 – N° Portalis DBV2-V-B7F-IZR6

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 06 JUILLET 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE ROUEN du 20 Mai 2021

APPELANTE :

Madame [F] [A]

[Adresse 3]

[Localité 2]

présente

représentée par Me Thierry LEVESQUES, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE :

S.A.S. CLINIQUE [4]

[Adresse 1]

[Localité 5]

représentée par Me Céline VERDIER de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS, avocat au barreau de l’EURE

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 17 Mai 2023 sans opposition des parties devant Madame BIDEAULT, Présidente, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame BIDEAULT, Présidente

Madame POUGET, Conseillère

Madame DE BRIER, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme DUBUC, Greffière

DEBATS :

A l’audience publique du 17 Mai 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 06 Juillet 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 06 Juillet 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

La société Clinique [4] (la société ou l’employeur) a pour activité la gestion de la clinique [4] située à [Localité 5] qui emploie plus de 300 salariés.

Mme [W] [A] (la salariée) a été embauchée par la société en qualité d’infirmière puéricultrice à compter du 29 janvier 2004 aux termes d’un contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel (75,83 heures par mois).

Par courrier en date du 12 juillet 2018, l’employeur a notifié à la salariée une mise à pied disciplinaire d’une journée pour manquements à ses obligations contractuelles, sanction contestée par la salariée par courrier du 17 juillet 2018.

La salariée a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 29 avril 2019 par lettre du 5 avril précédent puis licenciée pour insuffisance professionnelle par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 3 mai 2019 motivée comme suit :

‘Faisant suite à l’entretien préalable qui s’est tenu le lundi 29 avril 2019, nous vous informons que, malgré les informations que vous nous avez fournies, nous avons décidé de vous licencier pour insuffisance professionnelle.

A titre liminaire, et bien que les faits ci-dessous évoqués ne soient pas à l’origine du présent licenciement, nous tenons à vous rappeler que ce n’est malheureusement pas la première fois que nous avons dû constater vos carences dans l’exécution de vos fonctions.

Le 3 novembre 2016, vous avez ainsi été convoquée par lettre recommandée avec accusé de réception à un entretien avec la directrice des soins infirmiers, Mme [R] [D] et la responsable maternité Madame [Z] [O], destiné à ce qu’il vous soit rappelé les pratiques professionnelles adéquates afin de préserver la santé et la sécurité des patientes et des nouveau-nés.

Vous avez fait l’objet d’un rappel de ces pratiques professionnelles obligatoires le 13 mars 2017. Ce rappel avait donné lieu à l’établissement d’un compte rendu écrit et signé par vous-même aux termes duquel il vous était notamment reproché l’absence de traçabilité du travail effectué et l’absence d’établissement systématique du test de Guthrie pour les nouveau-nés.

Nous avons néanmoins dû constater que des deux rappels n’avaient manifestement pas été suffisants et vous avons de nouveau convoquée à un entretien fixé le 12 juillet 2017 avec la directrice des soins infirmiers Madame [R] [D] et la responsable maternité Madame [Z] [O].

L’objectif de ces trois entretiens était de réaliser auprès de vous un rappel des pratiques professionnelles, c’est à dire des exigences de travail nécessaires à la bonne prise en charge des patientes et des nouveau-nés. Le but de ces entretiens était ainsi de vous accompagner dans l’accomplissement de vos fonctions et de vous apporter les outils d’organisation de travail nécessaires à cela.

En dépit de ces précautions et constatant que manifestement vous ne teniez pas compte des pratiques professionnelles obligatoires qui sont indispensable à la préservation de la santé et sécurité des patientes et des nouveau-nés, nous avons été contraints de vous notifier une mise à pied disciplinaire d’une journée aux termes d’une lettre recommandée avec accusé de réception du 12 juillet 2018.

Il vous était alors reproché de ne pas avoir, à plusieurs reprises, en mai 2018, les 17, 18 et 26 mai, pris systématiquement les constantes sur les patientes et de ne pas effectuer non plus systématiquement les transmissions concernant les nouveau-nés sur, entre autres, la mise en oeuvre ou non du test de Guthrie.

Il en résultait une absence de traçabilité dans les dossiers de soin et un défaut de surveillance des patientes et des nouveau-nés.

C’est dans ces circonstances et dans notre volonté de vous aider à accomplir au mieux ces fonctions, que nous avons décidé d’initier un programme d’accompagnement pédagogique, consistant en une évaluation de vos compétences techniques et théoriques suivi d’une période de trois jours de tutorat par une sage-femme du 28 au 30 novembre 2018, dans le cadre de mises en situations professionnelles.

Ce programme visait à fixer les contours de l’accompagnement pédagogique que nous souhaitions mettre en oeuvre et vous permettre ainsi de bénéficier d’une formation personnalisée destinée à ce que vous disposiez de conseils et de l’aide nécessaire pour palier à toute difficulté dans l’exécution de vos fonctions après évaluation de celles-ci.

Le but était ainsi de vous accompagner afin de vous permettre une remise à niveau de vos compétences professionnelles.

En outre, nous vous avons inscrite à une formation sur les transmissions ciblées que vous avez suivie en février 2019, pour vous donner les moyens de parvenir à cet objectif.

Nous espérions que ces différentes actions vous permettraient de trouver le soutien souhaité et d’acquérir les réflexes professionnels indispensables à la préservation de la santé et de la sécurité des patientes et des nouveau-nés.

Nous avons malheureusement été contraints de constater que tel n’était pas le cas et nous nous sommes de nouveau aperçus que vous faisiez preuve de manquements s’agissant de la traçabilité des dossiers et d’un défaut d’organisation dans la prise en charge des patientes et des nouveau-nés, pouvant nuire gravement à leur santé et sécurité.

Ainsi, en dépit de tous les moyens mis en oeuvre par la clinique, vous n’avez pas su évoluer dans vos pratiques professionnelles.

Les raisons de notre décision vous sont exposées ci-après.

Tout d’abord, vous ne procédez pas systématiquement, comme il devrait l’être, aux mesures nécessaires pour permettre la traçabilité dans les dossiers de soins, ce qui est pourtant indispensable pour la préservation de la santé et de la sécurité des patientes et des nouveau-nés.

Ainsi, vous ne procédez pas systématiquement aux transmissions, en notant vos observations sur le support requis après avoir examiné les patientes après leur sortie de salle de naissance et au cours de leur séjour à la maternité qui s’en suit, ou pour permettre une traçabilité des administrations médicamenteuses effectuées.

A titre d’exemple, le 27 mars 2019, vous n’avez pas rempli le plan des soins de Madame [M]..

Vous ne procédez pas systématiquement non plus aux transmissions concernant les nouveaux nés, notamment concernant la mise en oeuvre ou non du test de Guthrie.

Cette carence, qui révèle un manque d’organisation important de votre part qui pourrait avoir des conséquences extrêmement graves sur la santé et la sécurité des patientes et des nouveaux nés, outre le fait que la responsabilité civile et pénale de la clinique pourrait ainsi être engagée.

En outre, vous ne prenez pas systématiquement les constantes des patientes.

Par ailleurs, les médicaments administrés ne sont pas toujours conformes aux prescriptions médicales, ne sont parfois tout simplement pas administrés ou pas tracés dans le dossier des patientes.

A titre d’exemple, l’administration médicamenteuse effectuée à Madame T. Le 27 mars 2019 et à Madame [M] n’a pas été tracée alors que cette dernière faisait l’objet d’une antibiothérapie prescrite depuis le 26 mars 2019.

A 16 heures, il était cette fois précisé que cette patiente a pris du Spasfon, du Doliprane et de l’Ibubrofène en une seule prise ce qui n’est pas conforme à la prescription médicale aux termes de laquelle le Paracétamol et l’Ibubrofène doivent être administrés en alternance.

Egalement, aucun médicament n’est administré et tracé s’agissant de Madame [H] le 27 mars 2019. L’Ibubrofène prescrit en systématique du 25 au 28 mars 2019 n’est pas administré.

De même l’administration médicamenteuse effectuée à Madame [L] le 30 mars 2019, deux jours postérieurement à sa césarienne, n’était pas conforme aux prescriptions médicales tant sur la répétition de l’administration de Paracétamol sans respect de la prescription maximale de 4g/24 heures, que sur la prescription de Profénid simultanée au Paracétamol alors que ces deux médicaments doivent être administrés en alternance.

Le support informatique prévoit pourtant les horaires indicatifs pour l’administration du Doliprane, afin d’aider les soignants dans leurs administrations médicamenteuses.

En outre, vous avez, s’agissant de cette même patiente, indiqué avoir donné du Tardyféron un comprimé la journée du 30 et un second la journée du 31, alors même qu’aucune prescription n’a été faite dans le dossier à ce sujet, les administrations ayant été effectuées en l’absence de prescription préalable par le médecin, ce qui était également le cas du Lansoyl.

Egalement, l’examen des patientes s’avère parfois incomplet ( EVA, EN, surveillance d’épisiotomies, information sur les selles, la montée de lait, l’examen de la poitrine, l’examen du périnée, information sur la présence ou non d’hémorroïdes, contrôle de la tension, les saignements etc ne sont pas systématiquement renseignés dans les dossiers médicaux des patientes).

A titre d’exemple, le 27 mars 2019 l’examen de Madame T à 12 heures était manifestement incomplet ( pas d’EVA, ni EN ni d’informations sur les selles, la miction, la montée de lait, les seins, l’examen du périnée, les hémorroïdes…). Vous n’avez pas non plus procédé à la surveillance de son épisiotomie et ne l’avez pas non plus tracée dans le dossier. Vous deviez repasser voir la patiente dans l’après midi et ne l’avez pas fait. L’infirmière du service du lendemain relate dans ses observations les propos de la patiente qui indique ne pas avoir été examinée la veille, alors qu’une épisiotomie inflammatoire a été constatée.

Le 27 mars 2019 également, vous n’avez effectué aucun examen complémentaire de Madame [M] à J1 de son accouchement, excepté sa prise de température. L’EVA de cette patiente n’a pas été noté.

Le 27 mars 2019, vous n’avez pas noté l’EVA de Madame [H] qui se trouvait à J2 de sa césarienne. Le plan de soin est vide sur cette journée alors que les prescriptions de prise en charge de césarienne sont faites en fonction de l’EVA.

Vous n’avez pas contrôlé sa tension à 18 heures après l’avoir vue à 12h25, ni ses saignements, ni revu sa cicatrice.

De même, le 31 mars 2019, lors du premier examen d’une patiente à J1 de son accouchement, vous n’avez pas examiné son périnée ni l’épisiotomie réalisée. L’examen était donc incomplet.

Par ailleurs, vous prenez parfois des initiatives, sans autorisation préalable, qui ne correspondent à aucune pratique du service et qui entraînent une véritable désorganisation du service.

A titre d’exemple, vous avez distribué le 22 mars dernier directement aux patientes les feuilles ‘vertes’ de sortie alors qu’en principe elles sont remises par le médecin après examen des patientes et des nouveau-nés. C’est ainsi que les patientes ont organisé leur sortie de la clinique dès le lendemain matin avant même le passage du pédiatre. Le service a été désorganisé dès lors que les dossiers sont clôturés à la sortie du patient et que le pédiatre ne peut plus y avoir accès ensuite. Nous avons dû comprendre d’où venait le dysfonctionnement informatique puis ouvrir à nouveau les dossiers informatisés des patients concernés.

Egalement, le personnel de nuit a par ailleurs noté à plusieurs reprises que vous restiez au sein du service après la fin de vos gardes sans que votre comportement ne puisse être justifié. Ainsi, par exemple, le 22 mars 2019, alors que vous deviez quitter le service à 19h45, vous n’êtes partie qu’à 23 heures. En outre, les patientes que vous prenez en charge sont vues tardivement le matin et en fin de journée. Cela démontre un manque d’organisation dans les soins en dépit de l’aide que vous apportent vos collègues, l’encadrement et la direction.

Au surplus, le 27 mars 2019, vous n’avez pas fait remplir par les patientes les feuilles PRADO de sortie, les documents d’information n’ont pas été donnés aux patientes et les consentements du dépistage génétique ( Guthrie) n’ont pas été signés.

Nous avons en outre appris que ces carences se produiraient régulièrement lors de vos gardes quand bien même vous avez été informée à plusieurs reprises de vos manquements en particulier sur ces points par vos collègues et par la responsable du service maternité.

En outre, vous aviez fait l’objet d’entretiens à ce sujet et il avait été mis en place à la suite de ceux-ci des feuilles de traçabilité que vous deviez remplir à chaque garde afin de vous permettre d’être exhaustive et de vous aider dans votre organisation. Cette traçabilité n’a toutefois duré que de juillet 2017 à mars 2018.

De plus, vous aviez également suivi une formation sur les transmissions ciblées en février 2019 et bénéficié d’un tutorat du 28 novembre au 30 novembre 2018.

Cette insuffisance professionnelle dont vous faites preuve est susceptible de porter atteinte à la santé et la sécurité des patientes et des nouveau-nés.

En outre vous prenez, par la carence dont vous faites preuve, le risque d’engager la responsabilité civile et pénale de la clinique.

En tout état de cause, ces carences manifestes en dépit de tous les moyens que nous avons mis en oeuvre aux fins que vous exerciez correctement vos fonctions, sont incompatibles avec le poste d’infirmière puéricultrice diplômée d’Etat que vous occupez actuellement au sein du service maternité de la clinique.

C’est la raison pour laquelle nous sommes contraints de procéder à votre licenciement.

En outre, nous vous dispensons d’effectuer votre préavis, lequel débutera à la date de première présentation de cette lettre et aura une durée de deux mois. Vous recevrez donc une indemnité compensatrice de préavis aux échéances normales de paie durant cette période. (…)’

Invoquant être victime d’un harcèlement moral, contestant la licéité et subsidiairement la légitimité de son licenciement et estimant ne pas avoir été remplie de ses droits au titre de la rupture de son contrat de travail, Mme [W] [A] a saisi le12 juillet 2019 le conseil de prud’hommes de Rouen, lequel, par jugement du 20 mai 2021 a :

– dit et jugé que la salariée n’avait pas été victime de harcèlement moral,

– dit et jugé que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse,

– débouté la salariée de ses demandes,

– débouté l’employeur de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la salariée aux dépens qui seraient partagés par moitié.

Mme [W] [A] a interjeté appel le 14 juin 2021à l’encontre de cette décision qui lui a été notifiée le 28 mai précédent.

La société Clinique [4] a constitué avocat par voie électronique le 7 juillet 2021.

Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 21 avril 2023, la salariée appelante sollicite l’infirmation du jugement entrepris et demande à la cour :

– à titre principal :

– de prononcer la nullité de son licenciement et de condamner son ancien employeur à lui verser la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, harcèlement moral et exécution défectueuse de contrat,

– à titre subsidiaire :

– de dire et juger son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et de condamner son ancien employeur au paiement de la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts,

– en tout état de cause, condamner la clinique [4] à lui verser la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et la condamner aux entiers dépens.

Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 30 novembre 2021, la société intimée, réfutant les moyens et l’argumentation de la partie appelante, sollicite pour sa part :

– à titre principal, la confirmation de la décision déférée en toutes ses dispositions et le débouté de l’intégralité des demandes formées par l’appelante,

– à titre subsidiaire, que le montant des dommages et intérêts pour licenciement nul soit limité à 6 mois de salaire soit 9 989,22 euros brut, que le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse soit limité à 3 mois de salaire soit 4 994,61 euros brut,

– en tout état de cause que la salariée soit condamnée au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture en date du 27 avril 2023 a renvoyé l’affaire pour être plaidée à l’audience du 17 mai 2023.

Il est expressément renvoyé pour l’exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d’appel aux écritures des parties.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1/ Sur le licenciement

A titre principal, la salariée soutient son licenciement entaché de nullité au regard du harcèlement moral subi et de la violation par l’employeur de son obligation de sécurité.

A titre subsidiaire, elle conteste la légitimité de son licenciement.

Sur la licéité du licenciement

Aux termes de l’article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale de compromettre son avenir professionnel.

L’article L 1154-1 du même code prévoit qu’en cas de litige, le salarié présente des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

La deuxième partie de ce texte présuppose que les éléments de fait présentés par le salarié soient des faits établis puisqu’il n’est pas offert à l’employeur de les contester mais seulement de démontrer qu’ils étaient justifiés.

La salariée soutient en l’espèce avoir été victime de harcèlement moral de la part de son employeur en ce que d’une part elle a été confrontée à une augmentation de sa charge de travail en raison de la réduction des effectifs présents en service, ceux-ci passant de 6 à 4 en 2015 et, d’autre part, en raison de la multiplication des convocations en entretiens avec ses supérieurs hiérarchiques depuis le changement de contexte de travail précisant que sur les 5 convocations, 4 étaient totalement informelles et une a conduit à une mise à pied. Elle affirme que ces entretiens avaient pour but systématique de remettre en cause le travail effectué, sans lui permettre d’avoir un échange, de répondre et de s’expliquer.

En outre, elle précise d’une part avoir signalé à plusieurs reprises à son employeur sa sitution de stress et de dénigrement et, d’autre part, avoir appris que sa situation avait fait l’objet d’une évaluation par le CHSCT sans qu’elle n’en soit préalablement informée, le prétendu rapport du CHSCT produit par l’employeur étant ‘scandaleux’ (sic) et parachevant la démonstration de sa situation de harcèlement moral puisqu’il n’est pas signé et n’indique pas les mesures concrètes mises en oeuvre par l’employeur.

Elle indique avoir déposé plainte devant le conseil de l’ordre des infirmiers à l’encontre de Mme [X], collègue de travail, qui s’était plainte d’elle à son employeur intialement par le biais d’une lettre anomyme.

Au soutien de ses allégations, la salariée produit :

– les convocations aux entretiens datées des 27 octobre 2016, 10 février 2017, 15 juin 2017, 30 mai 2018, 14 juin 2018,

– le courrier de notification de mise à pied disciplinaire du 12 juillet 2018, son courrier de contestation du 17 juillet 2018, la preuve de la réalisation des tests sanguins sur les enfants concernés en date du 7 août 2018, le courrier de maintien de sanction adressé par l’employeur le 2 août 2018,

– les courriers de son avocat adressés à l’employeur les 3 octobre 2018 et 26 novembre 2018 faisant état de sa situation de stress, d’agissements répétés constitutifs de harcèlement moral,

– les réponses de son employeur à son conseil en date des 18 octobre 2018 et 24 janvier 2019,

– un certificat médical en date du 17 novembre 2018 attestant de sa situation d’angoisse, de l’existence de ‘grosses ruminations anxieuses concernant son travail’,

– le compte-rendu de tutorat effectué du 28 novembre au 30 novembre 2018,

– le rapport d’enquête réalisé par les membres du CHSCT,

– la copie de ses arrêts de travail et de ses ordonnances médicales,

– une attestation établie par Mme [J] qui indique avoir reçu des soins post-accouchement la semaine du 3 au 8 décembre 2018 par plusieurs infirmières dont Mme [W], qui précise que la surveillance a été parfaitement réalisée et qu’elle n’a rien à reprocher à Mme [W], qu’elle a apprécié son professionnalisme, son dialogue, sa gentillesse et son écoute,

– le procès-verbal de conciliation effectué par le conseil de l’ordre des infirmiers entre elle, plaignante, et Mme [X], mise en cause, Mme [W] lui reprochant de l’avoir critiquée dans le cadre de son travail, de l’avoir dénoncée et d’avoir adressé à l’employeur des alertes à son sujet ; le procès verbal concluant que les deux parties s’entendent sur le fait que le litige relève de la compétence prud’homale.

Ces éléments établissent ainsi suffisamment des faits répétés qui, pris et appréciés dans leur ensemble, sont de nature à laisser présumer l’existence d’une situation de harcèlement moral en présence de laquelle l’employeur se doit d’établir que les comportements et faits qui lui sont reprochés étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

En réponse, l’employeur expose que la réorganisation des services en 2015 a été mise en oeuvre sous le pilotage d’un comité dédié au sein duquel siégeait des membres du CHSCT et du comité d’entreprise, le médecin du travail et deux ergonomes. Il précise qu’un groupe de réflexion a été mis en place auprès de chaque service impacté afin d’identifier les besoins, que la salariée, à l’instar de ses collègues a bénéficié dans ce cadre d’un entretien individuel, d’entretiens collectifs, d’action de formation et notamment d’une période de formation interne par la mise en place de doublons systématiques au sein de son service.

L’employeur verse aux débats la propostion du cabinet de conseil en ergonomie, le compte rendu des réunions du comité de pilotage, le compte- rendu de la réunion du service maternité du 12 novembre 2015.

La clinique, qui indique que les carences professionnelles de la salariée ont été constatées sur un long terme, verse aux débats les copies des entretiens annuels d’évaluation de la salariée pour l’année 2017, les comptes-rendus des entretiens de rappel des pratiques professionnelles des années 2016 et 2017, le programme de l’action de tutorat personnalisé mise en place au profit de la salariée en novembre 2018, observant que la salariée déclarait être ‘heureuse d’avoir suivi ce stage’.

L’employeur verse aux débats le rapport circonstancié établi le 2 avril 2019 par Mmes [D], directrice des soins et [O], responsable maternité, faisant état des manquements constatés dans l’exercice par la salariée de ses missions.

Il produit enfin le rapport rédigé par les membres du CHSCT suite à l’enquête réalisée en juin 2018 en raison de la plainte pour harcèlement moral exprimée par Mme [W] [A].

Ce rapport conclut à l’existence de difficultés rencontrées par la salariée dans l’exercice de ses missions, à l’absence de remise en question de sa part en dépit de nombreux avertissements, au fait que les salariées du service ont tenté de pallier à ses difficultés afin d’assurer la continuité des soins, du fait que l’équipe a décidé d’écrire un courrier d’alerte à l’employeur pour avoir une preuve écrite des problèmes encourus dans le service à cause de Mme [W] [A].

Les éléments produits par l’employeur suffisent à contester utilement les pièces versées aux débats par la salariée appelante.

La clinique établit ainsi que la réorganisation des services en 2015 et plus spécifiquement celle du service maternité au sein duquel exerce la salariée, a été effectuée en concertation avec les salariés, leurs représentants et qu’elle n’a pas été à l’origine d’une surcharge de travail spécifique pour l’appelante.

L’employeur justifie en outre que lors de son entretien d’évaluation du 28 décembre 2017, Mme [W] [A] se déclarait satisfaite de l’évolution de son poste résultant de la réorganisation en ce qu’elle indiquait ‘être satisfaite de prendre en PEC mère et enfant’.

La clinique démontre que les entretiens auxquels a été convoquée la salariée étaient justifiés par ses carences professionnelles, qu’ils n’ont pas tous donné lieu à des sanctions, que des formations et action de tutorat ont été organisées pour permettre à l’appelante d’être soutenue.

L’employeur établit enfin que le comportement de Mme [W] [A] a été source de stress et de désorganisation au sein du service maternité.

Cette présomption de harcèlement est par conséquent renversée par l’employeur qui verse aux débats des éléments propres à établir que les faits et agissements qui lui sont imputés sont étrangers à toute forme de harcèlement et procèdent d’un exercice normal de ses prérogatives.

Ainsi, par confirmation du jugement déféré, il est jugé que les faits de harcèlement moral dénoncés par la salariée ne sont pas établis.

La cour constate que la salariée invoque au soutien de sa demande de nullité du licenciement, le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

Cependant, à le supposer avéré, un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité n’a pas pour conséquence d’entraîner la nullité du licenciement prononcé.

En conséquence, au vu de ces éléments, il y a lieu de débouter la salariée de sa demande de nullité du licenciement.

Sur la légitimité du licenciement

Pour constituer une cause légitime de rupture, l’insuffisance professionnelle doit être établie par des éléments objectifs, constatée sur une période suffisamment longue pour ne pas apparaître comme passagère ou purement conjoncturelle, être directement imputable au salarié et non la conséquence d’une conjoncture économique difficile ou du propre comportement de l’employeur.

L’insuffisance professionnelle ou de résultats constituant en principe des causes réelles et sérieuses de licenciement, les principes dégagés en la matière concernant la charge de la preuve, à savoir charge de la preuve en principe partagée mais risque de la preuve reposant sur l’employeur par application de la règle posée par l’article L.1235-1 du code du travail, selon laquelle le doute doit profiter au salarié trouvent à s’appliquer.

En l’espèce, au titre de l’insuffisance professionnelle, l’employeur reproche à la salariée une carence relative à la traçabilité des soins, un défaut de prise systématique des constantes des patientes et des nouveaux nés ainsi qu’un examen incomplet, l’administration de médicaments non conforme aux prescriptions médicales ou l’administration de médicaments sans prescription, la prise d’initiative de nature à désorganiser le service.

Concernant la carence dans les transmissions, l’employeur verse aux débats les feuilles de transmission des patientes [M] et H.

Il apparaît que le plan de soins de Mme [M] n’a pas été rempli le 27 mars 2019, aucune administration médicamenteuse n’étant notée, le document produit mentionnant Mme [W] [A] comme infirmière en charge du suivi.

La feuille de transmission de Mme H n’a pas été renseignée au titre des médicaments administrés le 27 mars 2019 alors même qu’il ressort du document que la patiente devait prendre un traitement prescrit par le docteur [C].

Concernant le défaut de prise systématique des constantes des patientes et la réalisation d’un examen incomplet, l’employeur verse aux débats la feuille de transmission de Mme T qui ne mentionne pas à la date du 27 mars 2019 de renseignements concernant l’EVA, l’EN, les selles, les mictions, la montée de lait, les hémorroïdes ni d’examen des seins et du périnée. Seuls sont signalés dans le document de transmission la surveillance du globe utérin et les saignements.

Il ressort du rapport établi par Mmes [D] et [O], respectivement directrice des soins et responsable maternité que la patiente a confirmé ne pas avoir été examinée par Mme [W] [A] le 27 mars.

L’employeur établit en outre que le même jour la patiente Mme [P] n’a été vue qu’à 18 heures et que seul le relevé de sa température a été effectué.

Il résulte du rapport établi par Mmes [D] et [O] que le 27 mars, la salariée n’avait que 7 patientes en charge.

La clinique établit que le 31 mars la salariée a pris en charge Mme [N] à J1 de son accouchement et qu’aucune mention relative au périnée ou à l’épisiotomie pratiquée ne figure dans la feuille de transmission.

Il résulte des éléments produits que la salariée n’a pas respecté les préconisations relatives à l’administration des médicaments aux patientes.

Ainsi, la feuille de transmission de Mme [M] mentionne l’administration simultanée en une prise de Doliprane et d’Ibubrofène, ces deux médicaments devant être pris à plusieurs heures d’écart.

Le 30 mars 2019, il résulte de la feuille de transmission de Mme [L] que la salariée lui a administré du Doliprane à 11h05 puis de nouveau à 11h28, en contradiction avec la prescription médicale, malgré les risques de surdosage.

Il ressort également du rapport de Mmes [D] et [O] que le 22 mars, la salariée a distribué les feuilles de sortie aux patientes alors que celles-ci doivent être remises par le médecin après examens de la mère et de l’enfant, ce dont il a résulté une désorganisation au sein du service.

A l’inverse, elles notent au sein de leur rapport que le 27 mars les feuilles de sortie n’étaient pas pré remplies, que les consentements au dépistage génétique Guthrie n’étaient pas signées par les patientes, précisant que ces éléments se produisent à chaque garde de Mme [W] [A].

Ces éléments établissent ainsi l’insuffisance professionnelle de la salariée.

Si cette dernière conteste cette insuffisance, il y a lieu de constater qu’elle ne verse pas aux débats d’éléments de nature à remettre utilement en cause les pièces produites par l’employeur.

La clinique établit en outre avoir mis à la disposition de la salariée des moyens d’adaptation et de formation.

A la suite des différents entretiens de rappels des pratiques professionnelles, la salariée a bénéficié d’une action de tutorat en novembre 2018 ainsi que d’une formation sur les transmissions ciblées en février 2019.

La cour constate que la salariée s’est déclarée satisfaite d’avoir suivi le programme de formation en novembre 2018 et qu’elle indiquait au sein de son courrier du 29 avril 2019 qu’elle pensait s’être ‘améliorée par rapport à ce qu’on lui reprochait’, ce qui tend à établir qu’elle avait conscience d’une partie de ses insuffisances.

Au regard des éléments produits, il convient de tenir pour établie l’insuffisance professionnelle de la salariée et de retenir par conséquent l’existence d’une cause réelle et sérieuse de licenciement.

La salariée doit par conséquent être déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement illégitime.

Le jugement est confirmé de ce chef.

2/ Sur les dépens et frais irrépétibles

La salariée appelante qui succombe doit être condamnée aux entiers dépens.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la clinique les frais non compris dans les dépens qu’elle a pu exposer. Il convient en l’espèce de condamner la salariée appelante dans la présente instance à lui verser la somme de 300 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel.

Il n’apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la salariée les frais irrépétibles exposés par elle.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement, en dernier ressort ;

Confirme en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud’hommes de Rouen du 20 mai 2021 ;

Y ajoutant :

Condamne Mme [F] [W] [A] à verser à la société Clinique [4] la somme de 300 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel ;

Rejette toute autre demande ;

Condamne Mme [F] [W] [A] aux dépens d’appel.

La greffière La présidente

 


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