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Arrêt n° 379
du 31/05/2023
N° RG 22/00735
MLS/FJ
Formule exécutoire le :
à :
COUR D’APPEL DE REIMS
CHAMBRE SOCIALE
Arrêt du 31 mai 2023
APPELANT :
d’un jugement rendu le 24 février 2022 par le Conseil de Prud’hommes de REIMS, section Commerce (n° F 19/00193)
Monsieur [S] [P]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Julie COUTANT, avocat au barreau de REIMS
INTIMÉE :
SARL POMPES FUNEBRES DE FISMES
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par la SELARL OCTAV, avocats au barreau de REIMS
DÉBATS :
En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 5 avril 2023, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller faisant fonction de président, chargé du rapport, qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 31 mai 2023.
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller faisant fonction de président
Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller
Madame Isabelle FALEUR, conseiller
GREFFIER lors des débats :
Monsieur Francis JOLLY, greffier
ARRÊT :
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller faisant fonction de président, et Monsieur Francis JOLLY, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
M. [S] [P] a été embauché à compter du 1er septembre 2014 par la SARL Pompes funèbres de Fismes dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée en qualité de marbrier.
Il bénéficie de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé depuis le 1er avril 2011.
Le 26 novembre 2018, une mise à pied disciplinaire de trois jours lui a été notifiée pour non-réalisation du travail demandé.
Par avis du 18 décembre 2018, le médecin du travail a déclaré M. [S] [P] apte avec aménagement du poste.
Le 18 janvier 2019, M. [S] [P] a été victime d’un accident de travail et placé en arrêt de travail jusqu’au 25 mars 2019.
Le 4 février 2019, il a été licencié pour faute grave.
Contestant le bien fondé de son licenciement, M. [S] [P] a saisi, le 24 avril 2019, le conseil de prud’hommes de Reims de demandes en nullité de la rupture ainsi qu’en paiement de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité.
Par jugement du 24 février 2022, le conseil de prud’hommes a jugé que la SARL Pompes funèbres de Fismes n’avait pas respecté son obligation de sécurité, l’a condamnée au paiement des sommes de 2 000,00 euros à titre de dommages- intérêts à ce titre et de 300,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et a débouté M. [S] [P] du surplus de ses demandes, débouté l’employeur de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et l’a condamné aux dépens avec les frais d’exécution forcée.
Le 28 mars 2022, M. [S] [P] a interjeté appel du jugement en ce qu’il l’a débouté de ses demandes tendant à faire dire nul son licenciement et à faire condamner l’employeur à lui payer diverses sommes à titre de dommages et intérêts, d’indemnité de licenciement, d’indemnité compensatrice de préavis avec congés payés afférents, de paiement des salaires retenus pendant la mise à pied conservatoire avec congés payés afférents, de remboursement de prélèvements injustifiés, de remise du bulletin de paie du mois de mai 2018 et de documents de fin de contrat.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 6 mars 2023.
Exposé des prétentions et moyens des parties
Par conclusions notifiées par voie électronique le 17 novembre 2022, auxquelles il sera expressément renvoyé pour plus ample exposé du litige, l’appelant sollicite l’infirmation du jugement des chefs l’ayant débouté de ses demandes tendant à :
– faire annuler la mise à pied disciplinaire prononcée le 26 novembre 2018 ;
– faire juger nul son licenciement ;
– faire condamner la SARL Pompes funèbres de Fismes à lui régler les sommes de :
230,00 euros à titre de rappel de salaire au titre de la mise à pied disciplinaire,
1 000,00 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice né de la mise à pied injustifiée,
20 901,00 euros à titre de dommages- intérêts pour nullité du licenciement,
2 438,50 euros à titre d’indemnité de licenciement,
6 270,45 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
627,04 euros à titre de congés payés afférents,
879,75 euros à titre de rappel de salaire au titre de la période de mise à pied conservatoire,
87,97 euros à titre des congés payés afférents,
397,65 euros pour prélèvements injustifiés sur ses bulletins de paie de février 2019,
3 000,00 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– faire condamner sous astreinte l’employeur à lui remettre le bulletin de paie de mai 2018 et les documents de fin de contrat rectifiés,
– faire condamner la SARL Pompes funèbres de Fismes aux dépens et au paiement d’une indemnité de l’article 700 du code de procédure civile.
Il demande à la cour :
– d’annuler la mise à pied disciplinaire prononcée le 26 novembre 2018 ;
– de juger nul son licenciement ;
– de condamner la SARL Pompes funèbres de Fismes à lui régler les sommes suivantes
. 230,00 euros à titre de rappel de salaire au titre de la mise à pied disciplinaire,
. 1 000,00 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice né de la mise à pied injustifiée,
. 20 901,00 euros à titre de dommages- intérêts pour nullité du licenciement,
. 2 438,50 euros à titre d’indemnité de licenciement,
. 6 270,45 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
. 627,04 euros à titre de congés payés afférents,
. 879,75 euros à titre de rappel de salaire au titre de la période de mise à pied conservatoire,
. 87,97 euros à titre des congés payés afférents,
. 796,02 euros pour prélèvements injustifiés sur ses bulletins de paie de janvier et février 2019,
. 3 000,00 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– de condamner la SARL Pompes funèbres de Fismes à lui remettre ses documents de fin de contrat rectifiés ;
– de débouter la SARL Pompes funèbres de Fismes de son appel incident.
Au soutien de ses prétentions, il fait valoir que la SARL Pompes funèbres de Fismes ne rapporte pas la preuve des faits reprochés au soutien de son licenciement dès lors qu’elle s’appuie sur des attestations imprécises ou de complaisance. Il ajoute qu’en tout état de cause, l’employeur a attendu trois semaines pour réagir, ce qui enlève toute gravité à la faute alléguée.
Il soutient également que l’employeur ne justifie pas les griefs qui ont motivé la sanction disciplinaire et s’appuie sur les dires de son co-équipier illettré.
Il prétend que l’employeur a prélevé sur ses salaires de janvier et de février 2019, des sommes liées à des cotisations à la complémentaire santé bénéficiant aux ayant droit, sans justificatif sur l’affiliation, son caractère obligatoire ou facultatif et sur le taux de participation de l’employeur. Dans le cas d’une prise en charge par l’employeur à hauteur de 50 % il soutient que le prélèvement est excessif et génère une créance de remboursement de 796,02 euros.
Il reproche à l’employeur de ne pas avoir respecté les restrictions médicales et ainsi d’avoir méconnu son obligation de sécurité.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 19 décembre 2022, auxquelles il sera expressément renvoyé pour plus ample exposé du litige, l’intimée, par infirmation partielle du jugement sur les chefs le condamnant au paiement de dommages et intérêts et d’une indemnité de l’article 700 du Code de procédure civile, sollicite le débouté de M. [S] [P] en l’ensemble de ses demandes et sa condamnation au paiement de la somme de 2 000,00 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, elle prétend rapporter la preuve des faits reprochés à l’appui de la mise à pied disciplinaire et du licenciement et fait valoir que celui-ci est sans lien avec l’accident du travail, lequel de surcroît n’aurait pas été porté à sa connaissance.
Sur la retenue sur solde de tout compte, elle affirme qu’il s’agit d’une régularisation de cotisations au titre de la complémentaire santé.
Sur l’obligation de sécurité, elle fait valoir que M. [S] [P] ne rapporte pas la preuve des manquements qu’il invoque et qu’il ne justifie d’aucun préjudice.
Motifs de la décision :
Au préalable, il sera noté que le salarié n’a pas fait appel principal du rejet de ses demandes liées à la sanction disciplinaire et que l’employeur, qui a demandé confirmation de ce point, n’en a donc pas fait non plus appel incident.
Par conséquent, ces prétentions ne sont pas dévolues à la cour.
En outre, alors que le salarié a interjeté appel du chef du jugement le déboutant de sa demande de remise du bulletin de paie du mois de mai 2018, il ne réitère pas sa demande en appel de sorte que le jugement sera confirmé sur ce point.
1 – l’exécution du contrat de travail
– Sur la demande en dommages-intérêts au titre du manquement à l’obligation de sécurité
M. [S] [P] reproche à son employeur un manquement à son obligation de sécurité qui a entraîné une dégradation de son état de santé et la survenance de son accident du travail.
En effet, il a été victime d’un accident du travail le 18 janvier 2019 en glissant au moment où il portait un cercueil. S’en sont suivies des lésions de type lombalgies.
Il convient de rappeler que la juridiction prud’homale et la cour statuant en appel de celle-ci n’ont pas compétence pour statuer sur la réparation des préjudices résultant de maladies professionnelles ou d’accidents du travail ; elles ont en revanche compétence pour juger des manquements de l’employeur dans ses obligations contractuelles et notamment pour juger du respect de l’obligation de sécurité, à condition qu’il en découle un préjudice distinct non lié à une maladie professionnelle ou un accident de travail.
Il sollicite à la fois la réparation des préjudices résultant de son accident du travail et celle d’un préjudice consécutif à des conditions de travail qui auraient contribué à dégrader son état de santé.
La cour est donc compétente pour statuer sur ce second préjudice.
L’employeur, tenu à une obligation de sécurité, s’agissant d’une obligation de moyen renforcée doit assurer la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise. Il doit en assurer l’effectivité en prenant les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, en justifiant avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L4121-1 et L4121-2 du code du travail, qu’elles soient préventives ou correctives.
S’agissant des mesures préventives, il incombe à l’employeur de prévenir, par des moyens adaptés, tout risque lié non seulement à l’exécution de la prestation de travail, mais également à l’environnement professionnel dans lequel elle s’exécute.
En l’espèce, M. [S] [P] souffrait de lombalgie chronique et de dermite de contact au ciment. Il a fait l’objet d’un avis d’aptitude avec restrictions le 18 décembre 2018. Ainsi, le médecin du travail a recommandé un aménagement du poste pour éviter le port de charges supérieures à 15 kg et a formulé une contre-indication au contact du ciment.
Dans la plainte déposée à l’encontre d’un salarié ayant témoigné en faveur de M. [P], l’employeur a indiqué aux services de police que M. [S] [P] ‘touchait du ciment une fois par semaine’. Il a précisé avoir constaté des lésions sur les mains de son salarié et précisé ‘s’il voulait éviter de toucher le ciment il pouvait demander à son collègue de le manipuler’.
Il est donc établi que l’employeur n’a pas pris les mesures nécessaires pour préserver la santé de son salarié, malgré les recommandations du médecin.
M. [S] [P], en raison des lésions dont il était porteur, a souffert physiquement en raison de la manipulation de ciment et en raison de port de charges lourdes, jusqu’à l’accident du travail qui l’a mis en arrêt de travail.
En conséquence, le préjudice qu’il a subi entre le 18 décembre 2018 et le 18 janvier 2019 sera réparé entièrement par la somme de 2 000,00 euros allouée par le conseil de prud’hommes dans son jugement qui sera confirmé sur ce point.
– Sur les sommes prélevées sur les bulletins de paie de janvier et février 2019
Le bulletin de paie de janvier 2019 mentionne un prélèvement de 398,37 euros et celui de février 2019, un prélèvement de 1 250,25 euros.
La SARL Pompes funèbres de Fismes soutient que ces prélèvements correspondent à une régularisation de cotisations au titre de la complémentaire santé pour l’affiliation de l’épouse de M. [S] [P], pour la période courant d’avril 2015 à décembre 2018.
La charge de la preuve du paiement du salaire appartient à l’employeur.
En conséquence, il lui appartient de justifier du bien-fondé des prélèvements effectués sur ce dernier.
Or, il produit les appels de cotisation de l’organisme d’assurance mutuelle pour M. [P] et pour son conjoint également affilié à compter de janvier 2016.
En application des accords conventionnels attachés à la convention collective nationale des pompes funèbres, l’employeur participe à hauteur de 50 % au paiement des cotisations dues pour la couverture santé du salarié, lequel garde en revanche à sa charge l’intégralité des cotisations pour son conjoint.
Sur la période de janvier 2016 à février 2019, le salarié aurait du être prélevé d’une somme totale de 2 433,26 euros. Avec les régularisations contestées, les prélèvements se montent à 2 430,65 euros.
En conséquence, M. [S] [P] sera, par confirmation du jugement, débouté de sa demande de remboursement des prélèvements qui ne sont pas injustifiés comme il le soutient.
2 – la rupture du contrat de travail
Il résulte de l’application des dispositions des articles L 1226-9 du code du travail que le contrat de travail du salarié, victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, ne peut être rompu par l’employeur que s’il justifie soit d’une faute grave du salarié soit de son impossibilité de maintenir ce contrat, pour un motif étranger à l’accident ou à la maladie.
La faute grave, dont la charge de la preuve incombe à l’employeur, telle qu’énoncée dans la lettre de licenciement dont les termes fixent le cadre du litige soumis à l’appréciation des juges du fond se définit comme un fait ou un ensemble de faits, imputables au salarié, caractérisant de sa part un manquement tel aux obligations découlant de la relation de travail que son maintien dans l’entreprise, pendant la durée du préavis, s’avère impossible.
En l’espèce, la lettre de licenciement reproche à M. [S] [P] un état d’ébriété sur le lieu de travail, le 24 décembre 2018, au surplus constaté par une cliente, ainsi qu’une consommation d’alcool sur les lieux de travail le 18 janvier 2019 alors qu’il avait été mis à pied à titre conservatoire.
Par courrier du 11 janvier 2019, une cliente signalait à la SARL Pompes funèbres de Fismes s’être retrouvée face à deux ouvriers présents au funérarium le 24 décembre 2018 dans ‘un état d’ébriété très avancé’ , termes soulignés dans le courrier ‘pour ne pas dire complètement ivre quasi incapable de mettre un pied devant l’autre’ et précisait ‘je me suis empressée de retourner à mon véhicule sans mettre recueilli par peur’.
Un salarié atteste avoir ‘pu constater l’état d’ébriété (mots inintelligibles, perte d’équilibre, yeux perdus, phrases incohérentes)’ de M. [S] [P] et d’un autre salarié le 24 décembre 2018 vers 17 h 30 et en avoir averti l’employeur.
Ces documents sont précis, concordants et circonstanciés.
Si les attestations produites par M. [S] [P] et émanant de membres de sa famille, ne sont pas du fait de ce seul lien familial dépourvues de toute force probante, il n’en demeure pas moins qu’elles doivent être examinées avec circonspection, et ne peuvent être revêtues d’une force probante suffisante que si elles sont corroborées par des éléments objectifs. Ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
Les faits du 24 décembre 2018 sont dont établis au contraire des faits du 18 janvier 2019 qui ne ressortent d’aucune pièce.
Un tel comportement, au surplus constaté par une cliente, dans un contexte particulièrement difficile et douloureux pour elle et l’empêchant de se recueillir auprès du défunt en raison de la peur qui en a résultée, constitue une faute grave rendant impossible le maintien de M. [S] [P] dans l’entreprise. Le délai de réaction de l’employeur qui a été informé des faits dès le 24 décembre 2018, n’est pas de nature à ôter au grief la qualification de faute grave. En effet, c’est le 11 janvier 2019 que l’employeur a reçu la plainte d’une cliente, matérialisant ainsi l’impact du comportement du salarié sur la clientèle. En convoquant le salarié à un entretien préalable à licenciement le 18 janvier 2019, l’employeur a réagi promptement.
La décision déférée sera en conséquence confirmée, par substitution de motifs, en ce qu’elle a débouté M. [S] [P] en l’ensemble de ses demandes liées à la rupture du contrat de travail y compris la remise des documents de fin de contrat rectifiés.
3 – les autres demandes
Compte tenu des termes de la présente décision, il n’est pas inéquitable de laisser à chacune des parties la charge de ses propres dépens et frais irrépétibles de première instance et d’appel. Le jugement sera donc infirmé sur ces points.
Par ces motifs :
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Infirme le jugement déféré en ce qu’il a condamné l’employeur à prendre en charge les dépens et à payer au salarié la somme de 300,00 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
Confirme le surplus du jugement en ses chefs dévolus à la cour,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Rejette les demandes en remboursement des frais irrépétibles de première instance et d’appel,
Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER LE CONSEILLER