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ARRET DU
30 Juin 2023
N° RG 22/01659 –
N° Portalis DBVT-V-B7G-UTRU
N° 1013/23
MLB/NB
GROSSE
le 30 Juin 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Renvoi après Cassation
– Prud’hommes –
CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE LENS en date du 28 juin 2017
COUR D’APPEL DE DOUAI en date du 29 mai 2020
COUR DE CASSATION en date du 28 septembre 2022
APPELANTE :
S.A.S.U. DUPONT RESTAURATION
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Benjamin LOUZIER, avocat au barreau de PARIS, substitué par Me Diane BUISSON
INTIME :
M. [X] [D]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Bérengère LECAILLE, avocat au barreau de LILLE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE
Soleine HUNTER-FALCK
: PRESIDENT DE CHAMBRE
Muriel LE BELLEC
: CONSEILLER
Gilles GUTIERREZ
: CONSEILLER
GREFFIER lors des débats : Angelique AZZOLINI
DEBATS : à l’audience publique du 05 Avril 2023
ARRET : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 30 Juin 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Muriel LE BELLEC, conseiller et par Valérie DOIZE greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DES FAITS
M. [D] a été embauché par la société Dupont Restauration le 1er janvier 2005 avec reprise d’ancienneté au 1er avril 1995, en qualité de cuisinier.
Il occupait en dernier lieu et depuis le 1er février 2011 le poste de chef de cuisine et était affecté à [Localité 3].
La relation de travail était assujettie à la convention collective du personnel des entreprises de restauration de collectivités.
Il a fait l’objet de plusieurs sanctions disciplinaires.
Il a été placé en arrêt de travail pour maladie du 13 au 18 mai 2013, du 14 juin au 7 juillet 2013 puis à compter du 13 septembre 2013.
Au terme des visites de reprise des 24 mars 2014 et 9 avril 2014, le médecin du travail l’a déclaré inapte à son poste mais apte à un poste de cuisinier sur un site proche de son domicile si possible en débutant à mi-temps thérapeutique.
M. [D] a saisi le 9 avril 2014 le conseil de prud’hommes de Lens d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail et en paiement de diverses sommes.
Son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement lui a été notifié le 22 mai 2014.
Par jugement en date du 28 juin 2017, le conseil de prud’hommes a déclaré irrecevables comme prescrites les demandes aux fins de paiement des heures supplémentaires accomplies avant le 31 mars 2009, prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail à la date du 22 mai 2014, dit qu’elle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné la société Dupont Restauration à payer à M. [D] :
42 802,14 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires d’avril 2009 à septembre 2013
3 000 euros à titre d’indemnité pour harcèlement moral
2 277,71 euros à titre de régularisation de l’indemnité de licenciement
4 954,72 à titre d’indemnité compensatrice de préavis
495,47 euros au titre des congés payés y afférents
37 160,40 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
1 073,52 euros de rappel de salaire pour non reprise du versement du salaire du 9 au 22 mai 2014
107,35 euros au titre des congés payés y afférents
1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Il a rappelé que les condamnations emportent intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation pour les sommes de nature salariale et à compter de la décision pour les autres sommes, ordonné à la société Dupont Restauration de délivrer à M. [D] un certificat de travail, une attestation Pôle Emploi et un bulletin de salaire récapitulatif conformes aux dispositions du jugement et débouté M. [D] du surplus de ses demandes.
Sur appel de la société Dupont Restauration, la cour d’appel de Douai a, par arrêt en date du 29 mai 2020, confirmé le jugement déféré, excepté en ce qu’il a condamné la société Dupont Restauration à payer à M. [D] la somme de 42 802,14 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires non rémunérées entre avril 2009 et septembre 2013 et débouté le salarié de sa demande de dommages et intérêts pour atteinte à son droit à l’image, statuant à nouveau sur les chefs réformés et ajoutant, condamné la société Dupont Restauration à payer à M. [D] les sommes de :
28 500 euros de rappel de salaire pour heures supplémentaires entre avril 2009 et le 24 mars 2012
2 850 euros au titre des congés payés y afférents
500 euros à titre de dommages et intérêts pour non respect du droit à l’image
1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,
dit que les documents sociaux dont la remise a été ordonnée doivent être conformes aux dispositions du présent arrêt, qu’à défaut d’exécution volontaire dans les quinze jours de la signification de l’arrêt, la société sera contrainte de s’exécuter sous astreinte provisoire de 20 euros par jour de retard et par document, passé ce délai, l’astreinte étant limitée à six mois passé lequel il appartiendra à la partie la plus diligente de saisir le juge de l’exécution pour qu’il soit de nouveau fait droit, ordonné le remboursement par la société Dupont Restauration des indemnités chômage éventuellement versées par Pôle Emploi à M. [D] postérieurement à son licenciement dans la limite de six mois, débouté M. [D] de sa demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires pour la période postérieure au 24 mars 2012 et condamné la société Dupont Restauration aux dépens d’appel.
Par arrêt du 28 septembre 2022, la Cour de cassation, statuant sur le pourvoi principal formé par la société et le pourvoi incident formé par le salarié, a cassé et annulé l’arrêt rendu mais seulement en ce qu’il prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail dit qu’elle a les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamné la société Dupont Restauration à payer à M. [D] 28 500 euros à titre de rappel pour heures supplémentaires non rémunérées entre avril 2009 et le 24 mars 2012, 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, 4 954,72 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, 495,47 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis, 2 277,71 euros à titre de régularisation d’indemnité de licenciement, 37 160,40 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ordonné le remboursement par la société Dupont Restauration des indemnités chômage éventuellement versées par Pôle Emploi à M. [D] postérieurement à son licenciement, dans la limite de six mois et débouté M. [D] de sa demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires pour la période postérieure au 24 mars 2012, remis sur ce point l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d’appel de Douai autrement composée, aux motifs que la cour d’appel n’a pas invité les parties à présenter leurs observations sur le moyen relevé d’office tiré de l’article 45 de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012, qu’elle a violé l’article L.1234-11 du code du travail en incluant la période de suspension du contrat de travail pour maladie ayant débuté le 13 septembre 2013 dans l’appréciation de l’ancienneté du salarié en l’absence de dispositions conventionnelles prévoyant que les absences pour maladie sont prises en compte dans le calcul de l’ancienneté propre à déterminer le montant de l’indemnité conventionnelle de licenciement et qu’elle a violé l’article 45 de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 en retenant que l’application de l’accord d’aménagement du 28 décembre 2010 peut valablement être revendiquée par l’employeur pour la période postérieure au 24 mars 2012 alors qu’elle avait constaté que la modulation du temps de travail avait été mise en place antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012, de sorte que l’accord exprès du salarié était requis.
Le 25 novembre 2022, la société Dupont Restauration a régulièrement saisi la cour de renvoi dans le délai imparti par l’article 1034 du code de procédure civile.
Par ses conclusions récapitulatives reçues le 25 janvier 2023 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, la société Dupont Restauration demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, en conséquence de débouter M. [D] de l’ensemble de ses demandes et de le condamner à lui verser la somme de 4 000euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par ses conclusions reçues le 24 mars 2023 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens, M. [D] demande à la cour de :
– Juger que l’arrêt du 29 mai 2020 est définitif sur les chefs de demandes suivants :
o 500 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect du droit à l’image ;
o 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Dit que les documents sociaux dont la remise a été ordonnée devaient être conformes aux dispositions de l’arrêt,
Dit qu’à défaut d’exécution volontaire dans les quinze jours de la signification du présent arrêt, la société sera contrainte de s’exécuter sous astreinte provisoire de 20 euros par jour de retard et par document, passé ce délai, l’astreinte étant limitée à six mois passé lequel il appartiendra à la partie la plus diligente de saisir le juge de l’exécution pour qu’il soit de nouveau fait droit,
Pour le surplus,
– Confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Lens en ce qu’il a :
‘ Jugé qu’il avait effectué des heures supplémentaires qui ne lui ont pas été rémunérées par la société Dupont Restauration,
‘ Jugé qu’il a été victime de harcèlement moral,
‘ Prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail à la date du 22 mai 2014,
‘ Dit que cette résiliation judiciaire emporte les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
‘ Condamné la société Dupont Restauration à lui verser les sommes suivantes :
2 277,71 € à titre de régularisation de l’indemnité de licenciement,
4 954,72 € à titre d’indemnité de préavis,
495,47 € à titre de congés payés sur préavis,
1 073,52 € de rappel de salaire pour non reprise du versement de salaire du 9 au 22 mai 2014,
107,35 € à titre de congés payés sur rappel de salaire,
– Infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Lens en ce qu’il a :
‘ Evalué le rappel de salaires pour heures supplémentaires à la somme de 42 802,14 € au cours de la période allant d’avril 2009 à septembre 2013,
‘ Evalué les dommages et intérêts en réparation du préjudice subi en raison d’une situation de harcèlement moral à la somme de 3 000 €,
‘ Evalué les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 37 160,40 € (correspondant à 15 mois de salaires).
Statuant à nouveau, condamner la société Dupont Restauration à lui verser :
55 974,20 € à titre de rappel de salaires et 5.597.42 € au titre des congés payés afférents,
10 000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
59 456,64 € au titre de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, soit 24 mois de salaires bruts (moyenne des 12 derniers mois précédant son arrêt maladie initial, c’est-à-dire antérieurement au mois de mai 2013 soit la somme de 2 477,36 € brute)
4 954,72 € bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis (2 mois de salaire)
495,47 € bruts au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis
2 277,71 € bruts (12 386,80 ‘ 10 109,09) à titre de dommages et intérêts en raison du préjudice lié à l’absence du versement de la totalité de l’indemnité de licenciement ;
A titre subsidiaire, prononcer l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement pour inaptitude physique et condamner en conséquence la société Dupont Restauration à lui verser les sommes suivantes :
59 456,64 € au titre de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, soit 24 mois de salaires bruts (moyenne des 12 derniers mois précédant son arrêt maladie initial, c’est-à-dire antérieurement au mois de mai 2013 soit la somme de 2 477,36 € brute)
4 954,72 € bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis (2 mois de salaire)
495,47 € bruts au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis
2 277,71 € bruts (12 386,80 ‘ 10 109,09) à titre de dommages et intérêts en raison du préjudice lié à l’absence du versement de la totalité de l’indemnité de licenciement ;
En tout état de cause :
Débouter la société Dupont Restauration de l’ensemble de ses demandes,
Condamner la société Dupont Restauration à lui verser la somme de 5 000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et mettre à sa charge les entiers frais et dépens de l’instance.
MOTIFS DE L’ARRET
Sur les heures supplémentaires
La demande de M. [D] porte sur la période d’avril 2009 à septembre 2013, le salarié ne critiquant pas le jugement qui a déclaré irrecevable comme prescrite sa demande au titre d’heures supplémentaires accomplies avant le 31 mars 2009.
La société Dupont Restauration ne conteste pas la recevabilité de la demande sur la période d’avril 2009 à septembre 2013 mais elle en conteste le bien fondé.
Elle se prévaut notamment de l’accord d’aménagement et d’organisation du temps de travail signé le 28 décembre 2010 par les syndicats représentatifs prévoyant que le temps de travail est annualisé et correspond à une durée de 35 heures hebdomadaires ou 151,67 heures moyennes mensuelles sur l’année, que les heures effectuées au delà de cette moyenne mensuelle sont traitées en tant qu’heures supplémentaires et sont payées ou récupérées en temps de repos.
M. [D] répond qu’à défaut d’accord exprès de sa part sur l’application de l’accord collectif signé avant la publication de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012, il peut prétendre au paiement d’heures supplémentaires non seulement pour la période antérieure mais aussi pour la période postérieure à cette publication.
L’instauration d’une modulation du temps de travail constitue une modification du contrat de travail qui requiert l’accord exprès du salarié. Si l’article 45 de la loi n°2012-387 du 22 mars 2012 insère dans le code du travail l’article L.3122-6, dans sa version en vigueur jusqu’au 10 août 2016, selon lequel la mise en place d’une répartition des horaires sur une période supérieure à la semaine et au plus égale à l’année prévue par un accord collectif ne constitue pas une modification du contrat de travail, ce texte, qui, modifiant l’état du droit existant, n’a ni caractère interprétatif, ni effet rétroactif, n’est applicable qu’aux décisions de mise en ‘uvre effective de la modulation du temps de travail prises après publication de ladite loi.
La société Dupont Restauration n’allègue pas et ne justifie pas, en réplique à l’affirmation du salarié, que celui-ci aurait donné son accord exprès sur l’application de l’accord collectif d’aménagement et d’organisation du temps de travail signé le 28 décembre 2010 avant la publication de la loi précitée.
Le système d’annualisation prévu par cet accord ne peut en conséquence être opposé à M. [D], que ce soit pour la période antérieure ou postérieure à la publication de la loi n°2012-387 du 22 mars 2012.
M. [D] peut en conséquence prétendre au paiement d’heures supplémentaires décomptées dans le cadre de la semaine civile, conformément à l’article L.3121-20 dans sa version alors applicable.
Il résulte de l’article L.3171-4 du code du travail qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Le salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies, soit avec l’accord de l’employeur, soit s’il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées.
Il résulte des dispositions des articles 3, 5 et 6 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, lus à la lumière de l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ainsi que de l’article 4, paragraphe 1, de l’article 11, paragraphe 3, et de l’article 16, paragraphe 3, de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, qu’il incombe à l’employeur, l’obligation de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur.
En l’espèce, au soutien de sa demande en paiement d’heures supplémentaires M. [D] produit :
– des échanges de courriers avec la société Dupont Restauration dans lesquels il revendique dès le mois de juin 2013 la réalisation de plusieurs dizaines d’heures supplémentaires mensuelles non rémunérées, fait allusion à l’inscription de toutes ses heures sur un cahier et précise qu’il ne prend aucune pause déjeuner, l’employeur contestant en réponse l’existence d’heures supplémentaires non rémunérées,
– les attestations de plusieurs anciens salariés indiquant qu’il ne fallait pas compter ses heures sans pour autant que celles-ci soient rémunérées et récupérées, dont celle de Mme [A], qui a travaillé au sein de la société de janvier à août 2013 et est la s’ur de M. [D], qui témoigne que le personnel n’avait pas le temps de manger correctement (¿ d’heure) et que M. [D] n’avait pas le temps de prendre de repas,
-des tableaux reprenant pour chaque jour le volume d’heures travaillées et précisant les heures de début et de fin de journée, sans mention de pause méridienne,
-la copie de feuilles de cahiers pour la période d’avril 2009 à septembre 2013 précisant le nombre d’heures effectuées selon le salarié chaque jour travaillé et comportant l’heure de début et l’heure de fin de journée.
Ces éléments sont suffisamment précis quant aux heures non rémunérées que le salarié prétend avoir accomplies pour permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
L’employeur conteste l’existence d’heures supplémentaires non rémunérées. Il critique les attestations produites par M. [D] comme émanant de proches ou d’anciens salariés qui n’ont pu être témoins des horaires réalisés par M. [D] sur l’entièreté de la période litigieuse, ainsi que les décomptes produits unilatéralement par M. [D]. Il fait valoir que le salarié a modifié les relevés entre sa saisine initiale et ses dernières écritures, renvoyant sur ce point à la page 13 des conclusions adverses, qui ne met pas en évidence cependant une telle modification. Il souligne de façon inopérante que M. [D] ne lui a jamais transmis de décomptes avant son courrier du 3 juin 2013 et, de façon inexacte, qu’il se garde de produire son cahier, alors que les feuilles de cahier sur lesquelles M. [D] a mentionné les heures de travail effectuées selon lui sont bien versées aux débats. Il fait valoir que, chaque jour, les salariés faisaient constater leurs horaires d’arrivée et de départ au bureau administratif qui reportait le temps de travail sur un logiciel. Il produit le témoignage de M. [N], directeur d’exploitation, qui explique le fonctionnement du système d’annualisation, toutefois inopposable au salarié, et précise que chaque jour les horaires réalisés sont inscrits sur une feuille de pointage et que chaque semaine le différentiel entre l’horaire réalisé et l’horaire contractuel est mis dans un « compteur temps ». Plusieurs salariés, dont M. [Z], délégué du personnel, et M. [H], délégué syndical, attestent que les pointages sont transparents et consultables, que les heures supplémentaires étaient payées ou récupérées et que M. [D], comme tous les salariés de la cuisine centrale de [Localité 3], disposait d’un temps de repas de 45 minutes auquel s’ajoutait un temps de pause de 20 minutes.
La société Dupont Restauration produit les plannings des année litigieuses dont elle indique elle-même qu’ils étaient indicatifs et prévisionnels et ne correspondaient pas nécessairement aux horaires réalisés, ainsi que des documents informatiques qui ne mentionnent cependant qu’un volume d’heures de présence par jour, ne font pas apparaître les horaires quotidiens de M. [D], ne répondent pas à l’obligation de mise en place d’un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur et ne permettent pas de contredire les horaires notés par le salarié dans son cahier. La société ne produit pas le relevé des horaires déclarés par M. [D] au moment de son arrivée et de son départ, étant observé que le conseil de la société avait indiqué lors de l’audience de première instance que les feuilles de pointage avaient été effacées.
Au vu de ces éléments, la cour est en mesure de se convaincre, en tenant compte des témoignages selon lesquels M. [D] bénéficiait bien de temps de pause non pris en considération dans ses décomptes, de la réalisation par le salarié d’heures supplémentaires non rémunérées entre avril 2009 et septembre 2013, correspondant à un rappel de salaire de 31 653,28 euros, auquel s’ajoutent les congés payés afférents pour 3 165,32 euros. Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur le harcèlement moral
En application des articles L.1152-1 et L.1154-1 du code du travail, M. [D] invoque au titre du harcèlement moral la politique managériale de la société Dupont Restauration axée sur le profit et la rentabilité, faisant peser sur lui une pression exacerbée depuis sa promotion en qualité de chef de cuisine, sans que l’employeur ne lui donne les moyens de faire face à ses nouvelles responsabilités, la réaction de la société lorsqu’il a fait état de la dégradation de ses conditions de travail ayant consisté à le sanctionner de façon injustifiée d’une mise à pied disciplinaire puis d’un avertissement, la contestation en bloc de sa souffrance, l’employeur se désintéressant complètement de son état de santé.
Il résulte de ce qui précède que M. [D] accomplissait de nombreuses heures supplémentaires. Pour caractériser la pression subie, le salarié produit plusieurs attestations. Ainsi, M. [U], cuisinier au sein de la société Dupont Restauration jusqu’en novembre 2009, témoigne du stress permanent subi par M. [D] et dit ne pas comprendre qu’il ait pu tenir aussi longtemps, sans reconnaissance pour toutes les heures passées dans l’entreprise au détriment de sa vie privée. Mme [F], employée, fait état de la lourde charge de travail de M. [D] et du fait qu’il était déjà fatigué lorsqu’il commençait une nouvelle semaine de travail, même s’il adorait son travail et parlait de la société comme d’une deuxième famille. M. [C] atteste que la société Dupont Restauration en demandait chaque jour davantage à M. [D], que ce dernier commençait chaque jour de bonne heure pour rectifier les repas manquants, qu’il se plaignait que ses heures ne seraient pas récupérables ni payées et se dévouait dans l’indifférence de son employeur. M. [J], chef de production, atteste que les conditions de travail étaient extrêmes : stress permanent, manque de personnel, manque de produits, personnel non qualifié.
M. [D] établit qu’il a fait l’objet d’une mise à pied disciplinaire de trois jours notifiée le 29 avril 2013, qu’il a contestée par lettre du 3 juin 2013, à laquelle l’employeur a répondu le 5 juillet 2013, ainsi que d’un avertissement notifié le 16 juillet 2013.
Enfin, il justifie de la teneur des réponses apportées par son employeur suite à ses alertes sur ses conditions de travail. Il s’est plaint dans sa lettre du 3 juin 2013 des difficultés à assumer ses fonctions de responsable d’équipe au regard des conditions de travail : pression, cadence, stress, surmenage, horaires, ajoutant : « toute l’équipe subit l’absentéisme, accident du travail et si je leur fais une réflexion cela ne convient pas. Que dois-je faire ”” ». La société Dupont Restauration lui a répondu agir pour limiter les contraintes et les risques d’accidents du travail, par exemple en investissant dans des équipements de protection individuelle et des machines, soulignant qu’elle travaillait activement avec le CHSCT. Elle a ajouté que le taux d’absentéisme sur son site était similaire au taux habituellement constaté et que ses difficultés à faire respecter ses consignes étaient dues à son manque d’instructions claires et précises et son manque de communication. En arrêt de travail depuis le 13 septembre 2013, M. [D] a ensuite indiqué à son employeur, par lettre du 25 janvier 2014, que sa dépression était imputable à la pression et au surmenage subis pendant des mois, ajoutant qu’aucune mesure concrète n’avait été prise suite à l’alerte résultant de son courrier du 3 juin 2013 et qu’il souffrait de l’indifférence de la société. La société Dupont Restauration lui a répondu le 20 février 2014 pour contester les allégations de pression, surmenage et indifférence, confirmant agir activement en collaboration avec le CHSCT et indiquant à M. [D] qu’il ne faisait l’objet d’aucun traitement particulier.
Le salarié a été placé en arrêt de travail pour maladie du 13 au 18 mai 2013, du 14 juin au 7 juillet 2013 puis à compter du 13 septembre 2013, son médecin traitant faisant état dans un courrier du 25 novembre 2013 d’un syndrome dépressif. Selon le courrier du médecin du travail du 12 février 2014, le syndrome dépressif sévère dont souffrait M. [D] était réactionnel à des problèmes personnels et professionnels, le médecin ajoutant que le salarié bénéficiait d’un lourd traitement anxiolytique et anti-dépresseur. Le Docteur [I], psychiatre, indique dans un courrier du 23 juillet 2014 que M. [D], en arrêt depuis septembre 2013, révèle un épisode dépressif majeur d’intensité sévère, réactionnel à plusieurs éléments successifs, particulièrement déstabilisants et très rapprochés dans le temps, dont une situation conflictuelle avec son employeur et une procédure de contestation en cours d’une décision du médecin conseil de la caisse d’assurance maladie sur la reprise d’une activité professionnelle.
M. [D] établit en conséquence des éléments qui pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral. Il incombe à l’employeur de justifier qu’ils sont étrangers à tout harcèlement moral.
L’employeur répond que les attestations produites par le salarié ne font état d’aucun exemple ou fait précis de nature à caractériser l’existence d’une pression exacerbée. Toutefois, ces pièces décrivent une situation organisationnelle caractérisée notamment par un manque de personnel et de produits, génératrice d’un climat de stress permanent, à propos de laquelle M. [D] a alerté à deux reprises son employeur. La société Dupont Restauration, sans nier l’existence d’un absentéisme qu’elle a qualifié de « similaire au taux habituellement constaté », sans pour autant en justifier, conteste que M. [D] ait fait l’objet d’un traitement particulier. Ce faisant, elle ne produit pas d’éléments de nature à justifier la situation subie par M. [D] par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
La mise à pied disciplinaire du 29 avril 2013 est motivée par :
– diverses anomalies concernant le respect des menus et des plannings (modification du poisson ou du fromage), des feuilles de production, des quantités et grammages, des recettes, l’utilisation d’un cutter pour réaliser des poireaux à la vinaigrette, alors que M. [D] est responsable du contrôle de la préparation et de la finition des plats, qu’il lui appartient de vérifier les préparations réalisées par lui ou son équipe, de connaître et d’appliquer les techniques culinaires, de maitriser le mode opératoire des matériels de cuisine et de connaitre les produits, portions et grammages,
– des réflexions désobligeantes à l’égard de certaines de ses collègues devant le personnel des bureaux,
– un coup de téléphone donné en tenue de travail devant la benne à déchets,
– son passage par la légumerie pour quitter les lieux,
– des moments de détente pris en dehors des moments réservés aux pauses,
– le report systématique de sa faute sur son équipe sans avoir pris le temps au préalable de donner des instructions claires et précises ou d’accompagner les membres de son équipe dans la réalisation de leurs tâches, à l’origine d’un climat de tension au travail, et son altercation verbale avec la prénommée [Y] au sujet de la trancheuse, alors qu’il est responsable de l’animation et du management de l’équipe et a suivi une formation sur la prévention aux risques psychosociaux.
En vue de justifier que cette sanction est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, la société Dupont Restauration se borne à renvoyer à son courrier du 5 juillet 2013, en réponse à la lettre de contestation du salarié du 3 juin 2013, ainsi qu’à l’attestation de M. [H], responsable magasinier, qui ne fait cependant état d’absence de difficultés d’approvisionnement qu’en ce qui concerne la vinaigrette et le céleri. Pour le reste, elle fait simplement valoir que M. [D] n’a pas contesté dans son courrier du 3 juin 2013 avoir eu une attitude inadaptée envers son équipe, alors que M. [D] a au contraire fait valoir que sa position était impossible s’il ne pouvait pas, étant chef d’équipe, faire des réflexions sur le travail de ses subordonnés.
Il convient d’observer que M. [J], qui avait témoigné que M. [D] ne respectait pas les plannings de production (grammages), a indiqué dans une nouvelle attestation qu’il avait été contraint de faire une fausse déclaration à l’encontre de M. [D]. Selon cette nouvelle attestation, M. [D] devait se débrouiller avec des marchandises parfois non reçues ou reçues tardivement.
Au vu du peu d’éléments produits par la société Dupont Restauration, la mise à pied disciplinaire de trois jours est à tout le moins disproportionnée et n’est pas justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
L’avertissement du 16 juillet 2013 est motivé par :
– le refus de M. [D] de bâcher les produits en attente de conditionnement comme le lui demandait M. [R], responsable de production, le 21 mai 2013 et la remarque effrontée qu’il lui a adressée,
– son refus de ranger un couteau qu’il avait dans sa poche, comme le lui demandait M. [J] le 23 mai 2013, et sa tentative de le casser pour le jeter à la poubelle,
– son refus de mettre ses bottes de sécurité le 28 mai,
– son insolence perturbant la causerie du 29 mai,
– la livraison de pizzas classiques sous l’appellation pizzas bio, faute d’utilisation des bandes de pizza bio déballées par Mme [V].
Les refus de M. [D] de bâcher les produits et de mettre ses bottes de sécurité sont établis par les témoignages de Mme [W] et M. [R], ce qui suffit à justifier l’avertissement par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
La société Dupont Restauration ne justifie pas par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement la réponse qu’elle a apportée aux différentes alertes du salarié sur ses difficultés à assumer ses fonctions, qui a consisté soit à les contester soit à les minimiser et à renvoyer M. [D] à son manque d’instructions claires et précises et son manque de communication.
Il convient en application de l’article 1154-1 du code du travail de retenir que la lourde charge de travail, le stress permanent et le manque de personnel imposés à M. [D], auxquels se sont ajoutés une mise à pied disciplinaire injustifiée de trois jours et l’absence de considération pour les difficultés qu’il exprimait, dont la responsabilité lui a au contraire été en partie imputée, sont constitutifs de harcèlement moral. Au vu des documents médicaux produits, le conseil de prud’hommes a exactement évalué le préjudice subi par M. [D].
Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail et ses conséquences
En application des articles 1224 du code civil, L.1231-1, L.1152-2 et L.1152-3 du code du travail du code du travail, le salarié est fondé à obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail en cas de manquement de l’employeur en rendant la poursuite impossible.
Le non paiement de nombreuses heures supplémentaires entre avril 2019 et septembre 2013 et les agissements de harcèlement moral au travail responsables pour partie de l’altération de la santé du salarié constituaient des manquements graves rendant impossible la poursuite du contrat de travail, ce qui justifie de confirmer le jugement qui a fait droit à la demande de résiliation judiciaire en en fixant la date d’effet à la date du licenciement intervenu le 22 mai 2014, après la demande de résiliation judiciaire.
La résiliation judiciaire du contrat de travail consécutive à des faits de harcèlement moral produit les effets d’un licenciement nul. M. [D] demande toutefois qu’elle produise les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il a droit aux indemnités de rupture et à une indemnité au moins égale à celle prévue par l’article L.1235-3 du code du travail dans sa version alors applicable.
L’indemnité compensatrice de préavis de deux mois est due au salarié en application de l’article L.1234-5 du code du travail, dès lors que la rupture du contrat de travail produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il n’existe aucune contestation sur le montant de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents sollicités par le salarié, la société Dupont Restauration n’en contestant que le principe. Le jugement est confirmé en ce qu’il a condamné la société Dupont Restauration à payer à M. [D] la somme de 4 954,72 euros bruts de ce chef, outre les congés payés afférents pour 495,47 euros.
En application de l’article L.1234-11 du code du travail et à défaut de dispositions conventionnelles contraires, les absences pour maladie ne sont pas prises en compte dans le calcul de l’ancienneté pour déterminer le montant de l’indemnité de licenciement. Toutefois, le calcul opéré par l’employeur ne peut être retenu. En effet, alors que pour déterminer le montant de l’indemnité de licenciement l’ancienneté du salarié dans l’entreprise s’apprécie à la date d’expiration normale du délai-congé, l’employeur retient que le contrat de travail a pris fin le 24 mai 2014, sans tenir compte du préavis de deux mois auquel le salarié avait droit compte tenu de la qualification de la rupture. En outre, alors que le salaire de référence à prendre en considération pour le calcul de l’indemnité légale de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié, celui des 12 ou 3 derniers mois précédant l’arrêt de travail pour maladie, l’employeur a tenu compte des salaires de mai 2013 à avril 2014, qui ne tiennent pas compte du rappel d’heures supplémentaires ci-dessus. Le salaire de référence devant être évalué, compte tenu du rappel d’heures supplémentaires, à la somme de 3 053,86 euros, l’indemnité conventionnelle de licenciement s’élevait au moins à la somme de 12 386,80 euros, de sorte qu’après déduction de la somme de 10 109,09 euros déjà payée par la société Dupont Restauration, M. [D] a bien droit au reliquat sollicité de 2 277,71 euros. Le jugement est confirmé de ce chef.
En considération de l’ancienneté du salarié, de sa rémunération brute mensuelle, de son âge et de sa capacité à retrouver un nouvel emploi, son préjudice a été exactement évalué par les premiers juges à la somme de 37 160,40 euros.
Les conditions d’application de l’article L.1235-4 du code du travail étant réunies, il convient d’ordonner d’office le remboursement par la société Dupont Restauration des indemnités de chômage éventuellement versées à M. [D] à hauteur de six mois d’indemnités.
Sur les frais irrépétibles
L’issue du litige justifie de condamner la société Dupont Restauration à verser à M. [D] la somme complémentaire de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant dans la limite de la cassation, après débats en audience publique, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Vu l’arrêt du 28 septembre 2022 de la Cour de cassation ;
Infirme le jugement du conseil de prud’hommes de Lens du 28 juin 2017 sur le montant du rappel d’heures supplémentaires et statuant à nouveau :
Condamne la société Dupont Restauration à payer à M. [D] les sommes de :
31 653,28 euros au titre des heures supplémentaires non payées entre avril 2009 et septembre 2013
3 165,32 euros au titre des congés payés y afférents.
Confirme le jugement du conseil de prud’hommes de Lens du 28 juin 2017 en ce qu’il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail à la date du 22 mai 2014, dit qu’elle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné la société Dupont Restauration à payer à M. [D] :
3 000 euros à titre d’indemnité pour harcèlement moral
2 277,71 euros à titre de régularisation de l’indemnité de licenciement
4 954,72 à titre d’indemnité compensatrice de préavis
495,47 euros au titre des congés payés y afférents
37 160,40 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Y ajoutant :
Ordonne le remboursement par la société Dupont Restauration au profit du Pôle Emploi des indemnités de chômage éventuellement versées à M. [D] du jour de la rupture du contrat de travail au jour du présent arrêt à hauteur de six mois d’indemnités.
Condamne la société Dupont Restauration à payer à M. [D] la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Condamne la société Dupont Restauration aux dépens.
Le Greffier,
Valérie DOIZE
Pour le Président empêché,
Muriel LE BELLEC, Conseiller