Mise à pied disciplinaire : 19 mai 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 19/10874

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Mise à pied disciplinaire : 19 mai 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 19/10874
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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-2

ARRÊT AU FOND

DU 19 MAI 2023

N° 2023/177

Rôle N° RG 19/10874 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BERSA

[W] [J]

C/

SAS MILLO GARCIN

Copie exécutoire délivrée

le : 19 mai 2023

à :

Me Claudie HUBERT, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

(Vestiaire 109)

Me Caroline KUBIAK, avocat au barreau de DRAGUIGNAN

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MARTIGUES en date du 28 Mai 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° F 18/00063.

APPELANT

Monsieur [W] [J], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Claudie HUBERT, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

INTIMEE

SAS MILLO GARCIN, demeurant [Adresse 8]

représentée par Me Caroline KUBIAK, avocat au barreau de DRAGUIGNAN

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 29 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Ursula BOURDON-PICQUOIN, Conseillère, chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Florence TREGUIER, Présidente de chambre

Madame Véronique SOULIER, Présidente de chambre suppléante

Madame Ursula BOURDON-PICQUOIN, Conseillère

Greffier lors des débats : Mme Cyrielle GOUNAUD.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 19 Mai 2023.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 19 Mai 2023

Signé par Madame Florence TREGUIER, Présidente de chambre et Mme Cyrielle GOUNAUD, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS ET PROCEDURE

Monsieur [W] [J] a été embauché par la société MILLO GARCIN par contrat à durée indéterminée en date du 1er septembre 2009 conducteur PL au coefficient 138 M groupe 6 selon la convention collective nationale des transports routiers.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 16 juin 2017, Monsieur [J] a été convoqué à un entretien préalable en vue d’une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement prévu le 4 juillet 2017.

Le 4 juillet 2017, la société MILLO GARCIN a dit confirmer la mesure de mise à pied conservatoire notifiée verbalement le même jour.

Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 10 juillet 2017, Monsieur [J] a été licencié pour faute grave.

Monsieur [J] a saisi, par requête réceptionnée au greffe le 26 janvier 2018, le conseil de prud’hommes de Martigues pour contester son licenciement et solliciter des indemnités de rupture.

Par jugement du 28 mai 2019 notifié le 26 janvier 2018, le conseil de prud’hommes de Martigues, section commerce, a ainsi statué :

– déboute Monsieur [J] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

– dit et juge qu’il n’y a pas lieu à dommages-intérêts,

– déboute les parties de leur demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– laisse les dépends respectifs à la charge de chacune des parties.

Par déclaration du 4 juillet 2019 notifiée par voie électronique, Monsieur [J] a interjeté appel du jugement et sollicité son infirmation en toutes ses dispositions à l’exception du débouté de la société au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions déposées le 27 décembre 2022, la société MILLO GARCIN a interjeté appel incident du jugement s’agissant les dispositions relatives à l’article 700 du code de procédure civile.

PRÉTENTIONS ET MOYENS

Dans ses dernières conclusions notifiées au greffe par voie électronique le 28 avril 2022, Monsieur [J], appelant, demande à la cour, au visa des articles L.1332-5 et L.1234-5 du code du travail, de :

– infirmer le jugement entrepris,

et en statuant de nouveau,

– dire et juger que la société SAS MILLO GARCIN n’a pas diligenté la procédure de licenciement pour faute grave dans un délai restreint,

– constater que l’employeur n’a pas immédiatement prononcé une mise à pied conservatoire, celle-ci ayant été appliquée postérieurement à la convocation à l’entretien préalable,

– dire et juger que son maintien au sein de l’entreprise n’était pas impossible,

– dire et juger que les avertissements et la mise en disciplinaire produits par l’employeur ne peuvent venir au soutien du licenciement prononcé à son encontre, ces sanctions datant de plus de trois années,

– constater que l’employeur a adopté une tolérance durant la relation de travail concernant les excès de vitesse,

– constater que deux salariés de la société SAS MILLO GARCIN, qui détenaient une ancienneté inférieure à la sienne, ont été licenciés pour les mêmes griefs, pour faute simple et non pour faute grave,

– dire et juger qu’eu égard à son ancienneté de treize années, les griefs à l’appui du licenciement ne pouvaient pas justifier le prononcé d’un licenciement pour faute grave,

– dire et juger en conséguence que son licenciement est dénué de toute cause réelle et sérieuse,

– condamner la société SAS MILLO GARCIN au paiement des sommes suivantes :

– 7 617,29 euros à titre d’indemnité de licenciement,

– 4 014,00 euros à titre de préavis,

– 401,40 euros à titre de congés incidents,

– 30 000,00 euros nets de CSG et de CRDS à titre de dommages et intérêts,

– 375,84 euros à titre de rappel de salaire mise à pied conservatoire du 5 juillet 2017 au 10 juillet 2017,

– 37,58 euros à titre de congés incidents,

– assortir les créances salariales des intérêts de droit, avec capitalisation à compter de la demande introductive d’instance,

– débouter la société SAS MILLO GARCIN de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

– condamner la société SAS MILLO GARCIN au paiement de la somme de 2 500,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour cause d’appel,

– condamner la défenderesse aux entiers dépens.

A l’appui de son recours, l’appelant fait valoir en substance que :

– son maintien au sein de la société n’était donc pas impossible eu égard au délai non restreint dans lequel la procédure de licenciement est intervenue et au regard des griefs reprochés ;

– les motifs invoqués à l’appui du licenciement ne justifiaient pas un licenciement pour faute grave eu égard à son ancienneté de 13 années, à la tolérance de l’employeur relative aux excès de vitesse ponctuels, manifestée par l’absence de sanction depuis 2014 ;

– deux salariés de la société, ayant moins d’ancienneté que lui, ont pour les mêmes griefs été licenciés pour faute simple et non pour faute grave.

Dans ses dernières écritures transmises au greffe par voie électronique le 22 juin 2020, la société MILLO GARCIN demande à la cour de :

– déclarer Monsieur [J] mal fondé en ses demandes et l’en débouter,

– confirmer la décision entreprise en ce qu’elle a :

– rejeté la demande de Monsieur [J] pour insuffisance de motivation des avertissements et de la mise à pied disciplinaire et leurs soutiens au licenciement et débouté Monsieur [J] de ces différentes demandes,

– rejeté la demande de requalification du licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse et débouté Monsieur [J] de ses demandes de dommages et intérêts ainsi que de toutes ses demandes à ce titre,

– déclarer la société MILLO GARCIN recevable et bien fondée en son appel incident,

– infirmer la décision déférée en ce qu’elle a :

– rejeté la demande de condamnation de Monsieur [J] au paiement d’une somme de 2 500,00 euros d’article 700 du code de procédure civile,

statuant à nouveau :

– condamner Monsieur [J] au paiement d’une somme de 5 000,00 euros au titre des frais irrépétibles de 1ère instance et d’appel en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– le condamner aux entiers dépens, tant de 1ère instance que d’appel,

à titre subsidiaire et pour le cas où la cour réformerait en tout ou partie le jugement du conseil de prud’hommes de Martigues du 28 mai 2019,

– retenir une ancienneté de 6 ans et 9 mois au service continu de son employeur MILLO GARCIN,

– constater que le licenciement n’est pas fondé sur les précédentes sanctions disciplinaires prises à l’encontre de Monsieur [J],

– déclarer prescrite la demande de Monsieur [J] tendant à voir annuler ou remettre en

question ces antécédents disciplinaires évoqués en réponse à l’affirmation mensongère du salarié selon laquelle il n’avait jamais été sanctionné durant l’exécution de son contrat,

– rejeter l’exception de tolérance soulevée par le salarié ;

– rejeter l’exception d’ancienneté soulevée par le salarié ;

– juger qu’elle a engagé la procédure de licenciement et mis à pied à titre conservatoire dans un bref délai au regard de la connaissance de l’ensemble des faits fautifs par l’employeur ;

– juger que le maintien de Monsieur [J] dans l’entreprise n’était pas possible et déclarer

le licenciement fondé sur une faute grave exclusive des indemnités de rupture et de préavis,

et si par extraordinaire la faute grave était requalifiée en cause réelle et sérieuse,

– fixer la moyenne des salaires pouvant servir de base au calcul des indemnités de rupture à la somme de 2 320,53 euros bruts – sur la base des 12 derniers mois complets (de juillet 2016 à juin 2017),

– limiter le montant de rappel de salaire et accessoires pour la période conservatoire à la somme de 375,84 euros bruts,

– limiter le montant de l’indemnité de licenciement au montant de l’indemnité légale, soit (1/5 × 6) + (1/5 × 9/12)] × 2 320, 53 euros = 2 784,64 + 348,07 = 3 132,71 euros,

– limiter l’indemnité de préavis à 2 mois, soit 1 887,00 euros X 2 = 3 774,00 euros outre 1/10 pour congés payés, soit 377,40 euros (article L 1234 ‘1 3° du code du travail),

et en tout état de cause et même si par impossible le licenciement était requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– débouter Monsieur [J] de sa demande de dommages-intérêts pour laquelle il ne justifie d’aucun préjudice et la limiter à 6 mois de salaires en application de l’article L. 1235-3 du code du travail,

– condamner Monsieur [J] à 5 000,00 euros au titre des frais irrépétibles de 1ère instance et d’appel en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– le condamner aux entiers dépens, tant de 1ère instance que d’appel.

La société intimée réplique que :

– la procédure disciplinaire a été engagée dès connaissance de la faute relative au mélange de produits pétroliers lors de la livraison du 31 mai 2017 ;

– dès lors qu’elle a été ultérieurement informée des autres faits fautifs, elle a poursuivi sa procédure et sanctionné l’ensemble des fautes dont elle a pu avoir connaissance avant l’entretien préalable ;

– les excès de vitesse ne sont pas analysés au jour le jour mais lors de l’extraction des données de vitesse du chronotachygraphe de chaque camion effectuée de manière obligatoire tous les 90 jours, hors cas de suspicion ou réclamation ;

– la mise à pied conservatoire du 4 juillet 2017 a été immédiate et concomitante à sa connaissance de l’ampleur des fautes par leur multiplicité.

Une ordonnance de clôture est intervenue le 27 février 2023, renvoyant la cause et les parties à l’audience des plaidoiries du 29 mars suivant.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens et de l’argumentation des parties, il est expressément renvoyé aux conclusions des parties et au jugement déféré.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le bien-fondé du licenciement pour faute grave :

Aux termes de l’article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

L’article L.1235-1 du code du travail dispose qu’en cas de litige, le juge, à qui il appartient d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Il incombe à l’employeur d’en rapporter la preuve.

La lettre de licenciement du 10 juillet 2017 énonce :

‘Monsieur,

Nous vous avons convoqué à un entretien préalable à une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement, le Mardi 4 Juillet 2017, entretien au cours duquel vous n’avez pas souhaité être assisté.

Vous occupez un poste de conducteur poids lourd au sein de notre entreprise depuis le 01/10/2009 et vous êtes affecté sur l’activité liée aux opérations de chargement, transport et déchargement de matières dangereuses pour le compte de nos clients.

Nous avons à déplorer de votre part de nombreux manquements liés, notamment, au non-respect des consignes de sécurité d’une particulière gravité.

Pour exemple, sur les seules journées des 04, 05, 09 et 10 mai 2017, vous étiez en charge de transport de carburant avec le porteur immatriculé [Immatriculation 2].

Suite au recueil des données réglementaires issues du chronotachygraphe numérique du véhicule moteur, apparaissent les infractions suivantes :

– le 04/05 excès de vitesse à plus de 90 km/h,

– le 05/05 plusieurs excès au-delà même des 90 km/h,

– le 09/05 plusieurs excès de vitesse dont des dépassements à 102, 92 et 98 km/h entre sur un intervalle d’une demi-heure, un autre excès à 97 km/h dans l’intervalle de conduite 12H33-14H40,

– le 10/05 des dépassements de vitesse sur toute la journée sont constatés et ce dès votre début de journée, atteignant 104 km/h sur le créneau de conduite 06H13-07H09. Dans l’intervalle suivant à 7H19-8H38 vous avez roulé de manière régulière au-delà des 80 km/h.

Comme vous le savez, la vitesse maximale autorisée par la règlementation concernant ce type de transport est de 80 km/h sur autoroute.

Vous avez donc commis de multiples et durables dépassements de vitesse dans la conduite, pour le compte de l’entreprise, d’un véhicule poids-lourds en matières dangereuses.

En tant que professionnel de la route, vous n’êtes pas sans connaître les principaux effets et conséquences d’une vitesse excessive :

– vous commettez une infraction pénalement sanctionnée et vous risquez de plus d’engager responsabilité de l’entreprise ;

– vous disposez de moins de temps pour observer, prévoir et répondre au mieux à une situation d’évitement en cas d’urgence – le risque de défaut de maîtrise du véhicule augmente ;

– la distance nécessaire pour ralentir et arrêter l’ensemble routier s’allonge, l’adhérence des pneumatiques sur la chaussée diminue, le risque de dérapage s’accroît ;

– dans les virages, la force centrifuge augmente et le risque de renversement grandit ;

– en cas de collision, l’importance des dégâts et la gravité des blessures augmentent ;

– l’usure des matériels roulant et la consommation de carburant augmentent fortement.

Un tel comportement peut être à l’origine d’une perte de contrôle du véhicule PL avec de lourdes conséquences pour votre sécurité et celles des tiers.

L’ensemble de ces points vous a été rappelé lors de votre intégration au sein de notre société.

De même, l’impérieuse nécessité de vous conformer, dans le cadre professionnel, aux dispositions du Code de la route vous a été rappelée à maintes reprises. Ces consignes sont notamment reprises dans le Règlement intérieur de l’entreprise et dans le Manuel conducteur qui vous a été remis.

Enfin, vous n’ignorez pas que tout travailleur a une obligation légale de sécurité, à savoir prendre soin de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail.

Du fait des formations reçues, de votre expérience, et du caractère sensible des marchandises qui vous sont confiées, vous n’êtes pas sans savoir les effets d’une vitesse excessive sur les risques routiers. Pour autant, lors de notre entretien, vous reconnaissez les faits et vous banalisez ce type de comportement, ce qui n’est pas admissible.

Lors de votre formation initiale puis durant votre période d’intégration dans l’entreprise, vous avez reçu les rappels liés à la règlementation sociale européenne.

De même, ces consignes sont rappelées dans le règlement intérieur de l’entreprise : tout salarié dont les attributions comportent l’utilisation d’un véhicule de l’entreprise dans le cadre d’une prestation de transport de marchandises doit respecter les obligations particulières suivantes :

– respecter les programmes de travail établis par le service exploitation ;

– se conformer strictement aux stipulations législatives et réglementaires concernant la circulation automobile, la coordination des transports et la réglementation sociale et, en particulier, se livrer à la manipulaticn correcte du sélecteur chronotachygraphe dont est équipé le véhicule.

En outre, ces consignes sont également reprises dans le Manuel conducteur de l’entreprise qui vous a été remis.

Toujours pour exemple, nous avons relevé les 9, 10, 30 et 31 mai ainsi que les 2, 22 et 23 juin plusieurs dépassements à la durée maximale du temps de conduite vous concernant.

Là-encore, vous connaissez parfaitement vos obligations relatives aux interruptions réglementaires de conduite au volant d’un véhicule soumis à la Règlementation Sociale Européenne.

Ces dispositions vous sont régulièrement rappelées lors des stages de formation professionnelle continue ; elles sont également reprises dans le Manuel conducteur de l’entreprise qui vous a été remis.

Pour autant, vous commettez en toute connaissance de cause ces infractions pénalement sanctionnées et se faisant vous enfreignez régulièrement une règle liée à la sécurité routière dont les conséquences peuvent engager la responsabilité pénale du chef d’entreprise.

Enfin, le 31 mai 2017, vous avez effectué pour le compte de notre client [L] une livraison de carburant à la station de [Localité 4] de [Localité 7]. Lors de cette livraison vous avez mélangé deux produits : vous avez livré environ 4200 litres de carburant ‘Performance’ dans une cuve dans laquelle était présent 1800 litres de gazole ‘ordinaire’, entrainant une pollution de la totalité des produits, soit plus de 6000 litres.

Ces faits constituent un préjudice financier pour l’entreprise. La société devra supporter les coûts liés à l’indemnisation du préjudice lié à la perte d’exploitation de la station, à l’opération de pompage du produit pollué ainsi qu’au déclassement de celui-ci.

De plus, ce mélange met en doute le sérieux et les compétences de la société et fait courir la menace de perdre la confiance de nos clients.

L’analyse de ces évènements révèle que ce mélange de produit est la conséquence directe d’un manquement manifeste aux consignes applicables. Vous n’avez pas respecté la procédure édictée dans le complément au Manuel conducteur Produits Pétroliers Blancs qui vous a été remis dans le cadre de votre formation. Or, comme indiqué, cette procédure est impérative et vous impose plusieurs contrôles et vérifications avant chaque début d’opération de dépotage. Manifestement, vous n’avez pas respecté ces vérifications.

Une telle attitude, outre le fait qu’elle est révélatrice d’un manque évident de coopération, caractérise une volonté délibérée de ne pas se soumettre aux règles de sécurité. Votre comportement est inacceptable, tant au regard de vos obligations professionnelles, que de l’attitude que nous sommes en droit d’attendre de nos collaborateurs et de la confiance que nous vous portons à cet effet.

Les explications recueillies auprès de vous au cours de notre entretien du 4 juillet 2017 ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits.

En conséquence votre maintien dans l’entreprise s’avère impossible, et nous nous voyons dans obligation de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave.

Nous vous confirmons pour les mêmes raisons la mise à pied à titre conservatoire dont vous faite l’objet depuis le 05 juillet 2017.

Le licenciement prend donc effet immédiatement, dès remise de cette lettre aux services postaux et votre solde de tout compte sera arrêté à cette date, sans indemnité de préavis ni de licenciement’.

Le salarié a donc été licencié pour faute grave pour avoir commis plusieurs excès de vitesse les 4, 5, 9 et 10 mai 2017 et dépassements de la durée maximale du temps de conduite les 9, 10, 30 et 31 mai et 2, 22 et 23 juin 2017 ainsi que pour ne pas avoir respecté la procédure édictée dans le complément au Manuel conducteur Produits Pétroliers Blancs et livré le 31 mai 2017 environ 4200 litres de carburant ‘Performance’ dans une cuve dans laquelle était présent 1800 litres de gazole ‘ordinaire’.

Sur les excès de vitesse les 4, 5, 9 et 10 mai 2017 :

A l’appui de ce grief, l’employeur verse aux débats le relevé tachygraphe du 4 au 10 mai 2017 qui met

en évidence plusieurs excès de vitesse :

– le 4 mai : environ 93 km/h au lieu de 90 km/h,

– le 5 mai : environ 94 à 96 km/h à plusieurs reprises au lieu de 90 km/h,

– le 5 mai : environ 96 et 98 km/h également au lieu de 90 km/h,

– le 9 mai : environ 93 km/h, 97km/h, 102 km/h au lieu de 90 km/h,

– le 10 mai 2017 : environ 93 km/h, 96 km/h et 105 km/h au lieu de 90 km/h.

Le document ne précise pas la durée de ces excès de vitesse qui paraissent selon les graphes des pointes avoir duré un temps court avec une correction de la vitesse après.

Il est observé au regard de pièces produites par l’employeur lui-même que le salarié a perdu trois points pour une infraction au code de la route le 29 avril 2016, que les relevés tachygraphes de novembre 2016, février, mars 2017 mettent en évidence des excès de vitesse du salarié à d’autres reprises sans que cela entraîne de réactions de la part de la société. La cour relève ensuite que si la société MILLO GARCIN justifie que la réglementation prévoit que le téléchargement des données de l’unité embarquée ne doit pas dépasser 90 jours, l’employeur n’établit pas à quelles dates le tachygraphe du véhicule conduit par Monsieur [J] a été contrôlé de mai à juin 2017. Il est par contre mis en évidence au regard des courriels produits par la société que les informations ont été recherchées le 30 juin 2017, soit 15 jours environ après la convocation à l’entretien préalable, le principal grief reproché par la société étant manifestement le mélange de deux types de carburant dans une cuve.

Sur les dépassements de la durée maximale du temps de conduite les 9, 10, 30 et 31 mai et 2, 22 et 23 juin 2017 :

Les parties n’évoquent pas ce grief au termes de leurs écritures.

A l’appui de ce grief, l’employeur produit néanmoins un document intitulé ‘Contrôle de vérification’ mentionnant 3 conduites continues illégales (non glissant), 9 conduites continues illégales (glissant) mais aussi 11 temps de service de nuit excessifs.

Ces dépassements de la durée maximale de travail non contestés par le salarié dans le cadre de l’instance sont retenus.

Sur le non-respect de la procédure ayant entraîné le mélange de le mélange de produits pétroliers le 31 mai 2017 :

Pour justifier de ce grief, l’employeur produit les pièces suivantes :

– une lettre de voiture au nom du salarié mentionnant un déchargement à ‘HONO Moustier Ste Marie’ le mercredi 31 mai 2017 ;

– une lettre du 2 juin 2017 émanant de la société [L] LAMUREBIANCO informant la société MILLO GARCIN que : ‘ lors de la livraison effectuée le 31 Mai 2017 sur notre station [Adresse 5], votre chauffeur a vidé 4.311 litres de Gazole Perfomance 1er dans la cuve de Total Gazole Excellium Premier du client qui avait environ 1700 litres avant le dépotage, entraînant un mélange produits et nous occasionnant un préjudice. Votre responsabilité est engagée et tous les frais générés que nous limitons au déclassement de produit par ce sinistre vous sont répercutés. (…) Nous vous informons que nous nous donnons la possibilité de ne plus vous affréter durant une période déterminée si un tel sinistre devait se renouveler’ ;

– une feuille de tournée du 31 mai.2017 émanant de ‘CLMB’ mentionnant notamment la livraison par le ‘Transporteur Millo LP’ de 7000 litres de ‘GO PERF’ et de 6000 litres de ‘SP 95 ETH PERF’ au garage [6] à [Localité 7] ;

– un ordre d’intervention de la société SUEZ ASTREE PROVENCE du 1er juin 2017 pour le ‘pompage de + ou – 6 000 l de gasoil dans une cuve de gasoil + et vidange dans la cuve de gasoil. Nettoyage et dégazage’ au garage Honorat à [Localité 7] avec comme adresse de facturation ‘Transport Millo GARCIN’ ;

– la facture d’intervention de SUEZ ASTREE PROVENCE du 2 juin 2017 d’un montant de 1 560,00 euros TTC adressée à ‘Transport Millo GARCIN’ ;

– le bordereau de suivi des déchets du 1er juin 2017 émanant de la société MILLO GARCIN ;

– une fiche d’information incident ouverte par la société MILLO GARCIN le 20 juin 2017 mentionnant l’incident du 31 mai 2017 décrit comme suit : ‘Mélange de 4200 L de G-Perf dans Cuve de Diesel 1800 L – conducteur sorti des effectif -> pas de rapport mélange’ et mentionnant le nom du conducteur ([J] [W]), le véhicule concerné, le client, le préjudice et l’absence de déclaration à l’assurance ;

– un bulletin de remise le 3 novembre 2016 à Monsieur [J] contre signature du complément au manuel conducteur Métier produit pétrolier blanc (Fiche EPI Hydrocarbure, Instructions Spécifiques (Aviation, Carburant, Fioul domestique) ;

– un test conducteur produit pétrolier compléter par Monsieur [J] le 3 novembre 2016 ;

– la fiche de présence à une formation relative à la présentation du manuel produit pétrolier blanc le 3 novembre 2016 pendant 2 heures mentionnant le nom de Monsieur [J].

Il résulte de ces éléments que Monsieur [J] est à l’origine du mélange des produits pétroliers lors de la livraison du 31 mai 2017 au garage Honorat à [Localité 7] et qu’il avait été formé sur les procédures applicables.

Monsieur [H] invoque, si les faits lui sont imputables, une erreur involontaire de sa part. Il relève ensuite que le jugement du conseil de prud’hommes de Martigues en date du 20 avril 2016 produit par l’employeur, qui valide un licenciement pour faute grave pour un mélange de produits pétroliers à la livraison, fait état d’une quantité et d’un préjudice nettement plus importants et de plusieurs sanctions disciplinaires du salarié concerné dans la période concomitante au licenciement.

Le troisième grief reproché est retenu.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, les faits reprochés au salarié sont établis et constituent constituaient une cause réelle et sérieuse de licenciement.

En considération de l’ancienneté du salarié, de l’absence de toute sanction dans les trois années précédant le licenciement et d’impossibilité de le maintenir dans l’entreprise pendant la durée du préavis, la cour estime que ces faits ne justifiaient pas un licenciement pour faute grave. Le jugement déféré est infirmé en ce sens.

Monsieur [H] est donc débouté de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse conformément au jugement déféré qui a retenu également le principe du licenciement.

Sur les indemnités de rupture :

Sur l’ancienneté :

Monsieur [H] invoque une ancienneté de 13 ans en faisant valoir qu’il a été initialement embauché le 16 septembre 2004 par la société [Adresse 3], faisant également partie du groupe CHARLES ANDRE, avant d’être transféré à la société SAS MILLO GARCIN.

Il ne résulte pas du contrat de travail du salarié conclu avec la société MILLO GARCIN ou de ses bulletins de salaire une reprise d’ancienneté. Or, celle-ci n’avait pas obligation de reprendre l’ancienneté acquise par le salarié au sein d’une autre société du groupe.

L’ancienneté est donc fixée au 1er septembre 2009.

Sur l’indemnité de préavis :

Aucune faute grave n’étant retenue à l’encontre du salarié, l’employeur, Monsieur [H] peut prétendre au paiement d’une indemnité compensatrice de préavis de deux mois, soit la somme de 4 014,00 euros, outre celle de 401,40 euros au titre des congés payés afférents.

L’indemnité de licenciement :

Monsieur [H] dit prendre en compte comme salaire de référence pour le calcul de l’indemnité de licenciement la moyenne des trois derniers salaires (avril-mai-juin) qu’il fixe à la somme de 2 539,10 euros brut. L’employeur dit retenir quant à lui la moyenne des 12 derniers mois comme étant la moyenne la plus favorable (2 320,53 euros brut).

Après vérification, il convient de retenir pour le salaire de référence la somme de 2 320,53 euros brut étant précisé que les frais professionnels ne peuvent être inclus dans le calcul de l’indemnité de préavis ou dans celui de l’indemnité de licenciement.

Dès lors, il est fait droit à une indemnité de licenciement à hauteur de 3 132,71 euros.

Sur la demande de rappel de salaire pendant la période de mise à pied :

Il résulte des dispositions de l’article L. 1332-3 du code du travail que seule une faute grave peut justifier le non-paiement du salaire pendant une mise à pied conservatoire.

En l’espèce, il résulte de ce qui précède que le licenciement ne repose pas sur une faute grave.

La société MILLO GARCIN est en conséquence redevable des salaires dont cet employeur a privé Monsieur [H] durant la période de mise à pied conservatoire ainsi que des congés payés afférents.

Il convient donc de condamner la société MILLO GARCIN à payer à Monsieur [H] les sommes de 375,84 euros à titre de rappel de salaire afférent à la période de mise à pied conservatoire outre celle de 37,58 euros au titre des congés payés afférents.

Sur les demandes accessoires :

En l’espèce faute d’indication, dans les dossiers fournis par les parties et dans celui envoyé par le conseil des prud’hommes, de la date de réception de la convocation devant le bureau de conciliation, les créances salariales objets de la demande initiale ont été connus de l’appelante lors de la tentative de conciliation du 22 mars 2018, qui est donc, pour ces créances, la date de départ des intérêts légaux.

La capitalisation des intérêts est de droit conformément à l’article 1343-2 nouveau du code civil (ancien 1154 du code civil), pourvu qu’il s’agisse d’intérêts dûs au moins pour une année entière.

Les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens sont infirmées.

Monsieur [H] succombant principalement à l’instance est condamné aux dépens de première instance et d’appel.

L’équité ne commande pas qu’il soit fait application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement,

CONFIRME le jugement déféré en ce qu’il a débouté Monsieur [W] [J] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et s’agissant des dispositions relatives à l’article 700 du code de procédure civile,

INFIRME le jugement pour le surplus,

STATUANT A NOUVEAU et y ajoutant,

REQUALIFIE le licenciement pour faute grave de Monsieur [W] [J] en licenciement pour cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la société MILLO GARCIN à verser à Monsieur [W] [J] les sommes suivantes avec intérêt au taux légal à compter du 22 mars 2018 :

– 4 014,00 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre 401,40 euros bruts au titre des congés payés afférents ;

– 3 132,71 euros au titre de l’indemnité de licenciement,

– 375,84 euros bruts à titre de rappel de salaire afférent à la période de mise à pied conservatoire et celle de 37,58 euros bruts au titre des congés payés afférents,

DIT qu’il sera fait application des dispositions de l’article 1154 du code civil relatives à la capitalisation des intérêts échus,

CONDAMNE la société MILLO GARCIN aux dépens de première instance et d’appel,

DIT n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Le greffier Le président

 


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