Mise à pied disciplinaire : 2 juin 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 19/12042

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Mise à pied disciplinaire : 2 juin 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 19/12042
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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-6

ARRÊT AU FOND

DU 02 JUIN 2023

N°2023/ 168

Rôle N° RG 19/12042 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BEU76

SAS LES ETABLISSEMENTS DEGREANE

C/

[Y] [F]

Copie exécutoire délivrée

le :02/06/2023

à :

Me Frédéric FRIBURGER de la SELAS GRAVIER FRIBURGER AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE

Me Sophie CAÏS, avocat au barreau de TOULON

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de TOULON en date du 28 Juin 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° F 17/00284.

APPELANTE

SAS LES ETABLISSEMENTS DEGREANE, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Frédéric FRIBURGER de la SELAS GRAVIER FRIBURGER AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIME

Monsieur [Y] [F], demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Sophie CAÏS, avocat au barreau de TOULON

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 04 Avril 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Philippe SILVAN, Président de chambre, et Madame Estelle de REVEL, Conseiller, chargé du rapport.

Madame Estelle de REVEL, Conseiller, a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

M. Philippe SILVAN, Président de chambre

Madame Dominique PODEVIN, Présidente de chambre

Madame Estelle de REVEL, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Suzie BRETER.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 02 Juin 2023.

ARRÊT

contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 02 Juin 2023.

Signé par M. Philippe SILVAN, Président de chambre et Mme Suzie BRETER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

M. [Y] [F] a été engagé en qualité d’ouvrier professionnel (électricien) par la société Les Etablissements Degreane selon contrat de travail à durée indéterminée du 17 janvier 2007.

Dans le dernier état de la relation contractuelle régie par les dispositions de la convention collective nationale des entreprises de travaux publics, il percevait une rémunération mensuelle brute de 2 113,67 euros en qualité de chef d’équipe ouvrier niveau 3 position 2 coefficient 165.

Le 8 novembre 2016, le salarié a fait l’objet d’un avertissement.

Le 4 janvier 2018, il a à nouveau été sanctionné par un avertissement.

Le 25 avril 2017, M. [F] a saisi le conseil de prud’hommes en paiement d’heures supplémentaires, en annulation des sanctions disciplinaires et paiement de diverses indemnités notamment pour discrimination.

Par jugement du 28 juin 2019, le conseil de prud’hommes de Toulon a:

‘ANNULE les avertissements de Monsieur [F] [Y];

CONDAMNE, LA SAS LES ETABLISSEMENTS DEGREANE prise en la personne de son représentant légal à payer à Monsieur [F] [Y] les sommes suivantes ;

– 8 961,57€ au titres des heures supplémentaires et la somme de 896,1 5€ au titres des conges payés y afférents ,

– 5 000€ au titre des dommages et intérêts pour résistance abusive ;

– 743€ au titre des dommages et intérêts pour discrimination;

– 3 000€ au titre des dommages et intérêts pour sanction injustifiée;

– 3 000€ sur le fondementde1’article 700 du C.P.C ;

– ORDONNE l’exécution Provisoire du Jugement

– DIT que les intérêts au taux légal sur1’ensemble des sommes allouées, courant à compter du prononcé de la présente décision ;

– DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes;

-CONDAMNE La SAS LES ETABLISSEMENTS DEGREANE prise en la personne de son représentant légal aux entiers dépens. ‘

La SAS Les Etablissements [F] a fait appel du jugement le 23 juillet 2019.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 16 avril 2020, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé détaillé des moyens, la SAS Les Etablissements [F] demande à la cour de :

‘RECEVOIR la société LES ETABLISSEMENTS DEGREANE en son appel et le juger bien fondé,

CONSTATER que la demande de rappel d’heures supplémentaires de Monsieur [Y] [F] n’est pas fondée,

CONSTATER que les avertissements des 08 novembre 2016 et 04 janvier 2018 sont fondés,

CONSTATER l’absence de discrimination,

En conséquence, et pour les causes sus énoncées :

REFORMER le jugement rendu le 28 juin 2019 par le Conseil de prud’hommes de TOULON,

DEBOUTER Monsieur [F] de son appel incident et de l’ensemble de ses demandes nouvelles relatives aux heures supplémentaires et aux prétendus actes de discrimination ;

Et statuant à nouveau :

DEBOUTER Monsieur [Y] [F] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

CONDAMNER Monsieur [Y] [F] à verser à la société LES EABLISSEMENTS DEGREANE la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile,

CONDAMNER Monsieur [Y] [F] aux entiers dépends.’

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 20 janvier 2020, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé détaillé des moyens, M. [Y] [F] demande à la cour de :

CONFIRMER le jugement dont appel sauf en ce qu’il a limité à 743 euros le montant alloué à Monsieur [F] au titre des dommages-intérêts pour discrimination

LE REFORMANT SUR CE POINT, CONDAMNER la SAS ETABLISSEMENTS DEGREANE à payer à monsieur [F] la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts pour discrimination

Y AJOUTANT,

CONDAMNER la SAS ETALBLISSEMENTS DEGREANE à payer à Monsieur [F] la somme de 2.120,62 euros bruts outre congés payés y afférents soit 121,06 euros bruts au titre des heures supplémentaires réalisées du 1er avril 2017 au 31 décembre 2017

CONDAMNER la SAS ETALBLISSEMENTS DEGREANE à payer à Monsieur [F] la somme 1.411,42 euros bruts outre congés payés y afférents soit 141,14 euros bruts au titre des heures supplémentaires réalisées du 1 er janvier au 31 décembre 2018

CONDAMNER la SAS ETALBLISSEMENTS DEGREANE à payer à Monsieur [F] la somme 385,22 euros bruts outre congés payés y afférents soit 38,52 euros bruts au titre des heures supplémentaires réalisées du 1 er janvier au 21 juin 2019

CONDAMNER la SAS ETALBLISSEMENTS DEGREANE à payer la somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

CONDAMNER la SAS ETABLISSEMENTS DEGREANE aux entiers dépens dont frais d’exécution forcée par Huissier.

DIRE que la condamnation sera assortie des intérêts légaux à compter du jugement dont appel’.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur les heures supplémentaires

– Sur le temps de travail effectif

Moyens des parties :

La société Les Etablissements Degreane conteste l’accomplissement par M. [F] d’heures supplémentaires tel que reconnu par le conseil de prud’hommes considérant que le temps de déplacement pour se rendre sur les chantiers n’est pas du temps de travail effectif.

Elle soutient que :

– il n’y a aucune obligation pour les salariés à se faire transporter par les véhicules de l’entreprise pour se rendre sur les chantiers;

– elle ne donne aux salariés aucune directive obligatoire, impérative et générale à se rendre au siège de la société avant d’aller sur les chantiers et au retour;

– le passage par l’entreprise avant de se rendre sur les chantiers est une simple faculté proposée aux salariés afin d’être transportés par des véhicules de l’entreprise ou d’en emprunter un pour se rendre sur les lieux de chantier s’ils le souhaitent;

– l’affichage d’une note de service mentionnant les horaires de départ des véhicules en fonction des lieux de chantier ne se confond pas avec des horaires d’embauche;

– les notes de service concernant le chargement et le déchargement des camions ont pour seul but de rappeler que les camions doivent être rangés et les matériels chargés, déchargés le soir et avant le week-end; elles concernent les gros matériels principalement utilisés par les conducteurs de travaux qui doivent être acheminés sur les chantiers et pas les petits matériels qui sont gérés par chaque salarié comme M. [F] ;

– lorsque pour certains chantiers particuliers, le passage par l’entreprise est nécessaire afin de passer prendre un véhicule et le charger, ces opérations se font pendant la durée contractuelle de travail.

– les temps de déplacements vers les chantiers sont des temps de déplacement indemnisés comme tels en vertu de la convention collective (indemnité de transport ou de trajet).

M. [F] soutient que le temps de travail effectif se définissant comme celui pendant lequel il est à la disposition de l’employeur et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles, le passage par le siège de l’entreprise avant et après les chantiers doit s’analyser comme tel car il est, dès ce moment là, à la disposition de l’employeur.

Il fait valoir que contrairement à ce qui est soutenu par l’appelant, ce passage par l’entreprise n’est pas laissé à l’appréciation du salarié et à sa convenance, mais est une obligation en application des directives de l’employeur matérialisées par des notes de service, non pas pour bénéficier d’un moyen de transport vers les chantiers, mais pour charger les véhicules du matériel nécessaire à la réalisation des chantiers, les décharger le soir au retour des chantiers, prendre connaissance de son planning et des directives.

Il explique que le matériel utilisé sur les chantiers est du matériel lourd qui doit donc être ramené au siège de la société.

Il en conclut que les horaires de départ figurant sur les notes de service, qui s’échelonnent entre 6h45 et 7h20 selon les zones géographiques des chantiers marquent le début du travail effectif.

Réponse de la cour

Constituent des heures supplémentaires toutes les heures de travail effectuées au-delà de la durée hebdomadaire du travail fixée par l’article L. 3121-10 du code du travail ou de la durée considérée comme équivalente. Cette durée du travail hebdomadaire s’entend des heures de travail effectif et des temps assimilés.

Aux termes de l’article L. 3121-1 du code du travail, la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles.

Il est de jurisprudence constante que, lorsque les salariés doivent se rendre pour l’embauche et la débauche à l’entreprise, ceux-ci ne pouvant vaquer à des occupations personnelles, le temps de transport entre l’entreprise et le chantier constitue un temps de travail effectif.

En l’espèce, le salarié se fonde sur plusieurs notes de service adressées régulièrement au personnel de chantier ou à l’ensemble du personnel, sous forme de rappel :

– la note de service du 3 août 2015 qui rappelle que ‘l’outillage (notamment électroportatif Hilti) doit être enlevé des véhicules tous les soirs et le week-end, afin d’éviter tout vol ou/et dégradation de véhicule. Des casiers nominatifs ont été mis en oeuvre à cet effet.’

– celle du service du 1er juillet 2016 qui rappelle de précédentes notes d’août 2006, mai 2011 et novembre 2013 concernant l’obligation de rapporter les coupes et déposes de câbles en cuivre pour que l’entreprise les retraite, sous peine de sanction lourde.

– celle du 1er juillet 2016 qui rappelle les règles de stationnement des véhicules personnels des salariés dans l’enceinte de l’entreprise.

– celle du 16 février 2018, qui rappelle qu’il faut ‘remettre à [S] chaque soir les attachements indiquant a minima le nom du chantier, le n° d’affaire, la date, les travaux réalisés’ et qu’il faut consulter chaque soir le planning pour son affectation du lendemain qui peut évoluer;

– celle du 5 juin 2018 qui rappelle que le planning peut évoluer chaque jour et qu’il faut le consulter chaque soir.

Il produit également l’affichage des horaires de travail et des ‘horaires de départ de la société pour horaire de chantiers’ mentionnant des heures de départ différentes selon l’éloignement du chantier à regagner sous forme de 5 zones (ex: zone 1 : 0 à 10 km départ 7h20; zone 2 : 10 à 20 km départ 7h15…).

Le transport vers les chantiers au moyen des camions de l’entreprise dont plusieurs départs sont organisés le matin à entre 6h45 et 7h20 en fonction des zones géographiques des chantiers ne sont certes pas obligatoires, tel que cela résulte d’une note d’information produite par l’employeur, de février 2015 adressée au personnel ouvrier ETAM chantier dans laquelle la direction rappelle que les salariés non sédentaires peuvent, ‘s’ils le souhaitent’ être transportés jusqu’au chantier par les véhicules de l’entreprise’ , précisant que cela ‘ne constitue en aucune façon une obligation’. Cependant, il se déduit de la teneur des notes susvisées, de leur objet, de leur caractère général (elles ne concernent pas des chantiers en particuliers), contraignant et impératif découlant pour certaines de sanctions encourues, que les salariés – qu’ils empruntent ou non un véhicule de l’entreprise selon leur choix – sont en définitive tenus de passer dans l’enceinte de l’entreprise avant et après les chantiers, puisqu’ils devaient récupérer et déposer le matériel de chantier, vérifier leur planning, remettre leur fiche et ce, tous les jours, et ainsi se soumettre aux directives de l’employeur.

Or, selon une autre note de service du 10 novembre 2017, et ce n’est pas discuté, il est rappelé que ‘l’horaire de travail se termine à 16h30 sur chantier’ sous peine de sanction disciplinaire. Il n’est pas non plus contesté que l’heure d’embauche est 7h30 (pièce 19 de l’employeur) et qu’elle a lieu sur le chantier puisque M. [F] a été sanctionné le 4 janvier 2018 pour violation de cet horaire. Les horaires de chantiers sont ainsi les suivants: 7h30-12h/ 13h- 16h30, vendredi 7h30-12h30.

Contrairement à ce qu’affirme l’employeur, les opérations de chargement et déchargement ne concernaient pas seulement des chantiers ponctuels ou du matériel particulier mais ‘l’outillage’ en général. Au vu de l’activité de l’entreprise, il n’est pas démontré que M. [F], qui a la qualité d’ouvrier professionnel, n’aurait utilisé pour l’exécution de son travail que du matériel léger (caisse à outil, courant faible) non concerné par le chargement et déchargement.

En dépit des arguments et nombreuses pièces produites, la société n’explique pas par quel autre moyen que de passer par les locaux de l’entreprise avant et après les chantiers, tout en respectant les horaires de chantier, le salarié pouvait satisfaire aux exigences susvisées (charger, décharger, ranger, prendre connaissance, donner ses fiches…).

Il résulte de ces éléments que le salarié était tenu de se rendre au siège de l’entreprise avant l’heure d’embauche et après la débauche sur les chantiers notamment afin de procéder au chargement et déchargement des matériaux tous les jours.

Il était ainsi soumis au cours de cette période, entre l’arrivée dans les locaux de l’entreprise le matin jusqu’au retour dans ces mêmes locaux en fin de journée (temps de pause déduite entre 12h et 13h), à des contraintes d’une intensité telle qu’elles ont affecté, objectivement et très significativement, sa faculté de gérer librement au cours de cette période, le temps pendant lequel ses services professionnels n’étaient pas sollicités et de vaquer à des occupations personnelles.

Par conséquent, le temps de travail s’étirant entre l’heure d’arrivée dans les locaux de l’entreprise et le retour dans les locaux (hors heure de pause) doit être analysé comme du temps de travail effectif.

– Sur le rappel de salaire

M. [F] sollicite la confirmation du jugement ayant condamné la société à lui verser la somme de 8 961,57 euros, outre congés payés afférents, pour la période du mois d’avril 2014 au mois d’avril 2017. Il réclame également la condamnation de la société au paiement des rappels de salaire ayant continué de courir après le mois d’avril 2017 jusqu’au 21 juin 2019.

L’employer soutient que le salarié ne produit aucun élément justifiant le nombre d’heures supplémentaires qu’il affirme avoir réalisées au titre des déplacements sur les chantiers et dont il réclame paiement. Il reproche à l’intimé de ne pas produire de décompte hebdomadaire précis.

Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre’d’heures’de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des’heures’de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre’d’heures’de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux’heures’non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des’heures’de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence’d’heures’supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

A l’appui de sa demande, M. [F] produit :

– des décomptes pour chaque année (2014 à 2017) suffisamment précis et détaillés couvrant la totalité de la période objet de sa réclamation, soit d’avril 2014 actualisés jusqu’en 2019, mentionnant les heures supplémentaires accomplies au cours de chaque mois en fonction de la zone de chantier et du temps de déplacement;

– complétés par les fiches hebdomadaires d’emploi du temps pour toute la période et des bulletins de salaire mentionnant les primes et déplacement;

– des attestations de salariés sur les heures de présence.

Ce faisant, M. [F] présente des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur d’y répondre utilement.

La société Etablissements Degreane qui se borne à critiquer les éléments apportés par M. [F] ne les contredit pas sérieusement au moyen de ses propres éléments considérés dans leur ensemble.

Ainsi, elle ne justifie pas des horaires réellement accomplis par ce dernier au moyen de:

– un procès verbal de constat dressé par Maître [R], huissier de justice, à la demande de la société, dans les locaux de la société, portant sur les horaires des allers et venues effectués par l’ensemble des véhicules siglés du logo Degreane le matin et l’après-midi, durant 8 jours entre le 17 septembre et le 5 octobre 2018, mentionnant des horaires avant, pendant et après les horaires d’embauche et de débauche;

– la note de service du 16 juin 2016 concernant le chantier de la Fondation Carmignac à [Localité 5] sur les horaires hebdomadaires des salariés, s’agissant d’un chantier particulier du fait de sa réalisation sur une île

– les attestations de salariés ayant participé à ce chantier

Au vu de ces éléments, il convient de confirmer le jugement ayant fixé à la somme de 8  961,57 euros, correspondant à un total de 517,50 heures supplémentaires effectuées entre avril 2014 et avril 2017 outre 896,15 euros au titre des congés payés afférents et de condamner la société à payer au salarié la somme de 3 917,26 euros pour la période comprise entre le mois de mai 2017 et le 21 juin 2019, outre 391,72 euros à titre de congés payés afférents.

Sur la résistance abusive

M. [F] soutient que l’employeur a fait preuve de résistance abusive en refusant de lui régler ses heures supplémentaires alors qu’il réalisait un temps de travail effectif demandé par celui-ci et qu’il en a subi un préjudice ayant été surveillé par un huissier de justice, ayant dû photographier son tableau de bord pour justifier de sa situation.

Toute demande d’indemnisation suppose, pour être accueillie, la démonstration d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre eux.

Selon l’article 1231-6 du code civil, les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d’une obligation de somme d’argent consistent dans l’intérêt au taux légal.

A l’instar de la société Etablissement Degreane, la cour relève que le salarié ne justifie pas d’un préjudice distinct de celui lié au non paiement de ses heures supplémentaires qui est réparé parla condamnation en paiement outre intérêts moratoires.

La demande doit être rejetée et le jugement infirmé.

Sur l’annulation des sanctions disciplinaires

La société soutient que les sanctions disciplinaires infligées au salarié les 8 novembre 2016 et 4 janvier 2018 étaient fondées dès lors qu’il n’avait pas respecté ses horaires de travail n’étant pas présent sur les chantiers à 7h30 alors qu’il s’agit de l’heure d’embauche.

Le salarié demande confirmation du jugement ayant annulé les sanctions disciplinaires

Selon les articles L. 1333-1 et suivants du contrat, en cas de litige, la juridiction apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. L’employeur fournit les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l’appui de ses allégations, la juridiction forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’elle estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

La juridiction peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise

En l’espèce, aux termes de la mise à pied disciplinaire, commuée en avertissement le 8 novembre 2016, plusieurs retards sont reprochés à M. [F] au cours de la semaine du 7 octobre 2016 ; il lui est fait grief de ne pas se présenter à l’heure fixée pour le départ des véhicules de l’entreprise vers le chantier, ce qui mettait en difficulté l’organisation des chantiers.

Il n’est pas discuté que le salarié ne s’est pas présenté au siège de l’entreprise aux horaires de départ pour se rendre sur les chantiers selon les horaires affichés.

Il est constant que le salarié devait être présent sur les chantiers entre 7h30 et 12h puis entre 13h et 16h30 (le vendredi 7h30 -13h30).

Le moyen selon lequel ces retards au siège de l’entreprise ne seraient pas fautifs puisqu’ils ne violaient pas l’horaire de chantier doit être rejeté. En effet, que les temps de déplacement s’analysent en temps de travail effectif, tel que retenu en l’espèce, ou en

temps de trajet selon l’analyse de l’employeur, il n’en demeure pas moins que le salarié devait se conformer aux horaires de départ s’il entendait emprunter les véhicules de l’entreprise afin de ne pas désorganiser le début des chantiers, d’autant plus qu’il affirme qu’il s’agissait, d’une obligation et non d’une faculté.

Par ailleurs, la cour ajoute que le salarié avait d’autres moyens que de refuser de se conformer à ces consignes. Il pouvait en effet informer l’inspection du travail de faits concernant l’entreprise lui paraissant anormaux ou s’adresser aux organisations syndicales représentatives de travailleurs, ou faire valoir ses droits devant le conseil des prud’hommes, ce qu’il n’a fait que postérieurement à cette sanction, le 25 avril 2017.

S’agissant du second avertissement du 4 janvier 2018, il a été sanctionné pour s’être vu infliger un avis de contravention pour excès de vitesse alors qu’il conduisait un véhicule de la société le 15 novembre 2018 à 7h30 à [Localité 4] alors qu’à cette heure là, il ‘aurait dû commencer sa journée de travail’ et être sur un chantier à [Localité 3] à 7h30.

Il se déduit des éléments matériellement établis, non autrement contestés, que le retard est fondé.

La demande d’annulation doit être rejetée et le jugement infirmé, y compris en ce qu’il a condamné à la société en paiement de dommages et intérêts.

Sur le droit d’agir en justice

La société conteste toute discrimination à l’encontre du salarié qui résiderait dans une volonté de lui nuire parce qu’il a agi en justice à son encontre en ne lui attribuant pas de prime exceptionnelle en 2017 et en n’augmentant pas son salaire.

Elle fait valoir que c’est en raison du comportement fautif du salarié qui a eu des retards répétés qu’il n’a pas eu de prime et rappelle l’avertissement du 8 novembre 2016 et un rappel à l’ordre le 20 mars 2017.

Elle ajoute que le versement de la prime exceptionnelle n’est pas obligatoire et est attribué en fonction du mérite du salarié et de ses performances professionnelles

Elle soutient que M. [F] perçoit une rémunération plus importante que celle prévue par la convention collective.

Le salarié sollicite 5 000 euros à titre de dommages et intérêts soutenant que c’est en raison de son action en justice que l’employeur a brutalement supprimé le versement de sa prime exceptionnelle qu’il avait perçue les années précédentes et n’a plus augmenté son salaire.

Aux termes de l’article L.1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte « telle que définie à l’article 1er de la loi numéro 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m’urs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap.

La liste de l’article L.1132-1 susvisées est limitative et ne prévoit pas l’atteinte au droit d’agir en justice qui est cependant une liberté fondamentale pour tout salarié dont la violation par l’employeur emporte la nullité de la sanction prononcée ou de la décision prise.

Selon l’article 12 du code de procédure civile, le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.

En l’espèce, la demande du salarié qu’il fonde improprement sur une discrimination, concerne plus justement la violation de son droit fondamental d’agir en justice.

Il appartient au salarié de démontrer que la rupture de son contrat de travail – ou la sanction disciplinaire – constituent une mesure de rétorsion à une action en justice introduite pour faire valoir ses droits.

Il ressort des pièces versées que M. [F] a perçu les primes exceptionnelles annuelles suivantes :

– 2008 (100 euros),

– 2010 (510 euros bruts),

– 2012 (430,94 euros),

– 2013 (344,67 euros),

– 2014 (140 euros),

– 2015 (500 euros),

– 2016 (100 euros)

Il en résulte que depuis 2012, soit depuis 5 ans au moment des faits, il avait, chaque année bénéficié d’une telle prime non prévue par le contrat de travail, ni aucun accord collectif.

Sans remettre en cause le caractère discrétionnaire du versement de ces primes, la cour dit que la société ne peut invoquer l’avertissement du 8 novembre 2016 pour justifier avoir décidé de ne pas verser de prime en 2017 dès lors qu’elle lui a versé une prime au titre de l’année 2016 dont elle lui a notifiée le versement le 25 mars 2017, soit alors que le salarié avait déjà été sanctionné, et que dans son entretien d’évaluation, elle n’a pas fait mention de point négatif mais a au contraire loué son esprit de collaboration, son sens de l’équipe et l’a qualifié de très coopératif.

La cour relève ensuite que le rappel à l’ordre du 20 mars 2017 dont il est fait état ne concerne pas des retards contrairement à ce qui est soutenu, et ne constitue pas une sanction disciplinaire, de sorte que l’employeur ne peut l’invoquer pour justifier une absence de prime alors qu’il avait versé une telle prime en présence d’un avertissement.

Le salarié a saisi le conseil de prud’hommes le 25 avril 2017, soit au cours de l’année 2017 et la procédure a continué tout au long de cette année. Il existe bien en conséquence un lien entre cette saisine et l’arrêt brutal du versement de la prime.

S’agissant du salaire de M. [F] dont il n’est pas discuté qu’il n’a plus augmenté depuis 2017, la cour relève que l’employeur le reconnaît et se fonde également sur le comportement fautif du salarié.

Au vu de cet argument et de la contemporanéité de la saisine de la juridiction prud’homale, la cour estime qu’il existe un lien entre ces deux événements constituant une violation de la liberté fondamentale d’agir en justice.

Le fait que le salarié percevait une rémunération dépassant les minimas conventionnels, ce qui n’est pas autrement contesté, est inopérant au vu des circonstances et du contexte.

M. [F] a subi un préjudice qui est justement réparé par l’allocation de la somme de 1 000 euros.

Sur les autres demandes

Il convient de condamner la société qui succombe au principal à payer à M. [F] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

CONFIRME le jugement entrepris SAUF s’agissant :

– de la condamnation au titre de la résistance abusive,

– de la condamnation pour discrimination,

– de la condamnation pour sanction injustifiée

STATUANT à nouveau des chefs infirmés et Y AJOUTANT:

CONDAMNE la société Les Etablissements Degreane à payer à M. [Y] [F] les sommes suivantes :

– 3 917,26 euros au titre du rappel de salaire au titre des heures supplémentaires accomplies entre le mois de mai 2017 et le 21 juin 2019,

– 391,72 euros à titre de congés payés afférents,

-1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de la liberté fondamentale d’agir en justice,

– 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

DIT n’y avoir lieu à annuler les sanctions disciplinaires du 8 novembre 2016 et du 4 janvier 2018

DEBOUTE M. [Y] [F] de ses autres demandes,

CONDAMNE la société Etablissements Degreane aux dépens.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 


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