Mise à pied disciplinaire : 31 mai 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 20/00055

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Mise à pied disciplinaire : 31 mai 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 20/00055
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COUR D’APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE – SECTION A

————————–

ARRÊT DU : 31 MAI 2023

PRUD’HOMMES

N° RG 20/00055 – N° Portalis DBVJ-V-B7E-LMSU

SAS CETEC INDUSTRIE Conditionnement

c/

Monsieur [V] [D]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 09 décembre 2019 (R.G. n°F 18/00109) par le Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de BERGERAC, Section Industrie, suivant déclaration d’appel du 06 janvier 2020,

APPELANTE :

SAS Cetec Industrie Conditionnement, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 1]

N° SIRET : 711 980 334 00033

représentée par Me Christophe JOLLIVET de la SELARL AGORAJURIS, avocat au barreau de PERIGUEUX

INTIMÉ :

Monsieur [V] [D]

né le 04 Juillet 1976 à [Localité 2] de nationalité Française Profession : Mécanicien, demeurant [Adresse 3]

assisté et représenté par Me Frédérique POHU PANIER, avocat au barreau de PERIGUEUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 04 avril 2023 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente, et Madame Sylvie Tronche, conseillère chargée d’instruire l’affaire,

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [V] [D], né en 1976, a été engagé en qualité d’assembleur monteur systèmes mécanisés par la SAS Cetec industrie conditionnement (ci après dénommée la société Cetec industrie), par contrat de travail à durée déterminée à compter du 1er juin 1999. La relation de travail s’est ensuite poursuivie dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée à compter du 1er décembre 1999.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des industries métallurgiques et connexes de la Dordogne.

Par courrier en date du 9 octobre 2012, la société a notifié au salarié une mise à pied disciplinaire de deux jours pour avoir affiché un dessin grossier.

En décembre 2012, le salarié a été nommé par le syndicat CGT, représentant de la section syndicale au sein de l’entreprise. Il a, par la suite, été élu délégué du personnel en décembre 2014.

Le 19 mars 2013, la société a notifié un avertissement à M. [D] pour des propos tenus à l’égard d’un membre de l’encadrement et l’exécution d’un travail personnel avec le matériel de l’entreprise.

Le salarié a été placé en arrêt de travail du 19 août 2013 au 31 août 2013.

Le 17 octobre 2013, M. [D] a saisi le conseil de prud’hommes de Périgueux aux fins d’annulation de sanctions disciplinaires et de condamnation de son employeur à lui régler des dommages et intérêts pour harcèlement moral et discrimination syndicale et salariale.

Par jugement de départage du 9 juillet 2015, la juridiction prud’homale a rejeté les demandes de M. [D] relatives aux sanctions disciplinaires, a constaté l’existence de faits de harcèlement moral commis par la société Cetec à l’encontre de ce dernier et a condamné l’employeur à lui verser des dommages et intérêts pour harcèlement moral.

La cour d’appel de Bordeaux a confirmé le jugement par arrêt du 13 septembre 2017.

Une procédure a également été introduite devant la chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Périgueux, donnant lieu à un jugement du 10 novembre 2017 qui a condamné M. [R], directeur général de la société, au paiement de diverses sommes pour s’être rendu coupable d’entrave au bon fonctionnement du comité d’entreprise, d’entrave à l’exercice des fonctions de délégué du personnel, d’entrave à l’exercice des fonctions d’un inspecteur ou contrôleur du travail, et d’entrave au fonctionnement du CHSCT.

M. [R] est ensuite devenu conseiller prud’homal à Périgueux.

Le 19 juin 2017, la société a adressé un avertissement à M. [D] auquel il était reproché d’avoir mis trop de temps pour monter une machine. Le salarié l’a contesté par courriers des 26 juin et 2 août 2017. L’employeur a confirmé ladite sanction le 30 août 2017.

Par courrier du 28 novembre 2017, la société a convoqué M. [D] à un entretien préalable fixé au 11 décembre 2017. Le 26 décembre 2017, elle lui a notifié une mise à pied de deux jours, que le salarié a contestée. L’employeur a maintenu ladite sanction.

Il était reproché au salarié un affichage sur son établi.

Demandant l’annulation des sanctions prononcées à son encontre les 19 juin et 26 décembre 2017 ainsi que des indemnités subséquentes et des dommages et intérêts pour procédures disciplinaires abusives, M. [D] a saisi le 18 juin 2018 le conseil de prud’hommes de Périgueux.

Par jugement du 8 octobre 2018, ce dernier s’est déclaré incompétent sur le fondement de l’article 47 du code de procédure civile, et a renvoyé la cause devant le conseil de prud’hommes de Bergerac.

Saisi le 8 novembre 2018, celui-ci a, par jugement de départage rendu le 9 décembre 2019 :

– annulé comme étant non fondés ou disproportionnés l’avertissement et la mise à pied disciplinaire prononcés les 19 juin et 26 décembre 2017 par la société Cetec industrie à l’encontre de M. [D],

– condamné la société Cetec industrie à payer à M. [D] la somme de 180,36 euros à titre de rappel de salaire sur les deux jours de mise à pied, outre 18,04 euros au titre de l’indemnité de congés payés afférente,

– condamné la société Cetec industrie à payer à M. [D] la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts,

– dit que lesdites sommes produiront intérêts au taux légal à compter du 18 juin 2018, avec capitalisation,

– condamné la société Cetec industrie à payer à M. [D] la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– ordonné l’exécution provisoire du présent jugement,

– condamné la société Cetec industrie aux dépens.

Par déclaration du 6 janvier 2020, la société Cetec industrie a relevé appel de cette décision.

Parallèlement, au mois de décembre 2019, la société Cetec a saisi le tribunal judiciaire de Périgueux pour solliciter l’annulation de la désignation de M. [D] en tant que délégué syndical. Le tribunal a rejeté cette demande.

La société a par ailleurs demandé l’autorisation de l’inspecteur du travail pour licencier M. [D] pour faute grave. Le 9 septembre 2021, l’inspectrice du travail a refusé.

Enfin, une procédure est actuellement pendante devant la cour d’appel de Bordeaux suite au jugement du conseil de prud’hommes de Bordeaux du 26 octobre 2022 ayant débouté M. [D] de sa demande de reclassification, ayant dit que M. [D] a subi une discrimination salariale du fait de son appartenance syndicale et ayant condamné l’employeur à diverses sommes subséquentes.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 24 septembre 2020, la société Cetec industrie demande à la cour de :

– dire les sanctions prononcées à l’encontre de M. [D] les 19 juin 2017 et 26 décembre 2017 justifiées,

– rejeter en conséquence tout rappel de salaire sur mise à pied disciplinaire et dommages-intérêts pour sanctions abusives,

– rejeter toute autre demande,

– condamner M. [D] à verser à la société Cetec industrie, la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 6 mars 2023, M. [D] demande à la cour de’:

– confirmer le jugement de départage du conseil de prud’hommes de Bergerac du 9 décembre 2019, sauf en ce qu’il a condamné la société Cetec industrie à régler à M. [D] la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi,

Statuant à nouveau,

– condamner la société Cetec industrie à régler à M. [D] la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait des procédures disciplinaires abusives,

Y ajoutant,

– condamner la société Cetec industrie à régler à M. [D] la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure en appel,

– dire que toutes les sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter de la demande en justice,

– autoriser M. [D] à capitaliser les intérêts échus par application de l’article 1343-2 du code civil,

– condamner la société Cetec industrie aux dépens, en ce compris ceux éventuels d’exécution.

La médiation proposée aux parties le 11 mai 2022, par le conseiller de la mise en état, n’a pas abouti.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile ainsi qu’à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande d’annulation de sanctions disciplinaires

Aux termes de l’article L.1331-1 du code du travail, constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération.

L’article L.1333-2 du même code dispose que le conseil de prud’hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.

Sur l’avertissement du 19 juin 2017

La société a notifié un avertissement relatif au temps de montage à M. [D], par lettre du 19 juin 2017, ainsi rédigée :

“En fin d’année 2016, nous avons vendu la fermeuse FBL d’exposition au groupe Soufflet semences car il demandait une machine sous un délai très court pour le site de Roumanie.

Nous avons alors décidé de relancer une machine spécialement pour le salon Interpack, du 4 au 10 mai 2017, soit 5 mois plus tard.

Nous avions alors théoriquement tout le temps, car c’est une machine avec un délai court.

Le montage de cette nouvelle fermeuse vous a été confié.

Une semaine environ avant l’envoi de la fermeuse FBL pour le salon, on m’indique que la machine n’est pas terminée et ne peut être exposée au salon.

Dans l’urgence, nous avons donc décidé de démonter une autre machine d’une ligne de production en court de montage et de l’équiper pour partir au salon.

Cette opération nous a occasionné 2 jours de travail, a eu pour effet de ralentir l’assemblage final de la ligne et nécessité de plus 1 jour de remontage sur la ligne de production au retour du salon.

Occupé à l’organisation du plus grand salon mondial du packaging – interpack, je n’ai pas eu le temps d’analyser les causes exactes de ce retard.

De retour du salon, j’ai donc demandé à partir de la saisie des rapports journaliers de travail, de m’extraire le temps passé sur cette machine et le temps passé sur les autres machines de ce même type, pour des affaires comparables.

Les conclusions sont les suivantes : le temps de montage par rapport à des machines similaires est bien supérieur.

En moyenne, le temps de montage d’un FBL est de l’ordre de 70 heures, avec réglage et mise en route mécanique (hors automatisme).

Dans le cas de la machine 16039 que vous avez montée, nous sommes à 138 heures, hors réglage mécanique lié à la mise en route et les tests.

Cette situation est incompréhensible, sachant qu’il s’agit d’une machine simple, standard, (plus de 10 machines de cette conception et plus de 60 de ce modèle), et sans défaut de montage lié à la conception ou à la fabrication (aucun carton vert rempli par vos soins pendant le montage).

En 138 heures, il était possible de monter 2 machines et non une seule. En plus du temps passé et perdu, cela représente aussi une perte commerciale certaine sachant qu’une machine FBL est notre machine la plus rentable, vendue 70 000 € avec une marge importante de l’ordre de 30 %.

A défaut d’explication justifiant un tel écart, et la faiblesse tout à fait anormale de rendement, je me vois contraint de vous adresser le présent avertissement”.

M. [D] a contesté l’avertissement à deux reprises ; la société l’a confirmé.

La société Cetec industrie conclut à l’anormalité fautive du temps de montage de M. [D] sur la machine fermeuse FBL dans la mesure où le temps de montage, de réglage et de mise en route normal avoisine les 70 heures alors que l’intimé a monté cette machine en 138 heures, hors réglages et tests.

Selon l’ employeur, il importe peu que le salarié ait été un temps placé en arrêt maladie dès lors qu’ il disposait largement du temps nécessaire.

La société argue également du fait que M. [D] a toujours su qu’une telle machine devait être montée en moins de 100 heures, ce qui lui a été indiqué

verbalement par un collègue, M. [U], propos retranscrit par M. [D] lui même dans son cahier professionnel.

L’appelant fait valoir que l’urgence du montage avait été signifiée à M. [D] dans le cahier des délégués du personnel en avril 2017 par la mention de la nécessité de réaliser des heures supplémentaires.

La société indique par ailleurs que M. [D] ne démontre pas avoir réalisé d’autres tâches (SAV, rangement) l’empêchant de réaliser le montage demandé et que de surcroît, au regard de son expérience, ce montage n’aurait pas dû lui poser de difficultés, M. [D] ayant notamment l’expérience de nombreuses machines en SAV et ayant réalisé le montage de l’ancêtre de la fermeuse FBL en 2008.

Par ailleurs, la société mentionne la mise à disposition de plans de montage que le salarié pouvait consulter et rappelle la mise en place des “cartons verts” pour signaler les difficultés (retards – problème mécanique – défaut de conception) ce dont l’intimé ne s’est pas emparé pour le montage litigieux.

Le temps de ce montage résulte par conséquent d’une faute et d’une négligence délibérée de M. [D] selon la société qui a sanctionné ce dernier de façon proportionnée.

Demandant la confirmation de l’annulation de cette sanction disciplinaire par la cour, le salarié intimé conclut tout d’abord à son annulation en raison du fait que la faiblesse de rendement qui lui est reproché relève d’une insuffisance professionnelle qui ne peut être sanctionné disciplinairement en ce qu’elle n’est pas en lien avec une faute de sa part.

Par ailleurs, M. [D] indique ne pas avoir bénéficié de cinq mois pour le montage de la fermeuse dans la mesure où il a été placé en arrêt de travail du 16 décembre 2016 au 20 février 2017.

Il fait également état du fait que le montage de cette machine n’était pas aussi simple que le prétend l’employeur, d’autant qu’il effectuait ce montage pour la première fois. Le salarié remet en cause les pièces produites par la société pour justifier du temps normal de montage de cette fermeuse, ces dernières ne permettant pas de démontrer que les salariés visés ont travaillé seuls ni qu’il s’agissait de leur premier montage.

Il ajoute que seules dix machines de ce type ont été montées en 2015 au sein de la société et que ce n’était pas un montage de machine standard.

M. [D] mentionne aussi qu’il n’y a pas lieu, comme le fait l’employeur, de distinguer le temps de montage du temps de réglage, chaque assembleur-monteur travaillant de manière distincte pour ces deux types de tâches.

L’intimé soulève aussi l’absence de prise en compte des difficultés qu’il a rencontrées et qui ont eu un impact sur son temps de montage.

Estimant que la société appelante ne démontre pas que le temps passé au montage de la fermeuse était anormal, M. [D] sollicite donc l’annulation de cet avertissement.

Ce dernier met aussi en avant le fait qu’il ne savait pas que cette machine devait être prête pour le salon et des délais à respecter de sorte qu’il a donné priorité à d’autres de ses missions telles le SAV et qu’en tout état de cause, sa hiérarchie était informée du travail qu’il effectuait quotidiennement et n’a pas suivi le montage de cette fermeuse.

Enfin, M. [D] soutient que la société a délibérément voulu le mettre en difficulté, alors même que la qualité de son travail fait l’objet de très bonnes notations, en lui confiant ce montage alors qu’il était en arrêt maladie sans l’informer des délais et de la tenue du salon, qu’il n’avait jamais monté une telle machine à la différence de ses collègues, qu’aucun salarié n’a été désigné pour venir travailler avec lui et achever le montage dans les délais et qu’elle était destinée à un salon important.

Il n’est pas contesté par les parties que M. [D] réalisait le montage d’une machine fermeuse FBL pour la première fois, que 138 heures lui ont été nécessaires et qu’il a été placé en arrêt de travail du 16 décembre 2016 au 20 février 2017.

Tout d’abord, pour justifier que le salarié était informé que le montage qu’il réalisait était destiné au salon Interpack et qu’un délai contraint était dès lors imposé, la société produit une capture d’écran – dont l’origine est inconnue- indiquant les dates du salon ainsi qu’un bordereau d’expédition du 25 avril comprenant le matériel acheminé pour le salon.

Ces éléments ne permettent pas de démontrer que M. [D] était informé du délai de réalisation du montage et de sa destination.

Il sera au surplus relevé que le courrier d’avertissement fait état d’une prise de décision du montage de cette fermeuse pour le salon Interpack de mai 2017, en fin d’année 2016 sur une période où M. [D] était placé en arrêt de travail.

Par ailleurs, l’intimé ne justifie d’aucun suivi de ce montage, le président de la société expliquant même “une semaine environ avant l’envoi de la fermeuse FBL pour le salon, on m’indique que la machine n’est pas terminée et ne peut être exposée au salon”.

Dès lors, c’est en vain que la société prétend en page 17 de ses écritures qu’elle a sollicité de l’intimé la réalisation d’heures supplémentaires en vue de tenir les délais de montage pour le salon.

En outre, la seule mention “heures supplémentaires demandées à M. [D]. merci”, datée du 6 avril 2017, dans le cahier des délégués du personnel est insuffisante pour le démontrer.

Si le temps de montage d’une machine importante pour ce salon avait été contrôlé , la société aurait ainsi pu affecter un autre salarié pour venir en aide à M. [D] et tenir les délais que l’entreprise s’était fixée plutôt que de démonter une autre machine et de l’équiper pour le salon tel que décrit dans le courrier du 19 juin 2017.

La cour souligne au demeurant que le temps passé par M. [D] sur le montage de la fermeuse FBL postérieurement au 25 avril, date de l’expédition pour le salon, n’est que de quatre heures. Autrement dit, tel qu’il relève des pièces 12 et 26 de l’appelant, le montage de la fermeuse était quasiment achevé le 21 avril 2017 et le temps passé par M. [U] les 2, 3 et 4 mai 2017 pour le réglage et les essais de la machine représentant 17 heures aurait pu avoir lieu à temps pour l’expédition pour le salon.

Enfin pour justifier du temps moyen de montage d’une telle machine, la société verse aux débats le temps passé au montage (hors réglage) par M. [U] sur trois machines FBL distinctes qui est compris entre 50 et 55 heures ainsi que le temps passé par M. [B] qui correspond à 95 heures hors réglage et essais, soit quasiment le double.

De ces seuls documents, la société en a déduit dans la lettre d’avertissement que “le temps de montage d’un FBL est de l’ordre de 70 heures, avec réglage et mise en route mécanique (hors automatisme)”, ce qui ne correspond pas à la réalité des pièces versées aux débats.

Elle ajoute qu’il s’agit d’une “machine simple, standard (plus de 10 machines de cette conception et plus de 60 de ce modèle)” sans produire les temps de montage des autres machines citées.

Le seul autre document cité est une page du cahier professionnel de l’intimé qui mentionne : “23 juin : [A] me dit mettre 3 semaines (3x35h = 105 h) pour une FBL, réglage compris”.

Ce document n’étant pas daté précisément, la cour note que le 23 juin 2016, le montage de la fermeuse n’avait pas encore été attribué à M. [D] et que le 23 juin 2017, le montage était achevé et le salarié déjà sanctionné.

En conséquence, la société ne peut utiliser cette pièce 40 issue des notes du salarié pour démontrer que M. [D] a “toujours su qu’une telle machine devait être montée en moins de 100 heures”.

De même, l’employeur ne justifie pas non plus de la perte commerciale mentionnée dans la lettre de notification de la sanction.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que c’est à bon droit que le premier juge a annulé l’avertissement notifié à M. [D] le 19 juin 2017.

Sur la mise à pied disciplinaire du 26 décembre 2017

Par courrier du 28 novembre 2017, M. [D] a été convoqué à un entretien préalable à une sanction disciplinaire, fixé le 11 décembre 2017.

Suite à cet entretien, il lui a été notifié le 26 décembre 2017 une mise à pied disciplinaire de deux jours ainsi rédigée :

“Le 9 novembre 2017, à mon arrivée, à 8h00, j’ai été alerté au sujet d’une situation de crise avec plusieurs salariés, dont M. [T] et Mme [P]. Cette dernière personne se trouvait dans son bureau, en état de ” choc “, larmes aux yeux, indiquant qu’elle en avait assez d’être stigmatisée et sous pression permanente.

J’ai alors convoqué l’ensemble du CHSCT et les membres ont reçu M. [T].

En même temps, je suis allé voir la nature du nouvel affichage figurant sur votre établi et j’ai constaté la présence d’un post-it avec le nom des 5 personnes ayant déposé chacun une main courante pour harcèlement contre vous.

Deux autres documents étaient affichés, dont une photo publique accompagnée d’une légende ” coupable “, ainsi que des extraits de vos salaires sur plusieurs années.

Pour éviter toute interprétation et disparition d’éléments, des photos ont été prises.

Compte tenu de la gravité des faits et des risques psycho-sociaux, je vous ai convoqué vers 11h30 pour que vous enleviez avant 13 heures, l’ensemble de ces affichages.

Le secrétaire du CHSCT a établi un compte rendu de l’entretien.

Vous êtes reparti vers l’atelier. Dans la foulée, M. [X] – votre responsable – m’a appelé pour m’indiquer que vous veniez de partir en délégation à 11h45. A 13 heures, en compagnie de M. [E], j’ai constaté que les affichages avaient disparu.

Dans l’après-midi du 9 novembre 2017, Mme [P] m’indiquait qu’elle partait consulter le médecin du travail suite à l’incident du matin.

Le 13 novembre 2017, nous recevions un courrier recommandé de votre part, en date du 09 novembre 2017, contenant vos commentaires sur l’entretien et précisant que vous connaissiez l’existence de mains courantes à votre encontre de ces 5 salariés mais pas l’objet des mains-courantes.

Ce nouvel affichage a donc été réalisé alors que vous saviez pertinemment que les 5 personnes nommées avaient déposé des main-courantes pour harcèlement moral, si l’on en juge par vos conclusions présentées devant la cour d’appel de Bordeaux.

Vous savez également que Mme [P] s’est plaint d’être harcelée du fait des courriers que vous adressez à l’entreprise et à elle même. Je vous avais également indiqué dans un courrier le 26 septembre 2017, que Mme [P] était en situation de fragilité et qu’elle avait déposé une main courante contre vous suite au rappel chronologique de la matinée du 9 novembre 2017, j’ai voulu entendre vos explications. Étaient présents avec nous : M. [Y] et M. [E].

Sur les affichages, vous avez confirmé que ceux-ci étaient bien sur votre établi et que le post-it était de votre main, Vous avez indiqué :

– concernant l’affichage des salariés CETEC devant le conseil de prud’hommes publié par Sud-Ouest qu’il s’agissait d’une photographie publique et que personne ne pouvait vous faire de remarques,

– que l’affichage en liaison avec vos salaires était bien réel et avait pour but de stigmatiser la direction et plus directement l’employeur sur le fait que vous n’aviez pas été augmenté.

Cette affirmation a été très clairement exprimée et M. [E] l’a mémorisé. Je précise cela puisque, conscient de la signification du terme ” stigmatiser “, vous avez tenté de revenir en arrière en indiquant que vous aviez employé le verbe ” stigmatiser ” à tort.

– que les cinq noms étaient bien les personnes ayant déposé des mains courantes contre vous et que, dans la mesure où cela était la vérité, il ne pouvait y avoir de harcèlement de votre part.

Vous avez rajouté que si les gens ne peuvent pas supporter les conséquences de leurs actes, ils ne doivent pas se plaindre …..

– que si Mme [P] était harcelée à la réception de vos courriers, elle devait changer de métier …

Vous avez rajouté que Mme [P] ne pouvait se dire ” harcelée ” et que tout cela était orchestré par l’employeur – moi-même – depuis ma condamnation pour harcèlement moral ; vous avez alors rappelé longuement mes deux condamnations pour harcèlement moral contre vous et M. [L], en occultant le fait que ce dernier ait retiré sa plainte.

Si la photo parue dans Sud-Ouest était bien publique, elle avait été publiée sans le terme “COUPABLE ” et sans les noms des personnes venues me soutenir. A ce titre, les gens présents sur l’affiche se retrouvaient assimilés à ma personne et au terme de “COUPABLE”. Il s’agit d’une première forme de stigmatisation et de dénigrement de ces personnes. Concernant l’affichage de vos salaires, il s’agit d’une nouvelle action contre l’employeur et alors que dans le cadre du litige qui nous ont opposé devant le conseil de prud’hommes, et la cour d’appel, les décisions ont clairement énoncé qu’il n’y avait aucune discrimination salariale à votre encontre.

Votre demande a même été classée comme infondée … Malgré cela, vous revenez encore à la charge contre l’employeur avec un nouvel affichage dans le seul but de vous faire passer pour une victime discriminée au niveau du salaire. Il s’agit d’une nouvelle stigmatisation et d’une volonté de discréditer l’employeur. En procédant à cet affichage sur le panneau de votre poste de travail, visible de tous, vous avez d’une part voulu directement stigmatiser le dirigeant au sujet d’augmentations de salaire, alors qu’une récente décision de la cour d’appel vous a débouté sur ce point.

Vous avez en outre de façon manifeste voulu stigmatiser un certain nombre de salariés qui m’ont apporté leur soutien à l’occasion d’une audience devant le conseil de prud’hommes, et surtout cinq membres du personnel qui ont déposé une main-courante, suite à votre comportement.

Leur démarche n’a en aucun cas à donner lieu à l’affichage de leur identité, dans un local de travail, alors qu’une telle démarche relève d’une décision personnelle, à caractère strictement privé.

Ce procédé n’a pas été sans conséquence pour l’une d’entre-elles, en l’occurrence Mme [P], qui, fortement choquée, a dû se rendre chez le médecin du travail.

En raison de la gravité de tels agissements, nous nous voyons contraints de vous notifier une mise à pied disciplinaire de deux jours, qui interviendra les 8 et 9 Janvier 2018″.

La société appelante soutient que si la photo prise lors du procès du mois de juillet 2015 était publique et affichée sur l’établi de l’intimé depuis plusieurs mois, la photo parue dans le journal ne portait pas la légende “coupable”, ni la liste des noms des personnes identifiées, mentions que M. [D] a ajouté, le 9 novembre 2017, concomitamment au post-it reprenant les nom des cinq salariés ayant déposé une main courante à son encontre.

Cet affichage, qui n’est pas prescrit, a, selon l’employeur, stigmatisé ces salariés alors même que ces démarches personnelles n’ont pas à être portées à la connaissance des autres salariés et que la société a une obligation de sécurité à l’égard des salariés, notamment en matière de risques psychosociaux.

Ensuite, l’employeur reproche au salarié sa volonté de le stigmatiser en affichant un document contenant son évolution salariale alors même que le conseil de prud’hommes et la cour d’appel de Bordeaux l’ont débouté de sa demande de discrimination salariale.

Par ailleurs, la société indique que de tels affichages ne relèvent pas de la liberté d’expression et que par ce comportement M. [D] a fait preuve de mauvaise foi, d’autant plus que certains de ses collègues se plaignent de faire l’objet d’un harcèlement moral par ce dernier et que le contexte psycho-social a été mis en exergue notamment par un audit et une enquête de l’ARACT.

Aussi, pour l’appelante la sanction disciplinaire est justifiée et proportionnée

M. [D] rappelle tout d’abord que l’employeur l’avait convoqué dès le 9 novembre 2017 en lui demandant de retirer les documents affichés sur son établi, ce qu’il a fait ce même jour.

Concernant l’affichage de la photographie de l’article de journal, l’intimé indique qu’elle est sur son établi depuis la fin de l’année 2014, que ces faits sont donc prescrits et qu’il ne lui avait jamais été fait de reproche à ce sujet.

Il explique avoir ajouté la mention manuscrite “coupable” pour viser son employeur, et ce postérieurement à l’affichage de la photographie, au moment où le conseil de prud’hommes (juillet 2015) et la cour d’appel (septembre 2017) ont reconnu le harcèlement moral à son égard mais bien avant le mois de novembre 2017.

Quant à l’affichage des augmentations de salaire, M. [D] soutient y avoir procédé en juillet 2017, sans que la société ne lui ait fait de remarques de sorte que ces faits sont prescrits et qu’il s’agit d’un document contenant des faits objectifs sans autres mentions.

Enfin, le seul affichage datant de moins de deux mois est le post it collé sur son établi mentionnant cinq noms de salariés et la mention “mains courantes déposées contre moi” ce qui relève, pour l’intimé de la liberté d’expression. Il ajoute que le fait que ces salariés aient déposé une main courant produite en justice (procédure prud’homale et procédure correctionnelle) n’a rien de confidentiel.

Il se défend de tout harcèlement moral à l’encontre de ses collègues et relève que l’audit cité par l’employeur mentionne notamment des difficultés liées à l’encadrement et au management mis en place.

Pour l’intimé cette sanction est non fondée et à tout le moins disproportionnée.

Il n’est pas contesté que le 9 novembre 2017, M. [D] a été convoqué de façon informelle pour des affichages sur son établi et les a retirés – le même jour- à la demande de son employeur.

Parallèlement, la société a fait intervenir un huissier de justice à 10h45 pour faire constater les affichages présents sur l’établi de M. [D].

Le constat d’huissier est produit en pièce 46 du dossier de l’appelant, les photographies des documents litigieux y sont annexées.

Ce n’est que le 28 novembre 2017 que la société a convoqué M. [D] à un entretien préalable à une sanction disciplinaire qui a finalement été notifiée au salarié le 26 décembre 2017 (mise à pied disciplinaire de deux jours).

La cour relève que la mention “coupable” sur la photographie affichée sur l’établi n’est pas en lien avec les personnes que M. [D] a énumérées comme “soutien CETEC” sur le côté de la photographie.

Sous cette image, M. [D] a inscrit “Harcèlement moral : CETEC ([R] Regis) contre [D] – André”. Il y a ensuite ajouté : “jugement du 9 juillet 2015 : coupable” lorsque le conseil de prud’hommes a par ce jugement “constaté des faits de harcèlement moral commis par la SAS Cetec à l’encontre de M. [V] [D]” et condamné la société à des dommages et intérêts.

Par la suite, lorsque la cour d’appel de Bordeaux, par arrêt du 13 septembre 2017, a confirmé le jugement en toutes ses dispositions, a apporté l’indication complémentaire de “confirmé en appel sept 2017”.

Aucun document ne permet de dater l’affichage de la liste des augmentations de salaire et des mentions manuscrites sous la photographie.

Le salarié indique avoir affiché la note relative à ses salaires en juillet 2017 et avoir écrit le terme “coupable” dès 2015 lors du délibéré du jugement du conseil de prud’hommes.

La date de l’affichage des augmentations de salaire et des mentions manuscrites entourant la photographie n’est pas certaine de sorte que ce fait est prescrit.

Seul le post-it avec mention de cinq noms de famille de salariés sous l’entête “mains courantes déposées contre moi” a été affiché le 9 novembre 2017 et constitue un fait non prescrit.

Ce post-it apposé sur l’établi de M. [D] ne contenant pas de mentions erronées, injurieuses, diffamatoires ou excessives, ne constitue pas un abus de la liberté d’expression de ce dernier.

En outre, ayant été retiré le jour même, soit le 9 novembre 2017, lorsque l’employeur en a fait la demande, la mise à pied disciplinaire de deux jours notifiée le 26 décembre 2017 est une sanction disproportionnée.

En conséquence, le jugement dont appel sera confirmé en ce qu’il a annulé cette sanction disciplinaire.

Sur les conséquences de l’annulation des sanction disciplinaires

Sur le rappel de salaire

La mise à pied disciplinaire ayant été annulée, un rappel de salaire sera alloué à M. [D] qui s’est vu retiré la somme de 180,36 euros bruts de salaire, outre la somme de 18,04 euros bruts au titre des congés payés y afférents pour les journées des 8 et 9 janvier 2018.

Sur la base du bulletin de salaire du mois de février 2018 mentionnant une retenue pour absence non rémunérée des 8 et 9 janvier 2018, le jugement dont appel sera confirmé en ce qu’il a condamné la société à verser à M. [D] la somme de 180,36 euros bruts à titre de rappel de salaire outre la somme de 18,04 euros bruts au titre des congés payés y afférents.

Sur les dommages et intérêts

M. [D] sollicite 3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi en raison des sanctions disciplinaires injustifiées qui lui ont été notifiées en septembre et décembre 2017.

Il fait valoir que ces sanctions s’inscrivent dans un contexte de harcèlement moral subi depuis 2012 et reconnu par le conseil de prud’hommes et la cour d’appel de Bordeaux. Malgré cette condamnation, le salarié soutient que l’employeur perpétue ses agissements alors même que le travail qu’il accomplit satisfait ses supérieurs hiérarchiques tel que le montrent ses notations.

Dans un contexte de dégradation de la relation de travail dénoncé par l’appelant et l’intimé mais aussi par les salariés, l’audit Orialis, le médecin du travail et l’inspecteur du travail, l’avertissement infondé du 19 juin 2017 et la mise à pied disproportionnée notifiée le 26 décembre 2017 ont causé un préjudice à M. [D].

En conséquence, c’est à bon droit que les premiers juges ont condamné la société appelante à verser à M. [D] la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts.

Sur les autres demandes

Il n’y a pas lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil en application desquelles les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l’article 1343-2.

La société appelante, partie perdante à l’instance, sera condamnée aux dépens de la procédure d’appel ainsi qu’à verser à M. [D] la somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

*

PAR CES MOTIFS

La cour

Confirme le jugement du conseil de prud’hommes de Bergerac du 9 décembre 2019 en toutes ses dispositions,

y ajoutant,

Dit n’y avoir lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil en application desquelles les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l’article 1343-2.

Condamne la société Cetec industrie conditionnement à verser à Monsieur [V] [D] la somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Cetec industrie conditionnement aux dépens de la procédure d’appel.

Signé par Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Catherine Rouaud-Folliard

 


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