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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-7
ARRÊT AU FOND
DU 23 JUIN 2023
N°2023/212
Rôle N° RG 21/03527 – N° Portalis DBVB-V-B7F-BHCOA
S.A.S. KALHYGE 4
C/
[L] [D]
Syndicat UNION LOCALE DES SYNDICATS CGT TIMONE-CAPELETTE
Copie exécutoire délivrée
le : 23 juin 2023
à :
SELARL ALERION SOCIETE D’AVOCATS
AARPI KARAA
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Marseille en date du 04 Février 2021 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 19/00075.
APPELANTE
S.A.S. KALHYGE 1 venant aux droits de la société KALHIGE 4 par fusion du 31 mars 2021, demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Jacques PEROTTO de la SELARL ALERION SOCIETE D’AVOCATS, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Quentin KERAVAL, avocat au barreau de PARIS
INTIME
Monsieur [L] [D], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Léa TALRICH de l’AARPI KARAA, avocat au barreau de MARSEILLE
PARTIE INTERVENANTE
Syndicat UNION LOCALE DES SYNDICATS CGT TIMONE-CAPELETTE représentée par M. [P] [B], secrétaire général en exercice, dument mandaté, et domicilié au siège de l’union locale,, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Léa TALRICH de l’AARPI KARAA, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 05 Mai 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Françoise BEL, Président de chambre, et Madame Raphaelle BOVE, Conseiller, chargés du rapport.
Madame Raphaelle BOVE, Conseiller, a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Françoise BEL, Président de chambre
Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseiller
Madame Raphaelle BOVE, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Agnès BAYLE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 23 Juin 2023..
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 23 Juin 2023.
Signé par Madame Françoise BEL, Président de chambre et Mme Agnès BAYLE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Faits, procédure, prétentions et moyens des parties:
La société Kalhyge 4 (ci-après ‘la société’) intervient dans le secteur de la location et l’entretien de vêtements, du linge et des équipements d’hygiène à destination des professionnels de l’hôtellerie, de la restauration, de la santé et de l’industrie.
La société compte plusieurs établissements répartis en France dont un situé à [Localité 4], établissement au sein duquel s’est tenu un mouvement social le 13 février 2018, à l’appel du syndicat CGT.
L’employeur a mandaté un huissier de justice afin de constater dans un procès-verbal l’ensemble des faits s’étant déroulés. Ce dernier a notamment relevé dans son constat la présence de certains salariés bloquant l’entrée principale du site et refusant d’en laisser entrer et sortir les camions dont M.[L] [D].
Le jour même, la société a signé un protocole d’accord de fin de grève avec le syndicat CGT.
M.[L] [D] a été embauché par contrat à durée indéterminée le 1er décembre 1986 en qualité d’agent de production.
La société a convoqué le salarié à un entretien en vue d’une éventuelle sanction le 14 mars 2018. Elle lui a notifié le 3 avril 2018 une mise à pied disciplinaire d’une journée pour avoir le 13 février 2018, lors du mouvement social, fait obstruction à la sortie d’un camion du site, empêchant de ce fait les non-grévistes de travailler. Cette journée non travaillée a donné lieu à une retenue sur le salaire d’avril 2018.
Le syndicat CGT a contesté dans un courrier du 4 avril 2018 cette sanction.
Par courrier du 17 mai 2018, l’employeur a maintenu sa décision.
Le 15 janvier 2019, le salarié a saisi le conseil des prud’hommes de Marseille aux fins notamment de contestation de sa mise à pied disciplinaire, de rappel de salaire et de reconnaissance de la violation de son droit de grève, une demande indemnitaire subséquente étant formulée.
Par jugement du 4 février 2021, le conseil a:
– annulé la mise à pied disciplinaire du 7 mai 2018,
– condamné la société à verser à le salarié les sommes de :
– 92,57 euros au titre de rappel de salaire pour la journée du 7 mai 2018 outre 9,26 euros de congés payés afférents,
– 1000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation du droit de grève,
– 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société à remettre à le salarié sa fiche de paye du mois d’avril 2018 modifiée,
– condamné la société aux entiers dépens.
L’employeur a interjeté appel de cette décision le 9 mars 2021.
La société a été absorbée le 1er avril 2021 par la société Kalhyge 1 laquelle vient aux droits de celle-ci.
Un avis d’irrecevabilité des conclusions et pièces déposées par le salarié le 1er décembre 2021 a été rendu le 18 janvier 2022.
Par conclusions du 23 mai 2022, l’union locale des syndicats CGT Timone-Capelette, ci-après désignée ‘l’union CGT’ a formé une intervention volontaire en cause d’appel afin notamment d’obtenir la confirmation du jugement entrepris et de voir la société condamnée à lui payer des dommages et intérêts pour violation de l’accord de fin de conflit du 13 février 2018.
L’employeur a sollicité du conseiller de la mise en état qu’il déclare irrecevables les conclusions d’intimé notifiées le 1er décembre 2021 et les conclusions d’ intervention volontaire de ‘l’union CGT’.
Par ordonnance du 17 février 2023, le conseiller de la mise en état :
– a déclaré irrecevables les conclusions déposées par les salariés;
– a dit qu’il n’entre pas dans les pouvoirs du conseiller de la mise en état de statuer sur la recevabilité des pièces communiquées par l’union CGT;
– s’est déclaré incompétent pour connaître de la recevabilité des conclusions d’intervention volontaire de l’union CGT.
Dans ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 12 avril 2023, l’employeur demande à la cour :
– de recevoir la société Kalhyge 1 venant aux droits de la société Kalhyge 4 en ses écritures, fins et conclusions,
-d’infirmer le jugement entrepris,
Statuant à nouveau :
– de dire et juger que le procès-verbal de constat réalisé par Maître [X] est recevable,
– de dire et juger que la mise à pied disciplinaire du salarié repose bien sur une faute lourde pour usage abusif du droit de grève,
– de débouter le salarié de l’intégralité de ses demandes,
– d’ordonner la restitution des sommes perçues par le salarié au titre de l’exécution provisoire,
– de débouter le syndicat CGT de l’ensemble de ses demandes,
– de condamner chaque salarié à lui verser la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– de condamner le syndicat CGT à lui verser la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– de dire que les dépens de la présente instance seront distraits au profit du cabinet Alerion Avocats.
La société fait grief au jugement entrepris d’avoir écarté des débats le constat d’huissier qu’il considère valide. À ce titre, l’employeur fait valoir :
– que l’huissier n’a pas outrepassé ses droits, ses interpellations à destination des salariés grévistes n’ayant eu pour seul but que d’éclairer son constat ;
– que si la cour considérait que l’huissier avait outrepassé son office, le constat ne devrait pas être écarté mais serait simplement dépourvu de force probante, cet effet n’empêchant toutefois pas la cour d’en exploiter le contenu.
Sur le respect du droit de grève, la proportionnalité et la validité de la sanction prononcée :
– que le fait pour un employeur de demander à des salariés grévistes de libérer l’entrée principale d’un site n’est pas constitutif d’un usage illicite du pouvoir de direction et partant d’ une entrave au droit de grève;
– qu’en entravant l’accès des camions au site, les salariés grévistes ont porté atteinte à l’organisation de l’entreprise et ont fait un usage abusif du droit de grève en privant les salariés non-grévistes de leur droit de travailler, ces faits constituant une faute lourde justifiant le prononcé d’une sanction disciplinaire;
– qu’il importe peu que le site de l’entreprise ait d’autres accès dès lors que le blocage a eu lieu au niveau de l’accès principal de l’établissement;
– que la mention des termes’faute lourde’ au sein de la lettre de notification de mise à pied n’est pas requise par la loi, seul ce niveau de faute permettant de sanctionner un salarié pour des faits de grève abusive;
Sur l’intervention de l’union CGT:
– qu’aucune atteinte à la profession ou au respect du droit de grève ne peut être constatée ;
– que celle-ci n’a subi aucun préjudice direct lié aux faits objets de la cause.
Dans ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 11 avril 2023, l’union CGT demande à la cour de :
– débouter l’employeur de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– de prononcer la recevabilité de son intervention volontaire,
– de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
– de condamner l’employeur à lui verser la somme de 1000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice porté à la profession du fait de la violation de l’accord de fin de conflit du 13 février 2018 et de la sanction des grévistes,
– de condamner l’employeur à verser à chaque salarié la somme de 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de l’appel,
– de condamner l’employeur outre aux entiers dépens d’appel, à lui verser la somme de 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Sur le procès-verbal de constat, l’union CGT fait valoir:
– que l’huissier mandaté par la société a outrepassé ses droits en demandant aux salariés grévistes de décliner leur identité, de laisser passer les camions de la société et en les auditionnant sur leurs intentions de grève lors d’une réunion préalable au constat de fin de grève, ne retranscrivant pas leurs propos in extenso mais les résumant et de fait les interprétant ;
– qu’un constat d’huissier effectué en violation des dispositions légales et via des procédés interdits constitue une preuve illicite qui ne peut être retenue et doit être écartée des débats.
Elle précise que l’employeur ne rapporte pas la preuve des faits d’entrave reprochés aux salariés dès lors que :
– les camions qui tentaient de sortir du site n’étaient pas chargés puisqu’aucun salarié n’avait procédé à leur chargement,
– l’entreprise disposait d’un second accès spécifique aux entrées et sorties de camions, que les grévistes n’ont pas obstrué,
– la société ne rapporte pas la preuve de ce que des salariés non grévistes avaient été empêchés de travailler.
Elle fait valoir en tout état de cause, que les sanctions doivent être annulées du fait de l’absence de la mention ‘faute lourde’ dans les lettres de mises à pied.
L’union CGT fait enfin grief à l’employeur d’avoir violé le droit de grève en ne respectant pas les dispositions de l’article 4 du protocole d’accord de fin de grève du 13 février 2018. Elle précise que cette violation porte atteinte aux intérêts collectifs de la profession et chiffre en conséquence son préjudice.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions déposées.
Motifs
Sur le procès-verbal de constat établi le 13 mars 2018
Aux termes de l’article 1er alinéa 2 de l’ordonnance n°45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers, ces derniers ‘peuvent, commis par justice ou à la requête de particuliers, effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter’.
En l’espèce, le procès-verbal fait la relation des faits constatés et des propos tenus par les différents protagonistes présents sur le site, plus précisément.
Si la lecture du constat révèle que l’huissier a effectivement demandé aux quatre salariés membres de la délégation syndicale de décliner leur identité, de préciser les motifs du mouvement social et leur a fait savoir que la direction entendait faire sortir les camions du site afin d’effectuer leurs livraisons, le procès-verbal précise que ces interpellations ont été faites après avoir décliné son identité, sa qualité et l’objet de la mission, aucun avis n’étant émis suite au recueil des réponses faites par les salariés.
Il en est de même s’agissant des constatations effectuées sur le parking du site dans lesquelles l’huissier indique :
‘Là, à 9h40, une quinzaine de personnes s’est postée devant le portail et le premier camion de marque IVECO immatriculé DE506GR.
Je me suis dirigé vers les personnes présentes devant le camion et le portail, et après avoir décliné mes nom, prénom, qualité et l’objet de ma mission leur ai demandé de bien vouloir laisser le libre passage aux véhicules.
Les personnes rencontrées ont refusé de laisser sortir les camions et m’ont indiqué être en grève au sujet de leurs conditions de travail.
J’ai alors interpellé les personnes dont la liste suit, en suite de leur désignation par la direction, après avoir de nouveau décliné mes nom, prénom, qualité et l’objet de ma mission, en leur demande de bien vouloir laisser le libre passage aux camions. Il s’agit de (…) Toutes les personnes ont été interpellées personnellement et nominativement et ont refusé de quitter les lieux’.
La cour relève que les interpellations faites par l’huissier n’ont eu que pour seule finalité d’être précis dans son constat s’agissant de l’implication individuelle de chaque salarié, aucun avis n’étant émis sur les conséquences de leur refus, aucune atteinte au principe de neutralité n’ayant dès lors été portée. En conséquence, il n’y a lieu d’écarter les constatations dressées par le procès-verbal litigieux. Le jugement est infirmé de ce chef.
Sur l’exercice du droit de grève et la validité de la sanction disciplinaire prononcée
L’exercice du droit de grève ne peut justifier aucune sanction disciplinaire sauf faute lourde imputable au salarié.
En l’espèce, l’employeur fait grief au salarié dans son courrier de sanction du 3 avril 2018 des faits suivants:
‘Le 13 février , vous avez participé à un mouvement social au sein de l’unité. À cette occasion, vous avez empêché un camion de sortir de l’usine en vous mettant devant le portail. Un huissier dépêché par l’entreprise est venu constater votre présence.
Nous vous avons expliqué que nous ne remettions pas en cause votre décision de participer à une grève, ce qui est votre droit le plus strict. Néanmoins, il est illicite d’empêcher les non-grévistes de travailler, ce que vous avez fait en empêchant la sortie du camion”.
L’union CGT fait valoir que si certains grévistes ont bien obstrué l’entrée principale du site, celui-ci dispose d’un second accès par lequel les camions auraient pu entrer et sortir. Elle produit à ce titre en pièce 5 une vue prise en hauteur de la société, éditée à partir du site géoportail.
Si cette pièce tend à démontrer l’existence d’un second accès à l’entreprise, lequel n’a jamais été contesté par la société, l’Union CGT n’établit toutefois pas le fait que cet accès était effectivement accessible et utilisé par les non-grévistes le jour du mouvement social en cause pour faire entrer et sortir les camions du site. La cour relève au demeurant que cet argument n’a pas été soulevé par le syndicat dans son courrier de contestation de la mise à pied des salariés sanctionnés du 4 mai 2018.
L’union CGT explique en outre que la direction a sollicité de l’intérimaire aux commandes qu’il gare le véhicule en cause dans l’enceinte, ce qu’il a pu faire sans entrave, s’en rapportant à sa pièce numéro 3. Or cette pièce, à savoir le courrier du 4 mai 2018 susvisé, signé du délégué syndical de la CGT, partie à l’instance, ne constitue pas un élément suffisamment probant des faits allégués, aucune autre preuve n’étant fournie par ailleurs tel le témoignage de l’intérimaire visé.
Les faits précis et circonstanciés rapportés au soutien de la sanction en cause, constatés par procès-verbal d’huissier, sont constitutifs d’une faute lourde en ce que le salarié a entravé le bon fonctionnement de l’entreprise et fait obstacle à la liberté de travailler d’autres salariés et ce malgrè la demande faite par l’huissier de laisser le libre passage aux véhicules, caractérisant ainsi l’exercice abusif du droit de grève.
En conséquence, il y a lieu de débouter le salarié de ses demandes de rappel de salaire et indemnitaire.
Sur l’indemnisation du préjudice subi par l’union CGT
L’union CGT fait valoir que l’employeur a porté atteinte au droit de grève en violant les dispositions de l’article 4 du protocole de fin de grève établi le 13 février 2018.
Cet article intitulé ‘clause éthique’ indique qu’ ‘il est convenu que dans le cadre du droit de grève et du respect de ses dispositions, aucune pression, allusion, intimidation ou toute autre forme de menace ne sauraient être envisagées contre les salariés grévistes respectueux de l’application de ce droit’.
Or, les sanctions prononcées à l’encontre des salariés grévistes, déclarées fondées, ne peuvent être assimilées à des pressions, allusions, intimidations ou à toute autre forme de menace. La violation de l’article 4 susvisé n’étant pas démontrée, il y a lieu de débouter le syndicat de sa demande.
Par ces motifs,
La cour,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Rejette la demande aux fins d’écarter le procès-verbal de constat réalisé par Maître [X], huissier de justice, le 13 février 2018;
Rejette la demande d’annulation de la mise à pied disciplinaire;
Y ajoutant,
Déboute l’union locale des syndicats CGT Timone Capelette de sa demande de dommages et intérêts;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes;
Condamne M.[L] [D] aux entiers dépens.
LE GREFFIER LE PRESIDENT