Mise à pied disciplinaire : 22 juin 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 20/03372

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Mise à pied disciplinaire : 22 juin 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 20/03372
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7ème Ch Prud’homale

ARRÊT N°294/2023

N° RG 20/03372 – N° Portalis DBVL-V-B7E-QZA3

M. [B] [O] [Y]

C/

S.C.O.P. S.A. SEBACO (SOCIETE BATIMENT DE CORNOUAILLE)

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 22 JUIN 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère, faisant fonction de Président

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,

Assesseur : Monsieur Hervé KORSEC, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,

GREFFIER :

Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 14 Mars 2023 devant Madame Liliane LE MERLUS, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial

En présence de Monsieur [I] [V] médiateur judiciaire

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 22 Juin 2023 par mise à disposition au greffe, date à laquelle a été prorogé le délibéré intialement fixé au 08 Juin 2023

****

APPELANT :

Monsieur [B] [O] [Y]

né le 28 Mai 1984 à [Localité 5]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Fanny SENANGE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de QUIMPER

INTIMÉE :

S.C.O.P. S.A. SEBACO (SOCIETE BATIMENT DE CORNOUAILLE)

[Adresse 6]

[Localité 2]

Représentée par Me Sandrine DANIEL de la SELARL LCE AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de QUIMPER substituée par Me AFTISSE, avocat au barreau de QUIMPER

EXPOSÉ DU LITIGE

La SCOP Sebaco est une société d’environ 60 salariés ayant une activité générale de bâtiment.

M. [B] [Y] a été engagé en qualité de menuisier charpentier par la SCOP Sebaco selon un contrat à durée indéterminée en date du 02 novembre 2005.

Les relations entre les parties étaient régies par la convention collective du bâtiment(des entreprises occupant plus de 10 salariés).

À partir du 1er janvier 2018, l’employeur a diffusé à l’ensemble du personnel une note de service relative à la mise en place d’une indemnité forfaitaire de trajet afin de compenser le temps de trajet entre les locaux de la société et les chantiers.

Le 13 mars 2018, M. [Y] a été convoqué à un entretien préalable à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement, fixé au 21 mars 2018.

Par courrier en date du 28 mars 2018, le salarié s’est vu notifier une mise à pied disciplinaire d’une durée de cinq jours pour non-respect des horaires de travail.

Par courrier en date du 06 avril 2018, M. [Y] a notifié à l’employeur la prise d’acte de rupture de son contrat de travail aux motifs suivants :

– Non-paiement du temps de trajet entre l’entreprise et les chantiers depuis janvier 2018,

– Non-paiement des primes de trajet au titre de la période antérieure à 2018.

 ***

M. [Y] a saisi le conseil de prud’hommes de Quimper par requête en date du 03 décembre 2018 et en l’état de ses dernières demandes il sollicitait de voir :

– Condamner la société Sebaco à lui payer la somme de 1 102,61 euros brut à titre de rappel des indemnités de trajet non versées de décembre 2015 à mars 2018 ;

– Dire et juger que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail du 6 avril 2018 doit produire les effets d’un licenciement nul ;

– Condamner en conséquence la Société Sebaco à lui payer les sommes suivantes:

– 7 728,00 euros net à titre d’indemnité légale de licenciement ;

– 4 600,00 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis (2 mois) ;

– 460 euros brut au titre des congés payés afférents au préavis ou le certificat correspondant délivré par la caisse de congés intempérie de l’Ouest ;

– 27 000,00 euros net à titre d’indemnité pour licenciement nul ;

– 69 000,00 euros brut à titre d’indemnité pour violation du statut protecteur de représentant du personnel ;

– Condamner la société Sebaco à lui payer la somme de 13 800,00 net à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;

– Dire et juger nulle et non avenue la mise à pied disciplinaire du 28 mars 2018 ;

– Condamner en conséquence, la société Sebaco à verser à Monsieur [B] [Y] les sommes suivantes :

– 5 jours de mise à pied déduit abusivement sur le bulletin de paie d’avril 2018 : 621,56 euros brut

– Dommages et intérêts pour sanction abusive : 3 000,00 euros

– Débouter la Société Sebaco de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

– Condamner la Société Sebaco à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Dire et juger que les sommes à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la demande en justice ;

– Dire et juger que les sommes à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter de la notification de la décision à intervenir;

– Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir ;

– Fixer la rémunération mensuelle moyenne sur 3 derniers mois à 2 300 euros ;

– Condamner la société Sebaco aux entiers dépens.

La SCOP Sebaco a demandé au conseil de prud’hommes de :

– Dire et juger que la rupture doit être analysée comme une démission.

– Débouter Monsieur [Y] de toutes ses demandes, fins et conclusions.

– Condamner Monsieur [Y] à verser à la société Sebaco la somme de 4 600 euros au titre de l’indemnité de préavis ;

– Condamner Monsieur [Y] à verser à la société Sebaco la somme de 2 500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement en date du 12 juin 2020, le conseil de prud’hommes de Quimper a statué ainsi qu’il suit :

– Dit que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail notifié par Monsieur [B] [Y] le 6 avril 2018 produit les effets d’une démission.

– Dit que la sanction disciplinaire ne pouvait être supérieure à 3 jours.

En conséquence,

– Condamne la SCOP Sebaco à payer à Monsieur [B] [Y] les sommes suivantes :

– 248,62 euros brut au titre de 2 jours de mise à pied

– 500,00 euros au titre des dommages-intérêts pour sanction abusive

– Déboute Monsieur [B] [Y] du surplus de ses demandes.

– Condamne Monsieur [B] [Y] à payer à la SCOP Sebaco la somme de 4 600,00 euros au titre de l’indemnité de préavis.

– Déboute la SCOP Sebaco du surplus de ses demandes.

– Laisse à la charge de chacune des parties ses propres dépens.

***

M. [Y] a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe en date du 24 juillet 2020.

En l’état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 19 avril 2021, M. [Y] demande à la cour de :

– Infirmer le jugement rendu le 12 juin 2020 par le conseil de prud’hommes de Quimper en ce qu’il a :

‘ dit que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail du 6 avril 2018 produit les effets d’une démission,

‘ condamné la SCOP Sebaco à lui payer les sommes suivantes :

– 248,62 euros brut au titre de 2 jours de mise à pied

– 500,00 euros au titre des dommages-intérêts pour sanction abusive

‘ l’a débouté du surplus de ses demandes,

‘ l’a condamné à payer à la SCOP Sebaco la somme de 4 600,00 euros au titre de l’indemnité de préavis.

Le réformant,

– Condamner la société Sebaco à lui payer les sommes de :

1 304,25 euros brut à titre de rappel des indemnités de trajet du 07/04/2015 au 13/03/2018 ;

– 130,42 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur les indemnités de trajet ou le certificat correspondant délivré par la caisse de congés intempérie de l’Ouest ;

– 13 800,00 euros net à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé;

– Prononcer l’annulation de la mise à pied disciplinaire du 28 mars 2018;

En conséquence,

– Condamner la société Sebaco à lui payer les sommes de :

– 621,56 euros brut au titre de la période de mise à pied disciplinaire de 5 jours ;

– 3 000,00 euros net à titre de dommages et intérêts pour sanction disciplinaire abusive ;

– Dire et juger que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail du 6 avril 2018 produit les effets d’un licenciement nul ;

En conséquence,

– Condamner la Société Sebaco à lui payer les sommes de :

– 7 728,00 euros net à titre d’indemnité légale de licenciement ;

– 4 600,00 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

– 460,00 euros brut au titre des congés payés afférents au préavis ou le certificat correspondant délivré par la caisse de congés intempérie de l’Ouest ;

– 27 000,00 euros net à titre d’indemnité pour licenciement nul ;

– 69 000,00 euros brut à titre d’indemnité pour violation du statut protecteur du représentant du personnel ;

– Ordonner à la Société Sebaco la délivrance du bulletin de paie correspondant à la décision à intervenir, de l’attestation Pôle Emploi rectifiée et du certificat de travail rectifié, tous documents sociaux à délivrer sous huit jours à compter de la signification de la décision à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

– Dire et juger que les sommes à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la notification de la convocation en justice ;

– Dire et juger que les sommes à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter de la signification de la décision à intervenir;

– Débouter la Société Sebaco de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

– Condamner la Société Sebaco à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamner la Société Sebaco aux entiers dépens.

En l’état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 19 juillet 2021, la SCOP Sebaco demande à la cour de :

– Dire et juger l’appel de Monsieur [Y] non fondé.

En conséquence,

– Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Quimper le 12 juin 2020, sauf en ce qu’il a condamné la société Sebaco à verser à Monsieur [Y] 500 euros au titre de dommages-intérêts pour sanction injustifiée.

Dès lors,

– Débouter Monsieur [Y] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

– Condamner Monsieur [Y] à verser à la société Sebaco la somme de 2 500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.

***

La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 28 février 2023 avec fixation de la présente affaire à l’audience du 14 mars 2023.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions susvisées qu’elles ont déposées et soutenues à l’audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de rappel d’indemnités de trajet pour la période du 7 avril 2015 au 13 mars 2018

Les premiers juges ont débouté M. [Y] de cette demande en considérant que les trajets étaient rémunérés, pour cette période, comme du temps de travail effectif, que le salarié avait donc été payé de ces temps de trajet de sorte que sa demande n’était pas justifiée, conformément à ce que la convention collective est venue ultérieurement préciser et clarifier, suite à des divergences d’interprétation, et que l’intention des parties devait donc être interprétée en ce sens.

La société intimée approuve cette motivation, précise que c’était la position de la Capeb et la pratique de la grande majorité des entreprises du bâtiment, et que suite à des interprétations juridsprudentiuelles erronées les partenaires sociaux sont venus préciser clairement, en modifiant l’article VIII-17 de la convention, que ‘l’indemnité de trajet n’est pas due lorsque lorsque l’ouvrier est logé gratuitement par l’entreprise sur le chantier ou à proximité immédiate du chantier ou lorsque le temps de trajet est rémunéré comme en temps de travail.’

M. [Y] critique le jugement en ce qu’il a interprété à tort la convention collective de manière retroactive alors qu’au moment des faits l’indemnité forfaitaire devait être versée dès lors que le salarié était tenu de parcourir une certaine distance pour se rendre sur le lieu de chantier et que le cumul entre cette indemnité et le paiement du temps de trajet était la règle.

***

Il est constant qu’en l’espèce le temps de trajet a été payé, selon la pratique de l’employeur, comme du temps de travail jusqu’en janvier 2018. Il n’y a en conséquence pas lieu à débat sur la qualification de ce temps.

Aux termes de l’article VIII-17 de la convention collective dans sa version en vigueur lors de la période sur laquelle porte la demande de rappel, ‘l’indemnité de trajet a pour objet d’indemniser, sous une forme forfaitaire, la sujétion que représente pour l’ouvrier la nécessité de se rendre quotidiennement sur le chantier et d’en revenir. L’indemnité de trajet n’est pas due lorsque l’ouvrier est logé gratuitement par l’entreprise sur le chantier ou à proximité immédiate du chantier.’

Si la version modifiée par avenant du 7 mars 2018, en vigueur depuis le 1 er juillet 2018 non étendu, est venu ajouter ‘ou lorsque le temps de trajet est rémunéré comme en temps de travail’, aucune rétroactivité n’est stipulée ni de mention qu’il s’agit d’une disposition interprétative.

En l’état du texte alors applicable, qu’il n’y a dès lors pas lieu d’interpréter, l’indemnité de trajet, qui présentait un caractère forfaitaire et avait pour objet d’indemniser une sujétion pour le salarié obligé chaque jour de se rendre sur le chantier et d’en revenir, était due indépendamment de la rémunération par l’employeur du temps de trajet inclus dans le temps de travail.

Il y a lieu en conséquence de faire droit à la demande de rappel de la somme de 1304,25 euros outre 130,42 euros de congés payés afférents, présentée par M. [Y], non spécifiquement contestée en son calcul, par voie d’infirmation du jugement.

Sur la demande d’annulation de la mise à pied disciplinaire du 28 mars 2018

Aux termes de la lettre de mise à pied, il est reproché en substance à M. [Y] d’être arrivé en retard à plusieurs reprises sur les chantiers, d’en être reparti plusieurs fois plus tôt que l’heure de fin de chantier, également d’avoir le 7 mars 2018 prolongé la pause déjeuner (départ du restaurant à 14h18 alors qu’il devait être sur le chantier à 13h30), ce phénomène de retards ayant été observé depuis plusieurs semaines et détaillé plus précisément pour la semaine du 5 au 9 mars 2018, au moyen des relevés de géolocalisation du fourgon.

M. [Y] critique le jugement entrepris en ce qu’il n’était pas autorisé, le règlement intérieur ne pouvant permettre l’employeur de le sanctionner par une mise à pied excédant 3 jours, à modifier la sanction en ramenant la durée de la mise à pied disciplinaire à 3 jours au lieu de 5 jours. Il fait valoir qu’au-delà de l’irrégularité de la sanction au regard du règlement intérieur, la lettre de mise à pied est injustifiée ; qu’en effet si une annualisation du temps de travail était effectivement en place, les horaires de travail ne lui ont jamais été clairement notifiés, qu’ils étaient fluctuants en fonction des périodes de l’année, qu’en tout état de cause il ressort des relevés de geolocalisation, à les supposer parfaitement fiables ce qui est contesté, qu’il se conformait en tout point aux horaires habituels de l’entreprise puisqu’il arrivait pour 8 heures au dépôt pour charger le camion et préparer le matériel et qu’il y rentrait le soir pour garer le véhicule, déposer son collègue, ranger le matériel. Il souligne la contradiction du jugement qui lui a alloué des dommges et intérêts pour sanction abusive tout en considérant que la sanction était justifiée.

La société Sebaco réplique qu’avant même d’examiner le détail des faits, il convient de souligner qu’ils concernent l’orgnisation collective du travail mise en place à compter du 1 er janvier 2018 à laquelle M. [Y] a refusé de se conformer alors que la soixantaine d’autres salariés sont satisfaits de cette organisation. Elle fait valoir que pour la première fois dans la lettre de prise d’acte il a prétendu qu’il aurait eu l’obligation de passer par le siège le matin et le soir, ce qui implique la qualification du trajet en temps de travail effectif, mais ce n’était pas le cas, et ce qu’il n’établit pas, puisqu’il n’y avait aucune obligation pour lui de le faire. Elle souligne le caractère délibérément provocateur du comportement du salarié.

***

Les articles L 1333-1 et L 1333-2 du code du travail disposent que :

‘ En cas de litige, le conseil de prud’hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. L’employeur fournit au juge les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments, et de ceux fournis par le salarié à l’appui de ses allégations, le juge forme sa conviction après avoir ordonné en cas de besoin toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié. Le juge peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.’

En application de l’article L1321-1 du code du travail les règles générales et permanentes relatives à la discipline, notamment la nature et l’échelle des sanctions que peut prendre l’employeur sont fixées par le règlement intérieur et l’employeur est tenu de se conformer aux prescriptions qui y figurent.

Sur la contestation des faits, il ressort de l’argumentation de M. [Y] qu’il ignorait les horaires fixés par l’employeur, tout en affirmant qu’il arrivait bien à 8 heures, alors qu’il est établi par l’attestation de M. [N], son responsable de secteur, que ces horaires étaient parfaitement connus. Ils avaient été évoqués et acceptés par la DUP en novembre 2017 et les autres salariés dont la société produit les attestations se présentaient directement sur les chantiers à 8 heures le matin, pour une journée de travail marquée par une pause de 12 heures à 13 H 30 et une fin de journée à 18 heures (16H 30 le vendredi). La fixation des horaires de travail relève du pouvoir de direction de l’employeur.

C’est par contre à bon droit que l’appelant fait valoir que la sanction est nulle en ce qu’elle excède la limite de durée prévue par le règlement intérieur.

Il convient en conséquence de condamner la société Sebaco à payer à M. [Y] le montant des 5 jours de mise à pied, soit 621,56 euros bruts.

L’employeur devra remettre un bulletin de salaire rectifié en conséquence, sans que l’astreinte demandée ne soit toutefois justifiée en l’état.

M. [Y], qui bénéficie de cette irrégularité, ne caractérise aucun préjudice qui ne soit déjà réparé par la condamnation de l’employeur au remboursement des journées de mise à pied.

Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé en ces dispositions.

Sur les demandes au titre de la rupture

M. [Y] fait valoir au soutien de son appel que les manquements graves qu’il invoque à l’encontre de l’employeur empêchaient la poursuite du contrat de travail et que la prise d’acte de rupture doit produire les effets d’un licenciement nul dans la mesure où il était un salarié protégé.

La société Sebaco réplique que les faits dont se prévaut M. [Y] n’empêchaient pas la poursuite du contrat de travail et ne lui permettaient pas de prendre acte de la rupture. Elle considère que la rupture doit produire les effets d’une démission et souligne à cet égard, en produisant la fiche d’information entreprise, que le salarié a créé une société de travaux de menuiserie dès le 1 er juin 2018.

***

En application de l’article L.1231-1 du code du travail, lorsqu’un salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit, soit les effets d’un licenciement, si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d’une démission. L’écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige. Le juge est tenu d’examiner les manquements de l’employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit. La charge de la preuve des manquements invoqués repose sur le salarié et le doute profite à l’employeur.

Au soutien de sa demande, M. [Y] présente ainsi les manquements qu’il invoque à la charge de l’employeur

-l’absence de paiement intégral du temps de travail effectif notamment depuis l’arrivée au dépôt de [Localité 4] pour chargement, puis entre l’entreprise, l’atelier de menuiserie, les différents lieux de travail et les chantiers matin et soir.

Cependant, alors que, s’agissant des manquements au temps de travail qu’il imputait à l’employeur, il indiquait à celui-ci, dans le courrier qu’il lui a fait adresser par voie d’avocat le 26 avril 2018, qu’il entendait demander le paiement d’heures supplémentaires, M. [Y] ne formule aucune demande de rappel de salaire à ce titre, ni même ne présente de décompte identifiant des heures qui auraient été impayées. Il ne rapporte pas davantage la preuve qu’il avait l’obligation de passer par le siège de l’entreprise à compter de janvier 2018. En effet, les attestations d’ex salariés ou intérimaires qu’il produit sont afférentes, au vu de leurs périodes d’emploi, à une période antérieure à janvier 2018, ou bien ne précisent pas à quelle période ils se réfèrent, excepté M. [C] qui évoque le ‘début des travaux de la nouvelle menuiserie, début 2019″, mais ne mentionne que son cas personnel (‘je n’avais pas le camion pour rentrer à la maison’), alors que l’employeur produit plusieurs attestations de salariés qui précisent n’avoir aucune obligation de passer par l’entreprise, soit qu’ils aient demandé l’autorisation de garder le véhicule d’entreprise, soit, indiquent-ils, du fait que les livraisons sont effectuées directement sur les chantiers, ce qui est confirmé par des factures produites aux débats, concernant notamment les fournitures de menuiserie. Les dispositions de l’article 202 du code de procédure civile ne sont pas prescrites à peine de nullité et il appartient à la juridiction d’apprécier la valeur probante des attestations produites, qu’il n’y a pas lieu d’écarter en l’espèce, au seul motif de leur irrégularité formelle, dès lors qu’elles sont concordantes et ont été délivrées par, notamment, des salariés investis d’un mandat de délégués du personnel (DUP). La phrase exprimée dans le courrier de la société en date du 16 avril 2018 ‘nos demandes relatives à l’heure d’arrivée sur les chantiers ne sont nullement nouvelles. Ces règles ont été appliquées au sein de la société depuis bien des années’, soit en d’autres termes qu’il n’est pas nouveau dans la société de demander aux ouvriers d’être à l’heure sur les chantiers, ne justifie pas de surinterprétation.

Ce premier grief n’est pas établi.

-le grief relatif au paiement des indemnités de trajet, qu’il décompose en désaccord persistant sur le traitement de l’indemnité de trajet dans l’entreprise avant janvier 2018 et défaut de paiement de l’intégralité des indemnités de trajet à partir de janvier 2018.

Cependant, il ne justifie d’aucune réclamation relative à cette indemnité de trajet, que ce soit avant janvier 2018 pour en demander le bénéfice, à compter de mai 2017 lorsqu’il a été élu délégué du personnel pour évoquer l’application de la convention collective, ou après janvier 2018 pour faire part d’erreurs dans les montants versés, il n’établit en conséquence aucun désaccord exprimé, encore moins de manière persistante. D’autre part, le montant sur lequel porte la contestation, soit au total 1304,25 euros pour une durée d ‘environ 3 ans, représente une part relativement négligeable de sa rémunération mensuelle et n’empêchait pas la poursuite du contrat de travail, dans un contexte où la volonté des partenaires sociaux a été ré affirmée, dans le sens indiqué supra par la société, dans un accord collectif rectifié.

-le comportement irrespectueux et agressif du directeur, M. [H], à son encontre.

Cependant il s’agit d’une allégation, contestée, qui n’est étayée d’aucune pièce et ne peut faire la preuve d’un grief.

Aucun manquement de l’employeur n’est par suite établi s’agissant de ce grief allégué, qui ne peut en conséquence justifier la prise d’acte de rupture.

-la mise à pied disciplinaire de 5 jours, grief décomposé en deux sous catégories : caractère abusif et déloyal de la mise à pied, durée illicite de la mise à pied disciplinaire de 5 jours non prévue au règlement intérieur.

Cependant, une mise à pied de 5 jours est une durée qui peut être prévue par certains règlements intérieurs et n’est, de ce fait, pas en soi disproportionnée au regard de la nature des faits reprochés au salarié. Le fait qu’elle soit annulée en ce que, en l’espèce, une telle mesure excède ce que le règlement intérieur de l’entreprise a établi ne suffit pas pour autant à caractériser un abus de son pouvoir disciplinaire par l’employeur.

La contestation de la sanction, justifiée uniquement par l’irrégularité de la durée ci dessus relevée, n’implique pas, au vu du contexte dans lequel elle est intervenue, que la poursuite du contrat de travail était rendue impossible.

-l’usage abusif du dispositif de géolocalisation.

Cependant, il y a lieu d’observer que :

-la géolocalisation des véhicules dans l’entreprise était justifiée, selon la note de service produite aux débats, par d’autres motifs que le suivi du temps de travail, tenant, en substance, à assurer une meilleure maîtrise de la mobilité, pour optimiser les temps d’intervention sur les chantiers et la rationalisation des déplacements et des interventions d’urgence, suivre les temps d’intervention par rapport à la relation client et pour les besoins de la facturation, lutter contre le vol des véhicules et du matériel, justifier des kilomètres professionnels parcourus lors d’un contrôle de l’Urssaf, notamment,

-si l’utilisation d’un système de géolocalisation pour assurer le contrôle de la durée du travail n’est effectivement licite que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre moyen, même si ce dernier est moins efficace que la géolocalisation, M. [Y] produit une note de service relative à ce système en date du 2 décembre 2016 faisant mention de l’amélioration du suivi de l’activité des salariés pour établir le temps de travail et avait donc connaissance de ce fait. Or, alors que la note précise que le dispositif respecte les conditions légales posées par la Cnil, il n’a, étant délégué du personnel depuis mai 2017, jamais contesté ce dispositif, que ce soit pour usage inapproprié ou pour faire état d’un défaut de consultation des délégués du personnel ou de déclaration à la Cnil, éléments qu’il n’invoque que très tardivement, au stade de la fin de procédure d’appel. Il ne ressort pas davantage de ses productions aux débats que le dispositif ait été effectivement utilisé en cours de contrat pour le décompte du temps de travail, qui était auto déclaratif, comme il ressort des fiches de temps qu’il renseignait quotidiennement avec récapitulation hebdomadaire(sa pièce 18), conformément à l’article 4.1 de l’accord ARTT de la société. Par ailleurs, sur l’utilisation par l’employeur du dispositif à des fins disciplinaires, il ne caractérise aucune disproportion entre le droit à la preuve de ce dernier, et l’atteinte constituée par une prétendue surveillance pendant ses temps de pause, qui n’est pas établie, seule l’heure de fin de pause et d’arrivée sur le chantier, données relatives à la vie professionnelle (et sans lien avec une action effectuée dans le cadre d’un mandat de délégué du personnel), et non à la vie personnelle, ayant été établies par ce moyen, dont l’existence et les finalités avaient été portées à sa connaissance, de sorte qu’aucune déloyauté n’est non plus caractérisée.

Il n’a d’ailleurs jamais invoqué ce grief, que ce soit dans sa prise d’acte, dans son courrier adressé par voie d’avocat à l’employeur après la rupture, ou devant les premiers juges. Ce grief, dont la gravité doit être relativisée ainsi qu’il résulte des considérations ci dessus développées, ne présentait donc pour lui manifestement pas un caractère de gravité déterminant sa prise d’acte de la rupture du contrat de travail. Le grief sera par suite écarté en ce qu’il n’empêchait pas la poursuite du contrat de travail.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu’il a dit que la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail par M. [Y] n’était pas justifiée par des manquements suffisament graves et importants de l’employeur rendant impossible la poursuite du contrat de travail, a dit qu’elle produisait les effets d’une démission et a condamné M. [Y] au paiement de l’indemnité de préavis dont le montant n’est pas spécifiquement contesté.

Il est inéquitable de laisser à M. [Y] ses frais irrépétibles d’appel pour un montant de 1800 euros. Succombant partiellement, la société Sebaco sera condamnée aux dépens d’appel. Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions sur ces chefs.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la Scop Sebaco à payer à M. [B] [Y] les sommes de :

-248,62 euros bruts au titre de 2 jours de mise à pied,

-500 euros à titre de dommages et intérêts pour sanction abusive,

Le confirme en ses autres dispositions,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés, et y ajoutant,

Prononce l’annulation de la mise à pied disciplinaire de 5 jours du 28 mars 2018,

Condamne la Scop Sebaco à payer à M. [B] [Y] les sommes de :

-621,56 euros bruts au titre de rappel de 5 jours de mise à pied,

-1800 euros au titre des frais irrépétibles d’appel,

Rappelle que les sommes à caractère salarial allouées produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation,

Dit que la Scop Sebaco devra remettre à M. [B] [Y] un bulletin de salaire rectifié,

Déboute M. [B] [Y] du surplus de ses demandes,

Déboute la Scop Sebaco de sa demande au titre des frais irrépétibles d’appel,

Condamne la Scop Sebaco aux dépens d’appel.

Le Greffier Le Président

 


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