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PC/PR
ARRÊT N° 420
N° RG 21/01041
N° Portalis DBV5-V-B7F-GHOC
[T]
C/
S.A.S. SYPAVER
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE POITIERS
Chambre Sociale
ARRÊT DU 06 JUILLET 2023
Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 mars 2021 rendu par le Conseil de Prud’hommes de LA ROCHELLE
APPELANTE :
Madame [V] [T]
née le 20 septembre 1973 à [Localité 5] (78)
[Adresse 1]
[Localité 2]
Ayant pour avocat plaidant Me Claudy VALIN de la SCP VALIN COURNIL, avocat au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT
INTIMÉE :
S.A.S. SYPAVER
N° SIRET : 332 746 825
[Adresse 3]
[Localité 4]
Ayant pour avocat postulant Me Jean-Pierre GUILLO de la SELAS ORATIO AVOCATS, avocat au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT
Ayant pour avocat plaidant Me Aurélie DORANGES de la SELAS ORATIO AVOCATS, avocat au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 05 avril 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président
Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente
Madame Valérie COLLET, Conseillère
qui en ont délibéré
GREFFIER, lors des débats : Madame Patricia RIVIÈRE
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile que l’arrêt serait rendu le 1er juin 2023. A cette date, le délibéré a été prorogé au 6 juillet 2023.
– Signé par Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président, et par Madame Patricia RIVIÈRE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
Mme [V] [T] a été engagée le 20 septembre 1999 en qualité de caissière par la société Sypaver, exploitant à [Localité 4] un supermarché sous l’enseigne Super U, et un magasin dédié aux loisirs sous l’enseigne U Loisirs.
Dans le dernier état de la relation de travail, Mme [T] exerçait ses fonctions en alternance entre le magasin Super U et le magasin U Loisirs, pour un salaire moyen de 1 723,21 € brut.
Mme [T] s’est vue notifier par lettre remise en main propre le 15 novembre 2019 une convocation à entretien préalable à sanction disciplinaire compte-tenu de ses agissements fautifs, entretien fixé au 18 novembre 2019.
Victime d’une crise de tétanie sur son lieu de travail, Mme [T] a été conduite aux urgences et s’est vue prescrire un arrêt de travail, prorogé jusqu’au 28 janvier 2022, date à laquelle le médecin du travail a établi un avis d’inaptitude avec dispense de reclassement sur la base duquel elle s’est vue notifier, par LRAR du 28 février 2022, son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Par LRAR du 22 novembre 2019 faisant suite à l’entretien du 18 novembre 2019, l’employeur a notifié à Mme [T] une mise à pied disciplinaire de trois jours, du 27 novembre au 29 novembre 2019, pour avoir utilisé la carte ‘cash back’ à plusieurs reprises pendant ses heures de travail au U Loisirs depuis le mois de février 2019, bénéficiant de la remise de 2% créditée directement sur son compte bancaire sur des montants non justifiés par des achats réels, alors que la carte ‘cash back’ est personnelle et que ne peuvent être crédités que des achats réalisés par le titulaire du compte.
Sur contestation de Mme [T], l’employeur a, par LRAR du 16 décembre 2019, maintenu la sanction au regard de la gravité des faits constatés.
Par acte reçu le 3 février 2020, Mme [T] a saisi le conseil de prud’hommes de La Rochelle d’une action en annulation de la mise à pied disciplinaire et en résiliation judiciaire du contrat de travail .
Par jugement du 29 mars 2021, le conseil de prud’hommes de La Rochelle a :
– débouté Mme [T] de sa demande d’annulation de sa mise à pied disciplinaire et de sa demande de rappel de salaire à ce titre,
– débouté Mme [T] de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail et de toutes ses demandes à ce titre,
– dit que la relation contractuelle se poursuit et, de fait, débouté Mme [T] de toutes ses autres demandes,
– débouté les parties du surplus de leurs demandes,
– condamné Mme [T] aux dépens.
Mme [T] a interjeté appel de cette décision selon déclaration transmise au greffe de la cour le 30 mars 2021.
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du magistrat de la mise en état en date du 8 mars 2023.
Au terme de ses dernières conclusions remises et notifiées le 25 mai 2022, Mme [T] demande à la cour, d’infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, et, statuant à nouveau :
1 – sur la mise à pied disciplinaire notifiée le 22 novembre 2019 :
– de prononcer l’annulation de la mise à pied disciplinaire en date du 22 novembre 2019,
– de condamner la SAS Sypaver – Super U à lui rembourser les sommes de 69,78 € en remboursement du salaire prélevé au titre de la mise à pied et 6,97€ à titre d’incidence sur congés payés,
– considérant le préjudice moral et psychologique subi sous tous ses aspects, en raison de la sanction indûment infligée et de la persévérance de la présidente de la SAS Sypaver – Super U, malgré ses protestations à l’entretien préalable puis par courrier, de vouloir la maintenir sachant les graves répercussions qu’elle aurait sur son état de santé mais aussi sur sa réputation au sein de l’entreprise comme dans le village de [Localité 4],
– considérant la véritable flétrissure sociale par elle subie,
– de condamner la SAS Sypaver – Super U à lui verser une somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, sur le fondement de l’article 1240 du code civil,
2 – Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la SAS Sypaver – Super U :
– de constater, tant au vu de la lettre de dénonciation de la sanction disciplinaire et des motifs par elle allégués dans son courrier du 29 novembre 2019 que du refus verbal par la présidente de la SAS Sypaver – Super U, à l’occasion de l’entretien préalable, réitéré le 16 décembre 2019, de lui donner les éléments lui permettant d’organiser sa défense, la persistance dans la mauvaise foi de cet employeur,
– vu la preuve administrée de façon indubitable par la communication de l’intégralité des relevés de l’unique compte bancaire dont elle est titulaire pour la période de février 2017 au 30 octobre 2019 et les décomptes par elle établis pour cette période de la remise due, vu l’absence de vérification de la première liste communiquée par ‘cash-back world partner’, le 12 décembre 2019, pour la période du 1er juillet 2019 au 30 octobre 2019, présentant de nombreuses inexactitudes et anomalies et, surtout, le véritable scénario monté contre elle par la présidente de la SAS Sypaver – Super U avec l’aide de son fils, directeur de Super U Loisirs et celle de sa collaboratrice la plus proche, tendant à vouloir faire d’elle une hôtesse d’accueil capable de manier l’informatique et de dévier, sur son compte bancaire, des remises dues à des clients suite aux achats effectués par eux, malgré l’absurdité de l’accusation à l’origine d’un tel scénario chaque client ayant à coeur de bénéficier de la remise qui lui est due pour chaque achat,
– de juger que, pris dans leur ensemble, ces éléments justifient la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la SAS Sypaver – Super U,
– de condamner la SAS Sypaver – Super U à lui verser les sommes de :
> 3 446,42 € à titre d’indemnité de préavis,
> 344,42 € à titre d’indemnité de congés payés sur préavis,
> 10 626,46 € à titre d’indemnité de licenciement,
> 27 571,36 € à titre de l’indemnité de l’article L.1235-3 du CT,
> avec intérêts de droit à compter du jour de la demande,
– de condamner la SAS Sypaver – Super U à lui verser une somme de 5000 € au titre de l’article 700 du C.P.C., outre les entiers dépens.
Par conclusions du 23 août 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, la SAS Sypaver demande à la cour :
1 – à titre principal :
– de constater que la mise à pied disciplinaire est parfaitement justifiée,
– de constater que Mme [T] ne justifie pas d’un manquement suffisamment grave de nature à rendre impossible la poursuite du contrat de travail,
– de constater que Mme [T] n’apporte aucun élément de nature à établir qu’elle aurait subi des agissements de harcèlement moral,
– de constater que Mme [T] ne justifie nullement d’un préjudice moral et psychologique en lien avec une quelconque faute de la société Sypaver,
– de confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de La Rochelle du 29 mars 2021 en ce qu’il a débouté Mme [T] de sa demande de réouverture des débats, de sa demande d’annulation de la mise à pied disciplinaire, de sa demande de rappel de salaire, de sa demande de résiliation judiciaire, de sa demande d’indemnité de licenciement, de sa demande d’indemnité compensatrice de préavis, de sa demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, du surplus de ses demandes,
– de débouter Mme [T] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral,
2 – à titre subsidiaire :
– de débouter Mme [T] de sa demande d’indemnité de licenciement,
– de débouter Mme [T] de sa demande d’indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents,
– de débouter Mme [T] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral,
– de limiter à trois mois de salaire la quantum de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– de condamner Mme [T] à lui payer la somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
– de condamner Mme [T] à lui payer la somme de 5 000 € au titre de l’article 700 du C.P.C. ainsi qu’aux dépens.
MOTIFS
Après rappel des dispositions des articles L1333-1, L1333-2 et L 1235-1 al. 6 du code du travail, Mme [T] expose en substance :
– que la S.A.S. Sypaver a monté un scénario consistant à prétendre que, puisque des remises ont été versées sur son compte ‘cash-back’ alors qu’elle était à son poste de travail au moment où les achats correspondants ont été réalisés, elle se les était accordées de manière frauduleuse,
– que tous faits antérieurs au mois de février 2019, visés comme point de départ dans la lettre d’avertissement, doivent être écartés des débats,
– que la fiabilité des listings établis par l’organisme Cash Back World Partner (pièces 3 et 12 de l’intimée) relativement aux achats effectués entre le 1er juillet 2019 et le 30 octobre 2019 et entre le 10 février 2017 et le 12 novembre 2019 doit être appréciée au regard des erreurs mentionnant le premier (six achats réalisés en dehors de cette période) et des diverses annulations mentionnées sur le deuxième,
– que l’affirmation selon laquelle il existe une contradiction entre le fait qu’elle figurait parmi les plus importants bénéficiaires du système cash-back et qu’elle ne faisait ses courses dans le magasin que pour de petits montants n’est étayée par aucun élément et repose sur une analyse faussée à la base, ne prenant en compte qu’une partie de ses relevés bancaires et faisant référence à des périodes de durées différentes,
– que l’intimée ne démontre pas en quoi un achat fait sur place pendant l’horaire de travail serait anormal alors qu’elle ne produit pas de règlement intérieur interdisant cette pratique,
– que l’historique de ses relevés de compte établit qu’elle n’a pas procédé à des achats pour les montants mentionnés dans les listings précités,
– que l’hypothèse selon laquelle elle aurait utilisé à son avantage les outils informatiques (ordinateur du poste d’accueil) manque de crédibilité dès lors qu’il n’est pas démontré qu’elle a pu s’attribuer artificiellement des achats en vue d’obtenir une remise cash back,
– que l’attestation [D] (pièce 12 de l’intimée) selon laquelle les enregistrements effectués entre février 2017 et novembre 2019 ont été facturés et les avantages y afférents mis à la disposition de la cliente et versés sous forme de virements bancaires se heurte au fait qu’elle n’a été affectée au U Loisirs qu’à compter de début 2019 alors que précédemment elle travaillait dans le magasin central Super U au poste de caissière, sans accès au poste accueil qui était tenu par une autre employée à laquelle les clients se présentaient pour faire enregistrer leurs achats en vue de bénéficier de la remise ‘cash back’,
– que si elle s’était appropriée fictivement les achats réalisés par des clients en vue de bénéficier à leur place d’une remise cash-back, ceux-ci n’auraient pas manqué de poser une réclamation et que si elle avait réalisé des achats fictifs pour obtenir une remise indue, il eut été aisé de la confondre au moyen des stocks tenus informatiquement, toutes preuves non produites par la S.A.S. Sypaver,
-que l’examen des relevés de compte bancaire par elle produits en cause d’appel établit qu’elle percevait mensuellement un virement ‘Lyoness Europe Ag’ correspondant à la remise cash-back calculée sur la base des achats réglés au moyen de la carte Super U dont elle était titulaire,
– que les tableaux manuscrits réalisés à partir de ses relevés de compte bancaire faisant apparaître ses achats, le montant de la remise qu’ils doivent engendrer (sur la base d’un taux de 5 % expressément mentionné dans le tableau Excel produit par l’intimée et établi par Cash Back World Partner, pièce 5 de l’intimée) et le montant de la remise effectivement perçue établissent que ces remises correspondent, peu ou prou, compte-tenu de distorsions dans les deux sens, au montant des achats par elle effectués,
La S.A.S. Sypaver soutient, pour l’essentiel :
– que le programme Cash Back permet aux clients du magasin de percevoir directement sur leur compte bancaire un pourcentage des dépenses réalisées, à concurrence de 2% de leur montant, l’organisme prestataire prélevant une commission de 3%,
– que lors d’un contrôle en interne il est apparu que Mme [T] figurait parmi les plus importants bénéficiaires du système alors qu’elle ne faisait ses courses dans le magasin que pour de petits montants,
– que le montant des achats enregistrés sur le compte cashback de Mme [T] est important (12 783,30 €) pour la période comprise entre février 2017 et novembre 2019 et particulièrement élevé (plus de 5 500 €) depuis le début de l’année 2019, à compter de son affectation régulière au magasin U Loisirs,
– que le rapprochement entre les plannings de la salariée (pièce 6) et les dates et heures des achats enregistrés sur son compte cash back démontre que celle-ci n’a pu effectuer les achats ayant donné lieu à remboursement puisque réalisés pendant son temps de travail et que la lecture des relevés de compte bancaire de l’appelante établit que le total des dépenses enregistrées chaque mois sur sa carte cash-back ne coïncide pas avec le total des sommes débitées sur son compte bancaire (pièce 23, tableau comparatif du relevé My Worl France et des relevés bancaires de Mme [T]),
– que ce constat résulte non d’un bug informatique mais d’une manipulation volontaire consistant à enregistrer son numéro de carte cash-back ou son numéro de téléphone portable suite aux achats effectués par des clients,
– que les clients souhaitant faire créditer leur cash-back suite à leurs achats doivent en faire la demande auprès de l’accueil du magasin principal ou du U Loisirs et sont alors enregistrés sur l’ordinateur par la personne présente à l’accueil après présentation de leur justificatif d’achat, que Mme [T] occupait fréquemment seule ce poste lorsqu’elle se trouvait au magasin U Loisirs et avait librement accès à l’ordinateur (dont les codes d’accès étaient affichés à côté de l’appareil ainsi que l’établissent des photographies, pièce 15 et des attestations de salariés, pièces 16 à 19) sur le lequel elle pouvait enregistrer sur le logiciel dédié les achats réalisés par des clients ou des achats imaginaires sous ses références,
– que la présence de Mme [T] à l’accueil et la possibilité pour elle d’utiliser l’ordinateur sont établies par deux attestations de collègues de travail, Mme [K] (pièce 10 : Mme [T] a occupé le poste d’hôtesse d’accueil occasionnellement lors de mes remplacements de pause déjeuner au sein du magasin, compte-tenu de son ancienneté et de sa bonne relation avec nos clients, nous avons décidé en accord avec ma direction et le sien de lui proposer le poste accueil/caisse au U Loisirs pour les remplacements de vacances des collaborateurs) et Mme [J] (pièce 11: Mme [T] a travaillé au U Loisirs pour le remplacement de mes collaborateurs au poste d’hôtesse de caisse. Elle avait aussi accès à l’ordinateur qui se trouve à côté de la caisse pour effectuer les différentes tâches dont les cash-back des clients) et de l’attestation de M. [R], directeur du U Loisirs et fils de la gérante de la société Sypaver (pièce 13: responsable du U Loisirs de sa création en 2018 jusqu’à la fin 2019, j’ai proposé à Mme [T] d’intégrer l’équipe du U Loisirs lors des remplacements des congés payés. Du fait d’une gêne à une cheville(ou un pied) elle restait obligatoirement à la caisse et à l’accueil du U Loisirs où j’ai donné l’autorisation aux personnes qui encaissent de créditer le cash-back aux clients pour éviter de perdre du temps. Mme [T] avait donc bien l’autorisation de créditer le cash-back ce qu’elle a fait quant elle a travaillé au U Loisirs),
– qu’il n’est pas nécessaire de scanner un ticket de caisse pour rentrer dans le logiciel cash-back le montant des achats qui peut être rentré manuellement directement sur le compte du client afférent,
– que du fait de ces manipulations; Mme [T] a pu obtenir des remboursements de cash-back directement sur son compte bancaire comme cela ressort du courriel d’un salarié de la société Cash-Back World (M. [D]) et de l’extrait de compte cash-back de Mme [T] y annexé (pièce 8),
– que l’hypothèse d’une défaillance informatique technique est exclue par l’attestation de la société gestionnaire du système (pièce 12),
– que si le prestataire prélève effectivement 5 % sur les sommes dépensées par les clients, seulement 2 % sont reversés sous forme de cash-back, les 3 % restants étant la rémunération du prestataire, le versement des cash-back intervenant dès lors que les montants cumulés atteignent 10 € (extrait site internet My World pièce 21),
– que les calculs effectués par Mme [T] sur la base d’un pourcentage de cash-back de 5% des achats sont ainsi erronés et que le tableau récapitulatif versé aux débats (pièce 23 précitée) établit qu’il a été versé à Mme [T] une somme totale de 112,21 € pour la période janvier à novembre 2019 pour un montant global d’achats de 709,10 € qui eût justifié un cash-back de 14,18 €, le montant total des achats renseignés sur le compte cash-back de l’intéressée s’établissant à 5 476,77 €.
SUR CE,
Il doit être constaté que la cour n’est saisie, par le dispositif des conclusions de l’appelante, d’aucune demande tendant au prononcé de la nullité du jugement, seule sanction des manquements des premiers juges, allégués par Mme [T] dans les motifs de ses conclusions, aux dispositions des articles 455 du C.P.C. et 6-1 de la CEDH, de sorte qu’il s’agit d’un moyen non abouti (dans le sens où il ne sous-tend aucune prétention utile) sur lequel la cour n’a pas à statuer.
Il doit être rappelé, s’agissant de la contestation d’une mise à pied disciplinaire :
– que la procédure disciplinaire est définie par les articles L 1332-1 et suivants du code du travail,
– qu’en application des articles L 1333-1 à L 1333-3 du code du travail, le juge doit vérifier en cas de litige la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction et qu’il peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée,
– que l’employeur doit fournir les éléments retenus pour prendre la sanction, et au vu de ceux fournis par le salarié à l’appui de ses allégations, le juge forme sa conviction, après avoir ordonné en cas de besoin toutes les mesures qu’il estime utiles et que, si un doute subsiste, il profite au salarié.
En l’espèce, la S.A.S. Sypaver fait grief à Mme [T] d’avoir utilisé sa carte cash-back à plusieurs reprises pendant ses heures de travail au U Loisirs depuis le mois de février 2019 et d’avoir bénéficié de la remise de 2% créditée directement sur son compte bancaire sur des montants non justifiés par des achats réels.
La société Sypaver produit (pièce 23) un tableau synoptique ‘récapitulatif’, opérant, pour la période litigieuse, la synthèse des relevés de compte bancaire produits par Mme [T] (pièces 43 à 53 de l’appelante) et de la liste des achats enregistrés sur son compte cash-back (pièce 8 de l’intimée).
Ce tableau détaille :
– mois par mois :
> les paiements enregistrés sur le compte cash-back de l’intéressée (avec pour chacun, indication des montants du prélèvement opéré par le gestionnaire du système, soit 5% du montant de l’achat, et du reversement client, soit 2 % dudit montant),
> les paiements correspondants apparaissant sur les relevés de compte bancaire de Mme [T] (date d’opération, montant),
> les virements Lyoness (date et montant) effectués au profit du compte de Mme [T],
– à compter de juillet 2019, les horaires de travail de Mme [T] au U Loisirs et l’heure d’enregistrement de l’achat ouvrant droit au bénéfice de la remise.
Ce tableau fait apparaître de nombreux achats inscrits sur le compte cash-back de Mme [T] auxquels ne correspond aucun débit sur son compte bancaire (pour un montant global de 4 457,47 € sur la période considérée).
Mme [T] ne fournit aucune explication convaincante sur cette situation objectivement caractérisée, étant considéré :
– que la question de sa capacité à financer les achats litigieux est sans incidence dès lors qu’il lui est reproché d’avoir enregistré sur son compte cash-back des achats fictifs,
– qu’elle n’allègue ni n’établit que son compte cash-back aurait été utilisé par un tiers, à son insu et/ou qu’elle aurait réglé des achats en espèces,
– que les diverses attestations produites par l’employeur, objectivement confirmées par les photographies de l’accueil du magasin U Loisirs, établissent qu’elle avait librement accès au poste informatique gérant le logiciel cash-back,
– que la seule annulation (pour laquelle est utilisé le terme ‘cancelled’) mentionnée sur la pièce 12 à la date du 12 octobre 2019 correspond, non à une erreur de traitement du système ‘cash-back’ mais à une erreur de saisie initiale du montant de l’achat (9 545 €) immédiatement corrigée par l’opérateur, lequel a enregistré le véritable montant (95,45 €), de sorte que cette circonstance ne remet pas en cause la fiabilité du document,
– que l’argument tiré d’un taux de remise (5%) supérieur à celui (2%) invoqué par la société Sypaver est également inopérant, les remboursements perçus par Mme [T] au titre de la période concernée (87,96 €) étant supérieurs aux remises dont elle aurait pu bénéficier au titre de ses achats effectifs (679,43 €), tant sur la base d’un taux de 2 % (13,58 €) que sur celle d’un taux de 5 % (33,97 €), constatation confirmant l’existence d’enregistrements sur le compte de Mme [T] d’achats fictifs,
– que Mme [T] ne produit aucun élément probant objectivement vérifiable à l’appui de l’allégation selon laquelle elle aurait été victime d’un complot.
Le caractère minime du profit retiré par Mme [T] n’est pas de nature à priver les faits qui lui sont reprochés par l’employeur de leur gravité, en ce qu’ils entraînent perte de la nécessaire confiance devant exister dans les relations de travail et la sanction disciplinaire prononcée doit être considérée comme justifiée et proportionnée.
Mme [T] sera en conséquence déboutée de sa demande d’annulation de la mise à pied disciplinaire du 22 novembre 2019 et de ses demandes subséquentes en paiement du salaire prélevé au titre de la mise à pied et des congés payés afférents et de sa demande en indemnisation de préjudice moral et psychologique, Mme [T] ne démontrant pas que la sanction a été prononcée dans des conditions brutales et/ou vexatoires.
Mme [T] sera par ailleurs déboutée de sa demande tendant à voir prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur, exclusivement fondée sur l’illégitimité de la sanction disciplinaire prononcée à son encontre.
La S.A.S. Sypaver sera déboutée de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour procédure abusive, à défaut de justification d’une faute lourde, seule de nature, à l’exception de la faute dolosive, à caractériser un abus dans l’exercice de son droit fondamental de poursuivre en justice la défense de ses intérêts.
L’équité ne commande pas de faire application de l’article 700 du C.P.C. en faveur de l’une quelconque des parties, s’agissant tant des frais irrépétibles exposés en première instance que de ceux exposés en cause d’appel.
Mme [T] sera condamnée aux entiers dépens d’appel et de première instance.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :
Vu le jugement du conseil de prud’hommes de La Rochelle en date du 29 mars 2021,
Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions,
Y ajoutant :
– Déboute la S.A.S. Sypaver de sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive,
– Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du C.P.C. en faveur de l’une quelconque des parties en cause d’appel,
– Condamne Mme [T] aux dépens d’appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,