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SD/CV
N° RG 22/00930
N° Portalis DBVD-V-B7G-DPP5
Décision attaquée :
du 12 septembre 2022
Origine : conseil de prud’hommes – formation paritaire de BOURGES
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Mme [L] [N]
C/
S.A.S. I T M
LOGISTIQUE ALIMENTAIRE INTERNATIONAL
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Expéd. – Grosse
Me PIGNOL 26.5.23
Me LE ROY 26.5.23
DES BARRES
COUR D’APPEL DE BOURGES
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 26 MAI 2023
N° 71 – 9 Pages
APPELANTE :
Madame [L] [N]
[Adresse 4]
Représentée par Me Pierre PIGNOL de la SELARL ALCIAT-JURIS, avocat au barreau de BOURGES
INTIMÉE :
S.A.S. ITM LOGISTIQUE ALIMENTAIRE INTERNATIONAL
[Adresse 1]
Représentée par Me Adrien-Charles LE ROY DES BARRES, avocat postulant, du barreau de BOURGES, substituant l’avocat plaidant, Me Servane JULLIE de la SELARL CAPSTAN OUEST, du barreau de NANTES
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats et du délibéré :
PRÉSIDENT : Mme VIOCHE, présidente de chambre
ASSESSEURS : Mme de LA CHAISE, présidente de chambre
Mme CLÉMENT, présidente de chambre
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme JARSAILLON
DÉBATS : A l’audience publique du 07 avril 2023, la présidente ayant pour plus ample délibéré, renvoyé le prononcé de l’arrêt à l’audience du 26 mai 2023 par mise à disposition au greffe.
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ARRÊT : Contradictoire – Prononcé publiquement le 26 mai 2023 par mise à disposition au greffe.
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FAITS ET PROCÉDURE :
La SAS ITM Logistique Alimentaire International (ci-après dénommée SAS ITM LAI) exploite une activité logistique alimentaire pour l’enseigne de grande distribution ‘Intermarché’ et emploie plus de 11 salariés. Elle exploite dans ce cadre un entrepôt situé à [Localité 2] (Cher).
Suivant contrat à durée déterminée en date du 12 novembre 2018, Mme [L] [N] a été engagée du 12 novembre 2018 au 11 mai 2019 par cette société en qualité de préparatrice au service Exploitation, statut employé, niveau 2, échelon 1. Suivant avenant en date du 13 mai 2019, les parties ont convenu que leur relation de travail se poursuivrait dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée, aux termes duquel Mme [N] a été engagée en qualité de préparatrice, moyennant un salaire brut mensuel de 1 627,63 €, contre 35 heures de travail effectif par semaine.
Selon le contrat de travail et son avenant, la convention collective nationale du commerce de Détail et de Gros à Prédominance alimentaire s’est appliquée à la relation de travail.
Mme [N] a été élue membre du Comité Social et Economique le 12 novembre 2019.
Les parties s’accordent à dire que fin septembre 2020, Mme [N] s’est plainte auprès de M. [D], Responsable des Ressources Humaines au sein de l’entreprise, d’un message vocal laissé par une collègue de travail, Mme [J] [R], sur la messagerie de son téléphone.
L’employeur a diligenté une enquête interne début octobre 2020.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 20 octobre 2020, Mme [N] a été convoquée à un entretien préalable à une éventuelle sanction, fixé le 5 novembre 2020, et, le 13 novembre suivant, mise à pied à titre disciplinaire pendant 5 jours, du 23 au 27 novembre 2020.
Le 3 mai 2021, invoquant un harcèlement moral, Mme [N] a saisi le conseil de prud’hommes de Bourges, section commerce, d’une action en paiement de dommages et intérêts pour sanction infligée de manière vexatoire en réaction au harcèlement moral dénoncé et pour harcèlement moral et manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. Elle réclamait également une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que la condamnation de l’employeur aux dépens.
La SAS ITM LAI s’est opposée aux demandes et a réclamé une somme pour ses frais de procédure.
Par jugement du 12 septembre 2022, auquel il est renvoyé pour plus ample exposé, le conseil de prud’hommes a débouté Mme [N] de l’ensemble de ses prétentions et la SAS ITM LAI de sa demande d’indemnité de procédure, et a condamné la salariée aux dépens.
Le 16 septembre 2022, Mme [N] a régulièrement relevé appel de cette décision par voie électronique.
DEMANDES ET MOYENS DES PARTIES :
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère expressément
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à leurs conclusions.
1 ) Ceux de Mme [N] :
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 14 décembre 2022, poursuivant l’infirmation du jugement déféré, elle sollicite que la cour, statuant à nouveau :
– écarte des débats la pièce adverse n° 4 s’agissant de l’enquête réalisée par l’employeur en son absence,
– condamne la SAS ITM LAI à lui payer les sommes suivantes :
– 2 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la mise à pied vexatoire infligée en raison du harcèlement moral dénoncé,
– 308,30 euros à titre de rappel de salaire pour mise à pied,
– 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement,
– 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité,
– 4 000 euros à titre d’indemnité de procédure,
ainsi qu’à tous les dépens.
2 ) Ceux de la SAS ITM Logistique Alimentaire International :
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 6 mars 2023, elle demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, de débouter en conséquence la salariée de l’intégralité de ses prétentions et de la condamner au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
* * * * * *
La clôture de la procédure est intervenue le 22 mars 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
1) Sur les demandes en paiement de dommages et intérêts et rappel de salaire pour sanction abusive :
Selon l’article L 1333-1 du code du travail, en cas de litige relatif à une sanction disciplinaire, le juge à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.
En vertu de l’article L 1333-2 du code du travail, le juge peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.
En l’espèce, par courrier du 13 novembre 2020, la SAS ITM LAI a notifié à Mme [N] une mise à pied conservatoire de cinq jours en lui reprochant les faits suivants :
‘(…) Les motifs qui justifient cette sanction sont ceux qui vous ont été exposés lors de l’entretien préalable, à savoir :
– les propos injurieux et grossiers que vous avez proférés à l’égard de Madame [J] [R]
– les gestes déplacés que vous avez commis à l’encontre de cette même salariée.
Le 28 septembre 2020, vous nous avez avisé de propos injurieux et de gestes déplacés que Madame [J] [R] aurait eu à votre égard.
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Du fait de la gravité des faits dénoncés, nous avons immédiatement diligenté une enquête dans le cadre de laquelle nous avons auditionné tous les salariés susceptibles d’avoir été témoins de ces agissements.
Au terme de l’ensemble des auditions menées, il ressort que vous avez vous-même tenu des propos licencieux et insultants à l’égard de Madame [R] et que vous avez adopté, sur le lieu de travail et pendant le temps de travail, à son encontre une attitude totalement déplacée.
En effet, vous vous adressez à Madame [R] en des termes crus et insultants puisque vous l’appelez ‘ la petite salope’ ou ‘ ma vieille salope’.
Les propos injurieux et offensants que vous avez tenus sont corroborés par plusieurs salariés qui en ont été témoins :
– un de vos collègues nous a rapporté que vous avez dit à Madame [R] ‘ Salut vieille salope tu as bien baisé cette nuit”
– un autre nous a rapporté ‘un jour, [L] disait à [J] ‘ t’as des petits yeux, t’as dû te faire sauter toute la nuit’
– De même, un autre nous a informé que ‘ [J] parle mal mais en rigolant, je l’ai jamais trouvé méchante. Elle a déjà dit ‘petite pute, salope’ un peu à tout le monde je pense (…) J’ai déjà entendu [L] dire la même chose, entre elles, depuis longtemps.’
-Un autre a indiqué : ‘je trouve ça bizarre qu’elle porte plainte car elle ne s’en est jamais plaint avant, [L] faisait pareil. ‘
D’autre part, nous avons appris que vous avez dit à Madame [R] ‘ T’as eu ton RJF, t’as sucé le chef pour avoir tes jours ”
Lors de l’entretien préalable, nous vous avons cité chacun des extraits de ces témpoignages et vous avez prétexté à chaque fois ne jamais avoir dit ça et que vous ne vous exprimiez pas en ces termes.
Or, six de vos collègues de travail attestent que vous vous exprimez dans des termes aussi insultants et choquants.
La circonstance selon laquelle Madame [R] tenait ce même type de propos à votre égard ne vous dédouane en rien et il semble que vous aviez adopté à son égard ce mode de communciation.
Vous ne pouvez contester que les termes que vous employez sont des insultes et que vous ne pouvez dénommer votre collègue de travail par ces termes.
Ce langage est inadmissible et reste totalement proscrit.
Vous ne pouvez l’ignorer puisque le réglement intérieur prévoit expressément, en son article 8 que ‘ chaque salarié doit respecter les règles élémentaires de savoir-vivre et de savoir être en collectivité. Toute rixe, injure, insulte, tout comportement agressif et toute incivilité sont interdits dans l’entreprise (…)’.
Si, dans le cadre de votre vie privée, vous estimez pouvoir vous exprimer ainsi, il reste inadmissible que vous employez de tels termes pour vous adresser à votre collègue de travail, à votre poste de travail.
L’enquête a, de même, révélé que vous avrez eu des gestes à connotation sexuelle à l’égard de Madame [R].
Madame [R] nous a indiqué que vous lui avez mis des claques sur les fesses et lui avez touché la poitrine.
Ces allégations sont également corroborées par des témoignages de vos collègues :
-‘[L] a mis des mains aux fesses à [J] en réponse’
-‘Une fois elle a touché la poitrine d'[J] avec une main, c’était quand [L] est revenue donc c’est récent’.
Nous vous rappelons qu’à votre poste de travail et sur les lieux de travail, vous devez respecter l’ensemble des règles de l’établissement et les dispositions prévues par le règlement intérieur et il en est de même pour vos collègues de travail comme pour tout salarié de l’établissement.
Ce comportement est totalement inapproprié et déplacé dans le cadre de l’exercice de vos fonctions.
Pour l’ensemble de ces motifs, nous vous notifions une mise à pied à titre disciplinaire de 5 jours ouvrés (…)’.
Mme [N] a contesté cette sanction par courrier du 19 novembre 2020, en expliquant n’avoir jamais tenu ni adopté les propos et attitudes qui lui sont prêtés.
Elle expose que la relation amicale qu’elle avait initialement nouée avec Mme [R] s’est dégradée en raison du comportement trop familier de celle-ci qui, sans méchanceté mais par immaturité, insultait régulièrement ses collègues de travail et leur touchait les fesses, ce qui était constitutif de brimades et d’agressions sexuelles et qu’elle n’a rapidement plus supporté. Elle soutient ainsi qu’elle en a alerté l’employeur puis le 29 septembre 2020, devant son inertie, a déposé plainte contre Mme [R]. Elle ajoute que la SAS ITM LAI a laissé celle-ci dans le même service qu’elle
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et l’a sanctionnée d’une mise à pied disciplinaire au terme d’une enquête qu’elle conteste et en représailles du harcèlement moral et sexuel qu’elle avait ainsi dénoncé.
Il est acquis que la SAS ITM LAI, après avoir demandé au CHSCT de diligenter une enquête interne, a fait procédé à plusieurs auditions de salariés entre le 7 et le 13 octobre 2020, dont elle produit le compte-rendu en pièce 4, puis a sanctionné de manière indentique Mme [N] et Mme [R], en retenant que les deux salariées avaient adopté l’une envers l’autre le même comportement déplacé.
Pour qu’il soit jugé que cette sanction lui a été infligée à titre vexatoire, Mme [N] invoque que le règlement intérieur sur la base duquel elle lui a été notifiée lui est inopposable et que l’employeur n’apporte pas la preuve des faits reprochés.
Or, d’une part, Mme [N] se contente de demander l’annulation de la sanction dans le corps de ses conclusions sans reprendre cette prétention dans le dispositif de celles-ci si bien que la cour n’en est pas saisie et qu’il est donc indifférent, pour seulement démontrer le caractère vexatoire de la mise à pied qui lui a été notifiée, que le règlement intérieur lui ait été ou non opposable.
D’autre part, afin de mettre en avant l’absence d’élément probant, Mme [N] ne peut réclamer que soit écarté des débats le compte-rendu de l’enquête produit en pièce 4 alors que son examen montre que 29 salariés, dont Mme [N] et Mme [R], ont été entendus par deux membres du CHSCT et un membre de la Direction, et que dès lors, l’employeur a agi de manière loyale compte tenu du nombre de salariés entendus, étant observé que le compte-rendu comporte la signature des membres du CHSCT. Contrairement à ce que soutient Mme [N], cette enquête a été menée contradictoirement puisque l’appelante a seulement dénoncé des faits la concernant et n’a donc pas exercé le droit d’alerte prévu par l’article L. 2312-59 du code du travail et que dès lors, la SAS ITM LAI n’avait pas l’obligation de lui demander de participer aux auditions des salariés en sa qualité de membre du CSE.
Il en résulte que ce compte-rendu de l’enquête interne à laquelle l’employeur a procédé à la suite de la dénonciation par Mme [N] des faits dont elle se prétendait victime n’a pas à être écarté des débats et n’est pas dénué de force probante.
La lecture de cette pièce établissant que plusieurs salariés ont déclaré que Mme [N] et Mme [R] avaient noué des relations amicales qui se sont ensuite dégradées et qu’elles tenaient l’une envers l’autre, par jeu, des propos connotés sexuellement et injurieux, c’est vainement que l’appelante prétend que la matérialité des faits qui lui ont été reprochés n’est pas établie et que la mise à pied qui lui a été infligée avait un but vexatoire et ce d’autant que l’employeur, qui dans l’exercice de son pouvoir de direction a décidé de ne plus les tolérer, a sanctionné les deux salariées de la même façon.
Il en résulte que les demandes en paiement de dommages et intérêts pour sanction vexatoire et de rappel de salaire ne sont pas fondées et que l’appelante, par voie confirmative, doit en être déboutée.
2) Sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour harcèlement moral et sexuel :
Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
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Selon l’article L 1154-1 du même code dans sa version issue de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, il appartient au salarié qui s’estime victime d’un harcèlement moral de présenter les éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Il résulte de ces dispositions que pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce, Mme [N] invoque avoir été victime du harcèlement moral de Mme [R] et de son conjoint, M. [O], la première en lui tenant courant 2020, des propos grossiers connotés sexuellement ( ‘ petite salope’ ‘ petite pute’ …) et en lui touchant les fesses et ce alors que leur amitié avait pris fin, et le second, le 6 novembre 2020, en la menaçant en ces termes après avoir appris qu’elle avait déposé plainte contre Mme [R]: ‘si tu continues, c’est à moi que tu auras à faire’. Elle ajoute qu’elle aurait ensuite subi des pressions de l’employeur pour qu’elle retire sa plainte, ce qu’elle a fini par faire.
Au soutien de ses allégations, elle verse aux débats :
– le procès-verbal de son audition à laquelle la gendarmerie de [Localité 3] a procédé le 29 septembre 2020 et à l’issue de laquelle elle a porté plainte contre Mme [R] pour injures et attouchements,
– la main courante qu’elle a déposée au commissariat de [Localité 2] le 6 novembre 2020 contre M. [O], qui s’approchant d’elle, lui aurait dit ‘arrête de raconter des choses sur ma copine’,
– le courriel que lui a adressé l’employeur suite à l’exercice par Mme [N] d’un droit de retrait en faisant valoir qu’elle était ‘sous le choc’ des menaces proférées par M. [O],
– le courrier qu’elle a adressé le 8 novembre suivant au Parquet de [Localité 2] pour retirer sa plainte, ce qu’elle justifiait par la ‘pression et l’ambiance’ que sa plainte avait ‘créé sur (son) lieu de travail’,
– la demande de changement de poste qu’elle a adressée à son employeur le 29 janvier 2021 pour ne plus être en contact avec Mme [R] ainsi que la réponse que lui a faite ce dernier le 23 février suivant,
– trois témoignages de collègues qui ne relatent cependant pas avoir personnellement constaté des faits de harcèlement.
Il résulte des pièces versées au dossier que la dégradation des relations qui ont existé entre
Mme [N] et Mme [R] a pour origine un incident d’ordre privé, la seconde ayant laissé, le 12 septembre 2020, à la première, alors qu’elle se trouvait à son domicile, sur son téléphone, un message vocal à forte connotation sexuelle, reproduit en ces termes: ‘ ouais vieille taupe, alors on se fait sauter espèce de cochonne t’aime ça c’est ça que tu ne me réponds pas espèce de vielle salope petite pute allez rappelle moi, bouffonne et baise bien’. Le conflit que ce message a provoqué entre les interessées s’est étendu à leurs relations professionnelles.
Mme [N] qui, dans un premier temps, selon la pièce n°4 de l’employeur, avait toléré les propos déplacés que Mme [R] lui tenait depuis 2019 dans le cadre privé comme professionnel et lui parlait de la même manière, prétend ne les avoir ensuite plus supportés ce qui justifie selon elle sa décision de s’en plaindre à l’employeur.
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Il ne ressort cependant pas des pièces versées que si elle a évoqué la teneur du message laissé et les propos tenus en général par Mme [R], elle ait indiqué à l’intimée que celle-ci lui faisait subir des attouchements, dont la matérialité ne se trouve du reste établie par aucun élément, et celle-ci a fait valoir auprès du CHSCT, lors de l’enquête interne qui a été diligentée, que c’était Mme [N] qui lui avait touché la poitrine.
Par ailleurs, la réponse qu’a apportée l’employeur, à la demande de changement de poste formée par Mme [N], est adaptée à la situation dénoncée, en ce que celui-ci a rapidement énoncé les postes auxquels elle ne pourrait pas être affectée et par ailleurs, aucun élément médical n’est produit à l’appui des allégations de la salariée qui ne prétend pas que sa santé s’est trouvée altérée par le harcèlement moral et sexuel mis en avant mais seulement que ses conditions de travail s’en sont trouvées dégradées. La cour observe à cet égard que Mme [N] ne reproche pas de faits de harcèlement moral à la SAS ITM LAI puisqu’en page 8 de ses conclusions, elle n’invoque que les faits de harcèlement moral et sexuel de ‘ Madame [R] et son conjoint’, en le reprenant en ces termes dans la partie 2.1 de celles-ci, et ne produit aucun élément démontrant l’existence de pressions.
Seules les menaces que M. [O] a proférées à son encontre sur leur lieu de travail sont établies puisque l’employeur en a admis la réalité par mail faisant suite à l’exercice par l’appelante de son droit de retrait mais il s’agit d’un acte isolé qui ne permet pas de caractériser un harcèlement moral.
Il en résulte que comme l’ont exactement dit les premiers juges, Mme [N] n’établit pas la matérialité de faits qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer qu’elle a subi le harcèlement moral et sexuel allégué.
Le jugement est donc confirmé en ce qu’il l’a déboutée de la demande en paiement de dommages et intérêts formée de chef.
3) Sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité :
L’article L. 4121-1 du code du travail dispose que l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l’article L.4161-1 ;
2° Des actions d’information et de formation ;
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
En l’espèce, Mme [N] soutient que devant l’inertie de son employeur, elle a dû, le 29 janvier 2021, solliciter de celui-ci un changement de service afin qu’elle ne soit plus en contact avec Mme [R] alors que c’est la société qui aurait dû en prendre l’initiative. Elle ajoute que finalement, le 23 février 2021, la SAS ITM LAI lui a proposé plusieurs postes de travail, et qu’alors qu’elle avait accepté un poste en ‘réception sec’, l’employeur l’a affectée sur un poste de ‘préparation sec’ normalement réservé aux hommes car induisant le port de lourdes charges, qu’elle ne peut depuis même pas prendre de pauses ni réaliser les objectifs qui lui sont assignés et qu’en agissant ainsi, la société qui n’a pas suivi les préconisations du médecin du travail, tente de la pousser à la démission.
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Il ressort des éléments versés à la procédure que le 29 janvier 2021, Mme [N] a effectivement demandé à la SAS ITM LAI de la changer de poste afin de lui éviter de côtoyer Mme [R] et a jouté qu’elle souhaitait conserver ses horaires du matin ou de nuit, en lui indiquant qu’elle ne pouvait pas travailler l’après-midi pour raisons médicales. Le 23 février 2021, l’intimée a répondu à l’appelante que plusieurs postes existaient pour qu’elle n’ait plus à croiser Mme [R] et lui a demandé de faire un retour sur les possibilités ainsi émises.
La demande de changement d’affectation formée par Mme [N] a donc été acceptée par la SAS ITM LAI, et il n’est pas discuté que le 10 novembre 2021, elle a été affectée sur un poste de ‘préparation sec’ qu’elle avait évoqué dans son courrier du 23 février 2021 comme l’une des possibilités s’offrant à elle sans que celle-ci ne la refuse expressément puisqu’elle a indiqué seulement par mail du 23 février 2021, refuser le poste de ‘préparation gel’ pour des raisons médicales.
Mme [N] ne peut reprocher à l’employeur de ne pas avoir pris la précaution de ce changement d’affectation alors que l’enquête interne à laquelle il a procédé mettait en évidence des agissements déplacés réciproques de la part de Mme [N] et de Mme [R], auxquels il pouvait en outre légitimement penser avoir mis un terme en sanctionnant de la même façon les deux salariées. Le 31 janvier 2022, le médecin du travail, qui a examiné Mme [N] à sa demande, a proposé de ‘mitiger l’activité de préparateur et de cariste (50%/ 50%) afin de diminuer la pénibilité du poste’.
L’employeur démontre que plusieurs femmes sont affectées sur des postes de ‘préparateur sec’, que par ailleurs, Mme [N] lui a demandé, le 19 mars 2022, d’être affectée sur un poste ‘en tirage à quai interbase’, et par sa pièce 31, qu’il a échangé à plusieurs reprises avec le médecin du travail sur les demandes de changement de poste formulées par la salariée et les aménagements de postes qui seraient nécessaires. Il résulte enfin de sa pièce n° 32, sans que cela soit contesté par l’intéressée, qu’à compter du 18 avril 2022, celle-ci a été affectée à 50%sur un poste de ‘tirage à quai interbase’ et à 50% sur celui de ‘préparateur de commandes sec’ conformément à l’avis favorable donné par le médecin du travail qui a estimé que cette affectation répondait à ses préconisations après adaptation.
La SAS ITM LAI, dont l’inaction est injustement mise en avant par la salariée dès lors, compte tenu de ce qui précède, qu’elle a sans délai diligenté une enquête interne lorsque celle-ci s’est plainte du comportement de sa collègue, puis a échangé à plusieurs reprises avec le médecin du travail sur les aménagements de poste nécessaires à sa santé, a pleinement satisfait à son obligation de sécurité.
Il en résulte qu’en l’absence de manquement de l’employeur à celle-ci, qui est une obligation de moyens renforcée et non de résultat contrairement à ce que la salariée soutient, Mme [N] doit également être déboutée de la demande en paiement de dommages et intérêts qu’elle formée à ce titre. Le jugement déféré est donc également confirmé sur ce point.
4) Sur les autres demandes :
Le jugement est confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
Mme [N], qui succombe devant la cour, sera condamnée aux dépens d’appel et déboutée en conséquence de sa demande en paiement d’une indemnité de procédure. En équité, la SAS ITM LAI gardera la charge de ses frais irrépétibles, en sorte qu’elle sera déboutée de sa demande fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
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PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt contradictoire et prononcé par mise à disposition du greffe :
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Y AJOUTANT :
DÉBOUTE les parties de leur demande fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE Mme [L] [N] aux dépens d’appel.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus ;
En foi de quoi, la minute du présent arrêt a été signée par Mme VIOCHE, présidente de chambre, et Mme DELPLACE, greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
S. DELPLACE C. VIOCHE