Mise à pied disciplinaire : 22 juin 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 20/04355

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Mise à pied disciplinaire : 22 juin 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 20/04355
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7ème Ch Prud’homale

ARRÊT N°292/2023

N° RG 20/04355 – N° Portalis DBVL-V-B7E-Q5FA

EURIAL ULTRA FRAIS SASU

C/

M. [S] [Y]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 22 JUIN 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère,

Assesseur : Monsieur Hervé KORSEC, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,

GREFFIER :

Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 28 Mars 2023, devant Monsieur Hervé KORSEC, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial

En présence de Monsieur [B], médiateur judiciaire

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 22 Juin 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

****

APPELANTE :

EURIAL ULTRA FRAIS SASU Prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité au dit siège

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Christophe LHERMITTE de la SCP GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Jean-Louis MAUCLAIR de la SELARL IFAC, Plaidant, avocat au barreau d’AUBE

INTIMÉ :

Monsieur [S] [Y]

né le 13 Novembre 1691 à [Localité 5]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Représenté par Me Roger POTIN, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de BREST

INTERVENANTE :

Etablissement Public POLE EMPLOI BRETAGNE Prise en la personne de son Directeur Régional Bretagne

Domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Mélanie VOISINE de la SELARL BALLU-GOUGEON, VOISINE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES substitué par Me Charles PÏOT, avocat au barreau de RENNES

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [S] [Y] a été embauché par la SARL Laiterie d’Armor, devenue la SASU EURIAL ULTRA FRAIS, en qualité de technicien de maintenance à compter du 31 mars 2005 ; il occupait en dernier lieu un poste d’agent de maîtrise et a été licencié pour faute grave le 2 avril 2019.

Contestant son licenciement et estimant ne pas avoir été rempli de ses droits, Monsieur [Y] a saisi le Conseil de prud’hommes de Quimper le 9 septembre 2019 afin de voir, selon le dernier état de sa demande :

A titre principal,

Dire son licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,

Condamner la Société EURIAL ULTRA FRAIS à lui verser, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, les sommes suivantes :

‘ 11.107,23 euros au titre de l’indemnité de licenciement,

‘ 5.710,66 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre 571,06 euros bruts au titre des congés payés afférents,

‘ 34.000 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

A titre subsidiaire,

Dire que la procédure de licenciement de Monsieur [Y] est irrégulière ;

Condamner la Société EURIAL ULTRA FRAIS à lui payer la somme de 2.855,33 euros au titre de l’indemnité pour procédure irrégulière ;

En tout état de cause,

Dire que les condamnations prononcées porteront intérêts au taux légal qui se capitaliseront par année entière ;

Ordonner à la Société EURTAL ULTRA FRAIS la régularisation de la situation de Monsieur [Y] auprès des organismes sociaux (caisse de retraite) ainsi que la production d’un bulletin de paie et d’une attestation Pôle Emploi rectifiés ;

Ordonner à la Société EURIAL ULTRA FRAIS le remboursement des indemnités Pôle Emploi au visa de l’article L. 1235-4 du Code du travail ;

Condamner la Société EURIAL ULTRA FRAIS à verser à Monsieur [Y] la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamner la Société EURIAL ULTRA FRAIS aux entiers dépens, y compris les frais de l’huissier instrumentaire en cas d’exécution forcée du jugement.

La défenderesse s’opposait aux prétentions du demandeur dont elle sollicitait la condamnation à lui payer la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

.

Par jugement rendu le 13 septembre 2020, le Conseil des prud’hommes de Quimper statuait ainsi qu’il suit :

« REQUALIFIE le licenciement pour faute grave de Monsieur [S] [Y] en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la SASU EURIAL ULTRA FRAIS à payer à Monsieur [S] [Y] les sommes suivantes :

– 11.107,23 euros nets au titre de l’indemnité de licenciement ;

– 5.710,66 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis ;

– 571,06 euros bruts au titre des congés payés afférents ;

– 17.000 euros nets au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

ORDONNE à la SASU EURIAL ULTRA FRAIS la régularisation de la situation de Monsieur [S] [Y] auprès des organismes sociaux ;

ORDONNE à la SASU EURIAL ULTRA FRAIS de délivrer à Monsieur [S] [Y] un bulletin de paye et une attestation destinée à Pôle emploi rectifiés;

DIT que les créances salariales portent intérêts au taux légal à dater de la réception de la convocation par la partie défenderesse devant le bureau de conciliation valant mise en demeure soit le 12 septembre 2019 ;

DIT que les condamnations à des dommages et intérêts portent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision ;

ORDONNE à la SASU EURIAL ULTRA FRAIS, conformément à l’article L.1235-4 du code du travail, le remboursement aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à Monsieur [S] [Y] du jour de son licenciement au jour du prononcé du présent jugement dans la limite des six mois d’indemnités versées ;

DIT qu’une copie du présent jugement sera adressée à Pôle Emploi ;

RAPPELLE que l’exécution provisoire est de droit et FIXE le salaire mensuel moyen à hauteur de 2.855,33 euros bruts ;

DEBOUTE Monsieur [S] [Y] du surplus de ses demandes ;

DEBOUTE la SASU EURIAL ULTRA FRAIS de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

MET les dépens afférents aux actes et procédures de la présente instance à la charge de la partie défenderesse, y compris ceux dus au titre d’une éventuelle exécution par voie légale en application des articles 10 et 11 des décrets du 12 décembre 1996 et du 08 mars 2001 relatifs à la tarification des actes d’Huissiers de justice.»

Suivant déclaration de son avocat en date du 15 septembre 2020 au greffe de la Cour d’appel, la SASU EURIAL ULTRA FRAIS faisait appel de la décision.

Aux termes des écritures de son avocat présentées en cause d’appel, l’appelante demande à la Cour de :

Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau,

Juger que le licenciement de Monsieur [Y] est fondé sur une faute grave ;

Débouter Monsieur [Y] de toutes ses demandes ;

Condamner Monsieur [Y] au paiement de la somme de 3.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, l’appelante fait grief à Monsieur [Y] d’avoir adressé à son supérieur hiérarchique un texto injurieux ; elle expose qu’il a été déjà sanctionné disciplinairement pour des faits similaires et que leur réitération caractérise la faute grave ; elle conteste la décision des premiers juges qui a retenu l’existence de tensions entre le salarié et son supérieur hiérarchique sans pour autant relever le comportement insultant et blessant du salarié ; à titre subsidiaire, elle sollicite la réduction des dommages-intérêts alloués ;

enfin elle conteste toute irrégularité de procédure au motif qu’elle aurait lancé une procédure de recrutement d’un technicien pour remplacer l’intimé dès avant son licenciement alors qu’elle est en recherche permanente de techniciens qualifiés.

* * *

Par conclusions de son avocat présentées en cause d’appel, l’intimé demande à la Cour de :

Débouter la Société EURIAL ULTRA FRAIS de l’ensemble de ses demandes ;

A titre principal,

Confirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes de QUIMPER en ce qu’il a :

Dit le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,

Condamné la Société EURIAL ULTRA FRAIS à lui verser les sommes suivantes :

‘ 11.107,23 euros au titre de l’indemnité de licenciement,

‘ 5.710,66 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre 571,06 euros bruts au titre des congés payés afférents ;

Infirmer le jugement en ce qu’il l’a condamné à lui verser la somme de 17.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Statuant à nouveau,

Condamner, à titre principal, la Société EURIAL ULTRA FRAIS à lui verser la somme de 34.000 euros nets à ce titre ;

Confirmer, à titre subsidiaire, le montant alloué par les premiers juges ;

Dire, si par exceptionnel, la Cour venait à infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse, que la procédure de licenciement de Monsieur [Y] est irrégulière ;

Condamner en conséquence, la Société EURIAL ULTRA FRAIS à lui verser la somme de 2.855,33 euros au titre de l’indemnité pour procédure irrégulière ;

Confirmer en tout état de cause, le jugement en ce qu’il a :

Ordonné à la Société EURIAL ULTRA FRAIS la régularisation de sa situation auprès des organismes sociaux (dont la caisse de retraite) ainsi que la production d’un bulletin de paie et d’une attestation Pôle Emploi rectifiés ;

Condamné la Société EURIAL ULTRA FRAIS à lui verser la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 code de procédure civile ;

Disposé que les condamnations à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter du 12 septembre 2019 et que les condamnations à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du de la notification du jugement ;

Condamné la Société EURIAL ULTRA FRAIS aux entiers dépens, y compris les frais de l’huissier instrumentaire en cas d’exécution forcée du jugement ;

Ordonné à la Société EURIAL ULTRA FRAIS de rembourser aux organismes intéressés tout ou partie des indemnités chômage dans la limite de 6 mois ;

Y Ajoutant,

Condamner la Société EURIAL ULTRA FRAIS à lui verser la somme de 3.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;

Condamner la Société EURIAL ULTRA FRAIS aux dépens d’appel.

A l’appui de ses prétentions, Monsieur [Y] fait valoir que le contrat de travail s’est déroulé sans jamais la moindre remarque disciplinaire ou sur la qualité de son travail, observant qu’il a d’ailleurs été promu en 2017 agent de maîtrise et ce malgré sa reconnaissance comme travailleur handicapé ; il soutient que les relations de travail se sont significativement dégradées dans le service maintenance à compter de l’arrivée de Monsieur [O] comme responsable du service au mois de mars 2015, alors qu’auparavant le climat de travail était serein, ce dont il justifie par les attestations de ses collègues ;

dans un contexte où il se sentait surveillé, isolé et poussé à bout par son supérieur, il estime que le seul texto qui lui est reproché ne justifiait d’aucune façon son licenciement compte tenu de son ancienneté et de la qualité de son travail, tel qu’en a justement décidé le Conseil des prud’hommes.

Pôle Emploi Bretagne est intervenu volontairement à l’instance sollicitant de la Cour, si elle venait à confirmer le jugement déféré, la condamnation de la SASU EURIAL ULTRA FRAIS à lui rembourser les indemnités versées à Monsieur [Y] dans la limite de six mois d’allocation, soit la somme de 9783,18 euros, outre celle de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens de son intervention.

La clôture de l’instruction été prononcée par ordonnance du magistrat de la mise en état le 28 février 2023 avec fixation de l’affaire à l’audience du 28 mars 2023.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la Cour renvoie, pour un plus ample exposé des moyens des parties, aux conclusions notifiées par voie électronique au greffe de la Cour le 16 février 2021 pour la SASU EURIAL ULTRA FRAIS, le 14 janvier 2021 pour Monsieur [S] [Y] et le 2 juillet 2021 pour Pôle Emploi Bretagne.

SUR CE, LA COUR

Sur la faute grave et le bien-fondé du licenciement

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et impose son départ immédiat. L’employeur qui invoque la faute grave doit en rapporter la preuve et les faits invoqués doivent être matériellement vérifiables. Il résulte enfin de l’article L.1234-1 et de l’article L.1234-9 du code du travail en sa rédaction alors applicable, que lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n’a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.

Par lettre remise en main propre le 19 mars 2019, Monsieur [Y] était convoqué à un entretien préalable à licenciement et se voyait notifier une mise à pied à titre conservatoire et par lettre recommandée avec accusé de réception du 2 avril 2019, il était licencié pour faute grave ainsi caractérisée :

« Vous avez été reçu en entretien préalable le 29 mars 2019, vous étiez accompagné de Mme [W], élue CSE du site de Riec / Belon. Vous avez pu m’exposer, lors de cet entretien, les différents éléments qui ont précédé l’envoi du texto à votre responsable.

Malgré ces éléments additionnels, nous vous notifions par la présente, la rupture de votre contrat de travail pour faute grave en raison des faits suivants:

La samedi 16 mars 2019, alors que vous n’étiez pas en poste de travail, vous avez adressé un texto à 21h57 à votre responsable de service qui n’était pas d’astreinte non plus ce jour-là, en lui indiquant les écrits suivants : « qu’est que tu branles, panne au boulot de froid et t’es encore chez toi bon à rien ».

Ces faits, bien qu’ayant été commis hors du temps de travail et du lieu de travail se rattache à la vie de l’entreprise, et a fortiori à son bon fonctionnement et au maintien de bonnes relations de travail dans le respect de chacun.

En agissant comme précité, vous avez manqué à vos obligations professionnelles les plus élémentaires, celles de respecter le personnel et plus précisément votre responsable hiérarchique. Cela constitue un manquement à votre obligation élémentaire de loyauté.

Non seulement vous n’avez pas respecté votre supérieur hiérarchique mais également la vie privée de ce dernier (avec un tel message intrusif hors temps de travail).

Votre comportement est tout simplement inqualifiable et en tout cas inacceptable et contraire aux règles de vie au sein de l’entreprise.

Il l’est d’autant plus que vous avez déjà, récemment (1er mars 2019), fait l’objet d’une sanction pour des faits similaires ayant entrainé une mise à pied de 3 jours à titre disciplinaire.

Votre obstination à ne pas tenir compte de nos remarques et sanctions ne saurait davantage être tolérée.

Ces agissements constituent des fautes d’une particulière gravité qui ne permettent pas la poursuite de notre relation salariale (y compris pendant la durée limitée du préavis).

Nous sommes, par conséquent, au regret de vous notifier, par le présent courrier, votre licenciement pour faute grave.

Ce licenciement prendra effet à la date de première présentation de ce courrier. S’agissant d’un licenciement pour faute grave, il n’y a pas de préavis.

La période de mise à pied à titre conservatoire ne sera pas rémunérée’ »

Il ressort de la lettre de licenciement que l’énonciation des griefs repose sur un manquement du salarié à l’obligation de loyauté, caractérisé par l’envoi d’un texto irrespectueux à son supérieur hiérarchique alors qu’il avait déjà fait l’objet d’une sanction pour des faits de même nature 15 jours auparavant.

L’employeur rapporte la preuve des faits fautifs allégués par la production d’une capture d’écran laissant apparaître le texto en cause et de la lettre recommandée avec accusé de réception du 1er mars 2019 notifiant à Monsieur [Y] une mise à pied disciplinaire de 3 jours pour avoir, au cours d’un entretien avec son supérieur hiérarchique qui lui exposait qu’il n’était pas au rendez-vous de ses attentes, haussé le ton et lui avoir dit à trois reprises qu’il est « un connard », que le service ne va pas depuis son arrivée et qu’il va « le claquer » ; le directeur du site mentionne dans la lettre de sanction qu’il a entendu cette altercation, qu’il a alors demandé au salarié de s’expliquer, lequel est alors parti vers l’usine, outre qu’il a refusé encore de s’expliquer en ne se présentant pas à l’entretien préalable en vue d’une sanction disciplinaire.

Pour sa part, l’intimé produit :

‘ l’avenant au contrat de travail du 17 mars 2017 par lequel il a été promu au statut agent de maîtrise ; il lui est indiqué qu’il bénéficiera de 7 jours supplémentaires de congés d’ancienneté et il lui est adressé les remerciements du directeur pour son implication dans la bonne marche de l’entreprise ;

‘ la notification de sa reconnaissance en qualité de travailleur handicapé par la maison des personnes handicapées du [Localité 3] le 20 février 2015 ;

‘ le compte rendu de l’entretien préalable dressé par Madame [U] [W] qui l’accompagnait au cours duquel Monsieur [Y] a indiqué qu’il n’allait pas bien et qu’il avait du mal à digérer la sanction de mise à pied ; le directeur de site, Monsieur [N] l’a alors interrogé sur les motifs l’ayant amené à l’envoi du texto en cause, le salarié répondant qu’il ne sait toujours pas ce que son supérieur hiérarchique lui reproche alors qu’il le lui a demandé à 3 reprises lors de l’entretien du 25 janvier 2019 sans obtenir de réponse, le directeur de site lui répondant que son supérieur a « buggé » ; Monsieur [Y] a alors répondu que le bug de son supérieur lui coûtait cher et a demandé que les reproches qui lui sont faits par son supérieur lui soient notifiés, Monsieur [N] répondant : « ça ne casse pas trois pattes à un canard » ; le directeur lui demande alors dans quel état d’esprit il se trouve suite à l’altercation du 25 janvier dernier, Monsieur [Y] répondant qu’il a l’impression d’être tombé dans un piège, que son responsable l’a emmené là où il voulait qu’il aille et qu’il a plongé dedans ; il indique qu’il n’a pas parlé à son épouse de sa mise à pied mais que ça le ronge et que le fait de lui reprocher de ne pas faire le travail qu’on lui donne, lui a donné l’impression d’être un bon à rien ; sur demande du directeur, il estime que cette histoire vient du fait que son supérieur a posé ses demandes de congés à la même période que lui et son collègue et que « c’est forcément lui qui devait sauter » ; Monsieur [N] lui demande alors comment il voit son avenir dans l’entreprise, Monsieur [Y] répondant qu’il lui est difficile de travailler avec son supérieur hiérarchique et qu’il ne veut pas en faire pâtir ses collègues ;

‘ une attestation de Madame [W] l’ayant assisté lors de l’entretien préalable, qui indique avoir constaté, depuis la prise de fonction de Monsieur [O] dans l’entreprise, une mise à l’écart de Monsieur [Y], caractérisée notamment par le défaut de convocation aux différentes formations en interne alors que tous les autres membres du service y étaient conviés, par l’absence de demandes d’intervention sur le tableau de l’atelier maintenance, alors que les autres membres du service se voyaient affectés à des tâches précises, l’absence de concertation avec Monsieur [Y] pour les dates de congés, une surveillance accrue de Monsieur [Y] par Monsieur [O] dès qu’il intervenait sur une machine à la demande d’un technicien ; elle précise notamment avoir constaté que dès que Monsieur [Y] intervenait sur une machine et se retournait pour poser un outil, Monsieur [O] en profitait pour prendre sa place et lui enlever le peu travail qu’il pouvait effectuer, outre le défaut de reconnaissance de Monsieur [O] qui s’attribuait les mérites de Monsieur [Y] lorsque ce dernier effectuait correctement une tâche et le renvoyait à sa responsabilité lorsqu’une réparation n’était pas satisfaisante ;

‘ une attestation de Madame [Z] reprenant les mêmes constats de mise à l’écart de Monsieur [Y] par Monsieur [O], indiquant, elle aussi, avoir observé que lorsque Monsieur [Y] intervenait sur machine, Monsieur [O] surveillait ses gestes par-dessus son épaule et prenait sa place dès qu’il se retournait ;

‘ une attestation de Madame [T] relatant avoir vu, alors que Monsieur [Y] était intervenu pour réparer une machine qui fonctionnait à nouveau, Monsieur [O] réintervenir et démonter ce qu’avait fait Monsieur [Y], après quoi la machine ne fonctionnait plus, Monsieur [O] en ayant fait porter la responsabilité à Monsieur [Y] qui pourtant est sérieux dans ses interventions ;

‘ une attestation de Monsieur [X] relatant qu’alors que la machine sur laquelle il travaillait était en panne, il est allé chercher un collègue du service maintenance et a trouvé Monsieur [Y] qui prenait sa pause déjeuner ; il lui a demandé s’il y avait quelqu’un d’autre qui pouvait intervenir pour lui laisser le temps de terminer son repas et il lui a répondu que Monsieur [O] était là;

il indique être alors retourné à son poste et que Monsieur [O] était déjà autour de la machine, mais ne faisait rien ; il précise qu’il lui a alors expliqué les raisons de la panne en lui indiquant que Monsieur [Y] était en pause déjeuner, mais que Monsieur [O] a refusé d’intervenir en lui répondant que ce n’était pas son problème ; il indique qu’il a alors été contraint d’interrompre le déjeuner de Monsieur [Y], lequel est alors intervenu sur la machine pendant sa pause alors que son chef le regardait faire les bras croisés ; il précise qu’il a observé le même comportement à diverses reprises lorsque Monsieur [Y] et Monsieur [O] travaillaient dans la même tranche horaire ;

‘ une attestation de Madame [P] indiquant que lors de la première mise à pied de Monsieur [Y], elle a entendu une conversation entre le responsable de production et Monsieur [O] qui disait que Monsieur [Y] n’était pas prioritaire pour les dates de congés car Monsieur [J] lui avait des enfants ;

‘ une attestation de Madame [H] indiquant avoir entendu Monsieur [Y] se plaindre en salle de pause d’avoir vu ses congés décalés et imposés à des dates ne coïncidaient pas avec les dates de congés de son épouse deux années de suite ;

‘ une attestation de Monsieur [A] ayant lui aussi observé la répartition inégale des demandes d’interventions, Monsieur [Y] en ayant très peu, voir aucune attribuée sur le planning ; il a aussi observé que ses congés d’été ont été annulés et déplacés plusieurs années de suite et qu’il entendu Monsieur [Y] se plaindre de ce qu’il était mis à l’écart sur les formations professionnelles dispensées à l’ensemble du personnel du service, n’y étant pas convié ;

‘ une attestation de Monsieur [C] qui déclare avoir constaté que les congés de Monsieur [Y] ont été refusé sans discussion ni concertation entre son responsable et les membres du service maintenance pour l’organisation des congés d’été ; il indique qu’il a constaté les difficultés relationnelles entre Monsieur [Y] et Monsieur [O] depuis plusieurs années sans aucune intervention d’un manager pour améliorer la situation ;

‘ une attestation de Madame [L] indiquant que depuis l’arrivée de Monsieur [O], elle a constaté une dégradation de l’ambiance dans le service maintenance qui s’est amplifiée au fil des ans, sans jamais aucune intervention de la direction ; elle relate, elle-aussi, avoir constaté que Monsieur [O] a refusé à Monsieur [Y] ses demandes de congés pour l’été 2019 pour la troisième année consécutive, sans lui donner de réels motifs ; elle estime que la direction aurait dû intervenir pour régler le problème ;

‘ une demande de congé émanant de Monsieur [Y] pour la période du 29 juillet au 19 août 2019 refusée par le responsable de service, Monsieur [O], et reportée semaines 34 à 36 (du 19 août au 7 septembre) ;

‘ deux annonces de recrutement par l’employeur recherchant un technicien de maintenance au mois de mars 2019, soit avant la notification à Monsieur [Y] de son licenciement.

Il ressort de l’ensemble de ces éléments que si le grief allégué au soutien du licenciement est réel, pour autant le texto adressé par Monsieur [Y] à son supérieur hiérarchique s’inscrit dans le contexte d’un différend avéré avec ce dernier dont l’employeur avait d’autant plus connaissance qu’il avait sanctionné le salarié 15 jours plus tôt ; il y a lieu de relever qu’au cours des 14 années précédentes, le salarié ne s’est vu adresser aucune remarque et a fait l’objet d’une promotion deux ans plus tôt à raison de son implication dans l’entreprise ;il n’est pas inutile de relever encore qu’interrogé par Monsieur [Y] lors de l’entretien préalable sur les reproches qui lui étaient faits par son supérieur hiérarchique, le directeur de site, sans s’en expliquer plus avant, les a estimé négligeables, mettant d’ailleurs en cause la position adoptée par Monsieur [O] au cours de l’entretien du mois de janvier ; en outre il ressort des multiples attestations produites, précises et concordantes, que depuis l’arrivée de Monsieur [O] l’ambiance du service s’est significativement dégradée, particulièrement au préjudice de Monsieur [Y] qui faisait l’objet de brimades, qu’il s’agisse des tâches confiées, de la participation aux formations internes ou des dates de congés, Monsieur [Y] s’étant vu refuser pour la troisième année consécutive, quelques semaines avant l’envoi du texto en cause, sa demande de congés du 29 juillet au 19 août 2019, ses congés d’été ayant été reportés à partir du 19 août, les collègues de Monsieur [Y] s’interrogeant sur le défaut d’intervention de la direction pour régler ce différend.

Il s’ensuit que dans ce contexte, ou l’intimé, tel qu’il le relate au cours de l’entretien préalable, avait lui-même le sentiment d’être « un bon à rien », qu’il était très affecté à la fois par la sanction qui venait de lui être notifiée qu’il estimait injuste et par un nouveau refus de ses demandes de congés d’été, le motif allégué n’est pas suffisamment sérieux pour justifier le licenciement de Monsieur [Y], en l’absence de toute intervention préalable aux fins de régler le différend s’étant installé entre l’intimé et son supérieur hiérarchique dont l’employeur avait pourtant connaissance et il y a lieu de confirmer le jugement entrepris qui a dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences de l’absence de cause réelle et sérieuse

Au moment du licenciement, Monsieur [Y] était âgé de 57 ans, avait une ancienneté de 14,2 ans dans l’entreprise et bénéficiait d’un salaire mensuel brut de 2.855,33 euros.

L’indemnité compensatrice de préavis

En application de l’article L 1234-1 du code du travail puisque le licenciement n’est pas motivé par une faute grave, le salarié qui compte au moins deux ans d’ancienneté a droit à un préavis de 2 mois ; aux termes de l’article L 1234-5 du code du travail, lorsque le salarié n’exécute pas le préavis, il a droit à une indemnité compensatrice.

Dans la mesure où l’indemnité allouée par les premiers juges n’est pas contestée en son montant, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a été alloué à l’intimé la somme de 5.710,66 euros bruts à ce titre et celle de 571,06 euros au titre des congés payés afférents.

L’indemnité de licenciement

Conformément aux dispositions de l’article L.1234-9 du code du travail, lorsque le salarié titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée est licencié alors qu’il compte 8 mois d’ancienneté ininterrompue au service du même employeur, il a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement égale à un quart de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années jusqu’à 10 ans et un tiers de mois de salaire par année d’ancienneté au-delà de 10 ans par application des dispositions de l’article R.1234-2 du même code.

L’indemnité allouée par les premiers juges à hauteur de la somme de 11.107,23 euros n’étant pas contestée en son montant, il y a lieu de confirmer encore la décision déférée sur ce point.

Les dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle ni sérieuse

Il résulte des dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail que si le licenciement survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse le juge peut proposer la réintégration du salarié et en cas de refus par l’une ou l’autre des parties, lui allouer une indemnité dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par ces dispositions en fonction de l’ancienneté du salarié dans l’entreprise ; en cas de licenciement opéré dans une entreprise employant habituellement moins de 11 salariés, les montants minimaux fixés sont applicables.

Monsieur [Y] comptait lors de la rupture du contrat de travail une ancienneté de plus de 14 années dans l’entreprise dont il n’est pas allégué ni a fortiori démontré qu’elle employait de manière habituelle moins de onze salariés, de sorte qu’il peut prétendre conformément aux dispositions légales précitées à une indemnité comprise entre 3 et 12 mois de salaire brut.

Au soutien de son appel incident visant à se voir allouer 12 mois de salaire, Monsieur [Y] fait valoir que son investissement dans la société tout au long de l’exécution de son contrat de travail ne fait l’objet d’aucune contestation, et qu’au jour du licenciement il était âgé de 57 ans et s’était vu reconnaître la qualité de travailleur handicapé.

Outre la notification de la reconnaissance de sa qualité de travailleur handicapé déjà évoquée, l’intimé produit son relevé de situation Pôle Emploi au mois de novembre 2019 laissant apparaître une indemnisation mensuelle de 1.513,73 euros ainsi que des offres d’emploi pour lesquelles il a vainement postulé.

Compte tenu de son ancienneté, de sa qualité de travailleur handicapé et de son âge au moment du licenciement, il convient de lui allouer à titre de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse une indemnité que la Cour évalue à la somme de 31.000 euros, le jugement déféré devant être infirmé sur ce point

3. Sur l’application de l’article L.1235-4 du code du travail

L’article L.1235-4 du code du travail dispose que, notamment dans le cas prévu à l’article L.1235-3, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois.

Ces dispositions ont vocation à recevoir application de la présente espèce et la SASU EURIAL ULTRA FRAIS sera condamnée à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées au salarié dans la limite de six mois.

Dans la mesure où Pôle Emploi, intervenant volontaire à l’instance, indique avoir indemnisé Monsieur [Y] du 21 mai 2019 au 19 novembre 2021, il y a lieu de faire droit à sa demande et de condamner la SASU EURIAL ULTRA FRAIS à lui payer la somme de 9.783,18 euros à ce titre.

4.Sur la délivrance des documents rectifiés

Il y a lieu de confirmer encore le jugement entrepris en ce qu’il a condamné l’employeur à délivrer à Monsieur [Y] un bulletin de paye et une attestation destinée à Pôle Emploi rectifiés conformément aux termes du présent arrêt et à procéder à la régularisation de sa situation auprès des organismes sociaux.

5. Sur les dépens et l’application de l’article 700 du Code de procédure civile

Il apparaîtrait inéquitable de laisser à la charge de Monsieur [S] [Y] les frais irrépétibles non compris dans les dépens et la SASU EURIAL ULTRA FRAIS sera condamnée à lui payer la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, le jugement devant être confirmé en ce qu’il lui a été alloué la somme de 1.500 euros à ce titre en première instance.

L’équité ne commande pas de faire application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile au bénéfice de Pôle Emploi.

Enfin, la SASU EURIAL ULTRA FRAIS qui succombe sera déboutée de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile et condamnée aux dépens d’appel, en ce compris ceux de Pôle Emploi, intervenant volontaire.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement du Conseil des prud’hommes de Quimper sauf en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts alloués à Monsieur [S] [Y] pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Statuant à nouveau sur ce point et y ajoutant,

Condamne la SASU EURIAL ULTRA FRAIS à payer à Monsieur [S] [Y] la somme de 31.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Condamne la SASU EURIAL ULTRA FRAIS à rembourser à Pôle Emploi la somme de 9.783,18 euros au titre des indemnités de chômage versées à Monsieur [S] [Y] sur une période de six mois ;

Condamne la SASU EURIAL ULTRA FRAIS à payer à Monsieur [S] [Y] la somme de 2.500 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Dit n’y avoir lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au bénéfice de Pôle Emploi ;

Déboute la SASU EURIAL ULTRA FRAIS de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SASU EURIAL ULTRA FRAIS aux entiers dépens d’appel ;

Le Greffier Le Président

 


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