Mise à pied disciplinaire : 29 juin 2023 Cour d’appel de Dijon RG n° 21/00746

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Mise à pied disciplinaire : 29 juin 2023 Cour d’appel de Dijon RG n° 21/00746
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RUL/CH

S.A.S. TRANSPORTS [X]

C/

[J] [P]

Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE DIJON

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 29 JUIN 2023

MINUTE N°

N° RG 21/00746 – N° Portalis DBVF-V-B7F-F2A6

Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de DIJON, section Commerce, décision attaquée en date du 21 Octobre 2021, enregistrée sous le n°

APPELANTE :

S.A.S. TRANSPORTS [X]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Olivia LONGUET, avocat au barreau de LYON substituée par Me Edouard NEHMAN, avocat au barreau de LYON

INTIMÉ :

[J] [P]

[Adresse 2]

[Localité 5]

représenté par Me Isabelle-Marie DELAVICTOIRE de la SCP GAVIGNET ET ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 16 Mai 2023 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller chargé d’instruire l’affaire. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :

Olivier MANSION, Président de chambre,

Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,

Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Kheira BOURAGBA,

ARRÊT : rendu contradictoirement,

PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Kheira BOURAGBA, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

M. [J] [P] a été embauché à compter du 22 avril 2013 par la société Transports [X] par un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet en qualité de chauffeur poids lourd, zone courte, groupe 7, coefficient 150M.

Par requête du 13 février 2020, il a saisi le conseil de prud’hommes de Dijon aux fins d’annulation de sanctions disciplinaires et demander notamment des rappels de salaire pour les heures supplémentaires effectuées, outre des dommages-intérêts pour avertissement injustifié, pour mise à pied disciplinaire injustifiée, pour exécution déloyale du contrat de travail et pour travail dissimulé.

Par jugement du 21 octobre 2021, le conseil de prud’hommes de Dijon a accueilli l’essentiel des demandes du salarié.

Par déclaration formée le 8 novembre 2021, l’employeur a relevé appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières écritures du 3 août 2022, l’appelant demande de :

– infirmer le jugement déféré en ce qu’il a :

* jugé que les temps de repos entre 18h30 et 18h45, 20h10 et 20h40 sur la tournée du client TNT constituent du temps de travail effectif,

* l’a condamnée au titre des rappels d’heures supplémentaires de septembre 2018 à juin 2020,

* annulé l’avertissement du 22 novembre 2018 et la mise à pied disciplinaire du 4 au 8 février 2019,

* l’a condamnée à des dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

* l’a condamnée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– juger fondé l’avertissement du 22 novembre 2018,

– juger fondée la mise à pied disciplinaire du 18 janvier 2019,

– débouter M. [P] de ses demandes :

* de rappels d’heures supplémentaires et congés payés afférents, .

* de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et annulation des sanctions,

* de dommages-intérêts pour travail dissimulé,

– le condamner à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières écritures du 4 mai 2022, M. [P] demande de :

– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a :

* annulé l’avertissement disciplinaire du 22 novembre 2018 et la mise à pied disciplinaire du 18 janvier 2019,

* condamné l’employeur à lui régler :

– 396,45 euros bruts à titre de rappels de salaires pour la période correspondant à la mise à pied disciplinaire du 4 au 8 février 2019, outre 39,65 euros bruts au titre des congés payés afférents,

– 660,72 euros bruts à titre de rappels de salaires pour les heures supplémentaires de septembre et octobre 2018, outre 66,07 euros bruts au titre des congés payés afférents,

– 4 879,28 euros bruts à titre de rappels de salaires pour les heures supplémentaires de novembre 2018 à juin 2020, outre 487,93 euros bruts au titre des congés payés afférents,

– le réformer pour le surplus,

– condamner l’employeur à lui payer :

* 1 500 euros nets à titre de dommages-intérêts pour avertissement injustifié le 22 novembre 2018,

* 2 500 euros nets à titre de dommages-intérêts pour mise à pied disciplinaire injustifiée,

* 10 022,40 euros nets à titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé,

* 1 500 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyal du contrat de travail et préjudice moral distinct lié à la dégradation de l’état de santé,

* 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– le condamner à rectifier les bulletins de paie des mois d’octobre 2018 et septembre 2018, sous astreinte de 50 euros par jour de retard suivant un délai de 8 jours à compter de la notification ou de la signification de la décision à intervenir.

Pour l’exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I – Sur l’annulation des sanctions disciplinaires des 22 novembre 2018 et 18 janvier 2019 :

M. [P] indique avoir été sanctionné à de multiples reprises par l’employeur qui lui reproche de ne pas respecter ses plans de transport, de prendre son poste de travail à 18h30 et non à 18h45 et de sélectionner « temps de repos » entre 20h10 et 20h40 chez le client TNT, estimant qu’une fois à quai il peut vaquer librement à ses occupations dès 20h10. (pièces n° 3 et 4)

A cet égard, le salarié soutient que :

– la position de l’employeur est contraire au contrat de travail qui stipule, dans l’exemple qui y figure, que ce n’est que lorsque les opérations de chargement/déchargement par le client débutent dans une à deux heures que le temps d’attente est décompté comme repos (pièce n° 1), de sorte que dès lors que le temps à quai chez le client TNT est d’une demi-heure seulement, il ne peut vaquer librement à ses occupations car à son arrivée il doit réaliser différentes tâches et une fois ces man’uvres terminés, il est susceptible d’être à nouveau sollicité répondre à toute demande et notamment des manipulations de la remorque,

– il s’est expliqué sur les raisons qui le poussent à tenir son poste entre 18h30 et 18h45, à savoir qu’il doit récupérer ses documents de travail, vérifier le chargement, contrôler le numéro du plomb, descendre du quai et enlevez la cale pour démarrer le transport (pièce n° 2), de sorte qu’il n’est pas possible de prendre la route à 19h sans réaliser ces démarches préalables, ce que l’employeur sait pertinemment.

Il ajoute à cet égard que même si son ordre de mission prévoit 15 minutes de temps de travail entre 18h45 et 19h pour permettre la prise de service et la réalisation de ces différentes tâches (pièce n° 15), il s’agit d’une évaluation forfaitisée qui ne tient pas compte d’une réalité que l’employeur n’est jamais venu vérifier sur place,

– le fait de sélectionner comme étant du “temps de travail” la période entre 20h10 et 20h40 chez le client TNT s’explique par le fait qu’une fois arrivé à quai, il est contraint de réaliser les opérations inverses et doit également vérifier, pour des raisons de sécurité, le fait que la remorque soit propre et la nettoyer si besoin à chaque chargement.

Il ajoute que ce temps forfaitisé peut être remis en cause par une arrivée tardive en raison du trafic routier et qu’il peut parfois être sollicité en cours d’opérations, notamment si le personnel de TNT lui demande d’ajuster le niveau de la remorque.

Il sollicite en conséquence l’annulation de l’avertissement du 22 novembre 2018 et de la mise à pied du 18 janvier 2019 et la condamnation de l’employeur à lui payer les sommes suivantes :

– 1 500 euros à titre de dommages-intérêts pour avertissement injustifié,

– 2 500 euros à titre de dommages-intérêts pour mise à pied disciplinaire injustifié, – 396,45 euros bruts à titre de rappels de salaires pour la période correspondant à la mise à pied du 4 au 8 février 2019, outre 39,65 euros bruts au titre des congés payés afférents.

Rappelant :

– d’une part que les conducteurs routiers qu’il emploie n’ont pas d’activité manuelle car les chargements/déchargements des remorques sont effectués par les clients et que, depuis mai 2013, M. [P] était affecté au client TNT selon un ordre de mission rédigé dans les termes suivants :

service TNT [Localité 5] ‘ 18 H 45

– départ vers TNT : 19 H

– arrivée TNT [Localité 4] : 20 H

– mise en repos de 20 H 10 à 20 H 40

– départ vers relais [Localité 6] : 20 H 50

– arrivée lieu de relais : 00 H 05

– mise en repos de 45 minutes

– échange des ensembles à 00 H 55

– départ vers TNT [Localité 4] : 01 H

– arrivée TNT [Localité 4] : 04 H 15

– départ TNT [Localité 4] : 04 H 40

– arrivée TNT [Localité 5] : 05 H 40

– fin de service : 05 H 55 (pièce n° 2)

– d’autre part que seuls les temps de chargement et déchargement non connus à l’avance par le conducteur sont considérés comme du temps de travail et qu’à défaut, il s’agit de temps de repos,

l’employeur indique avoir rapidement constaté que M. [P] positionnait son sélecteur tachygraphe en « attente » ou « travail » sans respecter l’ordre de mission précité.

Pour ces faits, il a été rappelé à l’ordre les 14 novembre 2014 et 7 mai 2015 puis avertis les 21 juillet 2015 et 2 mars 2016 et 7 février 2018 (pièces n° 15 à 17 et 19).

S’agissant de l’avertissement du 22 novembre 2018, il indique reprocher au salarié d’avoir, en septembre 2018, manipulé de manière inappropriée à plusieurs reprises le sélecteur chronotachygraphe, d’avoir pris son poste à 18 H 30 au lieu de 18 H 45 et de ne pas s’être mis en coupure entre 20h10 et 20h40, contrairement au plan de mission. (pièce n° 20)

S’agissant de la mise à pied disciplinaire du 18 janvier 2019, il indique reprocher au salarié divers manquements à la réglementation sociale européenne au mois de décembre 2018 (non respect des temps de conduite).

Au titre de la charge de la preuve qui lui incombe, il produit la synthèse d’activité et relevé d’infractions de M. [P] des mois de janvier à décembre 2018 (pièce n° 31).

A titre liminaire, la cour relève que le litige opposant les parties ne concerne pas tant la matérialité des griefs reprochés au salarié qu’une divergence d’interprétation des dispositions légales, contractuelles, conventionnelles et européennes applicables au décompte du temps de travail dans le transport routier en général et dans le cadre de la relation de travail avec M. [P] en particulier, divergence qui fondent ces griefs.

Sur le premier grief relatif à l’heure de prise de poste par M. [P] à 18h30 au lieu de 18h45, il ressort des pièces produites que le salarié, affecté à un seul client (TNT) exerçait sa mission selon un plan de mission précis prévoyant une prise de poste à 18h45 et un départ à 19h après “vérifs +papiers + portes” (pièce n° 2).

Selon l’employeur, ce temps de 15 minutes a précisément pour objet de permettre au conducteur de procéder aux vérifications préalables à sa mise en route, étant rappelé que s’agissant d’une activité de transport de traction, les remorques sont prises en charge après chargement effectué par les clients eux-mêmes et il ressort de deux courriers électroniques et attestation émanant de la société TNT (peu important à cet égard que les personnes concernées soient d’anciens collègues de travail de l’employeur, ce seul fait étant aucunement de nature à remettre en cause leurs déclarations) que l’intervention du conducteur se limite à contrôler l’arrimage du chargement contre le plateau et les parois par des moyens appropriés et signer la lettre de voiture après plombage de la remorque (pièces n° 43, 58, 59 et 63).

La cour estime qu’il se déduit de ces éléments que dans les 15 minutes prévues par son plan de mission, temps rémunéré comme temps de travail, M. [P] disposait du temps nécessaire pour procéder aux tâches préparatoires au transport lui-même, lesquelles sont de simples vérifications ou formalités à l’exclusion de toute intervention dans le chargement de la remorque (récupérer ses documents de travail, vérifier le chargement, contrôler le numéro du plomb, descendre du quai et enlevez la cale pour démarrer le transport), et ce sans avoir à prendre son poste à 18h30.

Il s’en déduit que le grief – réitéré – d’une prise de poste anticipée non autorisée par l’employeur et indûment déclarée comme temps de travail effectif est fondé.

Sur le second grief relatif à la coupure de 30 minutes chez le client TNT [Localité 4] de 20h10 à 20h40, il ressort du plan de mission précité que le conducteur doit arriver chez le client TNT [Localité 4] à 20h, qu’il dispose de 10 minutes pour se mettre à quai, vérifier les documents et s’assurer de la bonne disposition des palettes et qu’il bénéficie ensuite d’un temps jusqu’à 20h40 qualifié de “repos”. Puis de 20h40 à 20h50, le conducteur dispose d’un temps pour préparer les documents transport et s’assurer de la fermeture des portes avant de repartir, ce temps de vérification étant considéré comme du temps de travail effectif rémunéré comme tel.

Il n’est pas contesté que le salarié positionnait son sélecteur tachygraphe sur « travail » entre 20h10 et 20h40, ce dernier considérant que :

– une fois arrivé à quai il était contraint de réaliser les opérations inverses à celles effectuée avant de prendre la route et qu’il doit en outre vérifier, pour des raisons de sécurité, le fait que la remorque soit propre et au besoin de la nettoyer de tout débris,

– que les horaires du plan de mission pouvait être remis en cause par une arrivée tardive,

– qu’il pouvait parfois être sollicité en cours d’opérations, notamment pour ajuster le niveau de la remorque.

Sur le premier point, il ressort des développements qui précèdent que les 20 minutes prévues par le plan de mission (10 minutes à l’arrivée au quai avant déchargement et 10 minutes après chargement), considérées comme du temps de travail, suffisent pour procéder aux tâches de vérifications ou formalités à l’exclusion de toute intervention dans le chargement ou déchargement de la remorque.

Sur ce point, l’attestation de M. [Z] indiquant que “[…] Lorsque j’arrive à TNT [Localité 4] à 20h, on doit mettre la cale, mise à hauteur de la remorque, remplir les documents de transports et vérifier le plomb. Ensuite, je monte sur le quai pour contrôler le chargement et l’arrimage de la marchandise, par la suite je mets les cales pour bien caler la marchandise, entre temps on est tout le temps solliciter pour baisser et remonter la remorque. Donc on ne peut pas disposer de notre temps” (pièce n° 19) ne remet pas en cause la planification de la mission, confirmant que l’heure d’arrivée dans les locaux de la société TNT est 20h, se bornant à évoquer ce qui se passe ensuite sous forme de considérations générales et de façon en partie incohérente, en particulier lorsqu’il affirme être “tout le temps” sollicité pour baisser ou remonter la remorque (et donc ne pas disposer librement de son temps) alors que dans l’hypothèse, par définition non systématique, d’un décalage entre la remorque et le quai, l’ajustement doit être effectué une seule fois à l’arrivée au quai, soit dans le temps de 10 minutes prévu à cet effet (pièce n° 19).

Par ailleurs, le fait qu’un autre salarié se soit plaint comme M. [P] du décompte du temps de travail effectué par l’employeur n’est pas de nature à rendre pertinent l’analyse à laquelle celui-ci procède (pièce n° 25).

Au surplus, la cour relève que dans une lettre de réclamation datée du 21 janvier (année illisible) portant sur le mois de novembre 2018, M. [P] fonde sa réclamation au titre d’un temps de travail effectif entre 20h10 et 20h40 non pas sur l’accomplissement d’un travail ou le respect de directive de l’employeur mais uniquement sur le fait que “[…] mon camion est à quai en chargement et je suis dans l’enceinte de l’Entreprise TNT” (pièce n° 18).

Enfin, l’employeur justifie d’une attestation de M. [M], responsable réseau, indiquant “avoir notifié à Monsieur [P] [J] lors de mon accompagnement en date du 08.11.18 qu’après la mise à quai chez TNT, le personnel de chargement n’avait aucunement besoin de sa présence sur le quai. Présence qui est d’ailleurs interdite à toute personne étrangère au personnel TNT et que par conséquent, ce temps devait être du temps de repos, ce qui permet également le respect de la RSE” (pièce n° 48).

Dans ces conditions, peu important que depuis janvier 2019 et la notification de la mise à pied disciplinaire M. [P] respecte son plan de mission, ce y compris la coupure de 30 minutes à 20h10 sur le site de TNT (pièce n° 41), dès lors que M. [P] ne justifie :

– ni de l’exercice d’une activité pour le compte de son employeur ou à la demande du client pendant ce temps de repos, ni de directives de l’employeur l’empêchant de disposer librement de son temps,

– ni que le plan de mission prévoyant des plages horaires pour effectuer les démarches et vérifications qui lui incombe avant ou après ce temps de repos est insuffisant pour y procéder, de sorte que ce temps de repos devrait être qualifié de temps de travail effectif pris en compte pour 100% de leur durée par la convention collective des transports routiers applicable,

il y a lieu de considérer que le choix délibéré et réitéré du salarié de déterminer comme “travail” la période de 30 minutes prévue comme repos, caractérise le grief allégué.

Il se déduit des développements qui précèdent d’une part que l’avertissement du 22 novembre 2018 et la mise à pied disciplinaire notifiée le 18 janvier 2019 sont bien fondés, le jugement déféré étant infirmé sur ce point, et d’autre part que les demandes afférentes de M. [P] à titre de dommages-intérêts et de rappel de salaire sur la mise à pied seront rejetées.

II – Sur les demandes de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires :

Aux termes de l’article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l’article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l’employeur tient à la disposition de l’inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

En l’espèce, M. [P] réclame à ce titre les sommes suivantes :

– 660,72 euros bruts, outre 66,07 euros bruts au titre des congés payés afférents, pour les heures supplémentaires prétendument effectuées en septembre et octobre 2018,

– 4 879,28 euros bruts, outre 487,93 euros bruts au titre des congés payés afférents, pour les heures supplémentaires prétendument effectuées de novembre 2018 à juin 2020.

a – Sur la demande relative à septembre et octobre 2018 :

La demande du salarié concerne des “heures supplémentaires majorées à 50%” effectuées en septembre 2018 (19h33) et octobre 2018 (21h09).

Au titre des éléments qu’il lui incombe d’apporter, il produit les tableaux d’analyse d’activité pour les mois de septembre et octobre 2018 (pièces n° 8 et 9).

La cour considère que ces éléments sont suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Sur ce point, l’employeur conclut au rejet de la demande et produit un tableau récapitulatif des heures travaillées et payées depuis 2015, ce qui est sans rapport avec la solution du litige (pièce n° 42)

La cour relève néanmoins qu’au titre des heures supplémentaires réclamées, M. [P] intègre le temps correspondant à sa prise de poste anticipée (18h30-18h45) et son temps de repos (20h10-20h40), ce qu’il n’est pas fondé à faire compte tenu des développements qui précèdent démontrant que ces heures résultent en réalité du positionnement erroné de son chronotachygraphe en position “travail”.

En revanche, il ressort des deux tableaux qu’il produit que sa demande porte également sur du temps de travail effectué entre 6h et 6h30, ce qui correspond – selon le plan de mission produit par ailleurs – à la fin de son service.

Sur ce point, l’employeur ne justifie d’aucun élément de nature à expliquer pourquoi il considère ce temps comme n’étant pas du temps de travail effectif devant être pris en compte au titre des heures supplémentaires et le fait qu’il s’agisse d’un “travail non conforme à l’ordre de mission”, appréciation dont le bien fondé est au demeurant non démontré, étant en tout état de cause insuffisant à cet égard.

En conséquence, l’employeur échouant à rapporter la preuve qui lui incombe, il y a lieu de considérer que la créance du salarié pour les heures supplémentaires effectuées en fin de service est établie et la cour fixe à la somme dûe à 176,40 euros, outre 17,64 euros au titre des congés payés afférents, le jugement déféré étant partiellement infirmé sur ce point.

b – Sur la demande relative à la période entre novembre 2018 et juin 2020 :

Expliquant avoir cessé d’actionner en temps de travail les 2 périodes de travail litigieuse par crainte d’être licencié alors que ses sujétions d’emploi sont restées les mêmes et le conduisent à travailler rigoureusement de la même manière, le salarié s’estime créancier de 214,3 heures supplémentaires non réglées de novembre 2018 à juin 2020.

La cour relève néanmoins qu’au titre des éléments qu’il lui incombe d’apporter, M. [P] ne produit strictement aucun élément quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

La demande sera en conséquence rejetée, le jugement déféré étant infirmé sur ce point.

III – Sur le rappel de salaire de décembre 2019 et le travail dissimulé :

Au terme de l’article L. 8223-1 du code du travail, le salarié auquel l’employeur a recours dans les conditions de l’article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L.8221-5 du même code relatifs au travail dissimulé, a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

L’article L. 8221-5 2° du code du travail dispose notamment qu’est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour un employeur de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli.

Toutefois, la dissimulation d’emploi salarié prévue par ces textes n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a agi de manière intentionnelle.

En l’espèce, M. [P] soutient que 2 versions d’un même relevé d’activité mensuelle sont produits pour le mois décembre 2019, le premier obtenu par lui directement sans que l’employeur ne le sache, le second qui lui a été communiqué par l’employeur avec son bulletin de paie (pièces n° 17 et 18) et en conclut que l’employeur a frauduleusement réduit ses heures de travail du mois en lui supprimant plus de 9 heures de temps de conduite et que la régularisation sur le bulletin de paye de février 2019 est uniquement dûe à la saisine de la juridiction prud’homale le 13 février 2019.

Il sollicite en conséquence 148,68 euros bruts à titre de rappel de salaires correspondant aux 9 heures déduites abusivement et 10 022,40 euros nets à titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé.

L’employeur oppose qu’il n’y a aucune incohérence entre les deux documents produits dans la mesure où l’employeur, lorsqu’il constate des irrégularités, les corrige, ce qui explique que deux relevés d’activité distincts puissent coexister et ajoute que les sommes réclamées ont été régularisées sur le bulletin de salaire de février 2020 (pièce n° 29).

Toutefois, nonobstant le fait qu’il ressort de l’examen comparé des deux tableaux produits que le nombre d’heures déduites n’est pas 9 mais 6h20 contrairement à ce qu’affirme le salarié, les parties admettent qu’une régularisation des heures indûment déduites a été effectuée en février 2020, de sorte que M. [P] n’est pas fondé à réclamer deux fois le paiement de ces heures.

Par ailleurs, cette divergence d’appréciation entre le salarié et l’employeur sur le nombre d’heures de conduite à prendre en compte ne relève pas d’une volonté avérée de dissimulation d’emploi salarié de la part de l’employeur.

Les demandes à titre de rappel de salaire et d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé seront donc rejetées, le jugement déféré étant confirmé sur ce point.

IV – Sur l’exécution déloyale du contrat de travail :

M. [P] soutient qu’alors qu’il est travailleur de nuit et handicapé, devant bénéficier à ce double titre d’une surveillance médicale renforcée selon le code du travail :

– il subi depuis 2015 des pressions de son employeur et des sanctions injustifiées,

– il a été contraint de signer un relevé d’infractions alors que celles-ci sont dues à sa charge de travail et à l’organisation interne de la société,

– il a été placé en arrêt de travail du 17 décembre 2018 au 11 avril 2019 et hospitalisé aux urgences le 19 décembre 2018 (pièces n° 10 et 11)

et sollicite en conséquence la somme de 1 500 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et préjudice moral distinct lié à la dégradation de son état de santé.

Néanmoins, il ressort des développements qui précèdent que ce que le salarié désigne comme des “pressions” de son employeur s’agissant du décompte de ses temps de conduite, de travail ou de repos, relève en réalité d’une interprétation erronée de sa part des règles applicables dont il ne saurait faire grief à son employeur de les lui rappeler et même d’user de son pouvoir disciplinaire à son égard, y compris en établissant un relevé d’infractions dont les causes sont, de fait, établies alors que le salarié procède à cet égard par voie d’affirmation.

Par ailleurs il ne ressort pas des arrêts de travail et autres éléments médicaux produits le moindre lien avec son activité professionnelle.

Au surplus, M. [P] ne justifie d’aucun préjudice.

Sa demande à ce titre sera donc rejetée, le jugement déféré étant infirmé sur ce point.

V – Sur les demandes accessoires :

– sur les bulletins de paye :

L’employeur sera condamné à rectifier les bulletins de paye des mois de septembre et octobre 2018 conformément au présent arrêt, le jugement déféré étant confirmé sur ce point.

En revanche les circonstances de l’espèce ne justifient pas que cette condamnation soit assortie d’une astreinte, la demande à cet égard étant rejetée, le jugement déféré étant infirmé sur ce point.

– sur les frais irrépétibles et les dépens :

Le jugement déféré sera infirmé sur ces points sauf en ce qu’il a rejeté la demande de la société Transports [X] au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Les demandes des parties au titre de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel seront rejetées.

M. [P] succombant pour l’essentiel, il supportera les dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement rendu le 21 octobre 2021 par le conseil de prud’hommes de DIJON sauf en ce qu’il a :

– rejeté les demandes de M. [J] [P] à titre de :

* rappel de salaire pour le mois de décembre 2019,

* d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

– rejeté la demande de la société Transports [X] au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– ordonné à la société Transports [X] de rectifier les bulletins de paie des mois de septembre et octobre 2018,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

REJETTE les demandes de M. [J] [P] :

– aux fins d’annulation de l’avertissement du 22 novembre 2018 et la mise à pied disciplinaire notifiée le 18 janvier 2019,

– à titre de dommages-intérêts pour avertissement et mise à pied injustifiés,

– à titre de rappels de salaires pour la période de mise à pied, outre les congés payés afférents,

– à titre de rappels de salaires pour heures supplémentaires de novembre 2018 à juin 2020, outre les congés payés afférents,

– à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et préjudice moral distinct,

– au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– au titre de l’astreinte,

CONDAMNE la société Transports [X] à payer à M. [J] [P] la somme de 176,40 euros à titre de rappels de salaires pour heures supplémentaires de septembre et octobre 2018, outre 17,64 euros au titre des congés payés afférents,

REJETTE la demande de la société Transports [X] au titre de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel,

CONDAMNE M. [J] [P] aux dépens de première instance et d’appel.

Le greffier Le président

Kheira BOURAGBA Olivier MANSION

 


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